Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.426/2004
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2004
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2004


4C.426/2004 /ech

Arrêt du 8 février 2005
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président, Klett et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________,
B.________,
C.________,
défendeurs et recourants,
tous trois représentés par Me C.________,

contre

D.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Pierre Gasser.

contrat de bail à loyer; évacuation,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et
loyers du canton de Genève du
4 octobre 2004.

Faits:

A.
A.a Le 8 avril 1998, D.________, bailleur, a conclu avec A.________,
B.________ et C.________ un contrat de bail portant sur un bureau de 10
pièces au 1er étage d'un immeuble, à Genève. Ce bureau avait fait l'objet
d'un précédent bail liant A.________ à dame D.________. Le nouveau bail
devait expirer le 30 juin 2008. Le loyer, indexé, a été fixé en dernier lieu
à 106'800 fr. par année, charges en sus.

Les mêmes parties ont conclu un second bail ayant pour objet trois bureaux
situés au rez-de-chaussée du même immeuble.

Le nouveau contrat de bail faisait suite à une convention par laquelle le
bailleur s'était engagé à effectuer des travaux à hauteur de 167'200 fr. et
les locataires à payer des arriérés s'élevant à 110'383 fr. au 31 janvier
1998.

Une demande en justice en rapport avec les travaux à effectuer a été déposée
le 17 novembre 1998 par les trois locataires. La procédure y relative a été
close, au niveau cantonal, par un arrêt du 10 décembre 2001 dans lequel la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers a reconnu D.________ débiteur
des demandeurs de trois montants et constaté que les sommes dues étaient
compensées par les loyers impayés couvrant la période d'avril à juillet 1998.
Un recours en réforme interjeté par les locataires contre cette décision
cantonale a été déclaré irrecevable par arrêt du 3 avril 2002 (cause
4C.69/2002).

Le 10 juillet 2002, les locataires ont indiqué au bailleur qu'ils lui
devaient encore la somme de 95'189 fr. pour les locaux du 1er étage et du
rez-de-chaussée, ceci pour la période de novembre 1998 à fin décembre 1999.

A.b Par lettres recommandées du 28 mars 2003 (recte: 15 avril 2003), la régie
du bailleur a mis les trois locataires en demeure de régler la somme de
64'933 fr. 30 dans les 30 jours en leur signifiant qu'à défaut de paiement
dans ce délai, le bail serait résilié.
Le 12 mai 2003, la même régie a notifié aux locataires, au moyen de la
formule officielle, une majoration de leur loyer, à compter du 1er juillet
2003, en application de la clause d'indexation.
Par avis officiel du 16 mai 2003, le bail des locaux du 1er étage a été
résilié pour le 30 juin 2003, la somme réclamée n'ayant pas été versée dans
le délai imparti.

B.
Le 18 août 2003, le bailleur (demandeur) a adressé à la Commission de
conciliation en matière de baux et loyers une requête visant à obtenir que
les locataires (défendeurs) soient condamnés à évacuer les locaux pris à
bail, qu'ils n'avaient pas libérés dans le délai fixé. La tentative de
conciliation a échoué.

Un versement de 47'796 fr. 70 est intervenu en décembre 2003, si bien que le
solde dû s'élevait à 45'922 fr. 30 pour les locaux sis au rez-de-chaussée et
au 1er étage.

Par jugement du 4 mars 2004, le Tribunal des baux et loyers du canton de
Genève a ordonné aux défendeurs d'évacuer immédiatement le bureau sis au 1er
étage.

Les défendeurs ont appelé de ce jugement. Le 7 avril 2004, ils ont versé la
somme de 13'120 fr. 65, à titre de partie du solde des loyers pour l'année
1998, ainsi que la somme de 32'801 fr. 65 à titre de solde des loyers 1999
pour les locaux sis au 1er étage et à l'entresol.

Statuant le 4 octobre 2004, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers a
confirmé le jugement de première instance.

C.
Les défendeurs interjettent un recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils
concluent principalement au rejet pur et simple de l'action en évacuation et,
subsidiairement, à l'annulation du congé litigieux.

Le demandeur propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 L'arrêt attaqué, prononcé sur recours par la Chambre d'appel en matière
de baux et loyers du canton de Genève contre un jugement d'évacuation pour
défaut de paiement du loyer, est une décision finale rendue en dernière
instance par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ; arrêt 4C.413/1996 du 27
février 1997, consid. 1b, publié in SJ 1997 p. 538 ss), sur une contestation
civile (ATF 103 II 247 consid. 1a).

1.2 Le litige est de nature pécuniaire. L'expulsion étant liée à une
résiliation immédiate, la valeur litigieuse se détermine selon le loyer dû
pour la période pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement, en
supposant que l'on admette la contestation (ATF 119 II 147 consid. 1). En
l'espèce, si la résiliation immédiate notifiée pour le 30 juin 2003 était
annulée, le bail, reconductible tacitement, aurait expiré au plus tôt le 30
juin 2008. Le loyer annuel se montant à 106'800 fr., la limite de 8'000 fr.
prévue à l'art. 46 OJ est ainsi largement dépassée.

1.3 Interjeté par les locataires qui ont succombé dans leurs conclusions, le
présent recours est donc en principe recevable, puisqu'il a été déposé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

Il ne le serait pas, en revanche, au cas où les défendeurs chercheraient à
remettre en cause les constatations de la cour cantonale. En effet, lorsqu'il
est saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci a considéré à tort
des faits régulièrement allégués comme étant dénués de pertinence (art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.
Devant la Chambre d'appel, les défendeurs ont soulevé différents moyens au
sujet du congé litigieux. Ils ont, notamment, plaidé la nullité de celui-ci
pour vice de forme, allégué la tardiveté du dépôt de la requête en évacuation
et fait valoir le caractère abusif de la résiliation extraordinaire, eu égard
aux contradictions affectant les divers décomptes que leur avait remis le
demandeur. Ils ont encore soutenu que ce dernier, en leur notifiant un avis
de majoration de loyer le 12 mai 2003, avait manifesté qu'un nouveau bail se
concluait aux conditions fixées dans cet avis. Les défendeurs ont, enfin,
indiqué qu'ils étaient autorisés à déduire du solde éventuel de loyer une
indemnité pour plus-value au sens de l'art. 260a al. 3 CO. La cour cantonale
a écarté l'ensemble de ces moyens. Dans leur recours en réforme, les
défendeurs ne lui en font pas grief. Aussi n'y a-t-il pas lieu d'examiner ces
différents points de l'arrêt attaqué (art. 55 al. 1 let. c OJ).

3.
A l'appui de leur recours en réforme, les défendeurs reprochent à la Chambre
d'appel de n'avoir pas annulé le congé litigieux, alors qu'il contrevenait
aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

3.1 La disposition citée est applicable, à titre exceptionnel, lorsque la
résiliation du bail a pour cause la demeure du locataire (David Lachat,
Commentaire romand, n. 10 ad art. 257d CO). Le droit du bailleur de résilier
le bail s'oppose alors à celui du locataire d'être protégé contre une
résiliation abusive. Le juge ne peut annuler le congé litigieux que si
celui-ci est inadmissible au regard de la jurisprudence relative à l'abus de
droit et à la bonne foi; il faut des circonstances particulières pour que le
congé soit annulé (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 33). Tel sera le cas, par
exemple, quand le bailleur, lors de la fixation du délai comminatoire,
réclame au locataire une somme largement supérieure à celle en souffrance,
sans être certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33
s.). Le congé sera également tenu pour contraire aux règles de la bonne foi
si le montant impayé est insignifiant (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33), si
l'arriéré a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai
comminatoire, alors que le locataire s'était jusqu'ici toujours acquitté à
temps du loyer, ou si le bailleur résilie le contrat longtemps après
l'expiration de ce délai (Lachat, ibid.; Pierre Wessner, L'obligation du
locataire de payer le loyer et les frais accessoires, in 9e Séminaire sur le
droit du bail, Neuchâtel 1996, p. 24).

C'est au destinataire du congé de démontrer que celui-ci contrevient aux
règles de la bonne foi, en particulier que le motif invoqué par le bailleur
n'est qu'un prétexte (ATF 120 II 105 consid. 3c; Lachat, op. cit., n. 9 ad
art. 271 CO).

3.2
3.2.1Selon l'art. 273 al. 1 CO, la partie qui veut contester le congé doit
saisir l'autorité de conciliation dans les trente jours qui suivent la
réception de celui-ci. La contestation du congé, prévue par cette
disposition, vise le cas où la partie fait valoir que le congé est annulable
au sens des art. 271 et 271a CO. Si la partie invoque la nullité ou
l'inefficacité du congé, la jurisprudence a admis qu'elle n'était pas obligée
de saisir l'autorité de conciliation dans le délai légal et que la nullité ou
l'inefficacité pouvait en principe être constatée en tout temps par toute
autorité valablement saisie, soit essentiellement l'autorité chargée de
prononcer l'expulsion (cf. ATF 121 III 156 consid. 1c).

En l'espèce, il ne ressort nullement de l'arrêt attaqué, ni d'ailleurs du
jugement de première instance, que les défendeurs auraient saisi l'autorité
de conciliation dans les 30 jours suivant la réception du congé qui leur a
été notifié le 16 mai 2003. Sans doute les défendeurs allèguent-ils, sous
chiffre III de leur recours, que la Chambre d'appel devait statuer tant sur
la requête en évacuation déposée le 18 août 2003 par le demandeur que sur
leur requête "en contestation du congé du 16 juin 2003". Il s'agit là
toutefois d'une assertion nouvelle, qui s'écarte des faits constatés
souverainement par la cour cantonale et pour laquelle les intéressés ne font
valoir aucune des exceptions prévues aux art. 63 al. 2 et 64 OJ. Le fait
allégué doit donc être tenu pour nouveau, si bien qu'il n'est pas possible de
le prendre en considération (art. 55 al. 1 let. c OJ).

Force est d'admettre, dans ces conditions, que les défendeurs ne peuvent plus
faire valoir l'annulabilité du congé litigieux, faute d'avoir contesté
celui-ci dans le délai péremptoire de l'art. 273 al. 1 CO.

3.2.2 En tout état de cause, il n'y a pas trace d'un quelconque abus du
bailleur dans le cas concret.

La Chambre d'appel a fait justice, avec raison, de l'argument des défendeurs
relatif au contexte "hautement conflictuel" dans lequel serait intervenu le
congé incriminé. Elle a souligné, à ce propos, que, sur le vu de l'arrêt
rendu par elle le 10 décembre 2001, les locataires connaissaient avec
exactitude les montants dus pour les années 1998 et 1999, ajoutant qu'ils
avaient d'ailleurs eux-mêmes reconnu ultérieurement devoir, pour les locaux
du 1er étage et du rez-de-chaussée, un solde de 95'189 fr. pour la période de
novembre 1998 à fin décembre 1999.
Les défendeurs soutiennent principalement qu'en leur notifiant l'avis de
majoration du loyer quatre jours seulement avant de résilier le bail, le
demandeur leur a donné à croire qu'il entendait maintenir le bail en vigueur,
nonobstant sa menace de le résilier pour cause de paiement tardif, de sorte
qu'en le résiliant néanmoins "contre toute attente", il a adopté une attitude
"à tout le moins contradictoire et franchement chicanière". Avant d'examiner
les mérites de cet argument, il convient de rectifier une inadvertance
commise par la cour cantonale. En effet, comme le souligne le demandeur dans
sa réponse au recours, la mise en demeure, au sens de l'art. 257d al. 1 CO,
n'a pas été expédiée le 28 mars 2003, contrairement à ce qui a été retenu
dans l'arrêt attaqué, mais bien le 15 avril 2003. Preuve en sont les avis de
résiliation du bail sur lesquels figure effectivement cette dernière date. Il
s'ensuit que l'avis de majoration du loyer notifié le 12 mai 2003 aux
locataires a été reçu par eux avant l'expiration du délai comminatoire et
avant la résiliation du bail. Les défendeurs en conviennent eux-mêmes à la
page 3 in fine de leur mémoire de recours. Cela étant, on ne voit pas ce
qu'il pouvait y avoir de contradictoire de la part du demandeur à notifier
une majoration de loyer - en application d'une clause d'indexation insérée
dans le bail - avant l'expiration du délai de grâce accordé aux défendeurs
pour payer les arriérés de loyer, puis, une fois ce délai échu, à résilier le
bail en raison du défaut de paiement des loyers en souffrance. De fait, le
bailleur pouvait partir de l'idée que les locataires - trois avocats -
s'exécuteraient avant l'expiration de ce délai, sous peine d'être contraints
de quitter des bureaux dans lesquels ils exercent leur profession de longue
date. En notifiant le 12 mai 2003 aux défendeurs une majoration de loyer avec
effet au 1er juillet 2003, le demandeur n'a fait que se conformer à la clause
topique du contrat de bail, qui exigeait un préavis écrit d'un mois au moins.
Il n'a nullement manifesté, ce faisant, la volonté que les défendeurs lui
prêtent de renoncer à sa mise en demeure préalable. Semblable comportement
n'avait rien d'illogique ni de chicanier.

Est enfin dénué de toute pertinence l'argument des défendeurs voulant que la
menace de résilier le contrat, contenue dans la mise en demeure du 15 avril
2003, ait constitué un moyen de pression sur eux pour leur faire accepter la
majoration de loyer notifiée quelques jours seulement avant l'échéance du
délai de grâce.

Ainsi, à supposer que le congé litigieux ait été contesté en temps utile,
rien ne justifiait de l'annuler puisqu'il ne contrevenait pas aux règles de
la bonne foi. Par conséquent, la cour cantonale n'a pas violé l'art. 271 al.
1 CO en refusant de le faire. Le recours des défendeurs ne peut dès lors
qu'être rejeté.

4.
Les défendeurs, qui succombent, seront condamnés solidairement à payer les
frais de la procédure fédérale (art. 156 al. 1 et 7 OJ) et à indemniser le
demandeur (art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge des recourants,
solidairement entre eux.

3.
Les recourants sont condamnés solidairement à verser à l'intimé une indemnité
de 7'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 8 février 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: