Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 174/2004
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H 174/04

Arrêt du 2 décembre 2004
Ire Chambre

MM. et Mme les Juges Borella, Président, Leuzinger, Lustenberger, Ursprung et
Frésard. Greffier :
M. Beauverd

H.________, recourant, représenté par Me Antoine E. Böhler, avocat, rue du
Rhône 29, 1204 Genève,

contre

Caisse interprofessionnelle d'AVS de la Fédération des Entreprises Romandes
Genève,
rue de St-Jean 98, 1201 Genève, intimée

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 11 août 2004)

Faits:

A.
H. ________ est affilié en qualité d'architecte indépendant à la Caisse
interprofessionnelle d'assurance-vieillesse et survivants de la Fédération
romande des Syndicats patronaux (aujourd'hui : la Caisse interprofessionnelle
AVS de la Fédération des entreprises romandes; ci-après : la caisse).

Le 19 janvier 2000, la caisse a fixé provisoirement les cotisations
personnelles AVS/AI/APG dues par H.________ pour l'année 2000 en se fondant
sur une communication de l'administration de l'impôt fédéral direct (IFD) qui
faisait état, pour les années 1995 et 1996 de pertes de 1'102'529 fr,
respectivement 6'759'026 fr. La perte survenue en 1996 était en relation avec
une affaire immobilière désignée sous le nom de « X.________ ».

Le 21 août 2001, la caisse a rendu une décision définitive par laquelle elle
a fixé à 165'940 fr. 80 le montant des cotisations AVS/AI/APG et allocations
familiales de droit cantonal dues par H.________ pour l'année 2000. Cette
décision était fondée sur une communication de l'administration de l'IFD qui
attestait un revenu moyen de 1'695'625 fr. durant la période 1997/1998. Ce
montant avait été calculé compte tenu d'une perte de 1'028'833 fr. survenue
en 1997 et d'un gain de 4'419'581 fr. réalisé en 1998. Ce gain comprenait un
montant de 5'632'538 fr. obtenu par H.________ sous la forme d'un abandon de
créance consenti par la banque Y.________ afin d'assainir la perte subie dans
l'affaire immobilière « X.________ ».

L'intéressé ayant fait opposition à cette décision, la caisse a requis l'avis
de l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Dans sa réponse du 14
avril 2003, l'autorité de surveillance a indiqué qu'un gain obtenu au titre
d'un abandon de créance constitue un revenu d'une activité lucrative
indépendante soumis à cotisation.

Le 22 avril 2003, la caisse a rendu une nouvelle décision de cotisation en
tous points semblable à celle du 21 août 2001. Saisie d'une opposition, la
caisse l'a rejetée par décision du 16 mai 2003.

B.
H.________ a recouru contre cette décision sur opposition devant la
Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI du canton de Genève
(depuis le 1er août 2003 : Tribunal cantonal des assurances sociales du
canton de Genève). Il concluait à la réformation de la décision attaquée, en
ce sens que le gain obtenu en 1998 sous la forme d'un abandon de créance de
la banque Y.________ soit compensé par la perte subie en 1996 dans la même
affaire.

La juridiction cantonale a rejeté le recours par jugement du 11 août 2004.

C.
H.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il demande l'annulation, en concluant, sous suite de frais et dépens, à ce
que les cotisations dues pour l'année 2000 soient calculées compte tenu non
seulement du revenu moyen réalisé durant la période 1997/1998, mais également
de la perte de 6'759'026 fr. subie en 1996.

La caisse intimée conclut implicitement au rejet du recours, tandis que
l'OFAS a renoncé à se déterminer sur celui-ci.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 128 OJ, le Tribunal fédéral des assurances connaît en dernière
instance des recours de droit administratif contre des décisions au sens des
art. 97, 98 let. b à h et 98a OJ, en matière d'assurances sociales.

Quant à la notion de décision pouvant faire l'objet d'un recours de droit
administratif, l'art. 97 OJ renvoie à l'art. 5 PA. Selon le premier alinéa de
cette disposition, sont considérées comme décisions les mesures prises par
les autorités dans des cas d'espèce, fondées sur le droit public fédéral (et
qui remplissent encore d'autres conditions, définies plus précisément par
rapport à leur objet).

Cela étant, la Cour de céans ne peut pas entrer en matière sur le recours de
droit administratif, dans la mesure où il concerne des cotisations au régime
des allocations familiales de droit cantonal.

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-vieillesse et survivants. Contrairement au point de vue du
recourant, le cas d'espèce reste toutefois régi par les dispositions de la
LAVS en vigueur jusqu'au 31 décembre 2000, du moment que le litige concerne
des cotisations dues pour l'année 2000. En effet, selon la jurisprudence, les
règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits
juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 4 consid. 1.2, 127 V
467 consid. 1; cf. également, en droit fiscal, RDAF 2002 II p. 94 consid.
5b).

3.
Premièrement, le litige porte sur le point de savoir si des pertes
commerciales subies lors de l'exercice 1996 doivent être déduites du revenu
moyen réalisé durant la période 1997/1998, lequel est déterminant pour le
calcul des cotisations dues pour l'année 2000.

Le recourant soutient que cette question doit être tranchée par
l'affirmative, conformément à la pratique ayant cours en droit fiscal.

3.1 Selon l'art. 31 al. 1 LIFD, les pertes subies durant les trois périodes
de calcul précédentes peuvent être déduites du revenu moyen de la période de
calcul, à condition qu'elles n'aient pas pu être prises en considération lors
du calcul du revenu imposable des années précédentes. Cette disposition règle
la compensation des pertes dans le système de la taxation bisannuelle. Le
report des pertes prévu à l'art. 31 al. 1 LIFD correspond à celui de l'ancien
droit. Depuis le 1er janvier 2003, date à partir de laquelle tous les cantons
ont passé au régime de la taxation annuelle, cette compensation est
uniquement réglée à l'art. 211 LIFD, selon lequel les pertes des sept
exercices précédents peuvent être déduites, à condition qu'elles n'aient pas
été prises en considération lors du calcul du revenu imposable de ces années
(Peter Agner/Beat Jung/Gotthard Steinmann, Commentaire de la loi sur l'impôt
fédéral direct Zurich 2001, ad art. 211).

3.2 En revanche et pour des raisons tirées de la corrélation entre
cotisations et prestations d'assurance (ainsi les prestations de survivants
en cas de décès de l'assuré), les pertes commerciales selon l'art. 9 al. 2
let. c LAVS ne peuvent être compensées que dans les limites de la période de
calcul déterminante pour la période de taxation concernée. Cette
jurisprudence, inaugurée dans l'arrêt publié dans la RCC 1951 p. 424 a été
depuis lors confirmée à maintes reprises et tout récemment encore (ATFA 1960
p. 29; RCC 1988 p. 478; arrêt R. du 4 décembre 2003 [H 255/03] consid. 3.1 et
les arrêts non publiés cités).

3.3 Il n'y a pas de motif de se départir de cette jurisprudence, qui n'est au
demeurant pas remise en cause en doctrine (voir Reto Böhi, Der
unterschiedliche Einkommensbegriff im Steuerrecht und im
Sozialversicherungsrecht und seine Auswirkungen auf die Beitragserhebung,
thèse Berne 2001, p. 136 et note de bas de page 395; Käser, Unterstellung und
Beitragswesen in der obligatorischen AHV, 2ème édition, Berne 1996, p. 202,
ch 8.10; du même auteur : Die Auswirkungen der DBG [einschliesslich Fragen
des Sonderbeitrags auf Kapitalgewinnen in: Schaffhauser/Kieser, Aktuelle
Fragen aus dem Beitragsrecht der AHV, Saint-Gall. 1998, p. 61;
Greber/Duc/Scartazzini, Commentaire des articles 1 à 16 de la loi fédérale
sur l'assurance-vieillesse et survivants [LAVS], Bâle 1997, note 111 ad art.
9; Ueli Kieser, Bundesgesetz über die Alters- und Hinterlassenenversicherung,
Zurich 1996, p. 72 s.).
3.4 Cela étant, les dettes commerciales subies par le recourant lors de
l'exercice 1996 ne doivent pas être déduites du revenu moyen qu'il a réalisé
durant la période 1997/1998 et qui est déterminant pour le calcul de ses
cotisations dues pour l'année 2000.

4.
Deuxièmement, il convient d'examiner si le fait de bénéficier d'un abandon de
créance consenti afin de réduire une dette constitue un revenu d'une activité
indépendante au sens de l'art. 9 LAVS.

4.1 Le recourant soutient qu'en 1998, quand il a réussi à négocier avec une
banque créancière un abandon de créance de 5'632'538 fr., il n'a pas réalisé
un bénéfice, mais une diminution de dette considérée sous l'angle comptable
comme un revenu, puisqu'inscrite dans son compte de pertes et profits. Il ne
s'agit donc pas, selon le recourant, d'un revenu du travail au sens de l'art.
9 LAVS.

4.2 Le revenu d'une activité indépendante est défini à l'art. 17 RAVS
(version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2000). Cette disposition reprend les
termes de l'art. 18 al. 1 LIFD; elle renvoie au surplus aux art. 18 al. 2
LIFD pour ce qui est des bénéfices en capital et des bénéfices réalisés lors
du transfert d'éléments de fortune et à l'art. 18 al. 4 LIFD pour les
bénéfices provenant de l'aliénation d'immeubles agricoles ou sylvicoles.
L'art. 17 RAVS formalise donc une harmonisation entre le droit de l'AVS et le
droit fiscal sur la notion de revenu d'une activité indépendante. En
principe, tous les revenus d'une activité indépendante soumis à l'impôt
fédéral direct sont également soumis à cotisations, sous réserve de
dérogations de l'AVS, non pertinentes en l'espèce (Käser, Die Auswirkungen
des DBG, p. 57 ss).

4.3 En droit fiscal, un abandon de créance de la part d'un tiers entraîne un
accroissement de patrimoine qui est imposable au titre de revenu ou de
rendement (ATF 115 Ib 272 consid. 4b; arrêt non publié M. du 28 septembre
1989 [2A.263/1988]; Felix Richner/Walter Frei/Stefan Kaufmann, Handkommentar
zum DBG, Zurich 2003, note 61 ad art. 58; Marco Duss, Forderungsverzicht
durch Aktionäre im Zusammenhang mit Sanierungen von Aktiengesellschaften, in
: Archives de droit fiscal suisse 50 p. 273ss; voir également, Xavier
Oberson, Aspects fiscaux de l'assainissement des sociétés de capitaux, Etudes
réunies en l'honneur de Louis Dallèves, Bâle, Genève, Munich, 2000, p. 189
s.). Dès lors que les notions d'activité lucrative indépendante se recouvrent
en droit fiscal et en droit de l'AVS, on se trouve en l'espèce en présence
d'un revenu soumis à cotisation, comme l'ont considéré à bon droit les
premiers juges.

5.
5.1 Le recourant se plaint d'une violation des principes de l'égalité de
traitement et de la capacité économique qui résultent, sur le plan fiscal de
l'art. 127 Cst. En particulier, il serait inconstitutionnel de lui faire
supporter une contribution sur un revenu fictivement fixé en fonction d'un
abandon de créance qu'il aurait obtenu en 1998, sans tenir compte de la perte
correspondante subie en 1996; un assujetti qui se trouverait dans le même cas
de figure sur le plan économique, mais qui aurait été en mesure de
comptabiliser l'abandon de créance l'année durant laquelle il a subi la perte
ne serait pas taxé. Par ailleurs, l'intimée aurait violé le principe de la
capacité contributive en lui imputant un revenu qu'il n'a jamais réalisé et
cela uniquement parce que l'un de ses créanciers lui a fait une remise de
dette.

5.2 Selon la jurisprudence, une décision viole le principe de l'égalité de
traitement lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se
justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à
réglementer ou lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au
vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas
traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de
manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable
injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 125 I 4
consid. 2b/aa et la jurisprudence citée). En matière fiscale, le principe de
l'égalité est concrétisé par les principes de la généralité et de l'égalité
de l'imposition, ainsi que par le principe de la proportionnalité de la
charge fiscale fondée sur la capacité économique (cf. art. 127 al. 2 Cst.).
Le principe de la généralité de l'imposition interdit que certaines personnes
ou groupes de personnes soient exonérés sans motif objectif, les charges
financières de la collectivité qui résultent de ses tâches publiques
générales devant en principe être supportées par l'ensemble des citoyens. En
vertu des principes de l'égalité d'imposition et de l'imposition selon la
capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation
économique doivent supporter une charge fiscale semblable; lorsqu'ils sont
dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité
économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée (cf.
ATF 122 I 313 consid. 6a et la jurisprudence citée).

5.3 En l'espèce, il est vrai que l'année durant laquelle l'abandon de créance
a été concédé par le créancier a une incidence sur le montant des
cotisations. Mais cette situation est due aux aléas de l'activité
indépendante du recourant, avec laquelle l'abandon de créance est en relation
directe. Le fait qu'un revenu est réalisé à un moment plutôt qu'à un autre
peut tenir de multiples circonstances. L'égalité de traitement ne postule pas
de tenir compte de tous ces aléas : il y a forcément des différences en
fonction de la diversité des situations, qui justifient néanmoins un
traitement semblable (cf. Danielle Yersin, L'égalité de traitement en droit
fiscal, in RDS 1992 II p. 159). Au demeurant, le recourant n'est pas traité
différemment qu'un autre assuré qui se trouverait concrètement dans la même
situation. Quant à la capacité contributive, elle n'est pas déterminée en
fonction des liquidités qui seraient en possession du recourant. Du point de
vue fiscal, l'abandon de créance a conduit à une augmentation du revenu
provenant de l'activité de l'intéressé et donc sur sa capacité contributive.

6.
Vu ce qui précède, le jugement attaqué n'est pas critiquable et le recours se
révèle mal fondé.

7.
La procédure n'est pas gratuite (art. 134 OJ a contrario). Vu l'issue du
litige, les frais de la procédure seront supportés par le recourant (art. 156
al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Dans la mesure où il est recevable, le recours est rejeté.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 6000 fr., sont mis à la charge du
recourant et sont couverts par l'avance de frais qu'il a versée.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 2 décembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la Ire Chambre:   Le Greffier: