Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.269/2004
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4C.269/2004 /ech

Arrêt du 4 octobre 2004
Ire Cour civile

M. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett et Rottenberg Liatowitsch.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Claudio Fedele,

contre

B.________,
défendeur et intimé.

contrat de bail à loyer; résiliation,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et
loyers du canton de Genève du 26 mai 2004.

Faits:

A.
A.a Le 5 janvier 1968, C.________, propriétaire, a conclu avec A.________,
locataire, un contrat de bail à loyer portant sur une arcade d'un immeuble
sis à Genève. Les locaux loués étaient destinés à l'exploitation d'un
commerce d'objets d'art et d'antiquités. Fait pour dix ans, soit jusqu'au 31
décembre 1977, le bail se renouvelait ensuite d'année en année s'il n'était
pas résilié trois mois avant son échéance. Le loyer annuel a été fixé, en
dernier lieu, à 6'660 fr.

En janvier 1977, D.________ a acquis l'immeuble. Décédé en octobre de la même
année, il a laissé comme unique héritier son filleul, B.________, qui est
devenu propriétaire de l'arcade et d'un studio se trouvant au-dessus de
celle-ci.

En date du 25 avril 2000, B.________ s'est vu délivrer une autorisation de
construire lui permettant de créer une liaison entre l'arrière de l'arcade
sise au rez-de-chaussée et le studio du premier étage.

A.b Par avis du 22 septembre 2000, B.________ a résilié le bail pour le 31
décembre 2001.

La locataire a soumis à la Commission de conciliation en matière de baux et
loyers une demande tendant à l'annulation du congé et, subsidiairement, à la
prolongation du bail. Par décision du 4 septembre 2001, cette autorité a
déclaré le congé valable et accordé à la locataire une unique prolongation de
trois ans de son bail jusqu'au 31 décembre 2004.

B.
Le 5 octobre 2001, A.________ (ci-après: la demanderesse) a saisi le Tribunal
des baux et loyers du canton de Genève en l'invitant à annuler le congé ou,
sinon, à prolonger le bail pour une durée de six ans, soit jusqu'au 31
décembre 2007.

B. ________ (ci-après: le défendeur) a conclu au rejet de la demande
principale. En revanche, il ne s'est pas opposé au principe d'une
prolongation pour une durée limitée n'excédant pas deux ans.
Par jugement du 7 novembre 2003, le Tribunal des baux et loyers a déclaré
valable le congé litigieux et accordé à la demanderesse une unique
prolongation de son bail jusqu'au 31 décembre 2004.

Statuant par arrêt du 26 mai 2004, sur recours de la demanderesse, la Chambre
d'appel en matière de baux et loyers a confirmé ledit jugement. Sur la
question de la prolongation du bail, qui seule est encore litigieuse devant
le Tribunal fédéral, la cour cantonale, après avoir rappelé les principes
applicables en ce domaine, a considéré que le besoin, prouvé, du défendeur de
réhabiliter les locaux afin de s'y installer avec sa compagne et leur fille,
née le 15 septembre 2003, confronté au besoin de la demanderesse et de son
mari de liquider le stock de leur magasin et de terminer leur activité dans
un délai raisonnable, faisait apparaître comme parfaitement justifiée
l'unique prolongation de trois ans accordée par les premiers juges.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon la jurisprudence, la valeur litigieuse de la contestation portant
sur la prolongation du bail correspond au loyer et aux frais accessoires dus
pour la durée de la prolongation demandée; lorsque le preneur a déjà
bénéficié d'une prolongation de fait, cette valeur se détermine d'après le
solde de la prolongation réclamée, c'est-à-dire en fonction de la durée
résiduelle de la prolongation requise à compter du prononcé de l'autorité
cantonale de dernière instance (ATF 113 II 406 consid. 1 et l'arrêt cité).

Devant la Chambre d'appel, autorité genevoise de dernière instance, la
demanderesse a requis une prolongation de bail jusqu'au 31 décembre 2007.
Cette autorité a statué le 26 mai 2004. Le reliquat de la prolongation de
bail sollicitée est ainsi supérieur à trois ans et demi. Eu égard au montant
du loyer annuel (6'660 fr.), la valeur litigieuse minimale de 8'000 fr.,
prescrite par l'art. 46 OJ, est donc atteinte.

1.2 Interjeté par la locataire qui a succombé en partie dans sa conclusion
subsidiaire en prolongation de bail et dirigé contre une décision finale
rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al.
1 OJ), le présent recours est recevable, puisqu'il a été déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

2.
2.1 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non
pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).

Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement
sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des
dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait
lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste
(art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité
cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et
régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 126 III 59 consid. 2a; 119 II 353
consid. 5c/aa; 117 II 256 consid. 2a).

2.2 La demanderesse reproche aux deux instances cantonales d'avoir commis une
inadvertance manifeste en omettant de mentionner le fait, prouvé par la pièce
n° 1, qu'elle avait conclu, le 26 juin 1963, un premier contrat de bail à
loyer portant sur la susdite arcade avec l'ancienne propriétaire de celle-ci.

2.2.1 La jurisprudence n'admet l'existence d'une inadvertance manifeste,
susceptible d'être rectifiée par le Tribunal fédéral en application de l'art.
63 al. 2 OJ, que lorsque l'autorité cantonale a omis de prendre en
considération une pièce déterminée, versée au dossier, ou l'a mal lue,
s'écartant par mégarde de sa teneur exacte, en particulier de son vrai sens
littéral (ATF 115 II 399 consid. 2a; 109 II 159 consid. 2b; cf. également ATF
121 IV 104 consid. 2b). Tel est notamment le cas lorsque l'examen d'une pièce
du dossier, qui n'a pas été prise en considération, révèle une erreur de fait
évidente, qui ne peut s'expliquer que par l'inattention (Bernard Corboz, Le
recours en réforme au Tribunal fédéral, in SJ 2000 II, p. 66). Par ailleurs,
l'inadvertance invoquée doit porter sur une constatation propre à influer sur
le sort du recours (cf. ATF 95 II 503 consid. 2a p. 507; Jean-François
Poudret, COJ II, n. 1.6.2 in fine ad art. 55 et n. 5.1. ad art. 63; Georg
Messmer/Hermann Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, p.
138).

2.2.2 La demanderesse fait grief aux juges cantonaux d'avoir retenu que le
"premier" contrat de bail conclu par elle relativement à l'arcade litigieuse
l'a été le 5 janvier 1968. Il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que la
Chambre d'appel ait utilisé le qualificatif de "premier" en ce qui concerne
ledit contrat. Elle a simplement constaté l'existence de celui-ci, le moment
où il a été conclu et les parties qu'il liait, constatations qui sont en tous
points conformes au texte du contrat. En réalité, la demanderesse reproche
aux juges genevois d'avoir omis de constater une circonstance déterminée. Or,
cela n'a rien à voir avec le fait de poser une constatation erronée par suite
du défaut de prise en considération d'une circonstance dûment établie. Ce
reproche est du reste en partie infondé dans la mesure où le jugement de
première instance mentionne, sans mettre en doute le bien-fondé de cette
affirmation, que le mari de la locataire a déclaré exploiter le commerce
depuis 1963 (p. 6, 2e § in fine), ce qui impliquait la reconnaissance
implicite d'une relation contractuelle antérieure à celle nouée le 5 janvier
1968.

En tout état de cause, le fait prétendument omis par inadvertance n'est pas
propre à modifier l'issue du litige. La durée du bail est certes l'un des
éléments à prendre en considération à l'occasion de l'examen d'une demande de
prolongation d'un bail (cf. art. 272 al. 2 let. b CO). Toutefois, on ne
discerne pas en quoi le fait que le bail aurait duré cinq ans de plus que ce
qui a été constaté dans l'arrêt cantonal pourrait influer sur le sort du
présent recours, puisqu'il est de toute façon avéré et incontestable qu'il
s'est agi d'un bail plus que trentenaire, soit d'un rapport contractuel de
longue durée.

Il n'y a, dès lors, pas matière à rectification de la prétendue inadvertance
imputée aux juges cantonaux.

3.
La demanderesse fait valoir que la Chambre d'appel a violé l'art. 8 CC en ne
tranchant pas en défaveur du défendeur, quand bien même ce dernier n'avait
pas établi la réalité du besoin allégué par lui d'utiliser l'arcade
litigieuse.

L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions
fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des
parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 127 III
519 consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a).
En l'espèce, on ne voit pas que la cour cantonale ait éprouvé un doute et
qu'elle ait tranché le point de fait douteux en faveur de la partie qui avait
pourtant le fardeau de la preuve. Elle a, au contraire, admis, en appréciant
souverainement les éléments de preuve en sa possession,  que le demandeur
avait établi son besoin de réhabiliter les locaux donnés à bail afin de s'y
installer avec ses proches. En conséquence, le grief qui lui est fait d'avoir
violé l'art. 8 CC, relatif au fardeau de la preuve, tombe à faux.

4.
La demanderesse juge insuffisante la durée de la prolongation de bail que la
Chambre d'appel lui a accordée.

4.1 Selon l'art. 272 al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation
d'un bail lorsque la fin du contrat aurait pour lui ou sa famille des
conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur le justifient.
L'alinéa 2 de cette disposition prévoit que, dans la pesée des intérêts,
l'autorité compétente se fondera notamment sur les circonstances de la
conclusion du bail et le contenu du contrat (a), la durée du bail (b), la
situation personnelle, familiale et financière des parties ainsi que leur
comportement (c), le besoin que le bailleur ou ses proches parents ou alliés
peuvent avoir d'utiliser eux-mêmes les locaux ainsi que l'urgence de ce
besoin (d), et la situation sur le marché local du logement et des locaux
commerciaux (e). La pesée des intérêts en fonction de cette liste non
exhaustive sert non seulement à déterminer le principe d'une éventuelle
prolongation de bail, mais aussi sa durée. Les règles sur la prolongation
tendent à adoucir les conséquences pénibles que la résiliation peut entraîner
pour le locataire (ATF 116 II 446 consid. 3b).

La détermination de la durée de la prolongation en fonction des critères
précités relève du pouvoir d'appréciation du juge. Celui-ci doit tenir compte
du but de la disposition, qui est de donner du temps au locataire pour
trouver une solution de remplacement, et procéder à une pesée des intérêts en
présence. Le juge ne transgresse pas le droit fédéral en exerçant le pouvoir
d'appréciation que la loi lui accorde. Le droit fédéral n'est violé que si le
juge sort des limites fixées par la loi, s'il se laisse guider par des
considérations étrangères à la disposition applicable, s'il ne prend pas en
compte les éléments d'appréciation pertinents ou s'il en tire des déductions
à ce point injustifiables que l'on doive parler d'un abus du pouvoir
d'appréciation (ATF 125 III 226 consid. 4b et les références citées).

4.2 Quoi qu'en pense la demanderesse, la prolongation de trois ans qui lui a
été accordée par les trois autorités qui se sont occupées successivement de
son cas ne viole nullement les critères jurisprudentiels susmentionnés.

C'est le lieu de rappeler que le besoin légitime du bailleur, ou de ses
proches, d'occuper les locaux prévaut généralement sur les intérêts du
locataire (David Lachat, Le bail à loyer, p. 502, ch. 3.8), le but de la
prolongation n'étant pas d'assurer au locataire le maintien indéfini d'une
situation favorable (cf. ATF 116 II 446 consid. 3b; Peter Higi, Commentaire
zurichois, n. 88 ad art. 272 CO).

Les éléments que la recourante fait valoir ne sont pas déterminants. Ainsi en
va-t-il, comme on l'a déjà souligné, du fait que le bail aurait duré cinq ans
de plus que ce qui a été retenu par les juges précédents. Au reste, la
demanderesse n'indique pas en quoi la durée très longue du bail dont elle a
bénéficié devrait influer concrètement sur celle de la prolongation du bail,
alors qu'il s'agit pour son mari et elle, qui ont déjà atteint l'âge de la
retraite, de liquider le stock de leur commerce et de terminer leur activité
dans un délai raisonnable. Or, force est de constater, à cet égard, que, dans
la mesure où le bail a été résilié plus d'une année avant son échéance, la
locataire et son mari ont disposé d'un délai de plus de quatre ans pour
procéder à cette liquidation. S'ils n'exploitent que sporadiquement leur
magasin, comme le retient la cour cantonale, ils ne peuvent pas en tirer
argument pour obtenir une prolongation plus étendue de leur bail. Pour le
surplus, le fait que leurs revenus proviennent uniquement de cette
exploitation, à côté de l'AVS, selon leurs dires, ne leur permet pas d'exiger
de rester dans les lieux jusqu'à ce qu'ils aient écoulé leur stock au rythme
choisi par eux.

En accordant à la locataire une prolongation de trois ans, la Chambre d'appel
n'a ainsi nullement excédé son pouvoir d'appréciation. Partant, le présent
recours ne peut qu'être rejeté.

5.
La demanderesse devra supporter les frais de la procédure fédérale,
conformément à l'art. 156 al. 1 OJ. Elle n'aura, en revanche, pas à verser
des dépens au défendeur, dès lors que ce dernier n'a pas recouru aux services
d'un avocat et qu'il n'a pas établi avoir assumé des frais particuliers pour
la défense de ses intérêts (cf. art. 159 al. 1     OJ; ATF 125 II 518 consid.
5b; 113 Ib 353 consid. 6b).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre d'appel
en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 4 octobre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: