Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.66/2004
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4C.66/2004/ech

Arrêt du 1er juin 2004
Ire Cour civile

Mmes et MM. les Juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

la banque A.________,
défenderesse et recourante, représentée par Me Cécile Ringgenberg, et par Me
Carlo Lombardini,

contre

la banque B.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Jacques Cottier.

accréditif; paiement anticipé; fraude

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
genevoise du 12 décembre 2003).

Faits:

A.
C. ________ est une société genevoise active notamment dans le commerce de
matières premières. Elle était en relation d'affaires depuis plusieurs années
avec la banque B.________, succursale (recte: filiale) suisse de la banque
française B.________.

A partir de 1998, C.________ a connu des difficultés financières, mais
B.________ n'en a eu connaissance qu'en juillet 1999. Jusqu'à cette année-là,
les opérations commerciales menées par C.________ et financées par B.________
s'étaient déroulées régulièrement et la banque avait confiance en sa cliente.

B. ________ accordait des financements à C.________ sous forme d'avances en
blanc consenties pour permettre à cette dernière d'acheter des métaux qu'elle
revendait ensuite. Le paiement des marchandises s'effectuait en "open
account": C.________ adressait à B.________ des instructions de paiement
écrites, sans joindre les factures, de sorte que la banque ignorait
l'identité des fournisseurs. Le prix des marchandises était versé par
l'acheteur au moyen de lettres de crédit à paiement différé que B.________
confirmait en général et escomptait à C.________ avant l'échéance.

B.
Le 22 janvier 1999, sur instruction de C.________, B.________ a viré, sous
forme d'avance en blanc non garantie, la somme de US$ 792'102,36 sur le
compte de la société D.________ Ltd auprès de E.________Bank. Ce montant a
été débité du compte de C.________ auprès de B.________.

Le 22 février 1999, la banque A.________, dont le siège est à Dubaï, a émis
une lettre de crédit irrévocable, sur requête de la société F.________ Ltd
(ci-après: F.________), sise aux Emirats Arabes Unis, en faveur de C.________
pour un montant de US$ 851'700.

Cet accréditif irrévocable devait être confirmé par B.________ sur requête de
A.________. Il était valable jusqu'au 21 avril 1999 et payable auprès de
B.________ à Genève, à 180 jours dès la date de présentation des documents à
la banque confirmante. Il se référait à 25'500 kg. d'un alliage de plomb et
d'argent qui devait être expédié à Dubaï depuis un port européen.
Le 24 février 1999, B.________ a notifié à C.________ la lettre de crédit en
y ajoutant sa confirmation.

Le 26 février 1999, B.________ a reçu les documents. Après vérification, la
banque les a considérés comme conformes aux conditions de l'accréditif et, le
2 mars 1999, elle les a transmis à A.________, signalant à la banque
émettrice qu'elle demanderait le paiement de US$ 851'599,80 à l'échéance, le
30 août 1999.

Le 3 mars 1999, B.________ a crédité le compte de C.________ d'un montant de
US$ 820'075, soit la contre-valeur des documents présentés dans le cadre de
l'accréditif, sous déduction d'un escompte, de commissions et de frais
divers. Ce paiement anticipé sous forme d'escompte est venu rembourser
l'avance en blanc consentie le 22 janvier 1999. L'avis de crédit mentionnait
"notre escompte sans recours sur le risque financier uniquement". Il a été
retenu que, pour B.________, cette clause signifiait que la banque
n'entendait assumer que le risque "pays" et le risque d'insolvabilité de la
banque émettrice, à l'exclusion du risque commercial pouvant opposer
l'acheteur au vendeur.

Le paiement anticipé a été accordé avant même la réception et l'acceptation
des documents par A.________. Ce faisant, B.________ a escompté son propre
engagement et n'en a pas informé A.________.

Tous les précédents accréditifs à paiement différé en faveur de C.________
avaient également été escomptés par B.________, qui n'avait pas pour habitude
d'en aviser la banque émettrice.

Le 9 mars 1999, sur la base des documents correspondant aux conditions de
l'accréditif, A.________ a endossé les connaissements et les a remis à
F.________, afin que cette dernière puisse disposer de la marchandise. En
échange, F.________ a remis à A.________ des billets à ordre d'une valeur
égale au montant de l'accréditif échéant au 30 août 1999. F.________, qui
était alors en mesure de prendre possession des marchandises sans les payer
immédiatement, pouvait les vendre et honorer l'accréditif à l'échéance.

Le 10 mars 1999, A.________ a informé B.________ qu'elle acceptait les
documents jugés conformes également par ses soins et qu'elle payerait les US$
851'579,80 dus selon l'accréditif à l'échéance du 30 août 1999.

A. ________ n'a pas informé B.________ qu'elle s'était dessaisie des
documents en faveur du donneur d'ordre.

C.
Au début du mois de mai 1999, B.________ a eu connaissance de rumeurs de
fraude perpétrée par F.________ et en a tout de suite informé C.________.

Avant le 7 mai 1999, C.________ a avisé B.________ que F.________ rencontrait
des difficultés et tentait d'obtenir des banques un rééchelonnement de ses
dettes. A.________ a également été alertée à la mi-mai 1999.

Le 17 mai 1999, B.________ a sommé C.________ de lui fournir divers documents
et de lui prouver d'une part que les marchandises avaient bien été embarquées
et délivrées à Dubaï et, d'autre part, que les connaissements n'étaient pas
apocryphes.

A fin mai 1999, l'ICC-International Maritime Bureau, chargé d'enquêter
notamment sur les cas de fraude maritime, a appris que le contenu réel du
container qui devait être financé par l'accréditif litigieux n'était pas
conforme à ce qui avait été convenu. Elle en a informé A.________ le 27 mai
1999.

Le 1er juin 1999, A.________, sur requête de B.________, a indiqué qu'elle
avait endossé les connaissements et qu'elle les avait remis au donneur
d'ordre le 9 mars 1999.

Le 7 juin 1999, B.________ a fait parvenir à C.________ les premiers rapports
reçus de l'ICC, réitérant sa demande du 17 mai 1999 tendant à l'obtention de
différents documents.

Le 11 juin 1999, C.________ a répondu à B.________ qu'elle ignorait tout de
la fraude de F.________, rappelant qu'elle s'était toujours limitée au
financement des affaires passées avec celle-ci.

Le 28 juin 1999, B.________ a informé C.________ qu'elle déclinait toute
responsabilité, invitant cette société à lui fournir un dépôt de garantie de
US$ 5 millions, ainsi qu'un engagement tendant à couvrir tout dommage qui
serait dû à un non-règlement des contreparties bancaires.

Un second rapport de l'ICC du 15 juillet 1999 a confirmé que la fraude
s'étendait également au contenu du deuxième container concerné par
l'accréditif.

L'enquête a révélé que, dans les opérations commerciales financées par le
biais de C.________, soit aucune marchandise n'était transportée, soit
celle-ci avait une valeur très inférieure à celle indiquée dans les
documents. L'argent non affecté à l'achat des marchandises était détourné par
F.________. Le préjudice global a été évalué à US$ 300 millions.

C. ________ était la bénéficiaire de l'accréditif et apparaissait ainsi comme
la venderesse. Il a toutefois été retenu que son rôle réel était difficile à
cerner et que cette société agissait plutôt comme un intermédiaire financier.
Elle n'avait, contrairement aux apparences, pas participé à l'expédition des
marchandises, mais elle savait que la vente financée était fictive.

La fraude étant avérée, A.________ et B.________ ont cherché en vain à
trouver un compromis à l'échéance de l'accréditif litigieux.

Le 2 août 1999, A.________ a déposé une plainte pénale à Genève contre les
responsables de C.________, qui a été jointe à une autre procédure pénale en
cours depuis le 10 juin 1999.

La requête de mesures provisionnelles urgentes sollicitées par A.________ le
26 août 1999 en vue d'interdire à B.________ de lui réclamer à l'échéance le
montant dû en vertu de l'accréditif litigieux a été rejetée par décision du
21 septembre 1999.

A l'échéance du 30 août 1999, A.________ n'a pas payé à B.________ le montant
de l'accréditif et n'a pas obtenu, pour sa part, le paiement des traites
remises par F.________ le 9 mars 1999.

D.
Le 5 novembre 1999, B.________ a déposé, auprès des autorités judiciaires
genevoises, une demande en paiement à l'encontre de A.________ pour un
montant total de US$ 851'579,80 plus intérêt.

Par jugement du 13 février 2003, le Tribunal de première instance a condamné
A.________ à verser à B.________ US$ 851'599,80 sous déduction de US$ 20,
avec intérêt à 5 % l'an dès le 31 août 1999.

Statuant sur appel de A.________, la Chambre civile de la Cour de justice
genevoise a confirmé ce jugement par arrêt du 12 décembre 2003.

E.
Parallèlement à un recours de droit public, A.________ (la défenderesse)
interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt
du 12 décembre 2003. Elle conclut à l'annulation de la décision entreprise et
au déboutement de B.________ de toutes ses conclusions, avec suite de frais
et dépens.

B. ________ (la demanderesse) propose, sous suite de frais et dépens, le
rejet du recours dans la mesure où il est recevable et la confirmation de
l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Selon l'art. 57 al. 5 OJ, lorsque la décision attaquée est en même temps
l'objet d'un recours en réforme et d'un recours de droit public, il est
sursis en règle générale à l'arrêt sur le premier recours jusqu'à droit connu
sur le second. Il peut toutefois être dérogé à ce principe dans des
situations particulières qui justifient l'examen préalable du recours en
réforme. Il en va notamment ainsi lorsque la décision sur le recours de droit
public ne peut avoir aucune incidence sur le sort du recours en réforme (ATF
123 III 213 consid. 1 p. 215), ce qui est le cas si le recours en réforme
paraît devoir être admis indépendamment des griefs soulevés dans le recours
de droit public (ATF 122 I 81 consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1 et les arrêts
cités). Cette hypothèse étant en l'occurrence réalisée, le recours en réforme
sera traité avant le recours de droit public.

2.
2.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires
et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par
un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile (cf. ATF
129 III 415 consid. 2.1) dont la valeur litigieuse dépasse largement le seuil
de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en réforme est en principe recevable,
puisqu'il a été déposé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1
let. c et 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

2.2 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties
(art. 63 al. 1 OJ), mais il n'est pas lié par les motifs invoqués par
celles-ci (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 129 III 129 consid. 8; 128 III 22
consid. 2e/cc p. 29).

2.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2; 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
Hormis ces exceptions que le recourant doit invoquer expressément, il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Dans la mesure où les parties présentent certains faits qui ne figurent pas
dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'en sera pas tenu compte (cf.
ATF 130 III 102 consid. 2.2).

3.
3.1 Selon l'arrêt entrepris, la défenderesse A.________ a émis, le 22 février
1999, une lettre de crédit irrévocable sur requête de F.________ en faveur de
C.________, pour un montant de US$ 851'700. Cet accréditif était valable
jusqu'au 21 avril 1999 et payable auprès de la demanderesse B.________ (la
banque confirmante) à Genève, à 180 jours dès la date de la présentation des
documents. A la fin du mois de février 1999, la demanderesse a confirmé le
crédit documentaire et a vérifié les documents qui paraissaient conformes aux
conditions de l'accréditif. Le 3 mars 1999, après avoir transmis les
documents à la banque émettrice et lui avoir signalé qu'elle demanderait le
paiement à l'échéance, la demanderesse a versé par anticipation le montant de
l'accréditif à C.________, sous déduction d'un escompte et de commissions,
sans en aviser la banque émettrice. Le 10 mars 1999, la défenderesse a
informé la demanderesse qu'elle acceptait les documents jugés conformes et
qu'elle paierait la somme due selon l'accréditif à l'échéance du 30 août
1999. Postérieurement au paiement anticipé, mais avant l'échéance, une fraude
a été révélée.
Le litige oppose les deux banques parties à ce rapport d'accréditif et
revient à déterminer si, dans les circonstances qui viennent d'être évoquées,
la banque émettrice est ou non tenue de rembourser le montant du crédit
documentaire à la banque confirmante.

3.2 La cour cantonale a admis les prétentions en paiement formées par la
banque confirmante. Elle a en substance relevé qu'il ne lui appartenait pas
de s'écarter de la jurisprudence suisse selon laquelle il était possible
d'escompter un accréditif à paiement différé, de sorte qu'en payant de
manière anticipée, la demanderesse n'avait pas violé ses obligations
contractuelles. Dès l'acceptation des documents, par ailleurs correctement
vérifiés, elle disposait ainsi d'une créance envers la défenderesse. Les
conséquences de la fraude révélée entre le paiement anticipé et l'échéance de
l'accréditif ont ensuite été examinées. Tout en retenant que C.________
savait que la vente financée était fictive, les juges ont souligné que la
fraude était avant tout l'oeuvre du donneur d'ordre. Ils n'en ont toutefois
rien déduit, estimant que seul un abus de droit de la part de la demanderesse
permettrait à la défenderesse de refuser valablement le remboursement de
l'accréditif, ce qui n'était pas le cas, puisqu'au moment de l'escompte, la
fraude n'était pas encore révélée. L'arrêt attaqué souligne encore que, comme
la défenderesse n'avait plus les documents à disposition, elle devait de
toute manière rembourser la demanderesse.

3.3 Dans son recours en réforme, la défenderesse se plaint d'une violation
des art. 397 al. 1, 398 al. 2 et 402 al. 1 CO. Elle soutient en résumé qu'en
payant par anticipation, la banque confirmante ne s'est pas conformée au
mandat la liant à la banque émettrice et qu'elle a créé une situation
préjudiciable aux intérêts de sa mandante. De plus, comme la demanderesse
peut réclamer au bénéficiaire la restitution de la somme versée, elle n'est
pas légitimée à en exiger le remboursement auprès de la banque émettrice.
Enfin, la défenderesse relève que la motivation liée à la non-remise des
documents est totalement infondée.

3.4 Avant d'examiner les critiques soulevées dans le recours, il convient de
vérifier le for et le droit applicable (cf. infra consid. 4), puis de définir
les caractéristiques du crédit documentaire en cause et les relations
juridiques entre les parties (cf. infra consid. 5).

4.
4.1 Le litige comporte des éléments d'extranéité, notamment en raison du fait
que la défenderesse est un établissement bancaire dont le siège se trouve à
Dubaï. Les parties n'ayant pas conclu de clause d'élection de for ni de droit
et en l'absence de traité international entre la Suisse et les Emirats Arabes
Unis, la LDIP est applicable (cf. art. 1 LDIP).

S'agissant d'une dette d'argent, il n'est à juste titre pas contesté que les
tribunaux suisses sont compétents, le for du lieu d'exécution de la
prestation se situant à Genève, au siège de la banque qui invoque la créance
(cf. art. 113 LDIP; art. 74 al. 2 ch. 1 CO).

Le droit applicable, désigné selon la lex fori, est celui avec lequel le
contrat présente les liens les plus étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Dans un
litige portant sur les relations entre une banque confirmante et une banque
émettrice, on considère que c'est la banque confirmante qui fournit la
prestation caractéristique (ATF 119 II 173 consid. 2, rappelé in ATF 121 III
436 consid. 4b/bb). La demanderesse ayant son siège à Genève, c'est donc bien
le droit suisse qui est applicable, ce qui correspond du reste au droit sur
lequel les parties se fondent.

4.2 Il y a également lieu de tenir compte des Règles et usances uniformes de
la Chambre de commerce internationale, dans leur version de 1993 (ci-après:
RUU 500). En effet, bien que l'arrêt attaqué ne précise pas si le crédit
documentaire en cause renvoie aux RUU, ces règles trouvent de toute manière
application dans les rapports d'accréditif entre deux banques (ATF 78 II 42
consid. 2; cf. en ce sens Lombardini, Droit bancaire suisse, Zurich 2002, p.
327 no 36; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4e éd.
Genève 2000, p. 387).

5.
5.1 Dans le commerce international, l'accréditif ou crédit documentaire est un
instrument de garantie de paiement qui tend à protéger les deux parties ayant
conclu généralement une vente à distance (Tevini Du Pasquier, Commentaire
romand, Appendice aux art. 466-471 CO, no 2), en les assurant de l'exécution
correcte du contrat (ATF 113 III 26 consid. 2a; Koller, Commentaire bâlois,
Anhang zum 18. Titel, no 2). Il fait intervenir des intermédiaires
indépendants et solvables, les banques, qui jouent un rôle essentiel (Dohm,
FJS no 314, p. 3). Ainsi, l'acheteur se trouvant à l'étranger s'adresse à une
banque située habituellement dans son pays (la banque émettrice) et la charge
de verser au vendeur le montant de l'accréditif contre remise des titres
prévus dans le crédit documentaire (ATF 114 II 45 consid. 4b p. 49). La
banque émettrice fait, pour sa part, en général appel à une banque
correspondante se trouvant dans le pays du vendeur, afin qu'elle communique à
celui-ci l'ouverture de l'accréditif, voire qu'elle le confirme (ATF 113 III
26 consid. 2a p. 30).

La relation d'accréditif entre le donneur d'ordre et la banque émettrice se
caractérise comme une combinaison entre un mandat (art. 394 ss CO) et une
assignation (art. 466 ss CO; ATF 117 III 76 consid. 6a; 114 II 45 consid. 4a
p. 48). Lorsqu'il est fait appel à une seconde banque, le rapport entre les
parties devient alors quadrangulaire (Tevini du Pasquier, Le crédit
documentaire en droit suisse, thèse Genève 1990, p. 15 s.; Dohm, FJS no 314
p. 18). Si cette banque confirme l'accréditif, une relation identique à celle
existant entre le donneur d'ordre et la banque émettrice se noue entre cette
dernière et la banque confirmante, qui s'engage de la même manière envers le
bénéficiaire (Schönle, Rechtsprobleme des Dokumentenakkreditivs mit
hinausgeschobener Zahlung, in Droit des obligations et droit bancaire, Genève
1995, p. 241 ss, 242). La banque confirmante est mandatée et assignée par la
banque émettrice et sous-mandataire du donneur d'ordre, alors que le
bénéficiaire (le vendeur) est deux fois assignataire (cf. ATF 114 II 45
consid. 4b p. 49). Les règles du mandat, en particulier l'art. 402 CO, sont
donc applicables entre la banque émettrice et la banque confirmante (Engel,
Contrats de droit suisse, 2e éd. Berne 2000, p. 756). Ainsi, la banque
confirmante qui paie au bénéficiaire un crédit documentaire pourra obtenir de
la banque émettrice son remboursement sur la base de l'art. 402 al. 1 CO
(Guggenheim, op. cit., p. 385). En payant le bénéficiaire, la banque
n'acquiert pas par subrogation la créance de ce dernier contre le donneur
d'ordre (Lombardini, Droit et pratique du crédit documentaire, 2e éd. Bâle
2000, p. 23 no 76).

5.2 Le crédit documentaire irrévocable signifie que la banque émettrice
s'engage fermement à exécuter l'accréditif en faveur du bénéficiaire, pour
autant que les documents stipulés soient remis à la banque désignée ou à la
banque émettrice et que les conditions du crédit soient respectées (art. 9a
RUU 500). En l'absence d'indication, un crédit documentaire est présumé
irrévocable (cf. art. 6c RUU 500; de Gottrau, Le crédit documentaire et la
fraude, thèse Genève 1999, p. 19).

5.3 On parle de crédit documentaire à paiement différé lorsque le moment de
l'utilisation du crédit, c'est-à-dire le moment de la présentation des
documents, ne correspond pas au moment du paiement (ATF 122 III 73 consid.
6a/aa p. 75 s.). Ce mode de réalisation a pour fonction de procurer du crédit
au donneur d'ordre et de le libérer de l'obligation de s'exécuter trait pour
trait (cf. ATF 100 II 145 consid. 4b p. 152). Ainsi, le paiement au
bénéficiaire n'intervient pas au moment où les documents sont levés, mais à
une date ultérieure stipulée dans le crédit; le donneur d'ordre peut donc
entrer en possession de la marchandise, avant d'en verser le prix. Il a alors
la faculté de revendre les biens avant l'échéance et sera en mesure de payer
le montant du crédit documentaire au jour prévu du règlement (ATF 122 III 73
consid. 6a/aa p. 76 et les références citées).

6.
Pour s'opposer à son obligation de rembourser le montant du crédit
documentaire irrévocable à paiement différé à la banque confirmante, la
défenderesse se prévaut d'une fraude. Il convient donc, dans un premier
temps, d'examiner si cet élément aurait permis à la banque assignée de
refuser le versement du montant de l'accréditif au bénéficiaire à l'échéance.
Ce n'est en effet que dans cette hypothèse qu'il faudra se demander qui, de
la banque émettrice ou de la banque confirmante, doit en supporter les
conséquences.

6.1 Il découle des règles de l'assignation applicables au crédit documentaire
(cf. supra consid. 5.1) que, dès l'acceptation sans réserve de l'assignation,
la banque assignée est obligée d'effectuer le versement, sans pouvoir faire
valoir des exceptions tirées du rapport de provision ou du rapport de valeur
(art. 468 al. 1 CO; cf. ATF 127 III 553 consid. 2e/bb p. 557; 124 III 253
consid. 3b p. 256). Il s'agit de la concrétisation du principe de
l'abstraction, qui est une règle essentielle du crédit documentaire (de
Gottrau, thèse op. cit., p. 191; Koller, op. cit., Anhang zum Titel 18 no
16). Seule l'existence d'un abus de droit (art. 2 al. 2 CC) permet à la
banque assignée de ne pas fournir sa prestation (ATF 115 II 67 consid. 2b p.
71 s.; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral non publié 4C.344/2002 du 12
novembre 2003 consid. 5.1).

La jurisprudence se montre toutefois très restrictive et n'admet la faculté
pour l'assigné de se prévaloir d'un abus de droit du fait d'un vice affectant
le rapport de valeur que dans des cas particulièrement graves (arrêt du
Tribunal fédéral 4C.172/2001 du 28 mars 2001 in PJA 2002 p. 464 ss, consid.
4b; en ce sens également ATF 100 II 145 consid. 4b p. 151). Il faut que
l'illicéité ou la contrariété aux moeurs de la créance de base soit évidente;
le vice doit être patent sur le plan juridique et sa démonstration doit
pouvoir être apportée de façon immédiate en fait; le moment déterminant pour
juger de la réalisation de ces conditions est celui où l'assignataire réclame
l'exécution de l'assignation; on admet que l'assignataire abuse de son droit
lorsqu'il sait ou doit savoir qu'il ne dispose d'aucun droit actuel ou futur
en vertu du rapport de valeur, sur la base de preuves immédiatement
disponibles (arrêt du 28 mars 2001 précité, in PJA 2002 p. 467 ss, consid.
4c; confirmé in arrêt du 12 novembre 2003 précité, consid. 5.1). Tel est en
particulier le cas s'agissant d'un crédit documentaire en présence de
machinations frauduleuses (ATF 100 II 145 consid. 4b p. 151), par exemple
lorsqu'il est établi que la vente à la base de l'accréditif porte sur des
marchandises inexistantes ou d'une valeur bien moindre que le montant que la
banque s'est engagée à verser à l'assignataire (Koller, Bemerkungen, PJA 2002
p. 464 ss, 469; de Gottrau, thèse op. cit., p. 113; Dohm, FJS no 315 p. 15;
Schütze, Das Dokumentakkreditiv im internationalen Handelsverkehr, 5e éd.
Heidelberg 1999, p. 176).

6.2 En l'espèce, il ressort des constatations cantonales qu'une fraude a été
révélée après le paiement anticipé par la demanderesse et la vérification des
documents par les banques, mais avant l'échéance de l'accréditif. L'enquête
menée par l'ICC a permis d'établir, fin mai 1999, que le contenu réel du
premier container qui devait être financé par l'accréditif litigieux n'était
pas conforme à ce qui était convenu et, dans un rapport du 15 juillet 1999,
l'ICC a confirmé qu'il en allait de même s'agissant du deuxième container
concerné par l'accréditif. Ces opérations s'inséraient dans le cadre d'autres
fraudes similaires, dans lesquelles la marchandise à transporter était
inexistante ou d'une valeur très inférieure à celle indiquée dans les
documents. C.________ apparaissait formellement en qualité d'expéditrice et
de venderesse, se faisant rembourser par F.________ l'avance consentie par le
biais d'une vente fictive, payée par un accréditif à paiement différé d'ordre
de cette dernière. Il a toutefois été constaté que son rôle réel était
difficile à cerner et que C.________ semblait plutôt agir comme intermédiaire
financier. Elle ne participait pas à l'expédition des marchandises, mais elle
savait que la vente financée était fictive.

Il découle de ces éléments qu'avant l'échéance de l'accréditif, l'enquête de
l'ICC a permis d'établir que les livraisons financées par le crédit
documentaire ne correspondaient pas à ce qui était convenu. Il a également
été constaté que C.________ était au courant du caractère fictif de la vente,
de sorte que, même si l'opération a été initiée par F.________, le
bénéficiaire était également impliqué (cf. sur ce type de fraude: de Gottrau,
thèse op. cit., p. 113). La demanderesse ne peut donc être suivie lorsqu'elle
affirme que l'on est en présence d'une fraude émanant du seul donneur
d'ordre. En outre, il importe peu qu'aucun jugement condamnatoire n'ait été
prononcé avant le 30 août 1999, dès lors qu'il suffit que la manoeuvre
frauduleuse apparaisse évidente à ce moment, ce qui est le cas en
l'occurrence. Le montage litigieux s'inscrit du reste dans le cadre d'une
opération de grande envergure, citée comme un exemple caractéristique de
fraude dans l'accréditif à paiement différé (cf. de Gottrau, Crédit
documentaire et garantie bancaire: fraude dans l'accréditif à paiement
différé et choix des parties citées dans les mesures provisionnelles, in
Journée 2001 de droit bancaire et financier, Berne 2002, p. 65 ss, 67).
Conformément à la jurisprudence précitée, la banque assignée aurait donc pu
valablement opposer l'exception d'abus de droit à C.________ pour refuser le
paiement de l'accréditif, si elle s'était exécutée à l'échéance du 30 août
1999.

7.
Dans ce contexte, il faut s'interroger sur les conséquences d'une telle
fraude quant à l'obligation de la banque émettrice de rembourser à l'échéance
la banque confirmante.

7.1 Cette question, qualifiée de délicate et controversée par la doctrine
(cf. notamment de Gottrau, Crédit documentaire op. cit., p. 67), suppose tout
d'abord de déterminer si l'on peut reprocher à la banque confirmante d'avoir
violé ses obligations découlant du crédit documentaire en versant le montant
de l'accréditif au bénéficiaire avant l'échéance sous forme d'un escompte, ce
qu'affirme la défenderesse. Si tel devait être le cas, cette dernière
pourrait, en application de l'art. 398 al. 2 CO, refuser de payer à
l'échéance en invoquant la fraude subséquente avérée.

7.1.1 Dans un arrêt datant de 1974, le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la
problématique du paiement anticipé d'un accréditif à paiement différé, alors
que cet instrument n'était pas encore réglé dans les RUU (cf. ATF 100 II 145
consid. 3c). Il a indiqué que, comme le crédit documentaire à paiement
différé ne sert qu'à procurer du crédit au donneur d'ordre et à le libérer de
l'obligation de s'exécuter trait pour trait, la banque émettrice peut, sauf
convention contraire et si l'assignataire le souhaite, s'acquitter de son
obligation de paiement avant l'échéance, conformément à l'art. 81 CO. Ce
faisant la banque ne viole pas l'art. 397 CO qui lui impose de suivre
précisément les instructions du donneur d'ordre (ATF 100 II 145 consid. 4c p.
151).

7.1.2 La défenderesse soutient que cette jurisprudence n'est plus applicable
compte tenu des nouvelles dispositions figurant dans les RUU, qui traitent
désormais du crédit documentaire à paiement différé.

L'art. 9a/ii des RUU 500 indique qu'en présence d'un crédit irrévocable à
paiement différé, la banque émettrice doit, pour autant que les documents
stipulés aient été remis et que les conditions du crédit soient respectées,
payer à la date ou aux dates d'échéance déterminable(s) conformément aux
stipulations du crédit. Si une banque confirmante intervient, l'art. 9b/ii
RUU 500 précise que la confirmation d'un crédit irrévocable constitue un
engagement ferme de la banque confirmante s'ajoutant à celui de la banque
émettrice, de sorte que, si le crédit est réalisable par paiement différé,
celle-ci doit également payer à la date ou aux dates d'échéances
déterminable(s) conformément aux stipulations du crédit.

Certains auteurs en déduisent qu'un paiement anticipé n'est pas compatible
avec l'accréditif à paiement différé tel que décrit à l'art. 9 RUU 500
(Caprioli, Le crédit documentaire: évolution et perspectives, Paris 1992, p.
246; Lombardini, Droit bancaire, op. cit., p. 323 no 22; du même auteur,
Droit et pratique, op. cit., p. 26 no 85). Cette position ne ressort
toutefois pas clairement du texte de l'art. 9 RUU 500, de sorte que rien ne
permet d'affirmer que la banque assignée violerait les RUU en versant le
montant du crédit documentaire à paiement différé au bénéficiaire avant
l'échéance (cf. en ce sens: de Gottrau, Crédit documentaire op. cit., p. 77
s.). Sous l'angle du droit suisse, il n'y a donc aucune raison de s'écarter
de la position soutenue par la Cour de céans dans l'arrêt de 1974, selon
laquelle les règles du crédit documentaire ne s'opposent pas à ce que la
banque assignée, en application de l'art. 81 al. 1 CO, paie de manière
anticipée le montant de l'accréditif à paiement différé (ATF 100 II 145). Cet
avis est du reste partagé par la doctrine majoritaire (cf. notamment
Guggenheim, op. cit., p. 402 s.; Stauder, Das Dokumentenakkreditiv mit
hinausgeschobener Zahlung, in Liber Amicorum A. Schnitzer, Genève 1979, p.
433 ss, 451; Dohm, op. cit., no 315 p. 13; position différente, Tevini du
Pasquier, Le crédit documentaire en droit suisse, thèse Genève 1990, p. 65
s.) et correspond à l'usage bancaire suisse et étranger (de Gottrau, Crédit
documentaire, op. cit., p. 77; Engel, op. cit., p. 758).
Par conséquent, à moins que les parties l'aient expressément exclu (cf. art.
397 al. 1 CO), ce qui n'est pas le cas en l'occurrence, il y a lieu de
considérer que la banque assignée ne viole pas les art. 394 ss CO ou les RUU
500 lorsqu'elle s'acquitte du crédit documentaire avant l'échéance.

7.2 Il faut encore se demander si le donneur d'ordre ou la banque émettrice
peut tout de même se prévaloir d'une fraude révélée postérieurement au
paiement par anticipation pour refuser de rembourser la banque assignée à
l'échéance.

7.2.1 Le Tribunal fédéral n'a pas directement abordé la question. Dans l'ATF
100 II 145 précité, la Cour de céans, après avoir admis le principe du
paiement anticipé, a certes confirmé un jugement cantonal rejetant l'action
des donneurs d'ordre (acheteurs) qui invoquaient une fraude pour essayer de
récupérer les avoirs qu'ils avaient mis en gage auprès de la banque, mais
sans motiver précisément sa position.

7.2.2 La doctrine est partagée sur le sujet.

Pour les auteurs minoritaires qui soutiennent qu'en payant de manière
anticipée, la banque commet une irrégularité (cf. supra consid. 7.1.2), il
est logique que celle-ci ne puisse exiger d'être remboursée à l'échéance si
un cas de fraude survient (cf. en ce sens, Caprioli, op. cit., p. 246; Tevini
Du Pasquier, Le crédit documentaire, op. cit., p. 65 s).

Parmi les tenants de la théorie majoritaire, selon laquelle le paiement
anticipé est compatible avec l'institution du crédit documentaire à paiement
différé, plusieurs courants se dégagent. Les uns, invoquant l'ATF 100 II 145,
considèrent que, dès lors que la fraude n'est pas encore connue au moment du
paiement anticipé, le donneur d'ordre ou la banque émettrice ne peut invoquer
l'art. 2 al. 2 CC pour s'exonérer de ses obligations de payer à l'échéance,
même si une fraude manifeste a été découverte postérieurement (de Gottrau,
Crédit documentaire, op. cit., p. 89; Dohm, op. cit. no 315 p. 13; Stauder,
op. cit., p. 450 s.; Vasseur, Note in Recueil Dalloz/Sirey 1987 p. 399 ss, no
14). En effet, une fois les documents remis et le paiement effectué, même de
manière anticipée, les engagements irrévocables et inconditionnels de la
banque émettrice ou, le cas échéant, confirmante se figent (de Gottrau,
Crédit documentaire, op. cit., p. 80 s.). D'autres auteurs estiment qu'en
escomptant l'accréditif, la banque assignée prend un engagement distinct du
crédit documentaire. En octroyant un prêt indépendant, elle agit à ses
risques et périls de sorte que, si une machination frauduleuse permettant de
s'opposer au paiement de l'accréditif est révélée avant l'échéance, c'est à
la banque qui a accordé le crédit d'en supporter les conséquences (Schütze,
op. cit., p. 56; Eschmann, Der einstweilige Rechtsschutz des
Akkreditiv-Auftraggebers in Deutschland, England und der Schweiz, Neuwied
1994, p. 14; Schönle, op. cit., p. 256 s.; aussi en ce sens: Tevini Du
Pasquier, Commentaire, op. cit., Appendice art. 404-471 CO no 15 s.). Enfin,
une partie de la doctrine parvient également à cette dernière conclusion,
mais sans utiliser la construction juridique découlant du prêt. Elle
considère que, lorsqu'elle escompte un accréditif, la banque assignée prive
le donneur d'ordre de la possibilité d'invoquer un abus de droit pour
s'opposer au paiement si une fraude est révélée postérieurement au versement
anticipé, mais avant l'échéance prévue dans le crédit documentaire. C'est
donc à la banque qui a payé de manière anticipée d'en assumer le risque
(Nielsen, Neue Richtlinien für Dokumenten-Akkreditive, Heidelberg 1994, ad
art. 9 RUU no 37; Bühler, Sicherungsmittel im Zahlungsverkehr, Zurich 1997,
p. 100).

7.2.3 Les solutions adoptées par la jurisprudence étrangère sont révélatrices
de la diversité des conceptions doctrinales qui viennent d'être évoquées.

Ainsi, en Italie, il résulte d'une décision du Tribunal de Bologne du 15 mai
1981 que la banque confirmante est en droit de payer avant l'échéance en
escomptant le crédit, après avoir constaté la régularité formelle des
documents. Si tel est le cas, alors elle peut prétendre à être remboursée à
l'échéance (sur cette jurisprudence, cf. de Gottrau, Crédit documentaire, op.
cit., p. 73 s.; du même auteur, thèse op. cit., p. 285 s.), ce qui laisse
entendre qu'une fraude serait sans incidence.

En Allemagne, le Bundesgerichtshof considère que le paiement d'un accréditif
avant l'échéance correspond à un prêt accordé par la banque au bénéficiaire
et celle-ci doit en assumer les risques (arrêt du 16 mars 1987 II ZR 127/86
in NJW 1987 p. 2578). Il convient toutefois de préciser que cette
jurisprudence se rapporte à une banque notificatrice, seulement chargée de
payer pour la banque émettrice et non d'une banque confirmante (cf. arrêt du
Tribunal fédéral 4P.28/1997 du 15 décembre 1997, in SJ 1998 p. 388, consid.
2b/bb; de Gottrau, Crédit documentaire, op. cit., p. 73).

En France, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans une décision
du 7 avril 1987 confirmant un arrêt de la Cour d'appel de Paris (Recueil
Dalloz/Sirey 1987, Jurisprudence p. 399), a admis que la banque confirmante
qui paie avant l'échéance peut se voir opposer l'exception de fraude, car la
réalisation du crédit documentaire à paiement différé se situe au moment de
l'échéance convenue (cf. Caprioli, op. cit., p. 264 s.; de Gottrau, Crédit
documentaire, op. cit., p. 74; critique, Vasseur, op. cit., no 9 ss).

Enfin, la jurisprudence anglaise a adopté une position se rapprochant des
tribunaux français. Elle soutient également que la pratique bien établie du
paiement anticipé du crédit réalisable par paiement différé est admissible,
mais que la créance du bénéficiaire envers la banque confirmante n'intervient
qu'à l'échéance convenue. La banque confirmante qui prend la décision seule
de payer par anticipation le bénéficiaire doit supporter le risque de
découverte d'une fraude avant l'échéance (arrêt de la High Court of Justice
de Londres du 9 juin 1999 résumé in Revue de Droit Bancaire et Financier
2000/1 p. 22; Doise, Contrats internationaux, Lamy tome 7, Paris 1999, no
700). Cette décision a été confirmée par la Court of Appeal du 25 février
2000 (case no QBCMF 1999/0673/A3; cf. à ce sujet de Gottrau, Crédit
documentaire, op. cit., p. 74 s.).
7.3 Il ressort de ce survol doctrinal et jurisprudentiel que la position
soutenue dans l'ATF 100 II 145, selon laquelle la banque assignée ne viole
pas ses obligations contractuelles en versant au bénéficiaire le montant du
crédit documentaire à paiement différé avant l'échéance, est en l'état actuel
largement admise. Même si les constructions juridiques proposées divergent,
une tendance nette se dessine également, tant dans la doctrine que dans la
jurisprudence étrangère, pour reconnaître que la banque qui agit de la sorte
doit en supporter elle-même les risques, notamment si un cas de fraude est
révélé après le paiement anticipé, mais avant l'échéance de l'accréditif.

7.4 Cette conception paraît convaincante. En effet, l'accréditif irrévocable
à paiement différé prévoit, par définition, un délai entre la présentation
des documents et le paiement. A moins que les parties ne l'aient expressément
exclu, les relations juridiques régissant le crédit documentaire ne
s'opposent pas à ce que la banque émettrice ou, le cas échéant, la banque
confirmante verse par anticipation le montant de l'accréditif au
bénéficiaire. Si un tel procédé est admissible, il ne saurait en revanche
permettre à la banque qui a payé avant l'échéance de modifier unilatéralement
et à son avantage les termes de l'accréditif à paiement différé, alors que,
comme le rappelle l'art. 9d/i RUU 500, une fois ouvert, le crédit
documentaire irrévocable ne peut être modifié sans l'accord de toutes les
parties. Dans l'hypothèse où l'on refuserait au donneur d'ordre ou à la
banque émettrice en cas de rapport quadrangulaire (cf. supra consid. 5.1) la
possibilité de se prévaloir d'une fraude découverte postérieurement au
paiement anticipé pour s'opposer au remboursement de la banque confirmante
assignée à l'échéance, on laisserait cette dernière se prémunir
unilatéralement contre un tel risque. Il lui suffirait d'escompter
l'accréditif le plus rapidement possible après l'acceptation des documents,
pour éviter toute objection liée à une fraude découverte postérieurement. Par
conséquent, si elle reste libre de payer par anticipation un accréditif
irrévocable à paiement différé sans en aviser la banque émettrice, la banque
confirmante qui procède de la sorte doit assumer les risques d'une fraude
révélée postérieurement à l'escompte accordé, mais avant l'échéance du crédit
documentaire.

L'objection liée au caractère abstrait du crédit documentaire invoquée par la
cour cantonale et la demanderesse ne résiste pas à l'examen. S'il est vrai
que le crédit documentaire à paiement différé n'a pas pour but de permettre
au donneur d'ordre de vérifier l'état de la marchandise dans le délai de
paiement ou de le protéger contre une fraude éventuelle (ATF 100 II 145
consid. 4b), sous peine de faire perdre à l'accréditif sa fonction de
garantie de paiement (Guggenheim, op. cit., p. 401), il n'en demeure pas
moins que l'exception tirée de l'art. 2 al. 2 CC en cas de fraude constitue
précisément une situation exceptionnelle dans laquelle il est admis que l'on
puisse s'écarter de l'abstraction documentaire. En faisant supporter les
risques du paiement anticipé à la banque qui procède à l'escompte, on
n'accorde pas à la banque émettrice ou au donneur d'ordre davantage de droits
que ceux dont ils auraient disposé si le crédit documentaire avait été payé à
l'échéance.

8.
Il reste à examiner si la cour cantonale pouvait se fonder sur l'art. 14e RUU
500 pour condamner la défenderesse à rembourser à la demanderesse le montant
de l'accréditif malgré la fraude, au motif que la banque émettrice n'était
plus en mesure de restituer à la banque confirmante les documents en cause.

L'art. 14e RUU 500 impose tant à la banque émettrice qu'à la banque
confirmante un certain formalisme relatif au refus des documents (Doise, op.
cit., no 669). Il vise le cas où la banque n'entend pas accepter les
documents (cf. Nielsen, op. cit., ad art. 14 RUU no 102) et prévoit qu'elle
doit alors les refuser et les rendre intacts à celui qui les a présentés ou
les tenir à sa disposition. Si elle a fait usage d'une autre manière de ces
documents et ne peut ainsi les restituer ou les tenir à disposition, la
banque sera réputée avoir accepté les documents sans réserve (Dohm, op. cit.,
no 314 p. 16).

Comme le relève pertinemment la défenderesse, l'art. 14e RUU 500 ne concerne
que la procédure liée à l'acceptation des documents. Or, en cas de fraude
découverte postérieurement, les documents qui avaient l'apparence de la
conformité ont, par définition, été acceptés. Cette disposition ne saurait
donc empêcher la banque qui s'aperçoit par la suite qu'elle a été trompée de
se prévaloir d'une fraude, pour la seule raison qu'après avoir accepté sans
réserve des documents conformes en apparence aux conditions de l'accréditif,
elle en a disposé. La cour cantonale ne pouvait donc donner suite aux
prétentions de la demanderesse en faisant abstraction de la fraude, sous
prétexte que la défenderesse ne s'était pas conformée aux exigences formelles
de l'art. 14e RUU 500.

9.
Dans ces circonstances, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé,
ce qui implique le rejet des conclusions en paiement prises par la
demanderesse à l'encontre de la défenderesse.

10.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge
de la demanderesse, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ):

L'affaire sera par ailleurs renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle se
prononce à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale (cf.
art. 157 et 159 al. 6 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé. Les conclusions en
paiement prises par la demanderesse envers la défenderesse sont rejetées.

2.
Un émolument judiciaire de 12'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.

3.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 14'000 fr. à titre
de dépens.

4.
La cause est renvoyée à l'autorité inférieure pour nouvelle décision sur les
frais et dépens de la procédure cantonale.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice genevoise.

Lausanne, le 1er juin 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: