Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.418/2004
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4C.418/2004 /ech

Arrêt du 2 mars 2005
Ire Cour civile

Mmes et M. les Juges Klett, juge présidant,
Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

A. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Dan Bally,
contre

X.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Philippe Rossy.

contrat de prêt de consommation; enrichissement illégitime,

recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois du 3 juin 2004.

Faits:

A.
Au mois de décembre 1996, A.________ a prêté à Association Y.________ une
somme de 65'000 fr. En garantie de ce prêt, celle-ci a déclaré à celui-là,
dans une lettre de son président du 21 décembre 1996, lui "céder la licence
du joueur B.________" jusqu'à concurrence du montant dû. Il est admis que,
par cession de licence, il faut entendre cession des droits de transfert d'un
joueur dans un autre club, pour autant - et cela va de soi - que le joueur
soit transféré. Pour le reste, les parties s'accordent sur le fait qu'une
licence ne peut appartenir qu'à un club. L'art. 3 du règlement concernant les
indemnisations lors de changements de clubs à l'intérieur de la Ligue
nationale prévoit notamment que la cession ou la mise en gage d'un droit
existant et/ou futur à une indemnisation est interdite (ch. 1), que les clubs
n'ont pas le droit de renoncer partiellement ou totalement à une
indemnisation (ch. 2) et que l'ensemble des droits financiers lié à un
changement de clubs demeure auprès de l'ancien club (club qui donne le
joueur) jusqu'à ce que l'indemnisation totale convenue ait été réglée par le
nouveau club (club qui reprend le joueur) (ch. 5).

Suite au refus de l'autorité compétente de mettre Association Y.________ au
bénéfice d'un sursis concordataire, celle-ci a proposé un concordat
extrajudiciaire, auquel A.________ n'a jamais adhéré.

Par contrat de reprise de biens du 27 mai 1997, X.________ SA, qui avait été
constituée le 20 mai 1997, a racheté une partie des actifs de Association
Y.________, laquelle a été dissoute le 13 octobre 1997.

Par convention du 28 août 1997, le joueur B.________ a été transféré au Club
Z.________ pour un montant de 175'000 fr.; celui-là a toutefois joué sous les
couleurs de celui-ci à partir du mois de janvier 1997. Club Z.________ ne
s'est pas immédiatement acquitté de l'indemnité de transfert due. La créance
de Association Y.________ contre Club Z.________ et portant sur l'indemnité
en question ne figure cependant pas parmi les actifs cédés par Association
Y.________ à X.________ SA, selon contrat du 27 mai 1997. L'indemnisation
relative au transfert du joueur B.________ a été encaissée par X.________ SA
en vertu d'un accord direct passé avec le club acquéreur.

B.
Par demande du 18 mai 1998, A.________ a conclu, avec dépens, à ce que la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois reconnaisse X.________ SA comme sa
débitrice d'un montant de 90'000 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 12 mars
1998.

Par jugement du 3 juin 2004, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a
rejeté les conclusions prises par A.________ contre X.________ SA, selon
demande du 18 mai 1998, et statué sur les frais et dépens de la cause.

C.
A.________ (le demandeur) interjette un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Il conclut, avec dépens, à la réforme du jugement entrepris en ce
sens que les conclusions qu'il a prises contre X.________ SA, selon demande
du 18 mai 1998, sont admises, qu'aucun frais de seconde instance n'est mis à
sa charge et que X.________ SA doit lui payer de pleins dépens.

X. ________ SA (la défenderesse) conclut au rejet du recours, avec suite de
frais et dépens.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par le demandeur qui a succombé dans ses conclusions
condamnatoires et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile (cf. ATF 130 III 102 consid. 1.1; 129 III 415 consid. 2.1) dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le présent
recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ). Dans la mesure où
une partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu
dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4). Il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas
ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations
de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129 III 618 consid.
3).

2.
En substance, la cour cantonale a considéré que la relation contractuelle à
la base de la créance litigieuse relevait des dispositions sur le prêt de
consommation. La promesse de restitution qu'impliquait le contrat de prêt ne
concernait que l'association et, pour que la défenderesse soit tenue à
restitution en lieu et place de celle-ci, il faudrait qu'elle ait repris la
dette de l'association, ce que le demandeur soutenait à tort: les cas de
figure de la reprise cumulative de dette, de la reprise de l'actif et du
passif de l'association ainsi que de la reprise de dette externe pouvaient en
effet être exclus.

S'agissant de l'enrichissement illégitime, sur lequel le demandeur fondait
également sa réclamation en paiement, la prescription annale de l'art. 67 CO
n'était pas acquise. Cela étant, de deux choses l'une: ou bien la
défenderesse était en droit de passer la convention du 28 août 1998 et son
enrichissement n'était alors pas sans cause, ou bien elle n'était pas en
droit de le faire - ce qui expliquerait pourquoi la licence du joueur
B.________ ne figurait pas parmi les actifs cédés par l'association à la
société anonyme - et se serait donc enrichie sans cause légitime. Mais dans
ce cas, l'appauvrie serait l'association, par hypothèse titulaire des droits
sur la licence, et non le demandeur. Au surplus, la connexité entre la perte
du demandeur et le gain de la défenderesse faisait défaut. Il manquait en
effet ce lien étroit qui veut qu'on puisse suivre le passage d'un patrimoine
à l'autre de la valeur perdue par l'un et acquise par l'autre, dans le cas
particulier le passage du patrimoine du demandeur à celui de la défenderesse
du montant de 90'000 fr. réclamé par le premier à la seconde.

3.
Devant le Tribunal fédéral, le demandeur ne remet pas en cause le
raisonnement de la cour cantonale relatif à la question de la reprise de
dette, de sorte que la Cour de céans n'a pas à y revenir (art. 55 al. 1 let.
c OJ). Le demandeur estime en revanche que les juges cantonaux ont fait une
fausse application du droit fédéral en excluant l'application des règles de
l'enrichissement illégitime, dont les conditions seraient selon lui remplies.

3.1 Selon la conception traditionelle, l'action pour cause d'enrichissement
illégitime repose sur quatre conditions cumulatives (en ce sens, cf.
Petitpierre, Commentaire romand, n. 4 ad art. 62 CO), savoir l'enrichissement
d'une personne, l'appauvrissement d'une autre, un rapport de causalité entre
ces deux éléments et l'absence d'une cause légitime ou le paiement de l'indu
(art. 62 CO; arrêt 4C.264/1993 du 23 décembre 1993, publié in SJ 1994 p. 269,
consid. 4a p. 271). Tel n'est toutefois le cas que dans l'hypothèse où la
source de l'enrichissement est un acte de l'appauvri (Leistungskondiktion).
En revanche, lorsque l'enrichissement provient d'un acte de l'enrichi
(Eingriffskondiktion), la prétention découlant de l'enrichissement illégitime
n'implique pas qu'un déplacement direct de patrimoine ait eu lieu entre le
créancier et le débiteur de l'enrichissement; il faut bien plutôt compenser
dans chaque cas l'enrichissement dont le débiteur a bénéficié "aux dépens
d'autrui" selon le texte de l'art. 62 al. 1er CO (ATF 129 III 422 consid. 4
p. 425; cf. également Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches
Obligationenrecht, Allgemeiner Teil ohne ausservertragliches
Haftpflichtrecht, vol. I, 8e éd., Zurich 2003, n. 1565 s. p. 343 s.;
Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, 3e éd., Berne
2003, n. 55.08 s. p. 347 s.).

La condition de causalité ou connexité entre l'enrichissement et
l'appauvrissement, dont la cour cantonale a en l'occurrence considéré qu'elle
faisait défaut, sous-entend la correlation nécessaire entre l'apparition
d'une valeur dans le patrimoine de l'enrichi et l'absence de cette valeur
dans celui de l'appauvri; elle suppose une relation qui va plus loin que la
causalité dans son acception ordinaire: l'enrichissement est le corollaire de
l'appauvrissement et réciproquement (Petitpierre, op. cit., n. 11 ad art. 62
CO, auquel on doit la formule, employée par la cour cantonale, du lien étroit
qui veut qu'on puisse suivre le passage d'un patrimoine à l'autre de la
valeur perdue par l'un et acquise par l'autre; cf. également Engel, Traité
des obligations en droit suisse, Dispositions générales du CO, 2e éd., Berne
1997, p. 586 s.).

Conformément à l'art. 8 CC, celui qui agit en restitution de l'enrichissement
illégitime doit établir les éléments qui fondent son action (cf. ATF 106 II
29 consid. 2; cf. également Schulin, Commentaire bâlois, n. 41 ad art. 62
CO).

3.2 En l'espèce, l'on ne voit pas que la cour cantonale ait violé le droit
fédéral en considérant que la connexité entre l'enrichissement - éventuel -
de la défenderesse, soit la perception de l'indemnité de transfert du joueur
B.________, et l'appauvrissement allégué par le demandeur, résultant de
l'octroi du prêt, faisait défaut. En effet, il ressort de l'arrêt entrepris
d'une part que la défenderesse n'avait pas repris la dette de Association
Y.________ à l'égard du demandeur, d'autre part que l'indemnité de transfert
n'avait pas été valablement cédée à celui-ci - et ne pouvait d'ailleurs pas
l'être, compte tenu en particulier de l'art. 3 du règlement concernant les
indemnisations lors de changements de clubs à l'intérieur de la Ligue
nationale. Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que l'on puisse retenir
l'existence d'un enrichissement provenant directement du patrimoine du
demandeur et correspondant à l'appauvrissement de celui-ci. Comme la
défenderesse le relève à juste titre, les patrimoines en jeu sont trop
nombreux pour pouvoir admettre qu'il existe un lien suffisant au sens des
principes susmentionnés. Les arguments du demandeur, qui relève notamment que
la défenderesse se serait engagée à intervenir auprès du Club Z.________ pour
obtenir le paiement du montant dû pour le transfert du joueur B.________ et
que celle-ci aurait utilisé le montant de l'indemnité de transfert dans le
cadre de son exploitation, n'y changent rien et l'on ne peut que constater
l'échec du demandeur dans la preuve de l'existence d'un lien de connexité.

4.
Dès lors que l'une des conditions cumulatives de l'enrichissement illégitime
fait défaut, le recours doit de toute façon être rejeté, sans qu'il soit
nécessaire d'examiner les autres éléments de celui-ci et les griefs du
demandeur y relatifs.

Pour les mêmes motifs, il ne serait en principe pas nécessaire de statuer sur
le moyen du demandeur qui, invoquant l'art. 8 CC, reproche à la cour
cantonale d'avoir considéré à tort que le montant qu'il réclamait était de
65'000 fr. et non de 90'000 fr. On rappellera néanmoins que cette disposition
ne dicte pas au juge comment il doit forger sa conviction et que, lorsque
l'appréciation des preuves le convainc de la réalité ou de l'existence d'un
fait, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus
(ATF 129 III 271 consid. 2b/11 in fine). Seul le moyen tiré d'une
appréciation arbitraire des preuves, à invoquer impérativement dans un
recours de droit public, est alors recevable (ATF 127 III 519 consid. 2a p.
522; 122 III 219 consid. 3c p. 223). Or, c'est précisément en fonction d'une
appréciation des preuves que la cour cantonale a considéré comme établie
l'existence d'un prêt de 65'000 fr., à l'exclusion de tout autre montant.
Celle-ci aurait dû être critiquée dans le cadre d'un recours de droit public
et le grief du demandeur est par conséquent irrecevable.

5.
Compte tenu de l'issue du litige, le demandeur supportera l'émolument de
justice et versera à la défenderesse une indemnité à titre de dépens (art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4'500 fr. est mis à la charge du demandeur.

3.
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 5'500 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 2 mars 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

La juge présidant :  La greffière: