Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.83/2004
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 4C.83/2004 /ech

Arrêt du 29 avril 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Krauskopf.

A.________,

défendeur et recourant, représenté par
Me Eric Maugué,
contre

B.________,

demandeur et intimé,
Caisse cantonale genevoise de chômage
(ci-après : CCGC),

intervenante et intimée.

contrat de travail; licenciement immédiat,

recours en réforme contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes du canton de Genève du 13 août 2003.

Faits:
A.
Par contrat du 4 février 2002, A.________ a engagé B.________ comme
bijoutier-joaillier, pour un salaire mensuel brut de 4'600 fr. payable treize
fois l'an, avec quatre semaines de vacances. Le contrat pouvait être résilié
moyennant un préavis d'un mois pour la fin d'un mois durant la première année.
B.________ a été placé auprès de A.________ par le Service X.________, le
délai-cadre de formation de six mois allant du 1er mars au 31 août 2002.

En principe, le personnel ne bénéficiait pas de pauses, mais B.________ avait
la possibilité de s'arrêter deux à trois fois par jour quelques minutes pour
fumer une cigarette.

Le 3 juillet 2002, en l'absence de l'employeur, B.________ est sorti pendant sa
pause pour visser, sur son vélo, une béquille et un porte-bagages, tout en
fumant sa cigarette. Le chef d'atelier lui a alors dit que si le patron le
voyait, il ne serait pas content. L'employé a répondu qu'il faisait ce qu'il
voulait pendant sa pause. Il a regagné sa place à l'établi, où il tournait le
dos aux deux autres occupants, un ouvrier et le chef d'atelier. Ce dernier l'a
alors violemment invectivé, ce à quoi B.________ a riposté en des termes très
grossiers. Il se serait ensuite éloigné en direction de la cuisine pour se
calmer et, lorsqu'il a regagné sa place à l'établi, il affirme que le chef
d'atelier a recommencé à le couvrir d'invectives. B.________ a alors fait un
geste de la main, voire du poing, en direction de celui-ci, que l'ouvrier, qui
éprouvait un sentiment de panique, a retenu. Le chef d'atelier a déclaré que
B.________ avait menacé de le tuer, de lui casser la tête et qu'il avait pris
ses menaces au sérieux.

Le 4 juillet 2002, A.________ a tenté d'élucider les faits. Il a retenu que le
chef d'atelier avait eu réellement peur du comportement violent de B.________.
Il lui a demandé en vain de présenter ses excuses au chef d'atelier.
Considérant qu'il ne pouvait pas conserver l'employé à son service dans ces
conditions, il lui a suggéré de donner son congé avec effet immédiat, ce que
celui-ci a refusé de faire, en demandant d'être payé jusqu'au terme de son
contrat. Le 7 juillet 2002, l'employeur l'a licencié avec effet immédiat en
raison de la rupture du lien de confiance due aux menaces physiques et verbales
et au refus de l'employé de se plier aux usages de l'atelier.
B.
Le 18 juillet 2002, B.________ a saisi la juridiction des prud'hommes du canton
de Genève d'une demande en paiement d'un salaire de 9'200 fr. à l'échéance du
31 août 2002, du treizième salaire prorata temporis en 2'683 fr. 35, des
indemnités pour vacances non prises en 2'682 fr. 25 et d'une indemnité pour
licenciement immédiatement injustifié en 13'800 fr.

Par jugement du 30 octobre 2002, le Tribunal des prud'hommes a condamné
A.________ à payer à B.________ 10'440 fr. 40 bruts, avec intérêt à 5 % l'an
dès le 4 juillet 2002, sous déduction de la somme nette de 1'011 fr. 65 et à la
CCGC la somme de 1'911 fr. 65 (recte : 1'011 fr. 65) avec intérêt à 5 % l'an
dès le 18 septembre 2002.

En temps utile, A.________ a saisi la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes, qui a confirmé le jugement précité par arrêt du 13 août 2003,
notifié le 16 janvier 2004.
C.
Le 12 février 2004, A.________ a déposé un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au déboutement de
B.________ et de la CCGC de toutes leurs conclusions respectives, avec suite de
frais et dépens pour son ancien employé.

La CCGC conclut à la confirmation de la condamnation de A.________ de lui payer
la somme de 1'011 fr. 65 avec intérêt à 5 % l'an dès le 18 septembre 2002.

B.________ n'a pas pris position sur le recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises
(art. 55 OJ) par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires et
dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un
tribunal supérieur (art. 48 OJ) sur une contestation civile dont la valeur
litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme
est en principe recevable.
1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement
juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que
des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il
faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste
(art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce
que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et
clairement établis (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252; 126 III 59
consid. 2a p. 65).

Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de
celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de
l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en
tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Il ne peut être présenté de
griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve
nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert
pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait
qui en découlent (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247 consid. 2c
p. 252; 126 III 189 consid. 2a p. 191; 125 III 78 consid. 3a p. 79).
2.
Le défendeur se plaint d'une violation de l'art. 337 al. 1 CO. Le comportement
menaçant lors de l'altercation du 3 juillet 2002, et la volonté de ne pas
s'excuser auprès du chef d'atelier le lendemain, justifierait à ses yeux le
licenciement immédiat.
3.
3.1
Selon l'art. 337 al. 1 CO, l'employeur et le travailleur peuvent résilier
immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Sont notamment
considérées comme tels toutes les circonstances qui, selon les règles de la
bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la
continuation des rapports de travail (cf. art. 337 al. 2 CO).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être
admise de manière restrictive (arrêt 4C.223/2003 du 21 octobre 2003 destiné à
la publication, consid. 4.1; ATF 127 III 351 consid. 4a et les références
citées). D'après la jurisprudence, les faits invoqués à l'appui d'un renvoi
immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue
le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave
du travailleur justifie son licenciement immédiat; si le manquement est moins
grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété
malgré un avertissement (arrêt précité du 21 octobre 2003, consid. 4.1; ATF 129
III 380 consid. 2.1 p. 382). Par manquement du travailleur, on entend en règle
générale la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, comme
l'obligation d'exécuter le travail ou le devoir de fidélité (ATF 127 III 351
consid. 4a p. 354 et les arrêts cités), mais d'autres facteurs peuvent aussi
justifier un licenciement immédiat (cf. ATF 129 III 380 consid. 2.2 p. 382).

Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 357 al. 3 CO). Il
applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet, il
prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la
position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports
contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements (ATF 127 III
351 consid. 4a p. 354; 116 II 145 consid. 6a p. 150). Le Tribunal fédéral
revoit avec réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale.
Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans raison des règles établies par la
doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle
s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun
rôle, ou à l'inverse, lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient
absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les
décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent
à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (arrêt précité
du 21 octobre 2003, consid. 4.1; ATF 129 III 380 consid. 2 p. 382; 127 III 153
consid. 1a p. 155, 351 consid. 4a p. 354).
3.2 Dans le cas particulier, la cour cantonale a retenu, d'une manière qui lie
le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), que l'employé a
proféré des insultes très grossières à l'encontre de son chef d'atelier et
qu'il a levé la main, voire le poing en sa direction, sans qu'il ait été établi
qu'il ait réellement eu l'intention de le frapper. Si le chef d'atelier était
préposé à la formation du travailleur, il n'entrait pas dans cette tâche de lui
faire des remarques concernant l'installation d'un accessoire sur une
bicyclette lors de la pause, qui a pu être ressentie comme une remontrance
injuste par l'employé. Quant au contenu de l'altercation, il n'a pas pu être
établi de manière suffisamment claire, si ce n'est que les insultes les plus
grossières émanaient de l'employé, et non pas de son chef direct. Aussi, face à
un comportement inadapté de la sorte, l'employeur devait réagir, ce qu'il a
fait pour respecter l'art. 328 CO, mais de façon exagérée.

De même, le fait, pour l'employé, de refuser de s'excuser auprès du chef
d'atelier, le lendemain, ne révèle pas forcément de l'agressivité ou de
l'insubordination de sa part, mais le sentiment de ne pas acquiescer à une
accusation, ressentie comme injuste.

Tant le Tribunal des prud'hommes que la Chambre d'appel de cette juridiction
ont successivement estimé, à la faveur du large pouvoir d'appréciation que leur
confère l'art. 4 CC, que le licenciement immédiat était disproportionné et que
l'employeur aurait dû notifier un avertissement; dans ces conditions, le
Tribunal fédéral ne saurait s'écarter de l'opinion des juridictions
précédentes, qui respectent les règles établies en matière de libre
appréciation, et qui n'aboutissent pas à un résultat manifestement injuste,
mais qui au contraire corrigent la mesure adoptée, précisément pour éviter un
tel résultat.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que cette altercation est la seule qui est
survenue après cinq mois de travail sans aucun incident, de sorte que le
défendeur ne peut en aucun cas invoquer l'ATF 127 III 351, notamment p. 355
consid. 4b/dd, où il est question de disputes fréquentes (jusqu'à deux fois par
jour), dont l'une a motivé l'intervention de la police, même si aucune plainte
pénale n'a été déposée par la victime à la suite des faits en cause.

Malgré leur caractère déplaisant, les faits reprochés à l'employé n'étaient pas
susceptibles d'entraîner immédiatement, sans avertissement, un licenciement
pour justes motifs, de sorte que la décision de la Chambre d'appel sera
confirmée, ce qui entraîne le maintien du jugement du Tribunal des prud'hommes
condamnant le défendeur à payer à B.________ et à la CCGC les montants figurant
dans le dispositif du jugement du 30 octobre 2002.
4.
Comme la valeur litigieuse ne dépassait pas 30'000 fr. à l'ouverture de
l'action, la procédure est gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO; ATF 115 II 30
consid. 5b p. 41). Le demandeur ne s'est pas prononcé sur le recours; il n'a
donc pas eu de frais liés à celui-ci, de sorte qu'il ne se justifie pas de lui
octroyer des dépens (cf. art. 159 al. 1 OJ). Quant à l'intervenante, il s'agit
d'un organisme chargé de tâches de droit public; dès lors qu'elle n'a pas
recouru aux services d'un avocat, il n'y a pas lieu de s'écarter de la règle
générale selon laquelle elle ne peut prétendre à des dépens (art. 159 al. 2 OJ;
ATF 106 V 123 consid. 3 p. 123; ATFA K.61/1997 du 24 janvier 2000, consid. 3).

En conséquence, il sera statué sans frais ni dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.
2.
Il est statué sans frais ni dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, à la Caisse cantonale
genevoise de chômage et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève.
Lausanne, le 29 avril 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: