Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.290/2004
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5P.290/2004 /frs

Arrêt du 1er novembre 2004
IIe Cour civile

Mmes et MM. les Juges Nordmann, Juge présidant, Escher, Meyer, Hohl et
Marazzi.
Greffière: Mme Jordan.

D. ________,
recourant, représenté par Me Mourad Sekkiou, avocat,

contre

Banque X.________,
intimée, représentée par Me Viviane J. Martin, avocate,
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (mainlevée définitive de l'opposition, jugement exécutoire),

recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de
justice du canton de Genève du 17 juin 2004.

Faits:

A.
Le 29 janvier 1998, la Banque X.________, agissant en qualité de cessionnaire
des droits de la masse en faillite de B.________ SA, a ouvert une action en
responsabilité contre C.________, D.________ et A.________, anciens
administrateurs de la société précitée. Elle a conclu à leur condamnation au
paiement de 611'688 fr. en capital.

Par jugement du 28 février 2002, le Tribunal de première instance a condamné
- par défaut - C.________ à payer à la Banque X.________ 611'688 fr. Il a en
revanche rejeté la demande en tant qu'elle était dirigée contre D.________ et
A.________, pour le motif que leur responsabilité d'administrateurs ne
pouvait être engagée.

Saisie d'un appel de la banque, la Cour de justice a annulé ce jugement le 14
mars 2003. Elle a en bref considéré que D.________ et A.________ avaient
violé leurs devoirs d'administrateurs en omettant d'agir conformément à
l'art. 725 al. 1 CO et commis ainsi une faute engageant leur responsabilité.
Ne disposant toutefois pas des éléments suffisants pour déterminer la quotité
du dommage encouru par l'appelante, elle a renvoyé la cause au tribunal pour
instruction. Dans son dispositif, elle a condamné solidairement les prénommés
aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprenaient une
indemnité globale de procédure de 40'000 fr. valant participation aux
honoraires d'avocat de la banque. Le bordereau d'état de frais taxé par la
Cour de justice pour cette procédure s'est élevé à 69'367 fr. 20.

Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.

B.
Le 6 janvier 2004, la Banque X.________ a fait notifier à D.________ un
commandement de payer, poursuite no xxxx, la somme de 69'367 fr. 20. Le
poursuivi y a fait opposition.

Par jugement du 24 février 2004, le Tribunal de première instance de Genève a
rejeté la requête de mainlevée définitive présentée par la banque.

Sur appel de cette dernière, la 1ère Section de la Cour de justice a, le 17
juin 2004, annulé ce jugement et levé définitivement l'opposition.

C.
D.________ forme un recours de droit public contre cet arrêt, concluant à son
annulation, sous suite de frais et dépens, et au déboutement de la banque de
toutes autres ou contraires conclusions.

L'autorité cantonale se réfère à ses considérants. La Banque X.________
propose, principalement, l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, son
rejet dans la mesure de sa recevabilité.

D.
Par ordonnance du 26 juillet 2004, le Président de la IIe Cour civile du
Tribunal fédéral a rejeté la demande d'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le prononcé d'une autorité cantonale de dernière instance qui accorde ou
refuse la mainlevée définitive de l'opposition est une décision finale qui
peut faire l'objet d'un recours de droit public (ATF 120 Ia 256 consid. 1a p.
257; 98 Ia 527 consid. 1 p. 532 et les arrêts cités). Interjeté en temps
utile (art. 89 al. 1 OJ) contre un arrêt rendu en dernière instance cantonale
(art. 86 al. 1 OJ) par la 1ère Section de la Cour de justice, le recours est
recevable.

2.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à l'annulation de
l'acte attaqué (ATF 127 III 279 consid. 1b p. 282 et les arrêts cités).

Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral annule une décision par laquelle la
mainlevée a été accordée ou refusée, il ne peut généralement se prononcer
lui-même sur la mainlevée. Une exception à cette règle ne peut être admise
que lorsque le Tribunal fédéral n'examine pas la décision attaquée uniquement
sous l'angle de l'arbitraire et que la situation juridique peut être
considérée comme suffisamment claire (ATF 120 Ia 256 consid. 1b p. 257 et la
jurisprudence mentionnée).

Le présent recours est donc irrecevable dans la mesure où il tend à ce que
l'intimée soit déboutée de toutes autres ou contraires conclusions.

3.
Le recourant reproche à la Cour de justice d'avoir arbitrairement considéré
que l'arrêt du 14 mars 2003 le condamnant notamment aux dépens de première
instance et d'appel constitue un jugement exécutoire au sens de l'art. 80 al.
1 LP et, partant, d'être tombée dans l'arbitraire en prononçant la mainlevée
définitive de l'opposition formée au commandement de payer la somme de 69'367
fr. 20.

3.1 Selon l'autorité cantonale, le Tribunal de première instance a violé
l'art. 80 al. 1 LP en refusant de prononcer la mainlevée définitive de
l'opposition. Se référant à la jurisprudence publiée aux ATF 122 I 39, la
Cour de justice a jugé en bref que la question litigieuse implique l'examen
de la nature de la décision principale, soit de l'arrêt de la Cour de justice
du 14 mars 2003, qui tranche - en l'admettant - la question du principe de la
responsabilité des deux administrateurs. Qualifiant celui-là de "décision
partielle ou interlocutoire", en ce sens que le juge a statué "sur une
question de droit qui, pour la solution du litige, n'a qu'un caractère
préliminaire", elle a considéré qu'un tel prononcé aurait pu faire l'objet
d'un recours en réforme au Tribunal fédéral sans attendre la décision finale,
dès lors que la question de la responsabilité des administrateurs aurait pu
donner lieu à un procès séparé - par le biais d'une action en constatation de
droit - et revêtait un caractère préjudiciel pour les conclusions qui
subsistaient, à savoir l'action en responsabilité. A défaut pour les anciens
administrateurs d'avoir utilisé cette voie de droit, l'arrêt du 14 mars 2003
était devenu définitif à l'échéance du délai de recours, tant sur le principe
de la responsabilité que sur le prononcé accessoire sur les dépens.

3.2 Selon l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement
exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition. Est
exécutoire au sens de cette disposition le prononcé qui a non seulement force
exécutoire, mais également force de chose jugée (Rechtskraft), c'est-à-dire
qui est devenu définitif, parce qu'il ne peut plus être attaqué par une voie
de recours ordinaire qui, par la loi, a un effet suspensif (Staehelin, Basler
Kommentar, n. 7 ad art. 80 LP). L'entrée en force de chose jugée d'une
décision cantonale de dernière instance - dont fait partie le prononcé
accessoire sur les dépens (qui pourrait être modifié en cas de réforme sur le
fond; cf. art. 156 al. 6 OJ; ATF 85 II 286 consid. 4 p. 291) - se détermine
exclusivement au regard du droit fédéral (ATF 126 III 261 consid. 3b p. 264
et les références citées).

3.3 Le prononcé qui tranche une question préalable de fond - en l'occurrence
le principe de la responsabilité des administrateurs - constitue, selon le
Tribunal fédéral, un jugement préjudiciel - et non un jugement partiel (sur
cette notion: ATF 129 III 25 consid. 1.1 p. 27; 124 III 406 consid. 1a p.
409; 123 III 140 consid. 2 p. 141) -, que cela soit dit expressément dans le
dispositif ou que le renvoi de la cause figurant dans ce dernier se borne,
comme en l'espèce, à renvoyer aux motifs de l'arrêt (ATF 127 III 433 consid.
1b/bb p. 436 et les références citées; 124 III 406 consid. 1a p. 409; sur ces
notions, voir aussi ATF 116 II 80 consid. 2b p. 82 et la jurisprudence
mentionnée).

Selon l'art. 50 al. 1 OJ, le recours en réforme est ouvert exceptionnellement
contre une décision préjudicielle lorsqu'une décision finale peut ainsi être
provoquée immédiatement et que la durée et les frais de la procédure
probatoire seraient si considérables qu'il convient de les éviter en
autorisant le recours immédiat au Tribunal fédéral. Ce régime particulier n'a
toutefois qu'un caractère facultatif (art. 48 al. 3 OJ). Il ne saurait donc
empêcher la partie qui le préfère - ou qui estime que les conditions du
recours immédiat ne sont pas réalisées - d'attendre le prononcé de la
décision finale avant de recourir au Tribunal fédéral (ATF 127 III 351
consid. 1a p. 352-353).  S'il est fait usage de cette liberté, la décision
préjudicielle entre en force de chose jugée avec le jugement final.
D'ailleurs, ce n'est que dans l'hypothèse où le Tribunal fédéral a statué au
fond sur la question préjudicielle, en application de l'art. 50 OJ, que
celle-ci jouit de la force jugée selon l'art. 38 OJ (ATF 122 III 254 consid.
2a p. 255; 118 II 91 consid. 1b p. 92).

Cela étant, l'autorité cantonale ne pouvait dès lors considérer - sans
arbitraire (sur cette notion: ATF 128 I 177 consid. 2 p. 182) - que le
recourant devait former un recours en réforme et que, faute de l'avoir
interjeté, l'arrêt du 14 mars 2003 était devenu définitif à l'échéance du
délai de recours au Tribunal fédéral, tant sur le principe de la
responsabilité que sur le prononcé accessoire sur les dépens, et valait ainsi
titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 al. 1 LP.

4.
Vu ce qui précède, le recours doit être admis dans la mesure de sa
recevabilité et l'arrêt cantonal annulé. Il y a lieu de mettre les frais et
dépens à la charge de l'intimée, laquelle, concluant, principalement, à
l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet dans la mesure
de sa recevabilité, succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué
est annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 3'500 fr. est mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 1er novembre 2004

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

La Juge présidant:  La Greffière: