Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.21/2004
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5P.21/2004 /frs

Arrêt du 2 juillet 2004
IIe Cour civile

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Escher et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.

X. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Claude Vouilloz, avocat,

contre

Dame X.________,
intimée, représentée par Me Pascal Aeby, avocat,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9 Cst. (indemnité équitable selon l'art. 124 CC; révision),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève du 12 décembre 2003.

Faits:

A.
X. _________, né en 1948, et dame X.________, née en 1951, se sont mariés en
1984. Le 9 août 1999, le mari a ouvert action en divorce devant le Tribunal
de première instance du canton de Genève. Le 30 décembre 1999, il a été
victime d'un grave accident de la circulation, ensuite duquel il a été mis
successivement au bénéfice d'une rente AI entière, en vertu d'une décision du
8 novembre 2001, d'une rente allouée par la SUVA, le 11 juillet 2003, et
d'une rente complémentaire de son institution de prévoyance professionnelle,
sur la base d'une décision prise le 24 octobre 2003.

Par jugement du 25 avril 2002, le Tribunal de première instance a prononcé le
divorce des époux X.________ et a notamment condamné le demandeur à verser à
la défenderesse une contribution d'entretien, au sens de l'art. 125 CC, de
500 fr. par mois, ainsi qu'une indemnité équitable, au sens de l'art. 124 CC,
de 60'215 fr.

B.
Le demandeur a appelé de ce jugement, en contestant devoir la moindre
contribution après divorce et en demandant que l'indemnité fondée sur l'art.
124 CC soit réduite à 40'143 fr., payable de surcroît par mensualités de 500
fr.; sur appel incident, la défenderesse a réclamé une augmentation de la
contribution d'entretien.

Par arrêt du 17 décembre 2002, la Cour de justice du canton de Genève a
confirmé la contribution d'entretien fixée par le premier juge, ainsi que
l'indemnité de 60'215 fr. arrêtée sur la base de l'art. 124 CC, laquelle
paraissait équitable. Elle a ordonné à l'institution de prévoyance du
demandeur, soit la Caisse de prévoyance du personnel enseignant de
l'Instruction publique et des fonctionnaires de l'Administration du canton de
Genève (ci-après : la CIA), de transférer la somme précitée de 60'215 fr. sur
un compte de prévoyance au nom de la défenderesse, en application de l'art.
22b LFLP.

C.
Dans une lettre du 11 février 2003 dont les conseils des parties ont reçu
copie, la CIA a avisé la Cour de justice que le transfert des 60'215 fr. ne
pouvait pas être exécuté. En effet, le demandeur avait été reconnu invalide à
100% par décision du 8 novembre 2001 de l'assurance invalidité fédérale;
cette décision liait la CIA, conformément à l'art. 28 al. 2 de ses Statuts,
et la survenance d'un cas de prévoyance excluait tout partage de la
prestation de sortie. Un juge de la Cour de justice a alors téléphoné aux
conseils des deux parties en attirant leur attention sur le fait que l'arrêt
du 17 décembre 2002 était sans doute affecté d'une erreur, qui semblait ne
pouvoir être corrigée que par la voie de la révision.

D.
Le 31 mars 2003, la défenderesse a saisi la Cour de justice d'une requête de
révision fondée sur l'art. 157 let. d LPC/GE et motivée par le courrier de la
CIA du 11 février 2003. Sur le fond, elle a sollicité la condamnation du
demandeur à payer une indemnité équitable, au sens de l'art. 124 CC, de
60'215 fr., qui devait être acquittée par des prélèvements mensuels de 1'500
fr. sur les indemnités journalières, puis sur la rente d'invalidité allouée
au demandeur par la SUVA.

Contestant l'existence d'une surprise au sens de l'art. 157 let. d LPC/GE, le
demandeur a conclu à l'irrecevabilité de cette requête.

E.
Par arrêt du 10 octobre 2003, la Cour de justice a déclaré la requête de
révision recevable et a invité la CIA ainsi que la SUVA à lui communiquer le
montant des prestations d'invalidité allouées au demandeur, avec copie des
décisions relatives à son cas.

La Cour a exposé qu'elle avait interprété de manière erronée l'art. 22b LFLP
(RS 831.42) dans son arrêt du 17 décembre 2002, en prescrivant que
l'indemnité de 60'215 fr. allouée à l'épouse en vertu de l'art. 124 CC devait
être acquittée au moyen d'un transfert de la prestation de sortie du mari
envers la CIA; l'application de l'art. 22b LFLP supposait en effet qu'un cas
de prévoyance ne fût pas encore survenu — ou pas encore  de manière complète
— dans la personne du débiteur de l'indemnité et que celui-ci restât
titulaire d'une prestation de sortie envers sa caisse de pension, ce qui
pouvait par exemple se produire s'il n'était victime que d'une invalidité
partielle.

Le demandeur avait bien produit, devant le Tribunal de première instance, une
première lettre de la CIA du 28 août 2001, mentionnant qu'il ne pouvait
normalement plus être procédé à un partage de sa prestation de sortie,
puisqu'une demande de mise à la retraite pour cause d'invalidité avait été
déposée et que le principe d'une rente de 100% avait été reconnu par l'AI; un
second courrier de la CIA du 29 janvier 2002 avait néanmoins été communiqué,
dont il ressortait que celle-ci attendait de voir fixée la rente de la SUVA
avant d'arrêter à son tour la rente de son assuré de manière à éviter une
surindemnisation. Ces deux lettres donnaient certes à penser que l'avoir de
prévoyance du mari ne pouvait plus être partagé, puisque son invalidité avait
été reconnue sous l'angle de la LAI et qu'elle devait donc l'être aussi sous
l'angle de la prévoyance professionnelle, en vertu de l'art. 26 al. 1 LPP (RS
831.40). Toutefois, les avis exprimés n'étaient pas catégoriques, et jusqu'à
la lettre adressée à la Cour le 11 février 2003 par la CIA, qui y avait joint
copie de ses dispositions réglementaires relatives aux cas d'invalidité, on
ignorait si des normes particulières sur la naissance du droit aux
prestations avaient été édictées, comme l'autorisait l'art. 26 al. 2 LPP.

Dans ces conditions, il se justifiait d'admettre l'existence d'une "surprise"
ouvrant la voie de la révision au sens de l'art. 157 let. d LPC/GE, afin de
permettre la correction de l'arrêt rendu, dont une partie du dispositif ne
pouvait être exécuté ensuite d'une mauvaise appréciation de la situation par
la Cour.

F.
Après avoir reçu les renseignements demandés et recueilli les déterminations
des parties, la Cour de justice a rendu le 12 décembre 2003 un arrêt par
lequel elle a commencé par exposer que la requête de révision était également
recevable en vertu de l'art. 142 al. 2 CC : en effet, de l'avis d'une partie
de la doctrine (cf. Grütter/ Summermatter, Erstinstanzliche Erfahrungen mit
dem Vorsorgeausgleich bei Scheidung, insbesondere nach Art. 124 ZGB, in
FamPra 2002 p. 641 ss, 649), qui devait être approuvée, cette disposition
ouvrait de manière générale la voie de la révision lorsqu'il se révélait
après coup que le transfert d'un avoir de prévoyance décidé par le juge du
divorce ne pouvait être exécuté en raison de la survenance d'une invalidité.
Les modalités de l'action en révision consacrée par l'art. 142 al. 2 CC
étaient pour le surplus régies par le droit cantonal de procédure, et le
délai de révision de deux mois dès la connaissance des faits nouveaux (art.
163 LPC/GE applicable ici par analogie) était respecté en l'espèce, si bien
que les conclusions de la requérante s'avéraient également recevables sous
cet angle.

Statuant ensuite de nouveau sur le fond de la contestation, les juges
cantonaux ont réformé leur arrêt du 17 décembre 2002 — rétracté ensuite de
l'admission de la demande de révision — en ce sens qu'ils ont condamné le
demandeur à verser à la défenderesse une indemnité de 60'215 fr. par
mensualités de 2'500 fr., l'arrêt rétracté étant confirmé pour le surplus.
Quant aux dépens de la procédure de révision, ils ont été compensés pour le
motif que cette procédure trouvait son origine dans une erreur de la Cour.

G.
Le demandeur interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral contre
l'arrêt du 12 décembre 2003 ainsi que contre celui du 10 octobre 2003, dont
il sollicite l'annulation.

Le demandeur ayant sollicité l'octroi de l'effet suspensif au recours de
droit public, le président de la Cour de céans a fait droit à cette requête
par ordonnance du 9 février 2004, après avoir recueilli les déterminations de
l'autorité cantonale et de la défenderesse sur la requête d'effet suspensif.

Le dépôt d'une réponse sur le fond n'a pas été requis.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt du 10 octobre 2003 est une décision (rescindante) qui, admettant la
demande de révision, rétracte le jugement dont est révision (cf. art. 171
LPC/GE). Il s'agit ainsi d'une décision incidente, qui n'entraîne en principe
pas un préjudice irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ, mais qui, en
vertu de l'art. 87 al. 3 OJ, peut faire l'objet d'un recours de droit public
en même temps que la décision (rescisoire) finale par laquelle l'autorité
cantonale statue à nouveau sur le fond même de la contestation qui a été
l'objet du jugement rétracté (cf. art. 172 LPC/GE). L'arrêt du 10 octobre
2003 peut donc être attaqué par la voie du recours de droit public en même
temps que l'arrêt final du 12 décembre 2003 (arrêt non publié 5P.259/1991 du
2 décembre 1991, consid. 3).

2.
2.1 Aux yeux du demandeur, la cour cantonale aurait admis la demande de
révision par une interprétation arbitraire de l'art. 157 let. d LPC/GE, qui
prévoit qu'il y a lieu à révision d'un jugement s'il a "été obtenu par toute
autre surprise ou machination frauduleuse". En effet, les motifs de révision
de l'art. 157 LPC/GE seraient tous fondés sur un facteur temporel, à savoir
sur des circonstances découvertes après le jugement. Or sur la base des
circonstances de fait, notamment des lettres de la CIA du 28 août 2001 et du
29 janvier 2002, il apparaîtrait clairement que l'impossibilité d'exécuter le
transfert que la cour cantonale a ordonné de sa propre initiative dans son
arrêt du 17 décembre 2002 était connue aussi bien des deux autorités qui ont
eu à statuer successivement que des parties. C'est donc arbitrairement, car
en contradiction évidente avec la situation de fait, que l'autorité cantonale
aurait admis que cet arrêt avait été obtenu par "surprise", dans le but
manifeste de corriger ce qu'elle qualifiait elle-même d'"erreur de la Cour"
commise dans l'arrêt qu'elle avait rendu le 17 décembre 2002 en procédure de
divorce.

2.2 Il n'y a pas lieu d'examiner le bien-fondé de cette critique, dès lors
que le recours se révèle de toute manière irrecevable pour les motifs
suivants:
2.2.1Lorsqu'une décision repose sur deux séries de motifs indépendantes l'une
de l'autre, elle n'est annulée sur recours de droit public, respectivement
réformée sur recours en réforme, que si tous les motifs entraînent
l'inconstitutionnalité, respectivement la violation du droit fédéral (ATF 117
II 630 consid. 1b et les arrêts cités). Le recourant doit alors attaquer les
deux motivations, le cas échéant l'une par la voie du recours de droit public
et l'autre par celle du recours en réforme, sous peine d'irrecevabilité du
recours (ATF 111 II 398 consid. 2b; 115 II 300 consid. 2a et b).

2.2.2 En l'espèce, la cour cantonale a considéré que la demande de révision
de l'épouse devait être admise non seulement au regard de l'art. 157 let. d
LPC/GE, mais aussi, indépendamment de ce motif de révision de droit cantonal,
au regard du droit fédéral (cf. lettre F supra). Le recourant aurait dès lors
dû s'en prendre — dans un recours en réforme puisque celui-ci était ouvert au
vu de la valeur litigieuse (art. 46 OJ) — à la reconnaissance par l'autorité
cantonale d'une voie de droit ouverte en vertu du droit fédéral en cas
d'impossibilité d'exécuter le transfert d'une partie de la prestation de
sortie ordonné par le juge du divorce comme mode de paiement d'une indemnité
équitable allouée en vertu de l'art. 124 CC (sur la procédure à suivre en
pareille hypothèse, impliquant le juge du divorce et le juge des assurances
sociales, cf. ATF 129 III 481 consid. 3.6.3, spéc. in fine, et ATF 129 V 444
consid. 5, spéc. consid. 5.4 in fine).

2.2.3 Le recours de droit public se révèle ainsi irrecevable, dès lors que
reste intacte la motivation indépendante selon laquelle l'arrêt du 17
décembre 2002 peut être corrigé dans le cadre d'une voie de droit ouverte en
vertu du droit fédéral. Il sied de relever que le Tribunal fédéral ne peut
revoir l'application du droit privé fédéral dans le cadre du recours de droit
public : dès lors, il n'y a pas lieu ici de se pencher sur la question de
savoir si la voie de révision ouverte selon la cour cantonale en vertu du
droit fédéral le serait uniquement dans l'hypothèse où l'impossibilité du
transfert ne parvient à la connaissance du bénéficiaire qu'une fois la
décision qui l'ordonne entrée en force, comme le soutient le recourant, ou
s'il suffirait que la décision ordonnant le transfert s'avère inexécutable
vis-à-vis de l'institution de prévoyance, laquelle ne peut être liée qu'aux
conditions prévues par les art. 141 et 142 CC (cf. ATF 129 V 444 consid.
5.3).

3.
Il résulte de ce qui précède que le recours de droit public doit être déclaré
irrecevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires
(art. 156 al. 1 OJ), ainsi les frais engagés par l'intimée pour répondre à la
requête d'effet suspensif (art. 159 al. 1 OJ), ce qui rend sans objet la
demande d'assistance judiciaire présentée par l'intimée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Sont mis à la charge du recourant:
2.1 un émolument judiciaire de 1'000 fr.;
2.2 une indemnité de 500 fr. à verser à l'intimée à titre de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 2 juillet 2004

Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: