Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.400/2004
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4C.400/2004 /ech

Arrêt du 14 février 2005
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Charif Feller.

A. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Michel Dupuis,
contre

X.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Mercedes Novier.

contrat de travail; licenciement immédiat,

recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois du 23 décembre 2003.

Faits:

A.
Par contrat du 23 mars 1999, X.________ SA (défenderesse), société active
dans la recherche et le développement, a engagé A.________ (demandeur), dès
le 1er mai 1999 et pour une durée indéterminée, en tant que "vice-président
marketing".

Responsable à la fois du marketing et de la vente, le demandeur dirigeait une
équipe et était amené à établir des rapports relatifs à la stratégie de
l'entreprise et à son développement. Il a ainsi élaboré un "Projet de plan de
restructuration" de l'entreprise, qu'il envisageait de présenter, le 10
décembre 1999, aux membres de la direction générale. Auparavant, soit les 5
et 8 décembre 1999, le demandeur a adressé ce projet par courrier
électronique à ses collaborateurs directs et à son supérieur hiérarchique. Un
employé subalterne du demandeur, bien que n'étant pas un de ses proches
collaborateurs, a également trouvé le document dans son courrier
électronique. Inquiet, il en a parlé à un membre de la direction, qui l'a
prié de le lui transmettre.

Après avoir pris connaissance du contenu de ce rapport, le conseil
d'administration de la défenderesse a licencié le demandeur avec effet
immédiat, le 8 décembre 1999. La direction de la société ne disposait alors
pas de la deuxième version du rapport, établie par le demandeur  après avoir
recueilli l'avis de ses collaborateurs sur la première version. Le demandeur
a quitté l'entreprise le jour même. A sa demande, la défenderesse a motivé sa
décision, le 20 décembre 1999. Elle exposait, en substance, que la diffusion
à des collaborateurs subalternes d'un texte attaquant ouvertement, dans des
termes inacceptables et insultants, l'entreprise et ses dirigeants violait
gravement les obligations contractuelles et légales. Pour la défenderesse, ce
texte ne reflétait pas des opinions objectives ou des arguments constructifs,
mais constituait une opération destructive et menaçante et mettait en péril
la bonne marche de la société avec des conséquences graves sur la motivation
des employés. Le demandeur a contesté son licenciement le 5 janvier 2000.

B.
Par demande du 25 avril 2000, le demandeur a assigné la défenderesse en
paiement de 165'392 fr., avec intérêts. La défenderesse a conclu
reconventionnellement au paiement de 132'000 fr., plus intérêts.
Par jugement du 23 décembre 2003, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois
a rejeté la demande ainsi que les conclusions reconventionnelles de la
défenderesse.

C.
Le demandeur recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à la réforme
du jugement du 23 décembre 2003 en ce sens que la défenderesse doit lui payer
la somme de 165'392 fr., avec intérêts. La défenderesse propose le rejet du
recours.

Par arrêt du 28 octobre 2004, le Président de la Chambre des recours du
Tribunal cantonal vaudois a pris acte du retrait du recours que le demandeur
avait déposé auprès de cette instance et qui tendait principalement à la
nullité du jugement entrepris et subsidiairement à sa réforme.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le demandeur invoque la violation par la cour cantonale de la notion de juste
motif au sens de l'art. 337 al. 1 CO.

1.1 L'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat
de travail en tout temps pour de justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont
notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui,
selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a
donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO).

Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être
admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faits invoqués à
l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de
confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un
manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement
immédiat. Si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une
résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Par
manquement du travailleur, on entend la violation d'une obligation découlant
du contrat (ATF 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.1, et les
arrêts cités), comme par exemple le devoir de fidélité.

1.2 Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3
CO). Il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). A cet effet,
il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment
la position et la responsabilité du travailleur, la nature et la durée des
rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements.
Le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en
dernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s'écarte sans
raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de
libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas
particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle n'a pas tenu
compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il
sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d'un pouvoir
d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste
ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 129 III 380
consid. 2 p. 382 et les arrêts cités).

2.
2.1 Le manquement reproché au demandeur consiste en la violation par celui-ci
de son devoir de fidélité à l'égard de son employeur. A raison de cette
obligation, le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de
son employeur (art. 321a al. 1 CO) et, par conséquent, de s'abstenir de tout
ce qui peut lui nuire (cf. ATF 117 II 74 consid. 4a; 560 consid. 3b). Le
comportement des cadres doit être apprécié avec une rigueur accrue en raison
du crédit particulier et de la responsabilité que leur confère leur fonction
dans l'entreprise (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31 et l'arrêt cité). Il a
ainsi été jugé qu'un cadre qui manifestait clairement son intention de
changer d'emploi aussi vite que possible peu après le début de son contrat de
travail conclu pour une durée de deux ans violait son devoir de fidélité (ATF
117 II 560 consid. 3a). Les rapports de confiance sont à la base du contrat
de travail; s'ils sont ébranlés ou détruits, notamment en raison de la
violation du devoir de fidélité du travailleur, ils peuvent même aller
jusqu'à légitimer la cessation immédiate des rapports de travail (ATF 127 III
86 consid. 2c).

2.2 Pour déterminer s'il existait, en l'espèce, un manquement du demandeur
justifiant un licenciement immédiat, la cour cantonale a, en premier lieu,
examiné le contenu du rapport incriminé.

Elle a d'abord constaté, de manière qui lie le Tribunal fédéral en instance
de réforme (cf. art. 63 al. 2 OJ), que le demandeur avait émis des critiques
dans le cadre de son travail et qu'il avait à plusieurs reprises fait
oralement part de ses observations à la direction. La cour cantonale a relevé
qu'il entrait a priori dans les attributions du demandeur, en tant que
directeur du marketing, d'émettre des propositions de restructuration,
surtout dans un climat économique relativement tendu.

Elle a toutefois retenu que la mesure de la critique a été largement dépassée
dans le rapport incriminé, le demandeur y qualifiant les membres de la
direction d'incapables, de menteurs pathologiques et y usant de menaces,
voire de chantage. Le jugement entrepris cite les extraits suivants dudit
rapport:
"... si je ne reçois pas un nombre normal d'actions ..., je n'hésiterais pas
- comme en grande partie mon équipe - à aller voir si l'herbe est plus verte
ailleurs ... ma loyauté et celle de beaucoup d'autres personnes envers [la
société] est relativement mince. Un fait qui pourrait entraîner (séduire) les
concurrents à tirer avantage d'une telle situation".
La cour cantonale a encore relevé que le demandeur n'a pas hésité à écrire
dans son rapport initial qu'il ouvrira aux membres de son équipe les portes
dans d'autres sociétés et qu'il refusera de cacher le moindre fait aux
investisseurs potentiels, ajoutant que les médias et les clients étaient une
proie rêvée.

2.3 La cour cantonale a retenu comme deuxième élément constituant un
manquement du demandeur, qui justifiait son licenciement immédiat, la
transmission du rapport incriminé à ses collaborateurs directs, dont l'un
n'était que depuis peu employé de la société défenderesse, ainsi qu'à un
collaborateur subalterne qui ne faisait pas parti de ses proches
collaborateurs. La cour cantonale s'est appuyée sur un arrêt du Tribunal
fédéral (ATF 127 III 86 consid. 2), selon lequel le cadre qui, après quelques
mois d'activité, fait état de ses dissensions avec la direction auprès de ses
subordonnés, tout en annonçant à son employeur qu'il s'oppose à travailler
avec la nouvelle direction et qu'il projette de quitter son emploi, rompt le
lien de confiance indispensable à toute relation de travail et viole son
devoir de fidélité.

2.4 Enfin, le jugement cantonal a pris en considération le contexte
économique qui entourait la société au moment où le rapport lui est parvenu,
à savoir sa future entrée en bourse et son besoin constant de fonds assurant
son développement. Pour la cour cantonale, les propos du demandeur consistant
à vouloir dénigrer la société auprès de tiers - clients et investisseurs -
suffisaient à rompre les liens de confiance, même si le demandeur n'avait pas
passé à l'acte.

3.
3.1 Contrairement à ce qu'allègue le demandeur, le contenu du rapport est
pertinent pour examiner s'il y a eu transgression du devoir de fidélité. Tout
en comportant des passages relatifs à l'analyse de la situation économique de
la société, le texte incriminé contenait une critique virulente de la
direction, en des termes insultants, ainsi que des doléances sous forme de
menaces. A supposer qu'elles aient été fondées, ces observations, compte tenu
de leur formulation incorrecte (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000,
consid. 3c; Aubert, Commentaire romand, n. 11 ad art. 321a CO;
Staehelin/Vischer, Zürcher Kommentar, n. 19 et 21 ad art. 321a CO; Rehbinder,
Berner Kommentar, n. 3 ad art. 321a CO, p.128 ), n'avaient en aucun cas leur
place dans un document censé constituer un support de travail pour une
éventuelle restructuration.

3.2 En tant que cadre supérieur, engagé par la demanderesse depuis seulement
sept mois, le demandeur a manifestement perdu de vue qu'il était également
chargé de représenter son employeur vis-à-vis de ses subordonnés. C'est à bon
droit que le jugement cantonal s'est appuyé sur l'ATF 127 III 86 consid. 2c
p. 89 in fine, applicable par analogie, la notion de devoir de fidélité
demeurant la même, indépendamment du caractère (immédiat ou non) du
licenciement en cause. Les dissensions et revendications du demandeur
n'avaient pas à figurer, et encore moins sous cette forme virulente, voire
méprisante (consid. 3.1 ci-avant), dans un "Projet de plan de
restructuration", soumis, à ce titre, à des collaborateurs qui tout en étant
proches du demandeur n'en restaient pas moins ses subordonnés. Le demandeur,
qui élaborait des rapports à l'intention de la direction, ne pouvait pas dans
ces conditions prétendre que l'information contenue dans le texte incriminé
devait, pour la bonne marche de l'entreprise, être transmise à ses proches
collaborateurs (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3b/cc qui
concerne cependant la transmission d'informations à un tiers). Au demeurant,
il importe peu que le demandeur n'ait pas voulu, comme il le prétend,
communiquer le rapport à l'employé subalterne qui, en définitive, l'a
transmis à la direction; en effet, la diffusion par courrier électronique
comportait un risque, puisqu'elle rendait incontrôlable l'accessibilité à ce
texte, laquelle est donc exclusivement imputable au demandeur.

En bref, le texte incriminé ne reflète pas la sauvegarde des intérêts
légitimes de l'employeur, mais exprime avant tout l'intention du demandeur de
nuire à la défenderesse (cf. arrêt 4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3c)
en laquelle il ne croyait du reste plus, ce dont il a fait part à ses
subordonnés, suscitant ainsi un vif malaise et entravant la bonne marche de
la société, comme il ressort des faits souverainement établis par la cour
cantonale (art. 63 al. 2 OJ).

3.3 La cour cantonale a encore constaté qu'avant d'établir ledit document
l'attitude directe du demandeur avait déjà dérangé les fondateurs et la
direction, et que sa manière de voir les choses avait déjà provoqué des
tensions, sans pour autant donner lieu à un avertissement quelconque. Elle a
cependant relevé que les précédents rapports du demandeur avaient été
présentés à un moment où la situation de l'entreprise était beaucoup moins
critique, alors que le rapport incriminé tombait dans une phase délicate pour
la société, qui risquait, si les clients ou les investisseurs venaient à
perdre confiance en elle, d'être en péril. Le demandeur, qui  était au
courant de la situation, a, sur ce point aussi, délibérément envisagé de
nuire à la réputation de la société (consid. 2.4 ci-avant; cf. arrêt
4C.19/2000 du 6 novembre 2000, consid. 3c). Il a ainsi détruit le lien de
confiance, indispensable à toute relation de travail, dans une mesure qui
justifiait la cessation immédiate des rapports de travail, sans avertissement
préalable (cf. ATF 127 III 86 consid. 2c).

Cela étant, il n'y a pas lieu de s'écarter de la solution retenue par la cour
cantonale, qui s'est fondée sur des critères déterminants et n'a pas abusé de
son pouvoir d'appréciation pour établir l'existence de justes motifs.

4.
Comme la valeur litigieuse, selon les prétentions du demandeur à l'ouverture
de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b), dépasse 30'000 fr., la procédure
n'est pas gratuite (art. 343 al. 2 et 3 CO). Au vu de l'issue du litige, les
frais et dépens seront mis à la charge du demandeur, qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 5'500 fr. est mis à la charge du demandeur.

3.
Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de 6'500 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 14 février 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: