Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 128/2004
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H 128/04

Arrêt du 14 février 2006
IIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Borella et Kernen. Greffier : M.
Berthoud

Caisse de compensation de la Société Suisse des Entrepreneurs, Agence de
Genève, rue Malatrex 14, 1201 Genève, recourante, représentée par Me Pierre
Vuille, avocat, rue François-Bellot 9, 1206 Genève,

contre

1. H.________, représenté par Me Damien Bonvallat, avocat, rue Toepffer
11bis, 1206 Genève,
2. M.________, représentée par Me Pascal Pétroz, avocat, avenue de
Champel 24, 1206 Genève,
intimés,

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 26 mai 2004)

Faits:

A.
La société X.________SA était affiliée à la Caisse de compensation de la
société suisse des entrepreneurs (la caisse) en tant qu'employeur. La
faillite de la société a été prononcée le 28 avril 1998. A ce moment-là,
F.________ occupait la fonction d'administrateur avec signature individuelle,
H.________ celle de directeur avec signature individuelle, tandis que
M.________ disposait d'une procuration individuelle inscrite au Registre du
commerce.

Par deux décisions du 31 janvier 2000, la caisse a demandé conjointement à
M.________, en sa qualité de secrétaire de la société faillie, et à
H.________, en tant que directeur, de réparer le dommage de 23'631 fr. 35
qu'elle avait subi dans la faillite de la société. Cette somme correspondait
aux cotisations paritaires dues pour les mois de décembre 1997, janvier et
avril 1998.

B.
Les prénommés ayant formé opposition à ces décisions, par lettres des 3 et 29
février 2000, la caisse a saisi la Commission cantonale genevoise de recours
en matière d'AVS/AI (aujourd'hui : Tribunal cantonal des assurances sociales
du canton de Genève) de deux « recours », les 6 et 30 mars 2000, en concluant
à ce que les défendeurs fussent condamnés à lui payer la somme précitée.

Par jugement du 26 mai 2004, la juridiction cantonale a rejeté les deux
demandes en réparation du dommage. Elle a alloué une indemnité de dépens de
2'000 fr. à chaque défendeur.

C.
La caisse interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
elle demande l'annulation, avec suite de dépens, en concluant principalement
à ce que les défendeurs soient condamnés à lui payer solidairement la somme
de 23'631 fr. 35, subsidiairement au renvoi de la cause à la juridiction
cantonale.

Les intimés concluent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable,
avec suite de dépens.

L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Dans leurs écritures respectives, les parties ont abordé la question de la
compétence du Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève
pour statuer sur les demandes en réparation du dommage des 6 et 30 mars 2000.
La jurisprudence a tranché ce point dans l'intervalle, si bien que la
compétence de ce Tribunal est donnée (consid. 2.2 de l'arrêt E. du 10
novembre 2004, H 82/04, citant notamment les arrêts ATF 130 I 230-231 consid.
2.4 à 2.6, et ATF 129 V 199 consid. 4.2).

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS. Le
cas d'espèce reste toutefois régi par les dispositions en vigueur jusqu'au 31
décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les règles applicables sont
celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont
produits (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les références).

3.
Le litige porte sur la responsabilité des intimés dans le préjudice causé à
la caisse recourante, au sens de l'art. 52 LAVS et de la jurisprudence y
relative (ATF 126 V 237 consid. 2a, 123 V 170 consid. 2a, 122 V 66 consid. 4a
et les références), par la perte des cotisations paritaires afférentes aux
mois de décembre 1997, janvier et avril 1998. La juridiction cantonale a
exposé correctement les règles légales et jurisprudentielles applicables en
matière de responsabilité de l'employeur et de connaissance du dommage, au
sens des anciens art. 52 LAVS et 82 RAVS, de sorte qu'il suffit de renvoyer à
ses considérants.

En ce qui concerne la notion d'organe selon l'art. 52 LAVS, on précisera
qu'elle est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1
CO. En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52
LAVS vise aussi, en première ligne, les organes statutaires ou légaux de
celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs,
c'est-à-dire les personnes qui prennent en fait les décisions normalement
réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la
formation de la volonté sociale d'une manière déterminante (ATF 128 III 30
consid. 3a, 117 V 441 consid. 2b, 571 consid. 3, 107 II 353 consid. 5a;
Nussbaumer, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure
de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, RCC 1991 p. 403 sv.; Knus,
Die Schadenersatzpflicht des Arbeitgebers in der AHV, thèse Zurich 1989, p.
14 ss). Mais les critères d'ordre formel ne sont, à eux seuls, pas décisifs
et la qualité d'organe s'étend aux personnes qui ont pris des décisions
réservées aux organes ou se sont chargées de la gestion proprement dite,
participant ainsi de manière déterminante à la formation de la volonté de la
société (ATF 119 II 255, 117 II 571 consid. 3, 441 consid. 2b, 114 V 214 ss
consid. 4, 79 sv.; Forstmoser, Die aktienrechtliche Verantwortlichkeit, 2e
éd., p. 209 ss; Böckli, Schweizer Aktienrecht, 2e éd., p. 1072, note 1969;
Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, § 37, note 4;
Peter Viktor Kunz, Rechtsnatur und Einredeordnung der aktienrechtlichen
Verantwortlichkeitsklage, thèse Berne 1993, p. 182 ss).

La qualité d'organe est donc réservée aux personnes exécutant leurs
obligations au sein de la société ou à l'égard des tiers en vertu de leur
propre pouvoir de décision. Le fait qu'une personne est inscrite au registre
du commerce avec droit de signature n'est, à lui seul, pas déterminant
(Forstmoser, op. cit., p. 209, note 656). La préparation de décisions par une
collaboration technique, commerciale ou juridique ne suffit pas à conférer la
qualité d'organe au sens matériel. En d'autres termes, la responsabilité liée
à la qualité d'organe présuppose que l'intéressé ait eu des compétences
allant nettement au-delà d'un travail préparatoire et de la création des
bases de décisions, pour se concentrer sur la participation, comme telle, à
la formation de la volonté de la société. La responsabilité pour la gestion
ne vise ainsi que la direction supérieure de la société, au plus haut niveau
de sa hiérarchie (sur ces divers points, voir ATF 117 II 572 sv).

Un organe de fait n'est appelé à assumer une responsabilité que pour les
domaines dans lesquels il a effectivement déployé une activité (Forstmoser,
Die aktienrechtliche Verantwortlichkeit, 2e éd., p. 216 n° 687).
Contrairement à un organe au sens formel, il n'a donc pas un devoir de
surveillance (cura in custodiendo) à l'endroit de l'activité des autres
organes, de fait ou de droit, de la société (voir à ce sujet l'arrêt ATF 114
V 223 consid. 4a; Forstmoser, op. cit., p. 115 n° 321; Egli, Aperçu de la
jurisprudence récente du Tribunal fédéral relative à la responsabilité des
administrateurs de sociétés anonymes, Recueil des travaux de la Journée
d'étude organisée le 6 novembre 1986 par la Fédération suisse des avocats et
le Centre du droit de l'entreprise, publication CEDIDAC 1987, p. 33).
Quant à un directeur de société, il a généralement la qualité d'organe en
raison de l'étendue des compétences que cette fonction suppose (ATF 104 II
197 consid. 3b; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., § 37, p. 443 note 17;
Böckli, op. cit., note 1969 p. 1072). Mais il ne doit répondre que des actes
ou des omissions qui relèvent de son domaine d'activités, ce qui, en d'autres
termes, dépend de l'étendue des droits et des obligations qui découlent de
ses rapports internes. Sinon, il serait amené à réparer un dommage dont il ne
pouvait empêcher la survenance, faute de disposer des pouvoirs nécessaires
(ATF 111 V 178 consid. 5a, Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., § 37, p.
442 note 8; consid. 7.3 de l'arrêt P. du 16 avril 2003, H 234/02, résumé in
HAVE/REAS 2003 p. 251).

4.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2
OJ).

5.
5.1 Les juges cantonaux ont considéré qu'il n'existait aucun indice permettant
d'admettre que H.________ assumait les fonctions d'organe matériel de la
société X.________SA. Ils ont dès lors nié sa responsabilité, au sens de
l'art. 52 LAVS, dans le préjudice subi par la caisse de compensation.

5.2 La recourante conteste ce point de vue. Elle rappelle que l'intimé a été
directeur de l'entreprise X.________, au bénéfice d'une signature
individuelle jusqu'à l'ouverture de la faillite. A son avis, il participait
de manière déterminante à la formation de la volonté de la société.

5.3 Sur la base des faits constatés par les premiers juges, la qualité
d'organe de fait n'est pas suffisamment établie s'agissant de H.________, que
ce soit de manière générale ou tout particulièrement pour le paiement des
cotisations aux assurances sociales. En effet, rien ne permet de dire que le
prénommé était chargé de la gestion administrative et, en particulier, du
règlement des comptes vis-à-vis de l'administration de l'AVS. De sa réponse
du 30 mars 2000 à la demande en réparation du 6 mars 2000, de même que lors
de son audition du 24 septembre 2003 par le Tribunal cantonal des assurances
sociales, il ressort que les tâches de cet intimé consistaient uniquement
dans l'acquisition, le suivi et la facturation des chantiers dans le canton
de Genève, tandis que la gestion administrative et financière de la société
incombait aux époux. Lors de son audition du 24 septembre 2003, M.________ a
d'ailleurs confirmé que H.________ s'occupait de la partie technique de la
société genevoise, mais qu'il n'avait aucun pouvoir en matière de gestion
administrative ou financière. C.________ l'a confirmé à son tour, lors de son
audition le 12 novembre 2003.
A quelque échelon de la procédure que ce soit, la caisse recourante n'a ni
contredit ni contesté les faits rapportés par les témoins, ni étayé ses
allégués. On doit ainsi nier la responsabilité de H.________ dans le
préjudice subi par la recourante, car les relations avec la caisse de
compensation ne relevaient pas, sur le plan interne, de son domaine
d'activités. Sur ce point le recours de la caisse doit être rejeté.

6.
6.1 De manière à lier le Tribunal fédéral des assurances, les premiers juges
ont constaté que M.________ avait démissionné de sa charge d'administratrice
le 13 octobre 1995, par lettre adressée à son époux dans laquelle elle
déclarait n'avoir plus mot à dire au sujet de la gestion de la société. Les
premiers juges ont aussi constaté que l'intimée avait continué à travailler
dans l'entreprise en qualité de secrétaire et qu'elle avait conservé une
procuration individuelle pour assurer le suivi des tâches administratives. En
particulier, elle établissait les décomptes de salaires à l'attention de la
caisse de compensation. En revanche, l'intimée ne s'occupait pas de la
comptabilité. Pour le surplus, la juridiction cantonale a constaté que le
Tribunal de Police avait acquitté l'intimée du chef de détournement de
l'impôt à la source.
Dès lors, le Tribunal cantonal a retenu que l'intimée n'avait pas la qualité
d'organe de fait de la société X.________SA, si bien que sa responsabilité
n'était pas engagée dans le préjudice subi par la caisse de compensation.

6.2 Cette dernière ne partage pas l'appréciation de la juridiction cantonale.
Elle rappelle que l'intimée établissait les fiches ainsi que les attestations
de salaires de l'entreprise, de même qu'elle préparait et signait les ordres
bancaires pour le paiement des charges sociales durant la période au cours de
laquelle les cotisations n'avaient pas été payées (cf. procès-verbaux des
auditions de C.________, du 12 novembre 2003, ainsi que des deux intimés, des
24 septembre 2003). Pour cela, elle bénéficiait d'une procuration
individuelle inscrite au Registre du commerce. Selon la caisse, l'intimée
avait ainsi la qualité d'organe de fait de la société.

6.3 Les objections de la recourante sont pertinentes. En effet, il ressort du
procès-verbal d'audition de M.________ qu'elle avait la signature
individuelle sur les comptes bancaires de la société genevoise et qu'elle
prenait la responsabilité d'effectuer les paiements, tant que les comptes
étaient provisionnés; lors de problèmes de liquidités, son époux choisissait
les créanciers qui devaient être désintéressés. De son côté, C.________ a
précisé que M.________ recouvrait les créances et effectuait les paiements de
la société, qu'elle préparait les ordres bancaires pour le règlement des
charges sociales et qu'elle les signait, à l'instar des paiements courants,
tandis qu'une autre employée, T.________, passait les écritures, ce que cette
dernière a confirmé.

M.________, qui s'occupait de la gestion administrative des charges sociales,
a indiqué lors de son audition qu'elle ne se souvenait pas d'avoir demandé
des délais de paiement pour leur règlement; elle a ajouté qu'elle aurait
néanmoins été habilitée à le faire, si cela avait été nécessaire. De plus,
elle avait demandé que les décisions de cotisations lui fussent directement
adressées pour en assurer le suivi.

Eu égard aux tâches que M.________ exécutait, singulièrement l'établissement
des attestations de salaire et la signature des ordres de paiement, ainsi
qu'aux pouvoirs de disposition non limités dans le temps sur les liquidités
de la société, dont elle faisait régulièrement usage, on doit admettre,
contrairement à l'opinion des premiers juges, que l'intimée avait la qualité
d'organe de fait de la société X.________SA. L'activité qu'elle a déployée
était ainsi de nature à engager sa responsabilité, au sens de l'art. 52 LAVS,
vis-à-vis de l'administration de l'AVS. En cela, le cas d'espèce est analogue
à l'affaire qui avait donné lieu à l'arrêt non publié L. du 17 juillet 1995
(H 266/94). Au demeurant, il n'apparaît pas qu'une autre personne que
l'intimée soit intervenue dans les relations de la société X.________SA avec
l'AVS.

6.4 Il reste ainsi à examiner la question de la responsabilité de M.________,
au sens de l'art. 52 LAVS, dans le dommage causé à la caisse de compensation.

Cette tâche incombe au Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de
Genève, à qui la cause doit être renvoyée à cet effet.

7.
7.1 La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un litige qui ne porte pas
sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ a
contrario). Les frais de justice seront supportés à parts égales par la
recourante et par M.________, qui succombent (art. 156 al. 1 OJ).

7.2 La recourante est redevable d'une indemnité de dépens à H.________ qui
obtient gain de cause (art. 159 al. 1 OJ; art. 2 al. 2 Tarif TFA).

La recourante, qui obtient gain de cause dans la mesure où le jugement
attaqué est annulé dans la mesure où il concerne M.________, conclut à
l'octroi d'une indemnité de dépens. Elle ne saurait toutefois y prétendre,
attendu qu'elle agit en qualité d'organisme chargé de tâches de droit public
(art. 159 al. 2 OJ in fine; ATF 128 V 133 consid. 5b, 126 V 150 consid. 4a,
118 V 169 consid. 7 et les références).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis. Dans la mesure où il concerne M.________,
le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève
du 26 mai 2004 est annulé, la cause lui étant renvoyée pour instruction
complémentaire au sens des considérants et nouveau jugement. Le recours est
rejeté pour le surplus.

2.
Les frais de justice, d'un montant total de 1'700 fr., sont répartis par
moitié entre la Caisse de compensation de la société suisse des entrepreneurs
et M.________, soit 850 fr. chacune.

3.
Les frais mis à la charge de la recourante sont compensés par l'avance de
frais de 1'700 fr. qu'elle a versée. La différence, soit 850 fr., lui est
restituée.

4.
La recourante versera à H.________ la somme de 1'500 fr. (y compris la taxe
sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

5.
Le ch. 3 du dispositif du jugement du Tribunal cantonal des assurances
sociales du canton de Genève du 26 mai 2004 est réformé en ce sens que
l'indemnité de dépens allouée à M.________ est supprimée.

6.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 14 février 2006
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIe Chambre: Le Greffier: