Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.281/2004
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4C.281/2004 /ech

Arrêt du 9 novembre 2004
Ire Cour civile

Mmes et MM. les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

Banque X.________, et
Banque Y.________,
demanderesses et recourantes, toutes deux représentées par Me Eric W.
Fiechter, avocat, rue Charles-Bonnet 2, case postale 189, 1200 Genève 11,

contre

A.________,  défendeur et intimé, représenté par Me Bernard Dorsaz,
B.________, défendeur et intimé, représenté par Me Henri Leu, avocat, rue de
la Rôtisserie 2,
case postale 3809, 1211 Genève 3, et
Hoirie de feu C.________, soit: C.M.________, C.N.________ et C.O.________,
défenderesse et intimée, ainsi que D.________, défendeur et intimé, ces
derniers représentés par Me Jean-Marie Faivre.

société anonyme; responsabilité des administrateurs

(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
genevoise du 11 juin 2004).

Faits:

A.
E. ________ est un homme d'affaires de nationalité pakistanaise avec
passeport anglais, actif dans l'armement maritime et dans le commerce de
matières premières, qui était à la tête d'un groupe de sociétés.

Sous des dehors courtois, E.________ dirigeait son groupe de manière
autocratique, ne déléguant pas facilement et se faisant aider par les membres
de sa famille et de son clan. Il avait en principe la signature individuelle
pour toutes les sociétés qu'il dirigeait avec un manque flagrant de
transparence. Ce groupe avait bonne réputation, même si E.________ était
considéré comme un mauvais payeur, car il s'arrangeait toujours pour qu'un
tiers intervienne, afin d'honorer ses dettes.

B.
Le 25 novembre 1988, E.________, ainsi que ses deux fils, E.S.________ et
E.A.________, ont constitué la société W.________ S.A. (ci-après:
W.________). Celle-ci avait pour but de détenir les participations dans
V.________ S.A. (ci-après: V.________), une société financière genevoise,
acquise en octobre 1988 par U.________ S.A., Luxembourg (ci-après:
U.________), appartenant au groupe E.________. Au moment de l'achat par
U.________ de V.________, cette dernière traversait une période difficile.
Son capital-actions de 20 millions de francs n'était libéré qu'à raison de 50
%.

W. ________ a été inscrite au Registre du commerce de Genève avec un capital
de 50'000 fr. le 12 décembre 1988.

Les actions de W.________ étaient détenues à raison de 40 % par E.________ et
de 30 % par chacun de ses deux fils, soit E.S.________ et E.A.________.

Depuis le 23 décembre 1988, W.________ a eu E.________ comme
administrateur-président, avec signature individuelle, alors que B.________,
avocat, et A.________, comptable, figuraient au registre du commerce en tant
qu'administrateurs avec signature collective à deux. F.________ faisait
office d'organe de révision.

A. ________ et B.________ sont également devenus administrateurs d'autres
sociétés du groupe E.________.

W. ________ n'avait qu'une activité de holding et ses actifs n'étaient
constitués que des actions de V.________.

C.
Dans un courrier du 29 décembre 1989 signé par E.S.________ et E.A.________,
non titulaires de la signature sociale, W.________ a indiqué qu'elle donnait
à V.________ la somme de 1'008'000 fr. qu'elle n'entendait plus réclamer. Cet
argent a été en réalité emprunté par W.________ à une filiale de U.________,
pour être reversé le même jour à V.________.

Le 31 décembre 1989, les trois actionnaires de W.________ ont prêté à
celle-ci, représentée par E.________, dix millions de francs pour une période
indéterminée, sans qu'un remboursement ne soit prévu et sans intérêt.

Le 3 avril 1990, U.________, représentée par E.________, a garanti le
paiement de dix millions, représentant le solde du capital-actions de
V.________, si W.________ ne le faisait pas au plus tard le 31 décembre 1990.

Depuis le printemps 1990, A.________ et B.________ ont insisté pour que les
comptes au 31 décembre 1989 soient rapidement préparés, que le rapport de
l'organe de révision soit produit et qu'une assemblée générale ordinaire soit
tenue dans les délais légaux.

Il a été établi qu'il fallait beaucoup insister auprès de E.________ pour que
les assemblées générales des sociétés de son groupe soient tenues. Le
financier avait promis qu'il augmenterait le capital social de W.________,
afin de libérer le capital de V.________ et de ramener de l'argent frais dans
V.________, ce qui ne s'est pas concrétisé.

Le 7 novembre 1990, A.________ a donné sa démission avec effet immédiat de
son poste d'administrateur de W.________, en motivant sa décision par le fait
qu'il n'était pas tenu au courant de toutes les décisions importantes de
nature à affecter la marche des affaires de la société et que ses requêtes
verbales ou écrites demeuraient sans réponse. B.________ a également
démissionné de ses fonctions à la même époque et pour les mêmes motifs.

Le 26 novembre 1990, F.________ a établi le rapport final relatif aux comptes
de W.________ au 31 décembre 1989. Elle attirait l'attention des actionnaires
sur l'art. 725 aCO, étant donné que les engagements de la société excédaient
ses biens.

A. ________ et B.________ ont affirmé ne pas avoir eu connaissance de ce
rapport avant leur démission, qui a été acceptée lors d'une assemblée
générale extraordinaire de W.________ du 21 décembre 1990 et la décharge
votée pour leur mandat lors de l'exercice écoulé, sans que le contenu du
rapport final des comptes au 31 décembre 1989 ne soit abordé.

Le 28 décembre 1990, F.________ a attesté que le solde du capital-actions de
V.________ avait été libéré par W.________ et versé sur le compte bancaire de
la société. Le 17 janvier 1991, V.________ a déclaré au registre du commerce,
sous la plume notamment de B.________, que son capital était entièrement
libéré. Par la suite, il est apparu que cette libération était fictive.

Le 31 décembre 1990, les actionnaires de W.________ ont prêté à celle-ci la
somme de 21'008'000 fr. pour une période indéterminée, sans remboursement ni
intérêt.

Sur réquisition de W.________ du 28 janvier 1991, A.________ et B.________
ont été radiés de leur désignation d'administrateur au registre du commerce
respectivement les 12 et 28 février 1991.

D.
Le 20 mars 1991, la banque Z.________ (ci-après: Z.________) a conclu un
contrat "Morabaha" avec V.________, portant sur l'achat par cette dernière de
biens acquis par la banque pour un montant d'environ 1'000'000 USD.

Le même jour, W.________, par la signature de E.________, s'est engagée
envers Z.________ à maintenir son actionnariat dans V.________ et à n'exercer
aucun de ses droits d'actionnaire empêchant cette dernière d'exécuter ses
obligations à l'égard de la banque. Par ailleurs, elle a indiqué qu'elle
garantissait les engagements pris par sa filiale V.________.

Le 20 mars 1991 toujours, la banque Y.________ (ci-après: Y.________) a
conclu un contrat similaire avec V.________ pour l'achat de biens d'une
valeur d'environ 1'000'000 USD, lié à une garantie similaire de la part de
W.________.

E.
C.________ et D.________ ont été nommés administrateurs de W.________ lors
d'une assemblée générale extraordinaire du 17 mai 1991 et leur inscription au
registre du commerce a été effectuée le 13 juin 1991.
Le 10 juillet 1991 s'est tenue l'assemblée générale de W.________ approuvant
les comptes de l'exercice 1989, mais en l'absence des deux nouveaux
administrateurs, non informés. Sur la base du rapport de l'organe de
révision, excusé, datant du 26 novembre 1990, une augmentation du capital de
la société a été évoquée. Un nouvel organe de révision, G.________ a été
nommé pour l'exercice 1990, en remplacement de F.________.

Dans son rapport du 22 août 1991, G.________ a attiré l'attention des
actionnaires sur le fait que l'actif de W.________ ne couvrait plus les
dettes et leur a rappelé l'art. 725 al. 2 aCO. L'état des comptes mentionnait
le prêt des actionnaires de 21'008'000 fr. Selon l'organe de révision, cette
créance était postposée.

Le 2 septembre 1991 s'est tenue l'assemblée générale de W.________, en
l'absence de C.________ et de D.________. L'augmentation du capital de
W.________ a été évoquée et mise à l'étude, mais finalement non exécutée en
raison de la liquidation du groupe E.________.

C. ________ et D.________ ont affirmé avoir appris la tenue de ces assemblées
générales dans le cadre de la procédure judiciaire.

Par courrier adressé à E.________ le 20 novembre 1991, confirmé le 15 janvier
1992, C.________ et D.________ ont donné leur démission avec effet immédiat
notamment de leurs postes d'administrateurs de W.________. Ils ont motivé
leur décision par le fait que les conseils étaient systématiquement reportés
ou presque jamais organisés selon les calendriers convenus, les résolutions
prises non tenues, les contrôles non exécutés et la gravité de l'ordre du
jour non mesurée par l'encadrement du groupe. Leur démission a été inscrite
au registre du commerce le 11 février 1992.

F.
Le 2 mars 1992, la faillite de V.________ a été prononcée.

Le 15 octobre 1992, la masse en faillite de V.________ a déposé une plainte
pénale à l'encontre de tous les organes de la société pour banqueroute simple
et frauduleuse, gestion déloyale et faux dans les titres. Celle-ci a été
classée en 2001, à la suite notamment de la condamnation de E.________ à 14
ans d'emprisonnement en Angleterre.
Le 7 juin 1993, W.________ a également été mise en faillite. Le bilan de
liquidation de cette société au 30 mars 1993 fait état d'un prêt à long terme
de 21'008'000 fr. Le curateur a indiqué que la réalité des dettes de
W.________ était douteuse et qu'il suspectait une comptabilité falsifiée.

A la suite de la dénonciation de l'Office des faillites au Procureur général
pour absence de tenue de comptabilité de W.________ de 1990 au 30 mars 1993
et en raison de son état de surendettement depuis l'exercice 1989, une
procédure pénale a été ouverte contre les organes de la société et jointe à
la procédure pénale relative à la faillite de V.________.

A l'état de collocation final de la faillite de W.________, les prétentions
de Z.________ et de Y.________ ont été admises à concurrence de 1'391'176 fr.
pour la première et de 4'699'385 fr. pour la seconde, étant précisé que ces
sociétés ont également produit les mêmes créances dans la faillite de
V.________. L'état de collocation comprenait encore une créance de 10'000'000
fr. représentant la production de V.________ revenant à sa masse en faillite
et découlant de l'admission du caractère fictif de la libération du
capital-actions de cette société le 28 décembre 1990.

Le 18 juin 1997, la masse en faillite de W.________ a cédé à Z.________ et à
Y.________ ses droits à l'encontre de E.________, de B.________, de
C.________, de D.________, de G.________ et de A.________ à concurrence de
16'091'107,70 fr. Les organes mis en cause ont renoncé à se prévaloir de la
prescription en cas d'actions civiles intentées à leur encontre par les deux
banques.

Le 17 janvier 1997 et 5 janvier 1998, Y.________ et Z.________ ont fait
notifier à D.________ des commandements de payer à concurrence de 4'699'385
fr. et de 1'391'176 fr., qui ont été frappés d'opposition.

G.
Le 16 décembre 1997, Y.________ et Z.________ ont déposé une demande en
justice, en concluant à la condamnation conjointe et solidaire de E.________,
de A.________, de B.________, de C.________, de D.________ et de G.________ à
leur payer respectivement 1'319'176 fr., avec intérêt à 5 % dès le 22 juillet
1991, et 4'699'385 fr. avec intérêt à 5 % dès le 7 juin 1993. Elles ont
également sollicité la mainlevée des oppositions formées par D.________ aux
commandements de payer.

Y. ________ et Z.________ ont retiré leur demande contre G.________.

Le 20 septembre 2001, le Tribunal de première instance du canton de Genève a
condamné par défaut E.________ à verser à Z.________, devenue par la suite la
banque X.________ (ci-après: X.________) la somme de 1'391'176 fr. et à
Y.________ la somme de 4'699'385 fr. plus intérêts. Les deux banques ont été
déboutées de leurs conclusions envers les autres défendeurs.

X. ________ et Y.________ ont formé un appel à l'encontre de cette décision.

C. ________ est décédé le 10 février 2002. Après suspension, la procédure a
été reprise avec un changement de qualité des parties en la personne de ses
héritiers, à savoir C.M.________, C.N.________ et C.O.________.

Par arrêt du 11 juin 2004, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé
le jugement du 20 septembre 2001, à l'exception des dépens, considérant que
C.________ et D.________, qui comparaient par un seul avocat, ne pouvaient se
voir allouer une double indemnité.

H.
Contre cet arrêt, X.________ et Y.________ (les demanderesses) interjettent
un recours en réforme au Tribunal fédéral. Tout en demandant à titre
préalable la limitation du montant de l'avance de frais à leur charge, elles
concluent principalement à l'annulation de l'arrêt du 11 juin 2004, à la
confirmation du jugement du 20 septembre 2001 concernant E.________, à ce que
A.________, B.________, l'hoirie de feu C.________ et D.________ soient
condamnés, conjointement et solidairement, à payer la somme de 1'391'176 fr.
plus intérêt à 5 % dès le 22 juillet 1991 à X.________, ainsi que la somme de
4'699'385 fr. plus intérêt à 5 % dès le 7 juin 1993 à Y.________, et à ce que
la mainlevée définitive de l'opposition formée par D.________ aux
commandements de payer qui lui ont été notifiés soit prononcée.
Subsidiairement, les deux banques demandent la réforme de l'arrêt attaqué
dans le sens d'une compensation des dépens.

A. ________, B.________, D.________ et l'hoirie de feu C.________, soit
C.M.________, C.N.________ et C.O.________ (les défendeurs) proposent la
confirmation de l'arrêt du 11 juin 2004 et le déboutement des deux banques de
toutes autres ou contraires conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Interjeté par les demanderesses qui ont succombé dans leurs conclusions
en paiement à l'encontre des défendeurs et dirigé contre un jugement final
rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1
OJ), sur une contestation civile (cf. ATF 129 III 415 consid. 2.1) dont la
valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le
recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps
utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. b et 54 al. 1 OJ) et dans
les formes requises (art. 55 OJ).

Il convient de préciser aux demanderesses, qui indiquent avoir signifié par
leurs propres moyens leur mémoire de recours à E.________ en Angleterre, que
celui-ci n'est pas partie à la présente procédure. En effet, le financier a
été condamné par défaut par les autorités cantonales à verser aux deux
banques les montants qu'elles réclamaient, ce que ces dernières ne remettent
évidemment pas en cause dans leur recours en réforme. Par ailleurs,
E.________ n'a lui-même pas recouru contre l'arrêt attaqué.

1.2 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties
(art. 63 al. 1 OJ), mais il n'est pas lié par les motifs invoqués par
celles-ci (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 362 consid. 5).

1.3 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2; 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
Hormis ces exceptions que le recourant doit invoquer expressément, il ne peut
être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de
moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Dans la mesure où les parties présentent certains faits qui ne figurent pas
dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'en sera pas tenu compte.

2.
Invoquant une violation de l'art. 754 aCO, les demanderesses reprochent en
substance à la cour cantonale d'avoir considéré que la responsabilité des
défendeurs ne pouvait être engagée.

2.1 Les manquements que les demanderesses reprochent aux administrateurs à
l'appui de leur action sont antérieurs au 1er juillet 1992, date de l'entrée
en vigueur du nouveau droit de la société anonyme. C'est donc sous l'angle de
l'ancien droit qu'il convient de les envisager (ATF 128 III 180 consid. 2b;
122 III 488 consid. 3a), comme y a du reste procédé la cour cantonale.

2.2 Selon l'arrêt entrepris, les demanderesses agissent en tant que
cessionnaires des droits de la masse. Elles sont donc en droit de réclamer la
réparation du dommage causé directement à la société et indirectement à
elles-mêmes en tant que créancières (ATF 128 III 180 consid. 2c p. 183; 122
III 195 consid. 9a in fine). Elles n'ont d'ailleurs été lésées que par
ricochet, dans la mesure où seule l'insolvabilité de la société faillie les a
empêchées de recouvrer leurs créances (cf. arrêt du Tribunal fédéral non
publié 4C.188/2003 du 22 octobre 2003 consid. 3.1).
2.3 En vertu de l'art 754 aCO, toutes les personnes chargées de
l'administration, de la gestion ou du contrôle répondent, à l'égard de la
société notamment, du dommage qu'elles lui causent en manquant
intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. La responsabilité des
administrateurs envers la société, fondée sur l'art. 754 aCO, est subordonnée
à la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir un
manquement par l'organe à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou par
négligence), un dommage et un lien de causalité naturelle et adéquate entre
le manquement et le dommage (Forstmoser, Aktienrechtliche Verantwortlichkeit,
Zurich 1987, p. 33 et 98; cf. ATF 127 III 453 consid. 5a concernant l'organe
de contrôle). Il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de
prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), qui sont cumulatives
(cf. ATF 128 III 180 consid. 2d p. 184).
En ce qui concerne plus particulièrement la causalité naturelle entre le
manquement reproché à l'organe et le préjudice, en l'occurrence le dommage
social, il faut, pour que cette exigence puisse être retenue, que le
comportement critiqué constitue une condition sine qua non du résultat (ATF
128 III 180 consid. 2d p. 184 et les arrêts cités). Lorsqu'il s'agit, comme
en l'espèce, de juger de l'existence d'un lien de causalité entre une ou des
omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours
hypothétique des événements (ATF 129 III 129 consid. 8). Dans cette
hypothèse, le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, est lié par
les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors
qu'elles ne reposent pas exclusivement sur l'expérience de la vie, mais sur
des faits établis par l'appréciation des preuves (ATF 127 III 453 consid. 5d
p. 456; 115 II 440 consid. 5b p. 448 s.). Il y a en revanche violation du
droit fédéral si le juge a ignoré l'exigence de la causalité naturelle ou a
méconnu cette notion juridique (ATF 125 IV 195 consid. 2b; 123 III 110
consid. 2).

2.4 S'agissant des deux premiers défendeurs, à savoir A.________ et
B.________, la cour cantonale a admis qu'en acceptant leur mandat
d'administrateur avec signature collective à deux en présence d'un
administrateur président, titulaire d'une signature individuelle, ceux-ci
avaient pris un risque. Les juges ont cependant retenu que, durant leur
mandat, W.________, dont l'activité devait se limiter à la possession du
capital de V.________, n'avait pas consenti d'engagement qui aurait pu
motiver leur inquiétude. Il a également été constaté que le préjudice social
dont la réparation était demandée était survenu après qu'ils eurent donné
leur démission. En effet, celui-ci correspondait au dommage admis à l'état de
collocation, qui comprenait les deux prétentions des demanderesses résultant
des contrats conclus le 20 mars 1991 et une créance de 10 millions de francs
de V.________ résultant de la libération fictive du capital social survenue
le 28 décembre 1990. Par conséquent, leurs éventuelles carences n'avaient pas
causé le dommage admis à l'état de collocation.

Ce faisant, la cour cantonale a nié tout lien de causalité naturelle entre un
éventuel manquement de ces deux administrateurs et le dommage social. Comme
le raisonnement précité le démontre, cette constatation ne repose pas sur
l'expérience générale de la vie, mais sur les faits de la cause. En outre,
même si elle ne mentionne pas expressément le terme de causalité naturelle,
la cour cantonale n'a en rien ignoré ou méconnu cette notion, puisqu'elle
s'est demandé dans quelle mesure les omissions reprochées aux deux
administrateurs se trouvaient dans une relation de cause à effet avec le
dommage social invoqué. Il en découle que le Tribunal fédéral, saisi d'un
recours en réforme, est lié par une telle constatation portant sur l'absence
de causalité naturelle, de sorte que les critiques formulées par les
demanderesses à ce propos ne sont pas recevables.

En outre, l'absence de l'une des conditions permettant d'admettre la
responsabilité des deux premiers défendeurs rend vide de sens l'examen des
autres griefs, portant en particulier sur la violation fautive des devoirs
incombant à ces administrateurs.

2.5 En ce qui concerne C.________ et D.________, qui n'ont exercé la fonction
d'administrateur que quelques mois à partir de mai 1991, la cour cantonale,
tout en niant un manquement à leurs devoirs, a également relevé qu'une
éventuelle carence de leur part demeurait à nouveau sans lien de causalité
avec le dommage social allégué.

Comme il l'a déjà été exposé s'agissant des deux premiers défendeurs, lorsque
la cour cantonale constate, sans se fonder exclusivement sur l'expérience
générale de la vie, qu'il n'y a pas de lien de cause à effet, soit de
causalité naturelle, entre les éventuels manquements reprochés aux
administrateurs et le dommage social dont la réparation est réclamée, elle
retient un fait qui ne peut plus être remis en cause dans un recours en
réforme. A défaut d'un recours de droit public, qui aurait permis de s'en
prendre à l'appréciation des preuves, une telle constatation scelle le sort
de l'action en responsabilité fondée sur l'art. 754 aCO, puisque l'une de ses
conditions fait défaut.

Par conséquent, il n'est pas non plus nécessaire d'examiner si c'est à juste
titre que la cour cantonale n'a pas retenu de manquements fautifs de la part
de ces deux administrateurs, ce qui est contesté dans le présent recours en
réforme.

Dans ces circonstances, toutes les conditions permettant de retenir la
responsabilité des administrateurs précités n'étaient pas réunies, de sorte
qu'on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en
déboutant les demanderesses de leurs prétentions en dommages-intérêts fondées
sur l'art. 754 aCO.

3.
A la fin de leur recours, les demanderesses requièrent une modification de la
répartition des dépens mis à leur charge sur le plan cantonal, en concluant à
une compensation.
Une telle conclusion est irrecevable, car le prononcé de dépens par
l'autorité cantonale est une question qui relève du droit cantonal et qui ne
peut être revue dans un recours en réforme (art. 55 al. 1 let c in fine OJ;
Poudret, COJ II, Berne 1990, art. 43 OJ nos 1.4.2 et 1.4.2.18). Ce n'est que
s'il s'imposait de modifier l'arrêt attaqué sur le fond que la Cour de céans
pourrait répartir différemment les frais et dépens fixés par l'instance
cantonale, en application des art. 157 et 159 al. 6 OJ.

Dans ces circonstances, le recours doit être rejeté dans la faible mesure où
il peut être considéré comme recevable.

4.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront supportés par
les demanderesses, solidairement entre elles (art. 156 al. 1 et 7, 159 al. 1
et 5 OJ). Au surplus, rien ne justifie de mettre à leur charge des frais
réduits, voire de compenser les dépens, comme les demanderesses le suggèrent,
dès lors que celles-ci n'ont pas diminué le montant de leurs prétentions à
l'encontre des défendeurs dans le cadre de la présente procédure et qu'elles
succombent entièrement.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 23'000 fr. est mis à la charge des demanderesses,
solidairement entre elles.

3.
Les demanderesses, débitrices solidaires, verseront, une indemnité de 25'000
fr. à titre de dépens respectivement à A.________ et à B.________. Elles
verseront également une indemnité globale de 25'000 fr. à titre de dépens à
D.________, ainsi qu'à l'hoirie de feu C.________, soit C.M.________,
C.N.________ et C.O.________, créanciers solidaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice genevoise.

Lausanne, le 9 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: