Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.270/2004
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4C.270/2004 /fzc

Arrêt du 10 novembre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

1. Caisse X.________,

2. Caisse Y.________,

3. Caisse Z.________,

4. W.________,
demanderesses et requérantes, représentées par Me Jacques Gautier, avocat,

contre

A.________,
défenderesse et opposante, représentée par Me Nicolas de Gottrau, avocat.

révision de l'arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2004 (4C.296/2003),

Faits:

A.
En date du 15 mars 1983, O.________, qui exploitait une entreprise
individuelle de carrelage, a souscrit une convention de cession générale de
créances en faveur de la Banque B.________ (ci-après: B.________). Destinée à
garantir un crédit ouvert par la banque, la cession portait sur la totalité
des créances commerciales du cédant, actuelles et futures. Le 24 janvier
1989, O.________ a cédé derechef l'ensemble de ses créances actuelles et
futures à la Banque C.________ (ci-après: C.________), en garantie d'un
crédit ouvert par cet établissement. Sur la base de cette seconde cession,
C.________ a encaissé diverses créances pour un montant total de 559 650
fr.55.

La faillite de O.________ fut prononcée le 27 septembre 1990. Des productions
totalisant plus de 20 millions de francs ont été admises à l'état de
collocation, y compris celles de la Caisse X.________, de la Caisse
Y.________, de la Caisse Z.________ et de W.________ (ci-après: les caisses).

Par acte du 2 juin 1993, ces quatre institutions de prévoyance ont obtenu de
la part de l'administration de la faillite la cession des droits de la masse
dérivant, le cas échéant, de la nullité de la cession de créance du 24
janvier 1989 en faveur de C.________, ainsi que la cession de l'action
révocatoire contre cette banque. Le 8 décembre 1993, elles ont ouvert action
contre C.________; elles concluaient à la constatation de la nullité de la
cession de 1989 et au paiement de 450 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 27
septembre 1990, montant correspondant au solde de leurs créances contre le
failli.

En cours d'instance, le 2 août 1995, les caisses ont obtenu de la Banque
D.________ (ci-après: D.________), qui avait succédé entre-temps à
B.________, la cession de la totalité des créances qui appartenaient à cette
dernière en vertu de la convention passée le 15 mars 1983 et qu'elle n'était
pas parvenue à encaisser.

Statuant le 25 avril 1996, le Tribunal de première instance du canton de
Genève a rejeté la demande.

Par arrêt du 25 avril 1997, la Cour de justice du canton de Genève a, sur
appel principal des demanderesses, confirmé le jugement de première instance.
Elle a estimé que seule B.________ était lésée, le cas échéant, par la
cession globale du 24 janvier 1989, la masse en faillite de O.________ ne
disposant à cet égard d'aucun droit susceptible d'être cédé aux caisses;
celles-ci n'avaient dès lors pas qualité pour agir lors de l'introduction de
l'action en 1993 et la cession obtenue le 2 août 1995 ne remédiait pas à ce
défaut. La cour cantonale a par ailleurs rectifié la qualité de la
défenderesse, en tant que A.________ (ci-après: la banque) avait succédé à
C.________ dès le 1er janvier 1997.

Les caisses ont recouru en réforme. Par arrêt du 21 janvier 1998, le Tribunal
fédéral a rejeté le recours, dans la mesure où il était recevable, et
confirmé l'arrêt du 25 avril 1997 (cause 4C.253/1997).

B.
Par acte du 23 mars 1998, les caisses ont assigné A.________ en paiement de
450 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 27 septembre 1990. Les demanderesses
fondaient leur qualité pour agir sur la cession accordée par D.________ le 2
août 1995.

Par jugement du 6 mai 1999, le Tribunal de première instance du canton de
Genève a admis l'exception de prescription soulevée par la banque et débouté
les demanderesses de leurs conclusions en paiement.

Statuant le 12 novembre 1999 sur appel des caisses, la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève a annulé ce jugement en ce qui concernait
la prescription; elle a renvoyé la cause au Tribunal de première instance
pour instruction complémentaire sur cette exception et nouvelle décision.

Par jugement sur incident du 7 juin 2001, le tribunal a rejeté l'exception de
prescription. La défenderesse a saisi la Cour de justice d'un appel que cette
dernière a rejeté par arrêt du 18 janvier 2002. La banque a alors interjeté
un recours en réforme. Par arrêt du 23 mai 2002, le Tribunal fédéral n'est
pas entré en matière, car l'une des conditions de recevabilité d'un recours
immédiat au sens de l'art. 50 al. 1 OJ n'était pas réalisée (cause
4C.105/2002).

Le Tribunal de première instance a rendu son jugement le 23 janvier 2003. La
défenderesse a été condamnée à payer aux demanderesses, prises solidairement,
la somme de 450 000 fr. avec intérêts à 5% dès le 27 septembre 1990.

Statuant le 2 septembre 2003 sur appel de la banque, la Chambre civile de la
Cour de justice a confirmé le jugement de première instance.

A. ________ a interjeté un recours en réforme contre cette décision. Par
arrêt du 12 mai 2004 (cause 4C.296/2003), le Tribunal fédéral a admis le
recours, annulé la décision attaquée et rejeté l'action en paiement ouverte
par les demanderesses contre la défenderesse. Il a jugé en effet que la
créance en enrichissement illégitime cédée aux demanderesses était prescrite
lors de l'ouverture de l'action en date du 23 mars 1998.

Le Tribunal fédéral a déclaré sans objet le recours de droit public déposé
parallèlement par A.________.

C.
Les caisses forment une demande de révision. Elles concluent, sur le
rescindant, à l'annulation de l'arrêt du 12 mai 2004 et, sur le rescisoire,
au rejet du recours en réforme et du recours de droit public interjetés
contre l'arrêt de la Cour de justice du 2 septembre 2003.

A. ________ propose la confirmation de l'arrêt dont la révision est demandée.
Au cas où le Tribunal fédéral annulerait sa décision, l'opposante conclut,
sur le recours de droit public, à l'annulation de l'arrêt de la Cour de
justice du 2 septembre 2003 et, sur le recours en réforme, au rejet de la
demande en paiement des caisses.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Contrairement à ce que le texte français des art. 136 et 137 OJ laisse
entendre, les motifs de révision ne sont pas des conditions de recevabilité
de la demande; en effet, il est évident que si un motif de révision est
réalisé, la demande n'est pas simplement recevable, mais doit être admise.
Pour que le Tribunal fédéral puisse connaître d'une demande de révision, il
suffit donc que le requérant prétende que les conditions posées aux art. 136
ou 137 OJ sont réunies et que son mémoire réponde aux exigences formelles de
la loi (ATF 96 I 279 consid. 1; 81 II 475 consid. 1; arrêt 4C.338/2002 du 17
janvier 2003, consid. 1).

1.2 En l'espèce, la demande de révision, fondée expressément sur l'art. 136
let. d OJ, satisfait aux exigences de motivation prescrites à l'art. 140 OJ.
Au surplus, elle a été présentée dans le délai de trente jours dès la
réception de la communication écrite de l'arrêt de la cour de céans (art. 141
al. 1 let. a OJ). Il convient dès lors d'entrer en matière.

2.
2.1 Les requérantes ont introduit deux actions contre C.________,
respectivement A.________. Dans la première, ouverte le 8 décembre 1993,
elles agissaient sur la base d'une cession des droits de la masse en faillite
de O.________ dérivant, le cas échéant, de la nullité de la cession de
créance du 24 janvier 1989. Cette procédure a donné lieu notamment à un
jugement du 25 avril 1996 par lequel le Tribunal de première instance du
canton de Genève a débouté les demanderesses de leurs conclusions, à un arrêt
du 25 avril 1997 de la Cour de justice, confirmant le jugement de première
instance, et à un arrêt du Tribunal fédéral du 21 janvier 1998, rejetant le
recours en réforme déposé par les requérantes dans la mesure de sa
recevabilité et confirmant l'arrêt cantonal. Dans la seconde procédure,
introduite le 23 mars 1998, les demanderesses fondaient leur qualité pour
agir sur la cession accordée par D.________ le 2 août 1995. L'action a été
finalement rejetée pour cause de prescription, selon l'arrêt du Tribunal
fédéral du 12 mai 2004. Dans sa décision, la cour de céans a notamment
examiné si les requérantes pouvaient bénéficier du délai supplémentaire
accordé par l'art. 139 CO, dans la mesure où la seconde action avait été
introduite moins de soixante jours après la notification de l'arrêt du
Tribunal fédéral du 21 janvier 1998. Elle a conclu que les conditions de
l'art. 139 CO n'étaient manifestement pas remplies, car les deux actions ne
reposaient pas sur le même fondement juridique et la première action avait
été rejetée pour un motif de fond, soit le défaut de qualité pour agir des
demanderesses.

Dans leur demande de révision, les requérantes s'en prennent à ce second
argument. A leur sens, le Tribunal fédéral a commis une inadvertance au sens
de l'art. 136 let. d OJ en retenant en fait que le rejet de la première
action était fondé sur le défaut de qualité pour agir des demanderesses.
Invoquant des extraits de l'arrêt du Tribunal fédéral du 21 janvier 1998 et
de l'arrêt de la Cour de justice du 2 septembre 2003, elles soutiennent
qu'elles n'ont pas été déboutées de leurs conclusions en raison d'un défaut
de qualité pour agir, mais parce qu'elles avaient acquis cette qualité en
cours de procès, soit le 2 août 1995, ce que le droit de procédure cantonal
interdisait de prendre en compte. Les requérantes considèrent comme important
ce fait concernant le déroulement de la procédure; le vice de forme réparable
au sens de l'art. 139 CO consisterait en effet à avoir acquis la qualité pour
agir seulement en cours en procès.

2.2 Aux termes de l'art. 136 let. d OJ, il y a lieu à révision d'un arrêt du
Tribunal fédéral lorsque, par inadvertance, cette autorité n'a pas apprécié
des faits importants qui ressortent du dossier. Le verbe «apprécier», utilisé
dans le texte français, est ambigu; le terme allemand - «berücksichtigen»,
soit prendre en considération - doit être préféré. L'inadvertance, au sens de
l'art. 136 let. d OJ, suppose que le juge ait omis de prendre en
considération une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'ait mal lue,
s'écartant par mégarde de sa teneur exacte; elle se distingue de la fausse
appréciation soit des preuves administrées devant le Tribunal fédéral, soit
de la portée juridique des faits établis. L'inadvertance doit se rapporter au
contenu même du fait, à sa perception par le tribunal, et non à son
appréciation juridique; elle consiste soit à méconnaître, soit à déformer un
fait ou une pièce. Le motif de révision de l'art. 136 let. d OJ n'entre en
ligne de compte que si les faits qui n'ont pas été pris en considération sont
«importants»; il doit donc s'agir de faits pertinents, susceptibles
d'entraîner une décision différente de celle qui a été prise et favorable au
requérant (ATF 122 II 17 consid. 3 p. 18ss et les références citées).

Sont des faits tous les éléments soumis à l'examen du tribunal, les
allégations, déclarations et contestations des parties, le contenu objectif
des documents, la correspondance, le résultat univoque de l'administration
d'une preuve déterminée. Les faits doivent ressortir du dossier, soit des
mémoires, des procès-verbaux, des documents produits par les parties, des
expertises (Rolando Forni, Svista manifesta, fatti nuovi e prove nuove nella
procedura di revisione, in Festschrift zum 70. Geburtstag von Max Guldener,
p. 91 et 92).

2.3 En l'espèce, on peut admettre que la teneur des décisions ayant jalonné
la première procédure relève bien des faits. A cet égard, il convient de
relever que la Cour de justice, dans son arrêt du 25 avril 1997, a rejeté
l'appel principal des demanderesses et confirmé le jugement de première
instance, qui déboutait celles-ci de leurs conclusions. Dans cette décision,
la cour cantonale a considéré que la masse en faillite de O.________ ne
disposait d'aucun droit susceptible d'être cédé aux demanderesses de sorte
que celles-ci n'avaient pas qualité pour agir au moment du dépôt de leur
demande en justice; au surplus, la cession obtenue le 2 août 1995 ne
remédiait pas à ce défaut de qualité pour agir «ab initio» (consid. 3). Dans
son arrêt du 21 janvier 1998 sur recours en réforme des demanderesses, le
Tribunal fédéral a jugé que la Cour de justice n'avait pas violé le droit
fédéral en niant la qualité pour agir des requérantes au moment du dépôt de
la demande, tout en ajoutant que la question de savoir si des faits
postérieurs devaient être pris en considération relevait du droit cantonal de
procédure, dont l'examen était soustrait à la juridiction de réforme (consid.
3). En conséquence, il a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable et confirmé l'arrêt cantonal du 25 avril 1997.

Sur la base de cette énumération, il apparaît que la première action a bel et
bien été rejetée au fond et que les demanderesses ne disposaient alors pas de
la qualité pour agir. Que la cour cantonale ait refusé de tenir compte de la
cession postérieure au dépôt de la demande pour des raisons relevant
apparemment du droit de procédure, ne change rien à la nature même de sa
décision et n'a manifestement pas pour conséquence de transformer l'arrêt
cantonal en une décision d'irrecevabilité fondée sur un «motif déterminé de
nature procédurale», comme les requérantes le prétendent à tort. Cela étant,
le Tribunal fédéral n'a commis aucune inadvertance en constatant, dans son
arrêt du 12 mai 2004, que la première action avait été rejetée pour un motif
de fond, soit le défaut de qualité pour agir des demanderesses.

Il s'ensuit que la demande de révision fondée sur l'art. 136 let. d OJ doit
être rejetée.

3.
Vu le sort réservé à la demande de révision, il y a lieu de mettre les frais
judiciaires à la charge des requérantes (art. 156 al. 1 et 7 OJ). En outre,
ces dernières verseront des dépens à l'opposante (art. 159 al. 1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
La demande de révision est rejetée.

2.
Un émolument judiciaire de 7500 fr. est mis solidairement à la charge des
requérantes.

3.
Les requérantes, débitrices solidaires, verseront à l'opposante une indemnité
de 8500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties.

Lausanne, le 10 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  La Greffière: