Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen B 103/2004
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2004
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2004


B 103/04

Arrêt du 2 novembre 2005
IIIe Chambre

MM. les Juges Lustenberger, Kernen et Seiler.
Greffier : M. Piguet

1. C.________,
2. M.________,
3. J.________,
4. P.________, recourants,
tous représentés par Me Alexis Overney, avocat, boulevard de Pérolles 21,
1700 Fribourg,

contre

Fonds de prévoyance du personnel de la fondation Les Buissonnets, 1700
Fribourg, intimé, représenté par Me Erwin Jutzet, avocat, rue St. Pierre 10,
1701 Fribourg,

concernant :
1. B.________,
2. R.________

Cour des assurances sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg,
Givisiez

(Jugement du 8 juillet 2004)

Faits:

A.
B. ________ a été administrateur de la fondation Y.________. A ce titre, il
était assuré en matière de prévoyance professionnelle auprès du fonds de
prévoyance en faveur du personnel de la fondation (fonds de prévoyance).

Célibataire, B.________ a vécu avec sa mère et son frère R.________, né le 10
juillet 1942, dans la maison familiale qu'il avait reprise en 1978 au décès
de son père. Après le décès de sa mère en 1992, B.________ a été nommé tuteur
de son frère, celui-ci accusant un lourd handicap mental depuis l'enfance.

Victime d'une crise cardiaque au mois d'avril 1991, B.________ n'a plus
repris son activité professionnelle et les rapports de travail ont pris fin
au 30 avril 1993. Il a été mis au bénéfice des prestations d'invalidité de
l'AI et du fonds de prévoyance, avant de décéder le 2 juillet 1996.

R. ________ a été alors placé au Home X.________ pour personnes adultes
handicapées mentales et IMC graves. Le 20 février 1997, il a requis le fonds
de prévoyance de lui verser le capital au décès de son frère B.________. Le
fonds de prévoyance a refusé au motif qu'il n'était pas établi que le défunt
eût pourvu d'une manière prépondérante à l'entretien de son frère.

B.
R.________ a ouvert action devant le Tribunal administratif du canton de
Fribourg le 5 août 1998 et conclu à ce que le fonds de prévoyance fût
condamné à lui verser le montant de 322'173 fr., plus intérêts de 5 % à
compter du 2 juillet 1996, avec suite de frais et dépens.

R. ________ est décédé le 26 décembre 1998. Ses héritiers ont repris la
procédure. Le tribunal a interpellé la personne qui s'était occupée en partie
de R.________ au cours des dernières années et requis le versement à la
procédure des dossiers de l'assurance-invalidité et des prestations
complémentaires de celui-ci. Par jugement du 8 juillet 2004, la juridiction
cantonale a rejeté la demande.

C.
C.________, M.________, J.________ et P.________ interjettent recours de
droit administratif contre ce jugement, dont ils demandent l'annulation en
renouvelant les conclusions développées en première instance.

Le fonds de prévoyance conclut au rejet du recours, tandis que l'Office
fédéral des assurances sociales renonce à se prononcer formellement.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de feu R.________ au capital au décès de
B.________ du fonds de prévoyance, au titre de l'entretien prépondérant dont
il aurait bénéficié de la part de B.________ du vivant de celui-ci.

1.1 La contestation ici en cause relève des autorités juridictionnelles
mentionnées à l'art. 73 LPP, tant du point de vue de la compétence ratione
temporis que de la compétence ratione materiae (ATF 130 V 104 consid. 1.1,
128 II 389 consid. 2.1.1, 128 V 258 consid. 2a, 120 V 18 consid. 1a et les
références).

1.2 La procédure de recours concernant l'octroi ou le refus de prestations
d'assurances, le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral des assurances n'est
pas limité à la violation du droit fédéral - y compris l'excès et l'abus du
pouvoir d'appréciation - mais s'étend également à l'opportunité de la
décision attaquée. Le tribunal n'est pas lié par l'état de fait constaté par
la juridiction inférieure, et il peut s'écarter des conclusions des parties à
l'avantage ou au détriment de celles-ci (art. 132 OJ; ATF 126 V 470 consid.
1b, 120 V 448 consid. 2a/aa et les références).

1.3 B.________ est décédé le 2 juillet 1996. Du point de vue intertemporel,
il convient d'appliquer les dispositions légales telles qu'elles étaient en
vigueur à cette époque, soit notamment avant l'entrée en vigueur de la
première révision de la LPP et des dispositions qui y sont liées (cf. ATF 129
V 4 consid. 1.2 et les arrêts cités).

2.
2.1 Dans le domaine de la prévoyance professionnelle plus étendue, couverte
par une institution de prévoyance de droit privé, les employés assurés sont
liés à l'institution par un contrat innommé (sui generis) dit de prévoyance
(ATF 131 V 28 consid. 2.1). Le règlement de prévoyance constitue le contenu
préformé de ce contrat, savoir ses conditions générales, auxquelles l'assuré
se soumet expressément ou par actes concluants. Il doit ainsi être interprété
selon les règles générales sur l'interprétation des contrats.

Il y a lieu de rechercher, tout d'abord, la réelle et commune intention des
parties (art. 18 al. 1 CO), ce qui, en matière de prévoyance professionnelle,
vaut avant tout pour les conventions contractuelles particulières (ATF 129 V
147 consid. 3.1; Riemer, Vorsorge-, Fürsorge- und Sparverträge der
beruflichen Vorsorge, in Innominatverträge, Festgabe zum 60. Geburtstag von
Walter R. Schluep, Zurich 1988, p. 239; au sujet de telles conventions, voir
ATF 118 V 231 consid. 4a). Lorsque cette intention ne peut être établie, il
faut tenter de découvrir la volonté présumée des parties en interprétant
leurs déclarations selon le sens que le destinataire de celles-ci pouvait et
devait raisonnablement leur donner selon les règles de la bonne foi. Cette
interprétation se fait non seulement d'après le texte et le contexte des
déclarations, mais aussi d'après les circonstances qui les ont précédées ou
accompagnées (ATF 129 III 122 consid. 2.5, 126 III 391 consid. 9d, 122 V 146
consid. 4c, 122 III 108 consid. 5a, 121 III 123 consid. 4b/aa, 116 V 222
consid. 2). Il y a lieu également de tenir compte du mode d'interprétation
spécifique aux conditions générales, notamment la règle de la clause peu
claire et la règle dite de l'inhabituel ou de l'insolite (ATF 122 V 146
consid. 4c).

2.2 D'après le règlement des mesures de prévoyance en faveur du personnel de
l'intimée, en vigueur dès le 1er janvier 1991, un capital au décès vient à
échéance en cas de décès avant l'âge de la retraite d'un assuré masculin non
marié ou d'un assuré féminin (ch. 3.4.8 première phrase). En cas de décès
d'un assuré, l'ordre des bénéficiaires suivant s'applique: le conjoint
survivant, à défaut les enfants à l'entretien desquels le défunt pourvoyait
entièrement ou partiellement, à défaut les autres personnes à l'entretien
desquelles le défunt pourvoyait dans une mesure prépondérante (ch. 3.4.10 al.
1 let. a).

3.
Selon les premiers juges, R.________ avait souffert d'atteintes psychiques
graves qui l'avaient empêché d'être autonome et d'exercer une activité
lucrative. Il avait vécu avec sa mère et son frère B.________ dans la maison
familiale que celui-ci avait reprise en 1978; à partir de 1992, après le
décès de sa mère, il avait continué à vivre avec son frère sous sa tutelle.
R.________ avait cependant bénéficié depuis de nombreuses années de
prestations d'assurances sociales; en 1996, sa rente d'invalidité s'élevait à
1'293 fr., l'allocation pour impotence à 485 fr. et la prestation
complémentaire à 317 fr.; ses revenus se montaient ainsi à 2'093 fr. ou
25'116 fr. par an, sa fortune à 53'470 fr. Des pièces extraites des comptes
de tutelles ainsi que des dossiers de l'assurance-invalidité et des
prestations complémentaires versés à la procédure, il ne ressortait pas que
B.________ eût contribué financièrement, au moyen de ses propres ressources,
à l'entretien de son frère pour plus de la moitié. Aussi, la juridiction
cantonale a considéré que B.________ n'avait pas subvenu de manière
prépondérante à l'entretien de son frère.

3.1 Dans un premier moyen, les recourants font grief à la juridiction
cantonale d'avoir limité la notion d'entretien prépondérant à une
appréciation purement économique, soit à un entretien strict sur cinq ans
supérieur à 50 %. Au regard des motifs fiscaux dont les institutions de
prévoyance doivent tenir compte pour bénéficier d'une exonération, le ch.
3.4.10 du règlement correspond selon eux, d'un point de vue littéral, à un
entretien substantiel qui ne couvre pas nécessairement plus de la moitié des
besoins financiers de la personne entretenue et  n'est pas limité à ceux-ci.

3.1.1 Dans un arrêt Z. du 19 novembre 2004 (ATF 131 V 27, consid. 5.1), le
Tribunal fédéral des assurances a laissé indécise la question de savoir si la
notion de soutien substantiel (in erheblicher Masse unterstützt) contenue
dans le règlement d'une institution de prévoyance supposait que le preneur
d'assurance décédé ait contribué pour plus de la moitié à l'entretien de la
personne soutenue, ou s'il suffisait déjà que par rapport à la personne
entretenue vivant dans le même ménage que lui, l'assuré ait à verser une
contribution prépondérante aux frais d'entretien communs.

La notion ici en discussion cependant n'est pas celle de soutien substantiel,
mais d'entretien prépondérant, plus particulièrement celle d'entretien (d'une
personne) auquel un défunt pourvoyait dans une mesure prépondérante. Aussi,
la question évoquée et laissée ouverte dans l'arrêt mentionné ci-dessus,
motivée par l'interprétation d'une notion autre et distincte, est sans portée
dans la présente affaire. Dans le contexte du règlement de l'intimée, la
notion d'entretien vise ce qui est nécessaire à l'existence matérielle de la
personne en cause (cf. Le Grand Robert de la langue française); elle ne peut
être comprise que d'un point de vue économique et doit être assimilée au fait
de pourvoir aux besoins matériels d'une personne. La locution adverbiale
"dans une mesure prépondérante", quant à elle, exprime clairement l'idée d'un
dépassement ou d'une mesure qui excède une autre à laquelle elle serait
comparée. Dès lors, il ne peut être fait reproche aux premiers juges d'avoir
considéré, conformément aux règles d'interprétation rappelées plus haut, que
le ch. 3.4.10 al. 1 let. a du règlement ne conférait un droit au capital au
décès qu'à la personne qui avait bénéficié d'un entretien économique régulier
de plus de la moitié de ses besoins de la part de l'assuré décédé.

3.1.2 Sur ce point, les recourants ne peuvent rien tirer de la Circulaire n°
1a de l'Administration fédérale des contributions du 20 août 1986. Selon
ladite circulaire, l'exonération fiscale des institutions de prévoyance est
notamment soumise à la condition que leurs fonds soient affectés durablement
et exclusivement à la prévoyance professionnelle. A ce titre, en cas de mort
du preneur d'assurance, à côté d'autres ayants droits qui n'entrent pas en
considération en l'espèce, seules les personne auxquelles celui-ci apportait
un soutien substantiel à l'époque de sa mort ou dans les dernières années
avant son décès, peuvent revêtir la qualité de bénéficiaire.

Eu égard à la diversité juridique du droit aux prestations et des plans de
prévoyance dans le régime sur-obligatoire (voir Schneider, Les régimes
complémentaires de retraite en Europe: libre circulation et participation,
thèse, Genève 1994, p. 225 ss), rien n'interdit cependant aux institutions de
prévoyance de limiter l'allocation des prestations de la prévoyance plus
étendue - à l'intérieur du cercle prévu par les autorités fiscales pour
l'obtention de l'exonération fiscale - à un groupe plus restreint, en
respectant les principes d'égalité et de proportionnalité, ainsi que
l'interdiction de l'arbitraire (ATF 115 V 109 consid. 4b; cf. aussi Walser,
Weitergehende berufliche Vorsorge, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht
[SBVR], ch. 142, p. 54; Kieser, BVG-Invalidenrenten im Alter, in
Schaffhauser/Stauffer [éd.], Berufliche Vorsorge 2002, Probleme, Lösungen,
Perspektiven, St-Gall 2002, p.147).

3.2 Dans un second moyen, les recourants contestent l'évaluation de
l'entretien de R.________ effectuée par la juridiction cantonale. Selon eux,
celui-ci ne peut être déterminé sur la base des frais d'entretien figurant
dans les comptes de tutelle ou dans le dossier de prestations complémentaires
du vivant de B.________, ni en fonction des prestations d'assurance sociales
alors perçues. En bref, le montant de l'entretien réel de R.________ durant
toutes ces années correspondrait aux frais nécessités par son état, tels
qu'ils sont apparus après le décès de son frère et son placement au Home
X.________. Comparés aux revenus de R.________ à l'époque, la différence
constituerait l'entretien prépondérant non comptabilisé de B.________ envers
son frère.

3.2.1 Certes, les frais de placement dans le Home X.________, de 52'560 fr.
par an, dépassent de plus de la moitié les frais d'entretien extraits des
comptes de tutelle ou des feuilles de calcul des prestations complémentaires.
Ainsi, les dépenses figurant dans les comptes de caisse 1993, 1994 et 1995
approuvés par la Justice de paix s'élèvent-elle respectivement à 24'678 fr.,
26'494 fr. et 25'172 fr. De son côté, la caisse de compensation du canton de
Fribourg a retenu dans ses décisions de prestations complémentaires 1993,
1995 et 1996 des dépenses totalisant entre 20'486 fr. et 23'059 fr.

Toutefois, le coût du placement de R.________ dans l'institution spécialisée
qui l'a accueilli ne peut être retenu comme le montant de son entretien à une
époque antérieure. R.________ a vécu avec sa mère et son frère dans la maison
familiale, puis seul avec son frère. Cet état de fait est différent de celui
qui a prévalu après le décès de son frère et ces deux situations ne peuvent
être assimilées l'une à l'autre. En outre, le coût du placement équivaut aux
frais de pension facturés à un résidant par un établissement spécialisé; il
correspond aux prestations propres à cette institution, fournies par un
personnel formé à cet effet. Les soins dont B.________ a entouré son frère ne
peuvent être assimilés à une prise en charge professionnelle dispensée par
une institution ad hoc.

3.2.2 Il ne ressort ni des comptes de tutelles, ni du dossier des prestations
complémentaires que B.________ ait assisté ou entretenu financièrement son
frère de son vivant. En outre, si l'entretien de R.________ avait été plus
élevé à cette époque et que celui-ci ait été établi, au même titre que les
autres dépenses, sa prestation complémentaire en aurait été élevée d'autant,
dans les limites du droit fédéral et des dispositions d'exécution cantonales.

Il n'est pas exclu que R.________ ait bénéficié de prestations en nature ou
d'avantages concrets du vivant de B.________. Cependant, le dossier ne permet
pas de retenir que ces éléments aient revêtu une certaine importance et les
recourants n'apportent rien de substantiel sur ce point.

3.3 En définitive, il ne peut être reproché aux premiers juges d'avoir
considéré que B.________ n'avait pas pourvu à l'entretien de son frère d'une
manière prépondérante. Le recours se révèle mal fondé.

4.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

D'autre part, bien qu'elle obtienne gain de cause, l'intimée n'a pas droit à
des dépens (ATF 122 V 330 consid. 6, 118 V 169 consid. 7).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Cour des assurances
sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 2 novembre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Juge présidant la IIIe Chambre: Le Greffier: