Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.382/2004
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4C.382/2004 /ech

Arrêt du 25 janvier 2005
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
demanderesse et recourante, représentée par Me Alain Thévenaz,

contre

A.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Yves Hofstetter.

interprétation du contrat; dation en vue du paiement

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal
cantonal vaudois du 7 avril 2004).

Faits:

A.
X. ________ est une société coopérative dont le siège est à Berne et qui
exploite des moulins agricoles dans toute la Suisse. Elle est titulaire de la
marque Z.________.

B. ________, qui exploitait un domaine agricole, s'approvisionnait
régulièrement auprès de X.________. Il devait de l'argent à cette dernière.

Le 25 février 2000, B.________ et X.________ ont signé un contrat intitulé
"contrat de cession de créance de type céréales fourragères". A teneur de ce
contrat, rédigé sur la base d'une formule préimprimée, B.________ déclarait
céder sa future récolte de triticale (2 hectares) et de maïs (8 hectares) à
titre de garantie d'un montant qui n'était pas fixé. Il était précisé que
X.________ acquérait "donc, en vertu du présent contrat, tous les droits du
cédant jusqu'à concurrence du montant ci-dessus, dû à Z.________ de
W.________". B.________ s'engageait notamment à informer immédiatement
X.________ de toute difficulté empêchant l'exécution du contrat. Il attestait
au surplus que celui-ci était juridiquement fondé et garantissait qu'il
n'existait aucune autre cession à valoir sur la partie cédée.

Le 14 juin 2000, B.________ est décédé. Sa fille, C.________, a accepté la
succession sous bénéfice d'inventaire.

En août 2000, la récolte de triticale a été effectuée et a été remise à
X.________.

Le 1er septembre 2000, C.________ a conclu un contrat de bail à ferme avec
A.________, un agriculteur, client de X.________, qui était en litige avec la
coopérative au sujet du paiement de différentes factures. Un avenant
indiquait que les cultures étaient cédées en l'état sans garantie.

A une date indéterminée, A.________ a récolté le maïs. Il a été retenu qu'au
moment de la récolte, l'agriculteur avait connaissance du contrat du 25
février 2000.

Le 26 janvier 2001, X.________ a réclamé à A.________ le solde des factures
liées à la livraison des produits agricoles et l'a mis en demeure de lui
verser une somme de 32'000 fr. correspondant à une estimation du produit de
la récolte des huit hectares de maïs. Aucun versement n'est intervenu.

B.
Par demande déposée auprès des autorités judiciaires vaudoises le 2 avril
2001, X.________ a conclu à ce que A.________ soit condamné à lui verser
7'940,50 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 31 mai 1999 et 2'491 fr. avec
intérêt à 5 % l'an dès le 31 juillet 1999, sous déduction de 2'952,85 fr.
valeur au 3 novembre 1999. Elle lui a également réclamé le montant de 32'000
fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 16 février 2001.

A. ________ a formé des conclusions reconventionnelles tendant au paiement
par X.________ de 32'000 fr. avec intérêt à 5 % au 30 août 1999.

Par jugement du 9 avril 2003, le Tribunal d'arrondissement de la Côte a
constaté que X.________ et A.________ se devaient réciproquement différents
montants. Opérant une compensation, le tribunal a déclaré que X.________
était la débitrice de A.________ et lui devait immédiatement le paiement de
15'413,75 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 7 novembre 1999.

La Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, par arrêt du 7 avril
2004, a admis partiellement le recours interjeté par X.________ et réformé le
jugement attaqué dans le sens que A.________ a été déclaré le débiteur de
X.________ de 7'940,50 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 31 mai 1999 et de
2'491 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 31 juillet 1999, sous déduction de
2'952,85 fr., valeur au 3 novembre 1999. A l'instar du premier juge, la cour
cantonale a toutefois estimé que X.________ n'était pas fondée à exiger de
A.________ la somme de 32'000 fr. correspondant à la récolte de maïs.

C.
Contre l'arrêt du 7 avril 2004, X.________ (la demanderesse) interjette un
recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à la réforme partielle
de l'arrêt attaqué en ce sens qu'aux montants dont A.________ a été reconnu
débiteur dans cette décision, il soit ajouté la somme de 32'000 fr. avec
intérêt à 5 % l'an dès le 16 février 2001, équivalant au prix de la récolte
des 8 hectares de maïs.

A. ________ (le défendeur) propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé partiellement dans ses conclusions
en paiement et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile (cf. ATF 129 III 301 consid. 1.2.2 et les références citées) dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours en
réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile
(art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2 La cour cantonale n'a pas établi un état de fait complet, renvoyant
intégralement à celui dressé par les premiers juges. Saisi d'un recours en
réforme, le Tribunal fédéral est donc lié par les constatations de fait du
jugement de première instance auquel se réfère l'arrêt attaqué, dans la
mesure où ce dernier ne s'en écarte pas (Messmer/Imboden, Die eidgenössischen
Rechtsmittel in Zivilsachen, Zurich 1992, p. 128 N 93; Corboz, Le recours en
réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, 61).

1.3 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties
(art. 63 al. 1 OJ), mais il n'est pas lié par les motifs invoqués par
celles-ci (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129 III 129
consid. 8).

2.
Dans son recours, la demanderesse ne s'en prend qu'à la partie de l'arrêt
attaqué qui rejette ses prétentions découlant du contrat du 25 février 2000
relatives au produit de la récolte de maïs. Seule cette question sera donc
revue dans la présente procédure (art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.1 Sur ce point, la cour cantonale, laissant ouverte la question de savoir
si une récolte à venir est un objet futur ou une créance future en argent, a
considéré en substance que, de toute manière, le défendeur n'était pas partie
au contrat initial de cession du 25 février 2000 et n'avait pas à s'en
préoccuper en vertu du principe de la relativité des conventions. En
concluant le contrat de bail à ferme du 1er septembre 2000, la fille de feu
B.________ avait vidé de sa substance le contrat de cession. Ni le défendeur,
dont la preuve de la mauvaise foi n'avait pas été apportée, ni la
demanderesse n'étaient à l'abri d'une seconde cession. La société coopérative
ne pouvait demander un dédommagement au défendeur pour violation du premier
contrat de cession, dès lors que ce dernier n'était qu'un tiers non concerné
par cet accord.

2.2 La demanderesse soutient que, dans son raisonnement, la cour cantonale a
violé le principe "nemo plus juris transferre potest quam ipse habet" et,
indirectement, les art. 933 CC et 164 CO. Elle prétend en résumé que la fille
de feu B.________ ne pouvait céder au défendeur, par le biais du contrat de
bail à ferme, le produit de la récolte de maïs, dès lors que celui-ci avait
déjà fait l'objet de la cession du 25 février 2000.

3.
Avant d'examiner si la demanderesse peut réclamer au défendeur un montant
équivalant au produit de la récolte de maïs, il convient au préalable de
cerner l'objet du contrat du 25 février 2000 sur lequel la coopérative fonde
ses prétentions.

La demanderesse a signé, le 25 février 2000, une convention avec B.________,
établie sur un formulaire préimprimé intitulé "contrat de cession de créance
de type céréales fourragères", selon laquelle B.________ s'engageait à céder
à la demanderesse la totalité de 8 hectares de maïs et de 2 hectares de
triticale. Les parties divergent sur l'objet de ce contrat, la demanderesse
soutenant que la cession portait non pas sur les fruits de la récolte, mais
sur le prix de vente, alors que le défendeur considère que la cession se
référait à l'objet de la récolte. La cour cantonale n'a pas tranché la
question, montrant ainsi qu'elle ne parvenait pas à établir la volonté réelle
et concordante des parties sur ce point.

Lorsque la volonté réelle et concordante des parties ne peut être déterminée
ou si elle est divergente, il faut interpréter le contrat selon la théorie de
la confiance (cf. art. 18 al. 1 CO). Cette question relève du droit, de sorte
que le Tribunal fédéral peut la trancher librement dans le cadre d'un recours
en réforme, sur la base de l'état de fait arrêté souverainement par la cour
cantonale (ATF 130 III 417 consid. 3.2 p. 425 et les arrêts cités).

La dénomination d'un contrat n'est pas déterminante pour évaluer sa nature
juridique (ATF 129 III 664 consid. 3.1; 99 II 313). Du reste, la
qualification juridique d'un contrat relève du droit et non des faits
(Poudret, COJ II, Berne 1990, N 3.6.7 ad art. 63 OJ). Il n'y a donc pas lieu
de s'arrêter à la dénomination "cession de créance" figurant sur la formule
préétablie du contrat du 25 février 2000 pour déterminer l'objet de la
prestation promise. Comme son nom l'indique, la cession de créance au sens de
l'art. 164 CO doit porter sur une créance, soit sur un droit subjectif du
titulaire (le créancier) à une prestation du débiteur (Probst, Commentaire
romand I, N 16 ad art. 164 CO). Pour être valable, l'acte de cession doit
respecter la forme écrite (art. 165 CO) et il faut que le contenu de la
créance cédée, les personnes concernées, ainsi que les modalités de la
cession soient déterminées ou à tout le moins déterminables (cf. Engel,
Traité des obligations en droit suisse, Berne 1997, p. 881).

En l'occurrence, le contrat du 25 février 2000 ne fait référence à aucune
créance en argent, ni à aucun débiteur de B.________. En revanche, il est
indiqué que ce dernier s'engage à "céder" 8 hectares de maïs et 2 hectares de
triticale. Il ressort du texte du contrat que celui-ci a pour objet la remise
de céréales sur pied. Comme l'arrêt attaqué ne contient aucun élément de fait
qui irait à l'encontre de cette interprétation littérale, il n'y a pas de
raisons sérieuses de penser qu'elle ne correspond pas à la volonté des
parties (ATF 130 III 417 consid. 3.2 p. 425; 129 III 118 consid. 2.5). Au
contraire, la cour cantonale a retenu que la moisson de triticale effectuée
en août avait été remise à la demanderesse, qui exploitait des moulins
agricoles, ce qui confirme que les parties faisaient référence à la récolte
de maïs et non pas à une créance en argent correspondant au produit de la
vente de cette récolte.

Par conséquent, il découle de l'interprétation objective du contrat du 25
février 2000 que celui-ci a pour objet la remise de céréales sur pied,
correspondant à 2 hectares de triticale et 8 hectares de maïs.

4.
Il convient à présent de se demander si la demanderesse peut faire valoir un
droit, réel ou personnel, sur les 8 hectares de maïs à l'encontre du
défendeur.

4.1 Le maïs, en tant que céréale, fait partie des fruits naturels et, plus
particulièrement, des produits périodiques de la chose (cf. art. 643 al. 2
CC; Steinauer, Les droits réels, tome I, 3e éd. Berne 1997, no 1073; Wiegand,
Commentaire bâlois, N 6 ad art. 643 CC). En vertu du principe de l'accession
(cf. art. 643 al. 1 CC), les fruits naturels qui sont reliés à une chose en
font partie intégrante jusqu'à leur séparation (cf. art. 643 al. 3 CC). Ils
suivent donc le sort juridique de la chose complexe à laquelle ils sont
reliés (cf. Steinauer, op. cit., no 1061 et 1077). En revanche, une fois
qu'ils ont été séparés, les fruits naturels deviennent des choses mobilières
indépendantes, qui peuvent faire l'objet de droits réels distincts. Si un
tiers a la jouissance de la chose, il acquiert alors la propriété des fruits,
en principe dès la séparation (Wiegand, op. cit. N 10 s. ad art. 643 CC); il
s'agit d'un mode d'acquisition originaire de la propriété (Steinauer, op.
cit., no 1079). La propriété des fruits peut aussi se transférer, mais,
s'agissant d'une chose mobilière, ce transfert suppose un transfert de la
possession (art. 714 al. 1 CC; Steinauer, Les droits réels, tome II, 3e éd.
Berne 2002, no 2008).

Il découle de ces principes qu'une culture sur pied, en l'occurrence du maïs,
qui n'est pas encore récoltée appartient au propriétaire du bien-fonds sur
lequel elle est plantée et qu'il ne peut y avoir de droit réel distinct
portant sur le maïs indépendamment du sol. B.________ n'a donc pas pu céder à
la demanderesse la propriété du maïs tant que celui-ci était encore planté,
ni lui conférer un droit réel distinct sur celui-ci. Après la moisson, le
maïs est devenu une chose mobilière. Or, à ce moment, la demanderesse n'avait
pas la jouissance du bien-fonds et la possession du maïs coupé ne lui a pas
été transférée. Dans ces circonstances, elle n'est pas devenue propriétaire
de ce maïs et ne dispose pas d'un droit réel qu'elle pourrait faire valoir
erga omnes, soit notamment contre le défendeur.

4.2 Il reste à examiner si la demanderesse ne pourrait pas invoquer un droit
personnel à l'encontre du défendeur.

Il ressort du contrat du 25 février 2000 que B.________, qui était débiteur
de la demanderesse, a indiqué "céder" à celle-ci la totalité de la récolte de
8 hectares de maïs, sans qu'aucun montant en espèces n'ait été articulé. Cet
engagement signifie que l'agriculteur devait seulement remettre la récolte de
maïs à la demanderesse (cf. supra consid. 3).

On se trouve donc dans le cas de figure où le débiteur s'engage à offrir et
le créancier à accepter une autre prestation, un autre objet, sans indication
de la somme à décompter, ce qui est le propre d'une promesse de dation en vue
du paiement (cf. art. 172 CO). La dette des parties ne s'éteint alors pas
immédiatement. Le créancier doit réaliser ce qu'il a reçu et en imputer la
contre-valeur sur la dette qui n'est éteinte que dans la mesure et au moment
où le créancier est désintéressé (cf. Engel, op. cit., p. 620). L'engagement
pris par B.________ de livrer le maïs après sa récolte n'est du reste pas
exceptionnel, mais se rencontre fréquemment en cas de vente d'une récolte
future (cf. Giger, Commentaire bernois, N 18 s. ad art. 187 CO; Engel,
Contrats de droit suisse, 2e éd. Berne 2000, p. 14; Tercier, Les contrats
spéciaux, 3e éd. Zurich 2003, N 448).

Cette obligation personnelle a passé à la fille de B.________ en sa qualité
d'héritière (cf. art. 560 al. 2 CC), mais celle-ci n'a pas respecté
l'engagement pris par son père. Il s'agit donc typiquement d'une inexécution
contractuelle.

De ce point de vue et en vertu du principe de la relativité des conventions,
on ne voit donc pas que la demanderesse puisse se prévaloir du non-respect,
par la fille de B.________, des engagements découlant du contrat du 25
février 2000 à l'encontre du défendeur, dès lors que celui-ci n'était pas
partie à cette convention.

4.3 Quant aux griefs invoqués par la demanderesse, ils tombent à faux, car
ils reposent sur des prémisses juridiques erronées.

Ainsi, lorsqu'elle invoque la violation du principe "nemo plus juris
transferre potest quam ipse habet", la demanderesse perd de vue que le
contrat du 25 février 2000 n'est pas opposable au défendeur et qu'il n'est
pas non plus propre à influencer la validité du contrat de bail à ferme
conclu à partir du 1er septembre 2000 entre l'agriculteur et la fille de feu
B.________, puisqu'il ne confère à la demanderesse aucun droit réel portant
sur le maïs.

Enfin, la critique liée à la violation des art. 164 CO et 933 CC paraît
d'emblée vide de sens. En effet, la demanderesse fonde son raisonnement sur
une autre interprétation du contrat du 25 février 2000 que celle retenue en
l'occurrence, puisqu'elle estime qu'il visait la cession d'une créance
correspondant au produit de la vente de maïs, alors que la Cour de céans
considère qu'il portait seulement sur la remise de la récolte.

Dans ces circonstances, l'arrêt attaqué ne contrevient pas au droit fédéral,
dans la mesure où il rejette les prétentions de la demanderesse à l'encontre
du défendeur équivalant au prix de la récolte de maïs.

Partant, le recours doit être rejeté.

5.
Les frais et dépens seront mis à la charge de la demanderesse, qui succombe
(art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.

3.
La demanderesse versera une indemnité de 2'500 fr. au défendeur à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.

Lausanne, le 25 janvier 2005

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: