Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.251/2004
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4C.251/2004 /viz

Arrêt du 7 septembre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, président,
Rottenberg Liatowitsch et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

M. et Mme A.________,
défendeurs et recourants,
représentés par Me Jacques Gautier,

contre

Fondation de valorisation des actifs de la Banque cantonale de Genève, rue
Pierre-Fatio 15,
case postale 3228, 1211 Genève 3,
demanderesse et intimée.

contrat de bail à loyer; prolongation de bail,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et
loyers du canton de Genève du
10 mai 2004.

Faits:

A.
A.a  B.________ était propriétaire d'une villa à X.________. Par contrat de
bail à loyer du 15 mai 1995, il a loué à sa soeur et à son beau-frère, les
époux M. et Mme A.________, un appartement de 72 m² situé au sous-sol de la
villa. Les locataires avaient, en outre, la  jouissance, une demi-journée par
mois, du rez-de-chaussée de celle-ci. Le bail, annoté au registre foncier,
est entré en vigueur le 1er septembre 1995 et a été conclu pour une durée de
vingt ans, soit jusqu'au 31 août 2015. Le montant du loyer a été fixé à 7'200
fr. par an, plus un forfait mensuel de 200 fr. pour les charges de chauffage,
d'eau et d'électricité.
Le bailleur a consenti par écrit à ce que les locataires, qui présentent tous
deux un handicap physique, fassent effectuer, à leurs frais, des travaux
d'aménagement et de transformation dans l'appartement pris à bail. Ces
travaux ont débuté à fin 1996 et se sont échelonnés sur une période d'environ
dix-huit mois. En ce qui concerne leur coût, les documents bancaires et
postaux produits par les locataires attestent des versements de l'ordre de
100'000 fr. à 120'000 fr. opérés en mains soit de B.________, chargé de
l'entreprise générale, soit de l'architecte; s'y ajoutent quelque 120'000 fr.
correspondant au total des factures versées au dossier, la plupart d'entre
elles étant du reste adressées à B.________ SA. De l'ensemble de ces pièces
justificatives ne ressort qu'un montant de 3'000 fr., s'agissant des travaux
d'aménagement destinés aux handicapés.

A.b  Par avis du 17 octobre 1997, l'Office des poursuites et faillites a
informé les époux A.________ qu'il avait instauré sur la villa de B.________
une gérance légale en faveur de la Banque cantonale de Genève (BCG) dans le
cadre des poursuites en réalisation de gages dirigées contre ce débiteur.
Le 15 février 2000, B.________ a demandé à sa soeur et à son beau-frère
l'autorisation de sous-louer l'appartement qu'il leur avait donné à bail. Les
locataires ayant accepté, l'épouse du bailleur s'est installée, deux jours
plus tard, dans cet appartement avec ses enfants.
Le 1er mars 2002, l'Office des poursuites et faillites a procédé à la vente
aux enchères publiques de la villa appartenant à B.________. A l'issue d'une
double mise à prix, ce bien immobilier a été adjugé pour le prix de 2'750'000
fr. à la Fondation de valorisation des actifs de la BCG (ci-après: la
Fondation) sans la charge que représentait le bail annoté.

A.c  Le 11 mars 2002, la Fondation a résilié le bail des époux A.________
avec
effet au 31 août 2002. Les locataires ont contesté la validité de ce congé.

B.
Le 15 novembre 2002, la Fondation (ci-après: la demanderesse) a saisi le
Tribunal des baux et loyers du canton de Genève d'une requête, dirigée contre
M. et Mme A.________ (ci-après: les défendeurs), visant à faire constater
judiciairement la validité du congé litigieux. De leur côté, les défendeurs
ont déposé une requête auprès de la même autorité, invitant cette dernière à
constater la nullité dudit congé, subsidiairement à annuler celui-ci et, plus
subsidiairement encore, à leur accorder une prolongation de bail pour une
durée de quatre ans. Les deux procédures ont été jointes.
Par jugement du 2 mai 2003, le Tribunal des baux et loyers a constaté la
validité du congé litigieux et débouté les parties de toutes autres ou
contraires conclusions.
Saisie par les défendeurs, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du
canton de Genève, statuant par arrêt du 10 mai 2004, a confirmé ce jugement.

C.
Les défendeurs interjettent un recours en réforme au Tribunal fédéral aux
fins d'obtenir une prolongation de bail d'une durée de quatre ans. Ils ne
critiquent pas l'arrêt attaqué dans la mesure où la Chambre d'appel a écarté
leurs conclusions tendant à faire constater la nullité du congé en cause,
respectivement à obtenir l'annulation de celui-ci.
Dans sa réponse, la demanderesse, qui agit sans le concours d'un avocat,
propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1  Selon la jurisprudence, la valeur litigieuse de la contestation portant
sur la prolongation du bail correspond au loyer et aux frais accessoires dus
pour la durée de la prolongation demandée; lorsque le preneur a déjà
bénéficié d'une prolongation de fait, cette valeur se détermine d'après le
solde de la prolongation réclamée, c'est-à-dire en fonction de la durée
résiduelle de la prolongation requise à compter du prononcé de l'autorité
cantonale de dernière instance (ATF 113 II 406 consid. 1 et l'arrêt cité).
Les défendeurs ont requis une prolongation de bail de quatre ans, soit
jusqu'au 31 août 2006 eu égard au fait que leur bail a été résilié avec effet
au 31 août 2002. La Chambre d'appel a statué le 10 mai 2004. Le reliquat de
la prolongation de bail sollicitée est ainsi supérieur à deux ans en
l'espèce. A considérer le montant du loyer annuel de l'appartement loué
(7'200 fr., charges en sus), la valeur litigieuse minimale de 8'000 fr.,
prescrite par l'art. 46 OJ, est donc atteinte.

1.2  Interjeté par les locataires qui ont succombé dans leurs conclusions en
prolongation de bail et dirigé contre une décision finale rendue en dernière
instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le présent
recours est recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1
OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.3  Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais
non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1
OJ). Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à
moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été
violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248
consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

2.
Même en cas de résiliation après une double mise à prix, le bail peut être
prolongé aux conditions des art. 272 ss CO (ATF 128 III 82 consid. 2). Les
défendeurs soutiennent que la Chambre d'appel a violé ces dispositions en
refusant de prolonger leur bail.

2.1  Selon l'art. 272 al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation
d'un bail lorsque la fin du contrat aurait pour lui ou sa famille des
conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur le justifient.
L'alinéa 2 de cette disposition prévoit que, dans la pesée des intérêts,
l'autorité compétente se fondera notamment sur les circonstances de la
conclusion du bail et le contenu du contrat (a), la durée du bail (b), la
situation personnelle, familiale et financière des parties ainsi que leur
comportement (c), le besoin que le bailleur ou ses proches parents ou alliés
peuvent avoir d'utiliser eux-mêmes les locaux ainsi que l'urgence de ce
besoin (d), et la situation sur le marché local du logement et des locaux
commerciaux (e). Comme le montre l'emploi de l'adverbe "notamment", les
éléments d'appréciation énoncés à l'art. 272 al. 2 CO, sous let. a à e, ne
revêtent pas un caractère exclusif et le juge peut tenir compte d'autres
intérêts pertinents. Il gardera à l'esprit que la prolongation a pour but de
donner du temps au locataire pour trouver une solution de remplacement (ATF
125 III 226 consid. 4b) ou, à tout le moins, vise à adoucir les conséquences
pénibles résultant d'une extinction du contrat selon les règles ordinaires
(ATF 116 II 446 consid. 3b).

2.2  Examinant les circonstances du cas concret à la lumière des critères
mentionnés à l'art. 272 al. 2 CO, la cour cantonale a émis les considérations
résumées ci-après.
Selon les défendeurs, si un bail de vingt ans a été conclu, c'est pour tenir
compte des importants travaux d'aménagement du sous-sol de la villa qu'ils
devaient entreprendre afin d'adapter l'appartement loué à leur handicap
physique; or, d'une part, les seuls travaux exécutés dans ce but n'ont coûté
que 3'000 fr. et, d'autre part, les portes intérieures n'ont pas la largeur
préconisée par la réglementation cantonale en la matière.
Au demeurant, l'investissement consenti par les locataires, qui ont obtenu en
contrepartie un loyer modique de 600 fr. par mois, a d'ores et déjà pu être
amorti en grande partie sur six ans environ pendant lesquels les défendeurs
d'abord, puis leur sous-locataire, ont pu jouir d'un appartement entièrement
aménagé et rénové, sis à quelques dizaines de mètres du bord du lac et
comprenant, en outre, un parking ainsi que la jouissance du jardin se situant
devant les locaux et celle, une demi-journée par mois, du rez-de-chaussée de
la villa. Quant à la perte qui subsiste sur les fonds investis par les
défendeurs et pas encore amortis, elle trouve son origine dans l'aggravation
de la situation financière de leur parent qui les prive d'un bail de longue
durée annoté au registre foncier.
Par ailleurs, il est établi que les défendeurs sont domiciliés de manière
ininterrompue dans le canton d'Argovie depuis 1978, qu'ils exploitent un
commerce de timbres dans le canton de Zurich et qu'ils n'ont occupé,
sporadiquement, l'appartement sis dans la villa de X.________ que pendant une
vingtaine de mois avant de le sous-louer à l'épouse du bailleur.
De son côté, la demanderesse cherche à rentabiliser au mieux des locaux
qu'elle a acquis lors d'une vente aux enchères forcées.
En définitive, si la résiliation du bail oblige désormais les défendeurs à
chercher un autre logement pour venir s'établir à Genève près de leur
famille, ils ont eux-mêmes librement fait le choix, il y a quatre ans, de
sous-louer l'appartement à leur parente et donc de renoncer à venir
rapidement s'installer à Genève. De surcroît, ils ne soutiennent pas avoir
effectué, depuis la résiliation de leur bail en mars 2002, des recherches de
logements à Genève en vue de s'y installer. Dans cette mesure, on ne saurait
considérer que les conséquences de la résiliation justifient aujourd'hui une
prolongation du bail des défendeurs.

2.3  Contrairement à l'opinion de ces derniers, la Chambre d'appel, en
argumentant ainsi, n'a pas violé le droit fédéral. A cet égard, les griefs
formulés par les locataires ne résistent pas à l'examen.

2.3.1  S'agissant des circonstances de la conclusion du bail, les défendeurs
exposent qu'ils se sont liés pour une longue durée (20 ans) et ont fait
annoter le bail au registre foncier afin de pouvoir amortir les fonds qu'ils
allaient devoir investir pour transformer les locaux loués en un appartement
habitable et adapté à leur handicap physique. Selon eux, il serait tout à
fait irréaliste d'admettre, à l'instar des juges précédents, qu'ils ont pu
amortir les sommes investies (quelque 240'000 fr.) sur une période de six ans
seulement après la fin des travaux.
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la question de la durée
d'amortissement des travaux ne relève pas du fait, contrairement à celle de
l'objet et de la nature des travaux à prendre en considération. La
juridiction fédérale de réforme peut donc la revoir (arrêt 4P.208/ 1994 du 14
novembre 1994, consid. 3, publié in SJ 1995 p. 235; ATF 118 II 415 consid.
3c/bb p. 421). Force est, toutefois, de constater que les défendeurs se
limitent à des généralités sur la question de l'amortissement, se contentant
d'alléguer le caractère irréaliste de la durée d'amortissement retenue par
les juges cantonaux, mais sans apporter aucune précision quant à la nature et
à l'ampleur des différents travaux entrepris par eux pour aménager le
sous-sol de la villa et en faire un appartement adapté à leur handicap. Les
locataires n'indiquent pas davantage quel est le loyer payé par leur
sous-locataire, si bien que l'on ignore à quelles rentrées d'argent ils
devraient renoncer durant les deux années restant à courir jusqu'au terme de
l'éventuelle prolongation de leur bail (31 août 2006). Au demeurant, la cour
cantonale ne prétend pas que l'investissement consenti par le bailleur aurait
été entièrement amorti, puisqu'elle constate seulement qu'il l'a été en
grande partie.
De toute façon, le problème de l'amortissement des sommes investies pour les
travaux d'aménagement des locaux loués ne revêt pas, en l'espèce, une
importance déterminante en ce qui concerne le principe même de l'octroi d'une
prolongation de bail. En effet, comme les locataires ont rénové ces locaux
avec le consentement écrit de l'ancien bailleur, il leur est loisible de
réclamer à la bailleresse actuelle une indemnité s'ils estiment que la chose
présente une plus-value considérable résultant de cette rénovation (art. 260a
al. 3 CO; cf. Peter Higi, Commentaire zurichois, n. 50 ad art. 261-261a CO).
Or, une telle faculté exclut, en règle générale, la possibilité pour le
locataire de fonder sa requête en prolongation de bail sur la conséquence
pénible que représenterait l'extinction du bail avant l'amortissement complet
des sommes investies par lui pour rénover la chose louée (cf. Anita Thanei,
Die Erstreckung des Mietverhältnisses, Zurich 1990, p. 23 in limine;
SVIT-Kommentar, 2e éd., n. 28 ad art. 272 CO).

2.3.2  Pour ce qui est de la situation personnelle des locataires, la Chambre
d'appel constate que ceux-ci n'ont occupé que sporadiquement l'appartement
litigieux pendant une période d'environ vingt mois avant de faire librement
le choix, il y a quatre ans, de sous-louer l'appartement à leur parente et de
renoncer ainsi à venir s'installer rapidement à Genève. Elle ajoute que les
locataires ne soutiennent pas avoir effectué, depuis la résiliation de mars
2002, des recherches de logement à Genève. Ces constatations de fait lient la
juridiction fédérale de réforme. Aussi les défendeurs tentent-ils en vain de
les remettre indirectement en cause en faisant valoir, de manière
appellatoire de surcroît, que c'est à la demande de B.________ qu'ils ont
accepté de mettre temporairement l'appartement en cause à la disposition de
leur belle-soeur et de leurs neveux - lesquels ne devraient au demeurant pas
tarder à trouver un nouvel appartement - et qu'eux-mêmes reprendront
possession des lieux dès que possible.
En l'occurrence, accorder la prolongation de bail requise reviendrait à
perpétuer une situation pour le moins singulière consistant à ce que, par le
biais d'une sous-location, l'ancien propriétaire d'une villa vendue aux
enchères publiques à la demande d'un créancier gagiste continue d'occuper les
lieux avec sa famille et empêche ainsi ledit créancier de réaliser cet actif
immobilier. Qu'il soit le fait ou non des locataires, le procédé est d'autant
plus critiquable que le créancier en question - une fondation de droit public
- a précisément pour but de gérer, valoriser et réaliser les actifs d'une
banque cantonale et, par là, de contribuer à l'assainissement de celle-ci.
Au demeurant, on ne voit pas en quoi les défendeurs pourraient avoir
eux-mêmes un intérêt à obtenir la prolongation d'un bail relatif à un
appartement qu'ils n'ont occupé que sporadiquement comme résidence
secondaire, dans lequel ils ne séjournent plus depuis quatre ans et qu'ils
devront de toute façon quitter à fin août 2006 au plus tard, étant ainsi
contraints de renoncer au projet de s'y installer définitivement.
On rappellera enfin que la prolongation du bail a pour but de donner du temps
au locataire pour trouver une solution de remplacement. Or, non seulement les
défendeurs n'ont rien entrepris de concret, depuis la résiliation de leur
bail jusqu'à ce jour, pour tenter de trouver un logement à Genève, mais
encore on ne discerne pas en quoi le fait de ne pas leur accorder la
prolongation requise les empêcherait de procéder à la recherche d'un autre
logement en vue de leur future installation définitive à Genève. De celle-ci,
on ignore du reste tout et il n'est nullement établi que les défendeurs aient
l'intention de quitter définitivement leur domicile argovien dans les deux
ans à venir, soit avant le terme ultime de leur bail supposé prolongé.
Dans ces circonstances, les deux juridictions genevoises n'ont pas violé le
droit fédéral en écartant la requête en prolongation de bail. Il s'ensuit le
rejet du présent recours.

3.
Les défendeurs, qui succombent, seront condamnés solidairement à payer les
frais de la procédure fédérale (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Quant à la
demanderesse, elle n'a pas droit à des dépens, bien qu'elle obtienne gain de
cause, car elle n'a pas recouru aux services d'un avocat et n'a pas établi
avoir assumé des frais particuliers pour la défense de ses intérêts (cf. art.
159 al. 1 OJ; ATF 125 II 518 consid. 5b; 113 Ib 353 consid. 6b).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge des recourants,
solidairement entre eux.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre d'appel
en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 7 septembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: