Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.73/2004
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4C.73/2004 /ech

Arrêt du 1er juin 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann

A.________,
demandeur et recourant, représenté par Me Carlo Sommaruga,

contre

X.________,

défenderesse et intimée, représentée par Me Jean-Yves Schmidhauser.

bail à loyer; compétence matérielle; art. 253b al. 3 CO

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et
loyers du canton de Genève du 12 décembre 2003.

Faits:

A.
Depuis le 1er juin 1996, A.________ loue un appartement de trois pièces situé
dans les combles, au 5ème étage d'un bâtiment à Genève; la bailleresse est
X.________. Conclu pour une année, le bail se renouvelait ensuite tacitement
d'année en année, faute de résiliation en temps utile.

Les parties ont conclu deux baux à loyer:

a) un contrat du 9 mai 1996, fixant le loyer annuel net à 16 896 fr. et dont
l'art. 2 a la teneur suivante: «L'immeuble dans lequel vous habitez, bien que
vous soyez en loyer libre, est soumis au contrôle de l'Etat de Genève, statut
HLM.»

b) un contrat du 4 juin 1996, avec conditions particulières pour immeuble
HLM. Il y est précisé que l'immeuble est soumis à la loi générale sur le
logement et la protection des locataires, du 4 décembre 1977 (LGL). Le
contrôle de l'Etat est prévu en principe pour vingt ans, soit jusqu'en 2011;
il doit durer aussi longtemps que  l'immeuble bénéficie de l'aide de l'Etat.
Toutes les rubriques figurant sous «Aide de l'Etat» sont biffées. Le loyer
convenu est identique à celui fixé dans le contrat du 9 mai 1996 et
correspond au «loyer maximum autorisé à la conclusion du bail».

Le locataire a reçu un avis de fixation du loyer initial, conformément aux
art. 270 al. 2 et 269d CO. De même, les baisses des loyers du 24 juin 1998 et
du 14 décembre 1999 ont été notifiées sur formule officielle. Le loyer annuel
s'élevait alors à 15 096 fr., sans les charges.

Par «avis de modification de loyer autorisée par le Service de surveillance
des loyers» du 23 novembre 2001, X.________ a signifié au locataire que son
loyer était augmenté à 16 896 fr. dès le 1er janvier 2002; elle invoquait
comme motif une diminution des prestations de l'Etat. La bailleresse a joint
à cet avis une décision du 25 septembre 2001 du Service de surveillance des
loyers. D'une part, ce dernier autorisait la propriétaire à porter l'état
locatif maximum de l'immeuble à 477 660 fr. dès le 1er novembre 2001 en
raison de la réduction de la subvention de 1/9 à partir du 1er juillet 2001.
D'autre part, la propriétaire était invitée à respecter l'état locatif
nominal approuvé à la même date, qui fixait le loyer annuel autorisé par
logement; pour l'appartement loué par A.________, ce loyer s'élevait à 16 896
fr.

Le 30 novembre 2001, le locataire a déposé une réclamation auprès du Service
de surveillance des loyers, car il estimait que l'appartement loué n'était
pas soumis aux conditions HLM.

En date du 16 juillet 2002, l'autorité saisie a confirmé sa décision. Elle a
implicitement considéré la réclamation comme sans objet dès lors que le loyer
maximum autorisé pour le logement occupé par A.________ n'avait jamais été
modifié depuis le 1er juillet 1991, la décision attaquée confirmant le
montant de 16 896 fr. fixé alors. Dans sa décision, le Service de
surveillance des loyers notait que le logement en question ne bénéficiait pas
de prestations de l'Etat et que le locataire n'était pas soumis aux limites
de revenu prescrites à l'art. 30 LGL; il relevait également que l'avis de
modification de loyer mentionnait un motif de hausse erroné, l'augmentation
étant justifiée par le rétablissement du loyer à son niveau maximum et non
par la diminution des prestations de l'Etat.

Le locataire n'a pas recouru auprès du Tribunal administratif.

B.
Par requête du 31 janvier 2002, A.________ a agi en constatation de droit.
L'affaire n'a pas été conciliée. Le demandeur concluait à ce que le Tribunal
des baux et loyers du canton de Genève dise que le code des obligations
s'applique au contrat de bail, singulièrement à la fixation du loyer, et que
celui-ci reste arrêté à 15 096 fr. par an. Le locataire faisait valoir que le
motif de l'augmentation de loyer n'était pas fondé, car il consistait
uniquement à fixer de nouveau le loyer au montant valable au début des
relations contractuelles, le 1er juin 1996. La bailleresse a soulevé une
exception d'irrecevabilité en raison de l'incompétence matérielle du Tribunal
des baux et loyers.

Par jugement du 28 mai 2003, les juges de première instance ont rejeté
l'exception et se sont déclarés compétents à raison de la matière pour
connaître de la demande.

Saisie par la bailleresse, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers a
statué par arrêt du 12 décembre 2003. Elle a annulé le jugement attaqué,
constaté l'incompétence matérielle du Tribunal des baux et loyers et déclaré
irrecevable la demande du locataire.

C.
A. ________ interjette un recours en réforme. Il conclut à l'annulation de
l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale afin qu'elle
statue sur le fond. Invoquant l'art. 253b al. 3 CO, le demandeur soutient que
la contestation du loyer est soumise à la juridiction des baux et loyers.

X. ________ propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43
al. 1 OJ). En général, les prescriptions sur la compétence font partie du
droit de procédure, domaine réservé aux cantons en vertu de l'art. 122 al. 2
Cst. Cette règle trouve toutefois sa limite dans le principe de la primauté
du droit fédéral (art. 49 Cst.).

Selon la jurisprudence, l'art. 253b al. 3 CO, appliqué en l'espèce par la
cour cantonale, se présente comme une véritable norme fédérale de compétence
(ATF 124 III 463 consid. 4b/dd p. 466/467 et les références). Sa violation
peut donc donner lieu à un recours en réforme.

1.2 Sous l'angle de la nature de l'arrêt attaqué, le recours est recevable,
que l'on considère la décision cantonale comme finale au sens de l'art. 48 OJ
(ATF 115 II 237 consid. 1b; 130 III 136 consid. 1.1 p. 139) ou incidente au
sens de l'art. 49 OJ (Poudret, COJ II, n. 1.1.4.2 ad art. 48 et n. 1.2 ad
art. 49; Wurzburger, Les conditions objectives du recours en réforme au
Tribunal fédéral, thèse Lausanne 1964, p. 181 et 216; question laissée
ouverte au consid. 1 non publié de l'ATF 124 III 463).

1.3 S'agissant d'un bail reconductible tacitement, autrement dit de durée
indéterminée (ATF 114 II 165 consid. 2b), il y a lieu de tenir compte, pour
le calcul de la valeur litigieuse, de l'augmentation du loyer annuel
contestée devant la dernière instance cantonale, puis de multiplier le
montant ainsi obtenu par vingt (art. 36 al. 5 OJ; ATF 121 III 397 consid. 1;
118 II 422 consid. 1et les arrêts cités). En l'espèce, la hausse annuelle en
jeu est de 1800 fr. (16 896 fr. - 15 096 fr.). Multiplié par vingt, ce
montant est largement supérieur à la valeur litigieuse de 8000 fr. à laquelle
l'art. 46 OJ subordonne la recevabilité du recours en réforme.

1.4 Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement
juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins
que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées,
qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance
manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents,
régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102
consid. 2.2. p. 106, 136 consid. 1.4. p. 140; 127 III 248 consid. 2c).

Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions
des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par
les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par
l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF
130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid.
2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.
2.1 Selon l'art. 253b al. 3 CO, les dispositions relatives à la contestation
des loyers abusifs ne s'appliquent pas aux locaux d'habitation en faveur
desquels des mesures d'encouragement ont été prises par les pouvoirs publics
et dont le loyer est soumis au contrôle d'une autorité. D'après la
jurisprudence, les deux conditions sont cumulatives (arrêt 4C.139/1996 du 13
mars 1997, consid. 3a, reproduit in SJ 1997, p. 495; arrêt 4C.12/1998 du 27
octobre 1998, consid. 3c; déjà sous l'ancien droit, ATF 116 II 184 consid. 1
p. 186; cf. également ATF 129 III 272 consid. 2.1 p. 274; 124 III 463 consid.
4a p. 465). Cette position est approuvée très largement en doctrine (Lachat,
Commentaire romand, n. 7 ad art. 253b CO; le même, Le bail à loyer, p. 81;
Roger Weber, Basler Kommentar, n. 9 ad art. 253a/253b CO; Higi, Zürcher
Kommentar, n. 78 ad art. 253a-253b CO; Guhl/Koller, Das schweizerische
Obligationenrecht, 9e éd., n. 23, p. 408; Engel, Contrats de droit suisse, 2e
éd., p. 136; SVIT-Kommentar Mietrecht, 2e éd., n. 10 ad art. 253b CO, p. 67;
Monika Sommer, Zum Ausschluss der Anwendbarkeit der Mieterschutzbestimmungen
bei staatlich geförderten Wohnräumen, in MietRecht Aktuell (MRA) 1995, p.
167; contra: Werner Portner, Wegleitung zum neuen Mietrecht, 2e éd., p. 19).

2.2 Selon les constatations cantonales, l'immeuble HLM de la rue Z.________
comprend à la fois des appartements qui bénéficient des prestations de l'Etat
et des logements qui ne profitent pas de telles faveurs (arrêt attaqué, p. 6
§ 2 et p. 7 § 5). L'appartement occupé par le demandeur appartient à la
seconde catégorie (arrêt attaqué, p. 3 § 2; p. 7 § 1 et § 4). Certes, dans
certains passages (arrêt attaqué, p. 3 § 2; p. 7 § 1 et § 4), la cour
cantonale observe que les logements en question ne bénéficient pas de
prestations directes de l'Etat. Il ne faut toutefois pas entendre par là que
des prestations leur seraient tout de même attribuées d'une quelconque
manière. En effet, la notion de prestations indirectes ne figure pas dans la
LGL, dont l'art. 31A al. 2 précise simplement que le Conseil d'Etat peut
autoriser le propriétaire d'un immeuble HLM à renoncer aux prestations de
l'Etat pour un certain nombre de logements. L'absence de prestations
publiques en faveur de l'appartement loué par le demandeur résulte également
de la radiation de toutes les rubriques relatives à l'aide de l'Etat sur le
bail du 4 juin 1996 complétant le contrat du 9 mai 1996, de l'adjonction
«loyer libre» figurant dans ce dernier bail, ainsi que de la décision du 16
juillet 2002 du Service de surveillance des loyers telle que retranscrite
dans l'arrêt attaqué (p. 4 § 4).

Aucune mesure d'encouragement n'ayant été prise par les pouvoirs publics en
faveur du logement occupé par le demandeur, l'une des conditions cumulatives
posées par l'art. 253b al. 3 CO n'est pas remplie. Par conséquent, la cour
cantonale a violé le droit fédéral en déclarant la demande irrecevable faute
de compétence matérielle de la juridiction des baux et loyers.

Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être admis. Il convient
d'annuler l'arrêt attaqué et de reconnaître la compétence de la juridiction
des baux et loyers pour juger de la requête du 31 janvier 2002.

3.
La défenderesse, qui succombe, prendra à sa charge les frais de la procédure
(art. 156 al. 1 OJ) et versera au demandeur une indemnité à titre de dépens
(art. 159 al. 1 OJ).

Par ailleurs, il se justifie de renvoyer la cause à la cour cantonale pour
qu'elle rende une nouvelle décision sur les frais de la procédure cantonale
relative à l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la
défenderesse.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

La juridiction des baux et loyers est compétente ratione materiae pour
connaître de la requête du 31 janvier 2002 de A.________ contre X.________.

2.
La cause est renvoyée à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du
canton de Genève pour nouvelle décision sur les frais de la procédure
cantonale.

3.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.

4.
La défenderesse versera au demandeur une indemnité de 2500 fr. à titre de
dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 1er juin 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière: