Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.376/2004
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5P.376/2004 /frs

Arrêt du 7 janvier 2005
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

X. ________,
recourant, représenté par Me Jacques Bonfils, avocat,

contre

Dame X.________,
intimée, représentée par Me Bruno Charrière, avocat,
Tribunal civil de la Gruyère, Le Château, case postale 364, 1630 Bulle.

art. 9 Cst. etc. (mesures provisoires dans un procès en divorce),

recours de droit public contre l'ordonnance du Tribunal civil de la Gruyère
du 18 août 2004.

Faits:

A.
Le 11 mars 2003, dame X.________ a saisi le Président du Tribunal civil de la
Gruyère d'une requête de mesures protectrices de l'union conjugale dirigée
contre son mari X.________, qui a été transformée en action en divorce avec
accord partiel lors de l'audience du 3 novembre 2003.

Le 12 mars 2004, l'épouse a déposé une demande de divorce avec accord partiel
(art. 112 CC) ainsi qu'une requête de mesures provisionnelles concernant la
conclusion divergente qui subsistait entre les époux, soit le versement par
le mari à son épouse d'une pension mensuelle de 2'300 fr. dès le 1er mars
2003, ce tant au fond que sur mesures provisoires.

Le mari a conclu au rejet de ces conclusions et à la suspension de la
procédure au fond jusqu'à droit connu sur la décision relative à la demande
de rente AI déposée par l'épouse. Il a en outre conclu à titre subsidiaire,
tant au fond que sur mesures provisoires, à ce qu'il soit prononcé que
"l'éventuelle contribution sera déduite de la rente AI; tout versement
rétroactif reviendra à X.________ dans la mesure des contributions versées;
le juge en informera l'office AI".

Lors de l'audience du 19 mars 2004, le Tribunal civil de la Gruyère a décidé
de suspendre la procédure au fond jusqu'à droit connu sur l'octroi d'une
rente AI en faveur de l'épouse. Par la suite, l'épouse a amplifié ses
conclusions sur mesures provisoires en ce sens qu'elle a réclamé une pension
mensuelle de 2'300 fr. du 1er mars 2003 au 31 mars 2004 et de 2'600 fr. dès
le 1er avril 2004; le mari a conclu au rejet de ces conclusions amplifiées.

B.
Par ordonnance sur mesures provisoires du 18 août 2004, le Tribunal civil de
la Gruyère a pris acte de ce que les époux vivaient d'ores et déjà séparés, a
attribué le domicile conjugal au mari qui en assume les charges et
l'entretien jusqu'au 1er avril 2004, a astreint le mari à contribuer à
l'entretien de son épouse par le versement d'une pension mensuelle de 2'180
fr. dès le 1er mars 2003 et a réservé les dépens.

La motivation de cette décision, dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour
l'examen du recours, est en substance la suivante :
B.aL'épouse, qui au vu des renseignements médicaux fournis est capable de
reprendre une activité lucrative à 50%, est en mesure de réaliser un revenu
hypothétique de 1'500 fr. par mois, calculé sur la base des revenus qu'elle
percevait de son activité antérieure à 50%. Ses charges mensuelles s'élèvent
à 2'403 fr. 30, d'où un déficit de 903 fr. 30.

B.b Le mari perçoit comme menuisier un salaire mensuel net de 4'539 fr. 75,
treizième salaire inclus.

Par acte notarié du 22 août 2003, il a cédé la villa dont il était
propriétaire à son fils Y.________, lequel devait assumer dès le 1er avril
2004 toutes les charges immobilières ainsi qu'un droit d'habitation viager
gratuit et le droit à la nourriture et au blanchissage du linge pour
X.________. Ce dernier ne doit ainsi assumer que l'impôt sur la valeur
locative en relation avec le droit d'habitation, soit 85 fr. 40 par mois,
tandis que les frais de chauffage, d'eau, d'électricité, les assurances, les
taxes et redevances relatives à l'immeuble, etc., sont à la charge de son
fils.

Comme le mari n'a plus de charges de loyer ni de nourriture ni d'électricité
à assumer, le montant du minimum vital pour une personne seule (1'100 fr.)
peut être réduit de moitié, ex aequo et bono, à 550 fr. Compte tenu des
autres charges établies, les charges mensuelles du mari s'élèvent ainsi à
1'980 fr. 65, ce qui lui laisse un solde positif de 2'559 fr. 10.

B.c Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 111 II 103 consid. 3c),
le solde demeurant après imputation des besoins respectifs de chacun des
époux doit être partagé par moitié entre eux. En l'espèce, l'épouse a ainsi
droit à la moitié du disponible du mari, soit 1'279 fr. 55, ainsi que 903 fr.
30 pour combler son déficit. Le mari devra donc lui verser un montant de
2'182 fr. 85 par mois, arrondi à 2'180 fr., qui sera revu dans le cadre de la
procédure au fond. Ce montant est dû à compter du 1er mars 2003, les parties
vivant séparées depuis cette date.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral, le mari
conclut avec suite de dépens à l'annulation de cette ordonnance.

Le recourant a en outre présenté une requête d'effet suspensif, que le
Président de la cour de céans, après avoir recueilli les déterminations  de
l'intimée et de l'autorité cantonale, a admise au sens des motifs par
ordonnance du 14 octobre 2004.

Sur le fond, l'intimée conclut avec suite de frais et dépens au rejet du
recours, dans la mesure où celui-ci est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 L'ordonnance attaquée, en tant que décision sur mesures provisoires dans
un procès en divorce, ouvre la voie du recours de droit public (ATF 126 III
261 consid. 1 et les références citées), si bien que le recours est recevable
de ce chef. Formé en temps utile contre une décision rendue en dernière
instance cantonale (art. 376 al. 1 CPC/FR, RSF 270.1; RFJ 2000 p. 284 ss,
287), il est également recevable au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

1.2 Saisi d'un recours de droit public pour arbitraire, le Tribunal fédéral
ne prend pas en considération les allégations, preuves ou faits qui n'ont pas
été soumis à l'autorité cantonale; nouveaux, ils sont irrecevables (ATF 124 I
208 consid. 4b; 119 II 6 consid. 4a; 118 III 37 consid. 2a et les arrêts
cités). Le Tribunal fédéral s'en tient dès lors aux faits constatés par
l'autorité cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces
constatations sont arbitrairement fausses ou incomplètes (ATF 118 Ia 20
consid. 5a p. 26).

En l'espèce, le recourant a lui-même rappelé cette jurisprudence dans son
mémoire de recours, et il y a expressément déclaré faire sien l'exposé des
faits contenu dans l'ordonnance attaquée.

2.
2.1 Le recourant reproche d'abord à l'autorité cantonale de n'avoir pas tenu
compte du fait que sa situation financière avait radicalement changé depuis
le 1er avril 2004, puisqu'il est passé à cette date de la qualité de
propriétaire de sa villa, devant supporter notamment les intérêts
hypothécaire et les frais d'immeuble — qui, selon la déclaration d'impôts à
fin 2002, se montaient à 157 fr. respectivement 202 fr. par mois — à celle de
titulaire d'un droit d'habitation gratuit, assorti du droit à la nourriture
et au blanchissage du linge. Selon le recourant, l'autorité cantonale serait
ainsi tombée dans l'arbitraire en calculant la pension, avec effet rétroactif
au 1er mars 2003, uniquement sur la base de sa situation depuis le 1er avril
2004. Elle aurait au contraire dû distinguer deux périodes et calculer
différemment la pension due pour la période allant du 1er mars 2003 au 31
mars 2004, puisque le recourant devait alors supporter les charges de son
immeuble ainsi que ses frais de nourriture et d'électricité, et qu'il devait
pouvoir bénéficier de l'intégralité du montant du minimum vital pour une
personne seule, soit 1'100 fr. La solution retenue par les premiers juges
serait ainsi en contradiction manifeste avec la situation effective,
puisqu'elle ne ferait aucune distinction entre deux situations (successives)
différentes. Elle serait également arbitraire dans son résultat, puisqu'elle
conduirait, pour la période allant du 1er mars 2003 au 31 mars 2004, à faire
fi de plus de 900 fr. de charges qui réduisaient d'autant le disponible du
recourant et qui auraient donc dû réduire de plus de 450 fr. la part de
l'épouse à ce disponible.

2.2 Ces griefs apparaissent fondés. En effet, la contribution d'entretien due
pour la période qui précède une décision de mesures provisoires selon l'art.
137 CC (anciennement selon l'art. 145 aCC) doit se fonder sur la situation
financière effective des parties à l'époque; partant, le juge ne saurait sans
arbitraire tenir compte, pour une période donnée antérieure à sa décision, de
charges ou de revenus qui ne correspondent pas à la situation à l'époque
(arrêt non publié 5P.29/1991 du 17 mai 1991, consid. 5c). Si, sur le laps de
temps pour lequel une contribution d'entretien doit être fixée avec effet
rétroactif (cf. art. 137 al. 2, dernière phrase, CC), la situation financière
des parties ou de l'une d'entre elles s'est modifiée de manière non
négligeable, le juge doit distinguer plusieurs périodes et fixer la
contribution d'entretien de manière différenciée sur la base de la situation
effective des parties pendant les périodes concernées.

En l'espèce, il est constant que la situation financière du recourant s'est
modifiée de manière non négligeable à partir du 1er avril 2004, date à
laquelle ses charges mensuelles se sont allégées de plusieurs centaines de
francs du fait qu'il bénéficie désormais d'un droit d'habitation gratuit
assorti du droit à la nourriture et au blanchissage du linge. Dans ces
conditions, l'autorité cantonale ne pouvait pas, sans se mettre en
contradiction manifeste avec la situation effective et donc sans tomber dans
l'arbitraire (ATF 128 I 177 consid. 2.1 et la jurisprudence citée), fixer la
contribution due pour la période allant du 1er mars 2003 au 31 mars 2004 sur
la base de circonstances qui n'étaient pas réalisées avant le 1er avril 2004.

3.
3.1 S'agissant de la contribution d'entretien due depuis le 1er avril 2004, le
recourant reproche à l'autorité cantonale de n'avoir pas tenu compte du fait
que, selon l'acte notarié du 22 août 2003, il pouvait, à bien plaire et de
son seul bon vouloir, verser à son fils propriétaire une participation aux
charges de l'immeuble grevé du droit d'habitation. C'est ainsi une
contribution volontaire de 1'000 fr. par mois que l'autorité cantonale aurait
selon le recourant omis de prendre en considération, bien que ce montant ait
été dûment documenté.

3.2 Comme le recourant a expressément déclaré faire sien l'exposé des faits
contenu dans l'ordonnance attaquée (cf. consid. 1.2 supra) et que celle-ci ne
contient aucune constatation sur le principe ni sur le versement effectif
d'une contribution aux charges de l'immeuble, le grief se révèle irrecevable.
Il serait de toute manière dénué de pertinence dès lors que, même en
admettant qu'une participation effective aux charges de l'immeuble ait été
établie, une contribution dont le recourant lui-même indique qu'elle est "à
bien plaire et de son seul bon vouloir" ne saurait être retenue dans la
détermination de son minimum vital.

4.
4.1 Le recourant se plaint enfin de ce qu'il n'ait pas été statué dans le
dispositif de l'ordonnance attaquée sur sa conclusion subsidiaire —
"l'éventuelle contribution sera déduite de la rente AI; tout versement
rétroactif reviendra à X.________ dans la mesure des contributions versées;
le juge en informera l'office AI" (cf. lettre A supra) —, même s'il est
exposé dans les considérants que le montant de la pension de 2'180 fr. serait
revu dans le cadre de la procédure au fond, sans autre précision. Cette
non-décision sur la conclusion subsidiaire en matière d'AI, sans aucune
explication, serait arbitraire et constituerait un déni de justice au sens de
l'art. 29 Cst.

4.2 L'octroi éventuel d'une rente AI à l'intimée représenterait une
modification importante de la situation financière de l'intimée. Comme une
telle rente modifierait les revenus de l'intimée et donc la répartition du
solde disponible après couverture du minimum vital des deux époux, il ne
saurait être question de la porter simplement en déduction de la contribution
d'entretien, comme le voudrait le recourant. Il appartiendrait bien plutôt à
ce dernier de demander la modification de la pension provisionnelle sur la
base des circonstances nouvelles, cette modification pouvant prendre effet
rétroactivement à la date du dépôt de la requête en modification des mesures
provisoires, voire exceptionnellement à une date antérieure (cf. ATF 111 II
103 consid. 4). Dans ces conditions, l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle
écarte (implicitement) la conclusion subsidiaire du recourant relative à une
éventuelle rente AI, ne prête pas le flanc à la critique.

5.
Dès lors que le recours, dans la mesure où il est recevable, doit de toute
manière être admis pour les motifs exposés au considérant 2.2 ci-dessus, il
apparaît opportun, en vue de la nouvelle décision que l'autorité cantonale
devra rendre ensuite de l'annulation de l'ordonnance attaquée, de rappeler
les principes qui sont à la base de la méthode appliqué par l'autorité
cantonale, soit celle dite du minimum vital avec répartition de l'excédent.

5.1 Le législateur n'ayant pas arrêté de mode de calcul aux fins de
déterminer le montant de la contribution d'entretien au sens de l'art. 176
al. 1 ch. 1 CC et de l'art. 137 ch. 2 CC, la doctrine a notamment préconisé
la méthode dite du minimum vital avec répartition de l'excédent. Cette
méthode, qui est considérée comme conforme au droit fédéral et est largement
appliquée en Suisse romande, consiste à déterminer en premier lieu les
besoins de base de chaque conjoint — soit leur minimum vital de base du droit
des poursuites (art. 93 LP) —, puis à élargir le montant obtenu par l'ajout
des dépenses non strictement nécessaires; la contribution d'entretien est
ensuite calculée sur cette base de telle manière que les deux époux
bénéficient dans une égale mesure du disponible total restant après
couverture de leurs charges respectives (cf. ATF 114 II 26; arrêts non
publiés 5P.103/2004 du 7 juillet 2004, consid. 5.1.1, et 5P.333/2002 du 19
décembre 2002, consid. 3.1.1).
5.2 Puisque le but du calcul est ainsi que les ressources excédentaires après
couverture des charges respectives des époux soient réparties par moitié
entre ces derniers — une répartition autre que par moitié ne se justifiant
que si l'un des époux doit subvenir aux besoins d'enfants mineurs communs
(ATF 126 III 8 consid. 3c et les arrêts cités) ou si d'autres circonstances
importantes le commandent (cf. ATF 119 II 314 consid. 4b/bb) —, le disponible
à partager par moitié est ce qui reste après la couverture des charges des
deux époux, et non du seul époux débirentier. Ainsi, dans le cas où la
situation de l'épouse est déficitaire tandis que celle du mari est
excédentaire, la contribution d'entretien correspondra à l'addition du
montant nécessaire pour combler le déficit de l'épouse et de la moitié du
solde restant après la couverture de ce déficit.

6.
En définitive, le recours doit être admis dans la mesure où il est recevable
et l'ordonnance entreprise annulée. L'intimée, qui succombe, supportera les
frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ), ainsi que les frais indispensables
encourus par le recourant pour la procédure fédérale (art. 159 al. 1 et 2
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'ordonnance
attaquée est annulée.

2.
Sont mis à la charge de l'intimée :
2.1un émolument judiciaire de 1'500 fr.;
2.2une indemnité de 1'500 fr. à verser au recourant à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au
Tribunal civil de la Gruyère.

Lausanne, le 7 janvier 2005

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: