Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.76/2004
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5P.76/2004 /frs

Arrêt du 8 avril 2005
IIe Cour civile

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Escher, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

Union de l'Inde,
recourante, représentée par Me Eugène Ibig, avocat,

contre

Crédit Agricole Indosuez (Suisse) SA,
intimée, représentée par Me Vincent Jeanneret, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (revendication),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève du 16 janvier 2004.

Le Tribunal fédéral considère en fait et en droit:

1.
Le 13 mai 1997, l'Union de l'Inde a actionné la succursale de Genève du
Crédit Agricole Indosuez à Paris, devenue en 1999 le Crédit Agricole Indosuez
(Suisse) SA, devant le Tribunal de première instance du canton de Genève.
Elle concluait à la restitution de deux pièces d'or anciennes — l'une de 1000
Muhurs, frappée à Agra en 1613, d'un diamètre de 20,3 cm environ et pesant
près de 12 kg, et l'autre de 100 Muhurs, frappée à Lahore en 1639, d'un
diamètre de 9,7 cm et d'un poids de 1,1 kg — en possession de la banque, en
se fondant tant sur l'action possessoire (art. 933 ss CC) que sur l'action
pétitoire (art. 641 al. 2 CC).

Les pièces d'or litigieuses avaient été remises en nantissement à la banque
en 1988 à titre de sûretés pour un crédit accordé à deux sociétés de Panama
et des Îles Vierges Britanniques contrôlées par Mukarram Jah, petit-fils de
Mir Osman Ali Khan, lui-même dernier Nizam de l'ancienne principauté indienne
d'Hyderabad. En substance, l'Union de l'Inde soutenait être devenue
propriétaire desdites pièces d'or en 1950, au moment de l'unification du
pays, en vertu du droit indien, et contestait l'acquisition d'un droit
préférable par la banque, laquelle n'aurait pas été de bonne foi lors de la
constitution du gage.

Par jugement du 12 septembre 2002, le Tribunal de première instance a débouté
la demanderesse de toutes ses conclusions avec suite de dépens. Par arrêt
rendu le 16 janvier 2004 sur appel de la demanderesse, la Chambre civile de
la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première
instance et a condamné la demanderesse aux dépens d'appel.

2.
L'arrêt de la Cour de justice, qui rejette la demande de revendication de
l'Union de l'Inde sur les pièces d'or litigieuses, repose sur une motivation
principale et sur une motivation subsidiaire. Les juges cantonaux ont en
effet considéré à titre principal que la demanderesse n'avait pas établi sa
qualité de propriétaire des pièces d'or litigieuses. À titre subsidiaire, ils
ont considéré que même si la demanderesse avait pu établir qu'elle était
propriétaire des deux pièces d'or, elle ne serait pas fondée à en exiger la
restitution, dès lors que la défenderesse pouvait lui opposer un droit de
gage acquis valablement.

3.
Contre cet arrêt, la demanderesse a interjeté en parallèle un recours en
réforme et un recours de droit public au Tribunal fédéral, en s'en prenant
conformément à la jurisprudence (ATF 117 II 630 consid. 1b et les arrêts
cités) aux deux motivations indépendantes retenues par la cour cantonale. La
motivation subsidiaire, relative à l'acquisition par la défenderesse d'un
droit préférable sur les pièces d'or litigieuses, est attaquée par la voie du
recours en réforme, tandis que la motivation principale, relative à
l'établissement d'un droit de propriété de la demanderesse sur les pièces
d'or litigieuses, est attaquée principalement dans le recours en réforme, et
subsidiairement, pour le cas où cette voie de droit ne serait pas ouverte à
cet effet, dans le recours de droit public. La défenderesse a conclu à ce que
le recours de droit public soit déclaré irrecevable, subsidiairement rejeté.

4.
Par arrêt de ce jour, la cour de céans a rejeté le recours en réforme
(5C.60/2004) dans la mesure où il était recevable. Elle a considéré que,
s'agissant d'une contestation civile portant sur un droit de nature
pécuniaire au sens de l'art. 46 OJ, l'application du droit étranger ne
pouvait être critiquée dans le cadre du recours en réforme (art. 43a al. 2
OJ), mais bien dans le cadre du recours de droit public. Examinant l'ensemble
des griefs dirigés contre la motivation subsidiaire de l'arrêt attaqué, la
cour de céans est arrivée à la conclusion que cette motivation indépendante
résistait à l'examen, si bien que le recours en réforme devait être rejeté,
dans la mesure où il était recevable, indépendamment des griefs soulevés dans
le recours de droit public.

5.
Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ, la recevabilité du recours de
droit public est notamment subordonnée à l'existence d'un intérêt actuel et
pratique à l'admission du recours (ATF 127 III 41 consid. 2b et les arrêts
cités, 429 consid. 1b); l'existence d'un intérêt à recourir est d'ailleurs
requise pour l'exercice de toute voie de droit (ATF 127 III 429 consid. 1b et
les arrêts cités). En l'espèce, le recours en réforme a pu être examiné en
premier lieu, et rejeté, parce que même si la motivation principale de
l'arrêt attaqué, selon laquelle la recourante n'a pas établi sa qualité de
propriétaire des pièces d'or litigieuses, ne devait pas résister à l'examen,
cela ne changerait rien à l'issue du litige puisque l'intimée peut de toute
manière opposer à l'action en revendication un droit préférable acquis
valablement, comme l'a retenu la cour cantonale dans une motivation
subsidiaire et indépendante qui ne prête pas le flanc à la critique. Dans ces
conditions, il s'avère que la recourante n'a pas d'intérêt à l'admission du
recours de droit public, lequel se révèle ainsi irrecevable au regard de
l'art. 88 OJ.

La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1
OJ), ainsi que les frais occasionnés à l'intimée par la procédure de recours
de droit public (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Sont mis à la charge de la recourante :
2.1 un émolument judiciaire de 10'000 fr.;
2.2une indemnité de 12'500 fr. à verser à l'intimée à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 8 avril 2005

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: