Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.2/2004
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4C.2/2004 /svc

Arrêt du 9 juin 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Nyffeler, Favre, Kiss et Pagan, Juge
suppléant.
Greffier: M. Ramelet.

Banque A.________,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Fernand Mariétan, avocat,

contre

B.________,
demanderesse et intimée, représentée par
Me Henri Carron, avocat,

action en libération de dette, extinction du cautionnement,

recours en réforme contre le jugement de la Cour civile II du Tribunal
cantonal du canton du Valais du
12 novembre 2003.

Faits:

A.
A.a  Par acte authentique du 26 mai 1981, la Banque A.________ (ci-après:
A.________ ou la banque) a octroyé à C.________ un crédit en compte courant
de 130'000 fr. garanti par un cautionnement solidaire de 156'000 fr. émanant
de B.________, ainsi que par une hypothèque grevant en deuxième rang les
parcelles Nos xxx, yyy et zzz, plan N° 1, composées de vignes et sises au
lieu-dit M.________ sur le territoire de la Commune de O.________ ,
biens-fonds que C.________ a acquis le même jour.

Ces vignes ont été achetées le 25 février 1983 par D.________, qui a repris
la dette du vendeur auprès de la Banque A.________. B.________ a déclaré le
14 décembre 1983 maintenir en faveur du compte repris par D.________
l'engagement qu'elle avait contracté le 26 mai 1981 en tant que caution
solidaire.

A.b  La limite du crédit en compte courant ayant été régulièrement dépassée,
la banque a dénoncé le prêt le 24 mai 1995 et réclamé pour le 5 juillet 1995
le paiement de 137'591 fr.90 en capital.

Le 15 mars 1996, la Banque A.________ a informé B.________ que D.________ ne
s'était pas acquitté de l'excédent de crédit et qu'elle allait entamer une
procédure de poursuite contre lui.

Par un commandement de payer notifié le 30 mars 1996, la banque a introduit
une poursuite en réalisation de gage à l'encontre de D.________.

A.c  Le 3 juillet 1996, B.________, par l'intermédiaire d'un avocat, a fait
savoir à la banque que celle-ci avait tardé à agir contre le débiteur
principal depuis la dénonciation de crédit du 24 mai 1995, si bien qu'elle
était mise en demeure d'agir sans interruption notable.

Le 10 juillet 1996, l'office des poursuites compétent a informé la banque du
fait qu'une taxation des parcelles appartenant à D.________ avait été
requise. Les immeubles ont été estimées le 16 juillet 1996 par les taxateurs
officiels de la commune de O.________.
Le 30 octobre 1996, les parcelles ont fait l'objet d'une estimation sous les
auspices du Département valaisan de l'économie publique; le prix licite a été
fixé à 19 fr. 50 le m2 quant à la vigne et à 1 fr. le m2 pour le terrain
inculte.

Le 24 janvier 1997, la banque a été avisée du fait que la vente aux enchères
des biens immobiliers de D.________ aurait lieu le 10 avril 1997. En vue des
enchères, la Banque A.________ a présenté le 7 février 1997 une production de
157'465 fr.

Le 20 mars 1997, la banque a eu connaissance d'une possibilité de vente de
gré à gré des trois parcelles pour le prix licite et en a informé B.________.
Dès cette date, la Banque A.________ savait que sa créance ne serait pas
couverte par la réalisation des immeubles gagés, dont le produit servirait au
remboursement d'un autre crédit, garanti par une hypothèque en premier rang.

Le 22 octobre 1997, la Banque A.________ a intenté une poursuite ordinaire
contre D.________ tendant au paiement en capital de 163'118 fr.20, ce dont
elle a fait part à la caution. Le 3 mars 1998, la banque a prévenu la caution
que le salaire du poursuivi allait être saisi à concurrence de 500 fr. par
mois dès octobre 1998 et qu'elle obtiendrait un acte de défaut de biens. Le
18 décembre 1998, il a été délivré à la banque un acte de défaut de biens
après saisie pour la somme de 114'780 fr.90.

B.
B.a Se fondant sur le cautionnement solidaire souscrit par B.________ le 26
mai 1981 et renouvelé le 14 décembre 1983 en faveur de D.________, la Banque
A.________ a fait notifier à la prénommée le 22 octobre 1998 un commandement
de payer la somme de 113'772 fr. 30 plus intérêts, que la poursuivie a frappé
d'opposition.

Le 22 février 1999, la mainlevée provisoire de l'opposition a été prononcée.

Le 18 mars 1999, B.________ a ouvert action en libération de dette contre la
banque. La défenderesse a conclu au rejet de la demande.

Le 18 mai 2001, la banque a déposé en cause une déclaration, signée par
B.________, selon laquelle celle-ci renonçait, sans reconnaissance de
responsabilité, à la prescription dans le cadre de la procédure l'opposant à
la Banque A.________, cela pour le cas où cette prescription interviendrait
en cours de procédure et ne serait pas déjà atteinte.
Par jugement du 11 décembre 2001, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal
valaisan a admis l'action en libération de dette et a maintenu l'opposition
formée au commandement de payer, considérant qu'en application de l'art. 509
al. 3 CO, le cautionnement était périmé.

Par arrêt du 1er juillet 2002, le Tribunal fédéral a admis le recours en
réforme interjeté contre ce jugement par la Banque A.________ et renvoyé la
cause à l'autorité cantonale pour qu'elle en poursuive l'examen et qu'elle
rende une nouvelle décision dans le cadre des moyens invoqués par B.________
à l'appui de son action en libération de dette, moyens qui n'avaient pas été
examinés en raison de la solution adoptée.

B.b  Par jugement du 16 janvier 2003, la Cour civile II du Tribunal cantonal
valaisan a partiellement admis l'action en libération de dette en ce sens que
la demanderesse devait à la Banque A.________ le montant de 137'157 fr.20
plus intérêts à 5 % dès le 6 juillet 1995, sous déduction de 61'266 fr.90,
valeur au 2 mai 1998, la mainlevée définitive étant prononcée  à due
concurrence.

Saisi d'un recours en réforme interjeté par B.________, le Tribunal fédéral,
par arrêt du 8 juillet 2003, a renvoyé la cause à l'autorité cantonale afin
de compléter l'état de fait en vue de déterminer si la caution était libérée,
en application de l'art. 511 al. 3 CO, pour le motif que la créancière
n'avait pas poursuivi l'exécution de ses droits sans interruption notable
(art. 511 al. 1 CO).

B.c  Selon jugement du 12 novembre 2003, la Cour civile II a admis l'action
en
libération de dette de B.________ et maintenu son opposition à la poursuite
dont elle était l'objet. En substance, elle a considéré que la banque, qui
savait dès le 20 mars 1997 que le produit de la vente des immeubles mis en
gage ne couvrirait pas sa créance et avait néanmoins attendu sept mois avant
d'introduire une poursuite ordinaire contre D.________, n'avait pas continué
les poursuites comme l'aurait fait un homme d'affaires consciencieux, de
sorte que la caution devait être libérée de son engagement en vertu de l'art.
511 al. 3 CO.

C.
Parallèlement à un recours de droit public qui a été déclaré irrecevable par
arrêt de ce jour, la défenderesse exerce un recours en réforme au Tribunal
fédéral contre le jugement précité. Elle conclut principalement à ce que la
demanderesse lui doive paiement de 137'157 fr. 20 avec intérêts à 5 % dès le
6 juillet 1995, sous imputation de 61'266 fr. 90, valeur au 2 mai 1998,
l'opposition formée dans la poursuite étant définitivement levée à due
concurrence. Subsidiairement, elle requiert que la cause soit renvoyée à la
cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants, et cela
après complètement des constatations de fait.

L'intimée propose le rejet du recours et la confirmation du jugement déféré.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté par la partie qui a échoué à faire constater l'existence de sa
créance et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation
civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ),
le recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en
temps utile (art. 54 al. 1 OJ) dans les formes requises (art. 55 OJ).

Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43 al.
1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation directe d'un
droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ) ou la violation du
droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).

Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Dans la mesure où une
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 130 III 102 consid. 2.2 in fine, 136 consid. 1.4; 129
III 618 consid. 3).
Le Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà des conclusions des parties (qui
ne peuvent en prendre de nouvelles: art. 55 al. 1 let. b OJ), mais il n'est
pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par
l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ;
ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine).

2.
La recourante décrit tout d'abord longuement les événements qui, selon elle,
se sont  déroulés depuis le moment où elle a dénoncé au remboursement le prêt
consenti à D.________. Elle reproche à la cour cantonale de n'avoir pas
complété l'état de fait dans la mesure nécessaire avant de statuer. La banque
fait enfin valoir que l'autorité cantonale n'a pas apprécié correctement les
faits de la cause en considérant qu'il y avait eu une interruption notable au
sens de l'art. 511 al. 1 CO et qu'il se justifiait de libérer la caution en
vertu de l'art. 511 al. 3 CO.

2.1  Dans la mesure où la recourante cherche à compléter l'état de fait
retenu
par l'autorité cantonale, en invoquant de nouvelles allégations ou en
présentant de nouvelles preuves, elle s'écarte des constatations cantonales,
ce qui n'est pas admissible en instance de réforme (art. 55 al. 1 let. c OJ).

2.2  Comme on l'a vu dans la cause connexe 4P.278/2003, le droit de procédure
cantonal détermine seul si l'autorité cantonale, à laquelle le Tribunal
fédéral a retourné une cause en application de l'art. 64 al. 1 OJ, peut
prendre en compte des "nova" ( allégations, preuves, etc.). Cette question ne
saurait donc être examinée dans la présente instance (ATF 127 III 248 consid.
2c).

2.3  A bon droit, il n'est plus contesté que la demanderesse a sommé le 3
juillet 1996 la défenderesse d'agir contre le débiteur principal D.________
et de procéder sans interruption notable.

La Cour civile a exposé ce qu'il fallait entendre par interruption notable
dans le droit du cautionnement.
Il n'est pas inutile de rappeler les principes dégagés par la jurisprudence
et la doctrine à ce propos.

2.3.1  L'interruption notable, dont font état les art. 510 al. 3 CO
(cautionnement donné pour un temps déterminé) et 511 al. 1 CO (cautionnement
de durée indéterminée), doit être définie en fonction du comportement que
l'on peut attendre d'un homme d'affaires consciencieux et prudent d'après le
principe de la bonne foi, au vu des circonstances de l'espèce (Silvio
Giovanoli, Commentaire bernois, n. 12 ad art. 510 CO et n. 6 ad art. 511 CO).
Le créancier est tenu d'une diligence élevée à l'endroit de la caution (ATF
125 III 322 consid. 2; Philippe Meier, Commentaire romand, n. 17 ad art. 510
CO). En tant qu'elle fixe à quatre semaines le délai pour agir ou poursuivre
s'agissant du cautionnement pour un temps déterminé (cf. art. 510 al. 3 CO),
la loi donne une indication concernant la période à l'expiration de laquelle
on peut, par analogie, raisonnablement exiger du créancier, au bénéfice d'un
cautionnement souscrit pour un temps indéterminé, qu'il se montre actif pour
faire avancer la procédure (ATF 125 III 322 consid. 3d; 108 II 199 consid.
3a).

2.3.2  En l'occurrence, il a été constaté définitivement que, dès le 20 mars
1997, la défenderesse connaissait le prix pour lequel les immeubles seraient
vendus de gré à gré et savait que le produit de cette vente serait affecté à
une autre dette, de sorte qu'elle avait conscience que la dette en litige ne
serait pas couverte (art. 63 al. 2 OJ).

Or, la recourante a attendu plus de sept mois, à savoir jusqu'au 22 octobre
1997, avant d'introduire une poursuite ordinaire contre le débiteur
principal.

On ne voit dès lors pas en quoi l'autorité cantonale aurait violé le droit
fédéral en admettant que la défenderesse avait par trop temporisé au point de
n'avoir pas procédé "sans interruption notable", au sens de l'art. 511 al. 1
CO.
Il suit de là que l'ensemble du moyen est infondé dans la mesure de sa
recevabilité.

3.
En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Vu l'issue du litige, la recourante supportera l'émolument de
justice et versera à l'intimée une indemnité de dépens (art. 156 al. 1 et 159
al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 5'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Cour civile II du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 9 juin 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: