Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.441/2004
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4C.441/2004 /ajp

Arrêt du 27 avril 2005
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

X. ________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Richard Calame, avocat,

contre

A.________ SA,
demanderesse et intimée, représentée par Me Alain Badertscher, avocat,

contrat de bail; expulsion,

recours en réforme contre l'arrêt de la Cour de
cassation civile du Tribunal cantonal neuchâtelois
du 27 octobre 2004.

Faits:

A.
Le 10 juin 1991, B.________ et C.________, bailleurs, ont signé un contrat de
bail à loyer commercial avec Y.________, locataire, portant sur des locaux
loués à l'usage d'un home pour personnes âgées. Par avenant du 15 novembre
1991, ce contrat a été transféré à une nouvelle locataire, la société
X.________ SA.

Par lettre du 4 mai 2000, la locataire a déclaré résilier le contrat de bail
pour le 30 juin 2001. Elle demandait aux bailleurs de lui faire une
proposition de baisse de loyer substantielle. Ceux-ci ont répondu en laissant
entendre qu'une discussion ultérieure était envisageable moyennant certains
préalables. Par la suite, de telles discussions ont eu lieu entre les parties
sans toutefois aboutir à la conclusion d'un accord formel.

Par lettre du 11 mars 2002, les bailleurs ont relevé que la locataire
occupait les locaux litigieux sans droit depuis le 1er juillet 2001 et que
cette situation devait cesser dans les meilleurs délais. Toutefois, compte
tenu de la nature des locaux exploités, la locataire était invitée à proposer
une date à laquelle elle serait prête à restituer les locaux, dans le seul
but d'éviter une procédure d'expulsion. Par réponse du 22 mars 2002, la
locataire a fait savoir qu'elle s'engageait à quitter les locaux dans un
délai de douze à quinze mois au plus tard.

Le 10 avril 2002, les bailleurs, qui avaient estimé ce délai trop long, ont
déposé une demande d'expulsion auprès du Tribunal civil du district de
Boudry. Par lettre du 25 avril 2002, ils se sont toutefois désistés de
celle-ci et ont adressé, le même jour, une requête à l'Autorité régionale de
conciliation, visant à ce que celle-ci procède à la tentative de conciliation
prévue par la loi, dont l'échec a été constaté par décision du 17 octobre
2002.

B.
Le 12 novembre 2002, les bailleurs ont déposé une nouvelle requête auprès du
Tribunal civil du district de Boudry, concluant à ce que celui-ci ordonne
l'expulsion de la locataire pour le 30 mars 2003.

Au mois de février 2004, A.________ SA a acquis l'immeuble litigieux et, par
substitution, est devenue partie demanderesse à la procédure.

Par jugement du 16 août 2004, le Tribunal civil du district de Boudry a
ordonné l'expulsion de la locataire des locaux litigieux pour le 31 octobre
2004.

Par arrêt du 27 octobre 2004, la Cour de cassation civile du Tribunal
cantonal neuchâtelois a rejeté le recours de la locataire. Elle a retenu
qu'il était vrai qu'une période relativement longue, soit neuf mois et dix
jours, s'était écoulée entre l'échéance du bail, soit le 30 juin 2001, et la
date où la première demande d'expulsion avait été déposée par les bailleurs,
soit le 10 avril 2002. Toutefois, ceux-ci n'étaient pas restés inactifs
durant cette période et ils n'avaient pas non plus accepté sans réserve les
versements mensuels de 22'000 fr. effectués à titre de loyers. Il résultait
en effet des preuves littérales versées au dossier que la fiduciaire qui
assumait la gérance légale avait réclamé à la locataire, par lettre du 4
juillet 2001, le paiement des loyers restés en souffrance, qui s'élevaient à
cette date à 236'000 fr.; elle avait en outre précisé que le montant mensuel
de 32'000 fr. était dû pour les mois où les locaux ne seraient pas libérés
après l'échéance du contrat de bail du 30 juin 2001. Par ailleurs, les
parties étaient entrées en négociation pour tenter de trouver une solution
permettant à la locataire de continuer à occuper les locaux antérieurement
remis à bail, jusqu'à la vente projetée de l'immeuble, moyennant versement
d'une indemnité mensuelle compensatoire. Les négociations n'avaient cependant
pas abouti, dans la mesure où la locataire avait refusé de signer les
conventions établies à ce sujet par les bailleurs. Tant et aussi longtemps
que les parties tentaient de parvenir à un arrangement amiable, il était
logique que les bailleurs ne sollicitent pas l'expulsion. Le laps de temps
d'environ trois mois et demi qui s'était écoulé entre le refus de la
locataire du 26 novembre 2001 de signer les conventions proposées par les
bailleurs et la lettre de ceux-ci du 11 mars 2002 invitant celle-là à
communiquer une date pour la restitution des locaux ne permettait pas de
retenir la conclusion d'un bail tacite. Il apparaissait d'ailleurs clairement
que la locataire elle-même n'avait pas considéré alors qu'un bail tacite
avait été conclu puisque, dans sa lettre du 22 mars 2002, elle s'engageait
formellement à quitter les locaux dans un délai de douze à quinze mois au
plus tard. Dans une lettre du 17 avril 2002, la locataire réitérait sa
proposition de négociation du délai pour la remise des locaux en fonction des
impératifs des deux parties. Au vu de l'ensemble des circonstances du cas
d'espèce, c'était à juste titre que le premier juge avait nié l'existence
d'un contrat de bail tacite.

C.
X. ________ SA (la défenderesse) interjette un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour de céans annuler l'arrêt du
27 octobre 2004, par voie de conséquence, principalement annuler le jugement
du 16 août 2004 et constater l'existence d'un bail tacite conclu entre les
parties depuis le 1er juillet 2001, subsidiairement renvoyer la cause à
l'autorité cantonale pour nouveau jugement dans le sens des considérants, le
tout sous suite de frais et dépens.

A. ________ SA (la demanderesse) conclut au rejet du recours, sous suite de
frais et dépens.

Parallèlement à son recours en réforme, X.________ SA a formé un recours de
droit public, qui a été rejeté par arrêt de ce jour.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 I 312 consid. 1; 130 II 65 consid. 1, 321
consid. 1 p. 324, 509 consid. 8.1).
1.1 La décision entreprise, qui confirme le jugement de première instance en
tant qu'il a prononcé l'expulsion de la défenderesse après avoir constaté que
les parties n'avaient pas conclu tacitement un nouveau bail, est susceptible
de recours en réforme (cf. arrêt 4C.475/1993 du 28 mars 1995, publié in
Zeitschrift für schweizerisches Mietrecht 1995 p. 161, consid. 1; plus
récemment arrêt 4C.198/2004 du 6 juillet 2004, consid. 2.1).

La valeur litigieuse prescrite par l'art. 46 OJ - qui, s'agissant d'une
contestation portant sur l'usage d'une chose louée, se détermine selon le
loyer dû pour la période durant laquelle le contrat subsiste nécessairement,
en supposant que l'on admette la contestation, et qui s'étend jusqu'au moment
pour lequel un nouveau congé aurait pu être donné ou l'a été effectivement
(arrêt 4C.155/2000 du 30 août 2000, publié in SJ 2001 I p. 17, consid. 1a;
4C.310/1996 du 16 avril 1997, publié in SJ 1997 p. 493, consid. 2a) - est en
l'occurrence largement dépassée, puisque le montant d'un seul mois de loyer
excède déjà 8'000 fr.

La défenderesse s'est opposée sans succès à son expulsion des locaux
litigieux, de sorte que la qualité pour recourir à l'encontre de la décision
cantonale qui l'a déboutée de ses conclusions doit lui être reconnue (cf.
arrêt 4C.198/2004 du 6 juillet 2004, consid. 2.3).

Par ailleurs interjeté en temps utile (art. 32 et 54 al. 1 OJ) et dans les
formes requises (art. 55 OJ), le présent recours en réforme est en principe
recevable.

1.2 Une conclusion tendant à la constatation de l'existence ou de
l'inexistence d'un rapport de droit ne présente pas d'intérêt lorsque celui
qui la formule peut obtenir immédiatement une décision mettant un terme au
litige, de sorte que la constatation de l'existence ou de l'inexistence du
droit n'a pas de portée autonome (Poudret, Commentaire de la loi fédérale
d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943, vol. II, n. 1.3.2.8 ad art. 43
OJ, p. 119 s; Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in
Zivilsachen, Zurich 1992, ch. 85, p. 117 s.).

Il en résulte que la conclusion de la défenderesse tendant à la constatation
de l'existence d'un bail tacite conclu entre les parties depuis le 1er
juillet 2001 n'est pas admissible. Il convient néanmoins d'entrer en matière,
dans la mesure où, à la lecture des motifs du mémoire et de la décision
attaquée (cf. Poudret, op. cit., n. 1.4.1.3 ad art. 55 OJ, p. 421), il
apparaît clairement que la défenderesse entend obtenir le rejet de la
demande.

1.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de
l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ). Dans
la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de
celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de
l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible
d'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4). Il
ne peut être présenté de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause
l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF
130 III 136 consid. 1.4; 129 III 618 consid. 3).

2.
En substance, la défenderesse reproche à la cour cantonale de ne pas avoir
admis la conclusion d'un bail tacite après la résiliation de son contrat de
durée indéterminée.

2.1 La conclusion par actes concluants, conformément à l'art. 1 al. 2 CO,
d'un nouveau bail à la suite d'une résiliation suppose que, durant une
période assez longue, le bailleur se soit abstenu de faire valoir le congé,
d'exiger la restitution de la chose louée (ATF 119 II 147 consid. 5 p. 156)
et qu'il ait continué à encaisser régulièrement le loyer sans formuler aucune
réserve (arrêt 4C.475/1993 du 28 mars 1995, publié in Zeitschrift für
schweizerisches Mietrecht 1995 p. 161, consid. 4a/cc; arrêt C.92/1986 du 26
août 1986, publié in SJ 1987 p. 31, consid. 2 p. 32; plus récemment arrêt
4C.198/2004 du 6 juillet 2004, consid. 4.1; cf. également Lachat, Commentaire
romand, n. 24 ad art. 253 CO; Lachat, Le bail à loyer, Lausanne 1997, n.
4.5.1 p. 119). La conclusion tacite d'un bail ne peut être admise qu'avec
prudence (arrêt 4C.475/1993 du 28 mars 1995, publié in Zeitschrift für
schweizerisches Mietrecht 1995 p. 161, consid. 4b/bb p. 165; semble-t-il en
ce sens Lachat, op. cit. 1997, n. 4.5.1 p. 119, selon lequel il faut admettre
exceptionnellement l'existence d'un bail tacite).

La fixation d'une limite temporelle précise appartient au législateur.
Faisant oeuvre de jurisprudence, le juge ne peut déterminer qu'un ordre de
grandeur. Selon les circonstances de chaque espèce, il pourra aller soit en
deçà soit au-delà. Autrement dit, en sus de la période pendant laquelle les
parties au contrat font fi de la résiliation du bail et continuent à exécuter
leurs obligations réciproques, l'existence d'un nouveau bail tacite dépendra,
le cas échéant, d'autres éléments factuels. Quant à l'importance revêtue par
ces derniers, elle sera fonction du laps de temps. Plus celui-ci aura été
bref, plus les autres circonstances de fait joueront un rôle décisif pour
admettre qu'un nouveau bail a été conclu par actes concluants; inversement,
ces circonstances seront d'autant moins essentielles que le facteur temps
sera considérable (arrêt 4C.475/1993 du 28 mars 1995, publié in Zeitschrift
für schweizerisches Mietrecht 1995 p. 161, consid. 4b/bb p. 165). En d'autres
termes, l'élément temporel n'est pas à lui seul déterminant pour décider s'il
y a bail tacite. Il convient de prendre en compte les circonstances du cas
(Tschumy, Le refus de désemparer, in Cahiers du bail 2003 p. 1 ss, spéc. p. 4
s.).
2.2 L'on ne voit pas en quoi la cour cantonale aurait méconnu les principes
susmentionnés et ainsi violé le droit fédéral en retenant qu'au vu des
circonstances de l'espèce, c'était à juste titre que le premier juge avait
nié l'existence d'un contrat de bail tacite. Comme celle-ci l'a relevé avec
raison dans sa motivation (cf. supra let. B), l'on ne saurait, dans le
présent cas, inférer la conclusion d'un bail tacite de l'écoulement d'une
période de neuf mois et dix jours entre l'échéance du bail et la première
demande d'expulsion. D'une manière qui a été jugée exempte d'arbitraire dans
l'arrêt rendu sur le recours de droit public formé parallèlement (cf. arrêt
4P.279/2004 de ce jour, consid. 4.2), la cour cantonale a en effet établi, de
manière à lier le Tribunal fédéral statuant en instance de réforme (art. 63
al. 2 OJ), que des négociations visant à trouver une solution permettant à la
défenderesse de continuer à occuper les locaux litigieux jusqu'à la vente de
ceux-ci, moyennant versement d'une indemnité mensuelle compensatoire, avaient
eu lieu jusqu'au 26 novembre 2001, date à laquelle la défenderesse avait
refusé de signer les conventions proposées par les bailleurs. Or, le fait,
pour les bailleurs, de ne pas engager de procédure d'expulsion pendant la
durée des pourparlers ne saurait leur être reproché - a fortiori compte tenu
de la nature des locaux exploités, destinés à l'usage d'un home pour
personnes âgées. Par ailleurs, la période d'environ trois mois et demi
s'étendant du 26 novembre 2001 au 11 mars 2002, pendant laquelle les juges
cantonaux ont certes retenu que les parties n'avaient pas eu de contacts, ne
saurait suffire pour permettre la conclusion d'un bail tacite, compte tenu
des circonstances de l'espèce. En outre et surtout, la défenderesse est
d'autant plus mal venue de plaider la conclusion d'un contrat de bail tacite
qu'il découlait de ses lettres des 22 mars et 17 avril 2002 qu'elle admettait
elle-même que tel n'était pas le cas, puisqu'elle s'engageait à quitter les
locaux litigieux dans un certain délai.

Cela étant, dans la mesure où la défenderesse soutient que ni la réclamation
de loyers dus, ni les éventuelles discussions menées entre les parties dans
le but de lui permettre de continuer à occuper les locaux après l'échéance du
bail ne constitueraient des éléments qui traduisent la volonté du bailleur de
se prévaloir de la fin du contrat, son argumentation entre clairement en
contradiction avec la jurisprudence et la doctrine susmentionnées. La
critique selon laquelle les juges cantonaux auraient reconnu au bailleur qui
a tardé à se prévaloir de la résiliation et à exiger la restitution de la
chose louée la possibilité de remédier à son manquement n'est pas davantage
pertinente. Enfin, le grief relatif au moment à partir duquel la cour
cantonale a "fait courir la période d'inaction du bailleur" revient à une
vaine critique des faits, puisque la Cour de céans a estimé que la cour
cantonale avait retenu sans arbitraire que des négociations avaient eu lieu
jusqu'au 26 novembre 2001. En définitive, le recours en réforme ne peut
qu'être rejeté.

3.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge
de la défenderesse (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la défen-deresse.

3.
La défenderesse versera à la demanderesse une indemnité de 6'000 fr. à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des par-ties et à la
Cour de cassation civile du Tribunal cantonal neuchâtelois.

Lausanne, le 27 avril 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: