Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.247/2004
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4C.247/2004 /ech

Arrêt du 19 novembre 2004
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffier: M. Thélin.

A. ________,
représentée par Me Pierre Gasser, avocat,
défenderesse et recourante,

contre

Caisse X.________ & Cie SA,
demanderesse et intimée.

bail à loyer; résiliation

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et
loyers du canton de Genève du
26 mai 2004.

Faits:

A.
Selon contrat de bail du 3 juillet 1995, la Caisse X.________ & Cie SA a
remis en location à A.________ un appartement de cinq pièces et demie dans un
bâtiment d'habitation sis rue ... 19 à Genève. Le loyer était fixé à 2'694
fr. par mois, auquel s'ajoutait une provision pour charges de 165 fr. Le bail
était conclu pour une durée initiale de dix-huit mois, avec une clause de
tacite reconduction. Le 2 septembre 1998, la bailleresse a communiqué à la
locataire que la provision pour charges était augmentée à 210 fr. par mois.
Les parties ont en outre conclu deux baux distincts concernant chacun un box
pour véhicule dans le même bâtiment. Le loyer était fixé à 168 fr. par mois
et par box.

B.
Par lettre du 23 octobre 2002, reçue par sa destinataire le 7 novembre 2002,
la bailleresse a sommé la locataire d'acquitter un arriéré de loyer et de
charges, pour l'appartement, qu'elle chiffrait à 7'503 fr.95 au 31 octobre
2002. Le délai d'exécution était fixé à trente jours dès réception de cette
sommation. Celle-ci indiquait qu'à défaut d'exécution dans ce délai, le bail
de l'appartement serait résilié en application de l'art. 257d CO.
La locataire a opéré un versement de 6'400 fr. le 19 novembre 2002,
accompagné de la mention "loyer 19 rue ... deux mois".
Le 18 janvier 2003, usant de la formule officielle prévue à cette fin, la
bailleresse a résilié le bail de l'appartement avec effet au 28 février 2003,
au motif que la sommation était restée vaine.

C.
A.________ n'ayant pas restitué l'appartement, la Caisse X.________ & Cie SA
a saisi d'abord la commission de conciliation compétente, puis le Tribunal
des baux et loyers du canton de Genève. Sa requête tendait à la condamnation
de l'adverse partie à évacuer immédiatement le logement concerné de sa
personne, de ses biens et de tous tiers.
La défenderesse n'a pas comparu à l'audience de ce tribunal du 4 septembre
2003. La demanderesse, par son représentant, a expliqué que l'arriéré était
alors soldé mais qu'elle persistait néanmoins à requérir l'évacuation. Un
jugement par défaut, correspondant à ses conclusions, est intervenu le même
jour. La défenderesse a fait opposition.
A l'audience du 11 décembre 2003, la demanderesse a exposé que le montant de
l'arriéré au 31 octobre 2002, inférieur à celui indiqué dans la sommation,
s'élevait en réalité à 7'167 fr.95. Toutefois, ce montant-ci était également
contesté; d'après le procès-verbal de l'audience, le conseil de la
défenderesse s'est exprimé, à ce sujet, comme suit: "selon nos calculs, je
parviens à un arriéré au 23 octobre 2002 de 7'165 fr.95 moins 410 fr.". La
demanderesse avait bien reçu le versement de 6'400 fr. mais celui-ci n'était
que partiellement imputé sur la dette précitée; le solde était affecté au
loyer des boxes à véhicules pour deux mois.
Par jugement du 5 janvier 2004, le Tribunal des baux et loyers a derechef
condamné la défenderesse à l'évacuation de l'appartement.

D.
La défenderesse a appelé du jugement à la Chambre d'appel en matière de baux
et loyers. Elle faisait valoir, notamment, que les loyers et charges
prétendument impayés n'avaient pas été constatés et que le versement de 6'400
fr. aurait dû être imputé en totalité sur cette dette.
Statuant le 26 mai 2004, les juges d'appel ont confirmé le jugement. Les
déclarations faites à l'audience du 11 décembre 2003 constituaient un aveu
judiciaire aux termes de l'art. 189 LPC gen., d'où il ressortait que la
défenderesse était débitrice, au jour de la sommation, d'un arriéré de 6'755
fr.95. Même si on imputait entièrement le versement de 6'400 fr. intervenu
pendant le délai d'exécution, il subsistait un impayé de 355 fr.95, soit une
somme que l'on ne pouvait tenir pour insignifiante; la demanderesse était
donc en droit de résilier le bail sur la base de l'art. 257d al. 2 CO.

E.
La défenderesse interjette un recours en réforme contre ce dernier prononcé.
Elle requiert le Tribunal fédéral de constater la nullité de la résiliation
communiquée le 18 janvier 2003 et de rejeter la demande d'évacuation.
La demanderesse conclut au rejet du recours.
Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure où il
était recevable, un recours de droit public que la défenderesse a interjeté
contre le même prononcé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Selon la jurisprudence relative à l'art. 46 OJ, dans une contestation
portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est
égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste si
la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour
laquelle un nouveau congé peut être donné (arrêt 4C.310/1996 du 16 avril
1997, consid. 2a, SJ 1997 p. 494). En l'occurrence, il est manifeste que la
valeur litigieuse excède 8'000 fr.
Pour le surplus, les conclusions soumises au Tribunal fédéral ne diffèrent
pas de celles prises par la défenderesse devant la juridiction cantonale,
dont elle a été déboutée (art. 55 al. 1 let. b OJ). Le recours est dirigé
contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal
suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile; déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en
principe recevable.

1.2 Le recours en réforme est recevable pour violation du droit fédéral (art.
43 al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas de critiquer la violation directe
d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1, 2e phrase, OJ) ni la
violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une
inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Dans la mesure où la
partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans
la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des
exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir
compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Il ne peut être
présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens
de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours n'est pas ouvert
pour se plaindre de l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en résultent (ATF 130 III 102 consid. 2.2 in fine, 136 consid. 1.4; 129
III 618 consid. 3).
Le Tribunal fédéral ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties
mais il n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ) ni
par l'argumentation juridique retenue par la cour cantonale (art. 63 al. 3
OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine). Le
Tribunal fédéral peut donc admettre un recours pour des motifs autres que
ceux invoqués par le recourant; il peut aussi rejeter un recours en opérant
une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant une autre argumentation
juridique que celle retenue par la cour cantonale (ATF 130 III 136 consid.
1.4 in fine).

2.
Selon l'art. 257d al. 1 CO, lorsque le locataire, après réception de la
chose, a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus,
le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier
qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit
être d'au moins trente jours pour les baux d'habitation ou de locaux
commerciaux. L'art. 257d al. 2 CO dispose qu'à défaut de paiement dans le
délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les
baux d'habitation ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un
délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois.
La défenderesse conteste la validité de la résiliation communiquée par la
demanderesse le 18 janvier 2003. Dans la présente procédure, elle est
recevable à soutenir que ce congé est inefficace au motif que les conditions
de la disposition précitée ne sont pas réalisées, ou qu'il est nul selon
l'art. 266 CO, alors même qu'elle n'a pas agi dans le délai prévu par l'art.
273 al. 1 CO pour contester directement la résiliation (ATF 121 III 156
consid. 1c/aa p. 161); elle est toutefois déchue du droit d'invoquer
l'annulabilité du congé selon les art. 271 al. 1 et 271a CO (même arrêt,
consid. 1c/cc p. 162).

3.
La validité d'une résiliation fondée sur l'art. 257d al. 2 CO suppose, entre
autres conditions, que le locataire se soit effectivement trouvé en retard
dans le paiement du loyer ou de frais accessoires lorsque la sommation prévue
à l'art. 257d al. 1 CO lui a été adressée (Roger Weber, Commentaire bâlois,
3e éd., n. 3 et 6 ad art. 257d CO). En l'occurrence, la juridiction cantonale
a constaté qu'un arriéré de 6'755 fr.95 était reconnu par la défenderesse. La
constatation de cette reconnaissance relève du fait et la critique que cette
partie élève à son sujet, dans la présente procédure, est donc irrecevable.
La reconnaissance est causale dans la mesure où les circonstances indiquent
qu'elle a pour objet les obligations dérivant du bail à loyer de
l'appartement; elle est abstraite en tant que son auteur n'a pas précisé
quels étaient les mois de loyer ou les frais accessoires reconnus comme
impayés. De toute manière, conformément à l'art. 17 CO, elle permet de
retenir que la défenderesse était effectivement débitrice du montant indiqué
(Ingeborg Schwenzer, op. cit., n. 5 à 8 ad art. 17 CO).
Contrairement à l'argumentation soumise au Tribunal fédéral, l'existence de
l'obligation n'a aucunement été retenue sur la base des affirmations de la
demanderesse et d'un décompte produit par elle; l'art. 8 CC n'exige donc pas
que lesdites affirmations soient confirmées par des preuves.
Pendant le délai de trente jours fixé par la demanderesse, cette obligation
n'a été éteinte, par un versement de la défenderesse, qu'à concurrence de
6'400 fr. Un arriéré subsistait donc à l'expiration du délai. Il est
incontesté que par ailleurs, la sommation et la résiliation satisfaisaient
exactement aux exigences de l'art. 257d CO. Le bail a ainsi pris fin le 28
février 2003; c'est donc à bon droit, conformément à l'art. 267 al. 1 CO, que
la défenderesse est condamnée à évacuer et restituer l'appartement concerné.

4.
La défenderesse fait valoir que le montant indiqué dans la sommation excédait
celui effectivement dû et qu'elle a versé à temps 6'400 fr., soit ce qu'elle
croyait devoir; elle soutient aussi que l'arriéré subsistant à l'expiration
du délai n'était pas assez considérable pour justifier une résiliation du
bail. Tous ces arguments tendent à établir l'annulabilité de la résiliation
au regard de l'art. 271 al. 1 CO (ATF 120 II 32 consid. 4b p. 33); à cette
fin, la défenderesse aurait dû agir elle-même dans le délai de trente jours
dès réception de la résiliation (art. 273 al. 1 CO; consid. 2 ci-dessus). Le
moyen qu'elle prétend tirer de l'art. 2 CC, sur la base des mêmes arguments,
se confond avec celui fourni par l'art. 271 al. 1 CO (même arrêt, consid. 4a
p. 32); il est donc également périmé.

5.
A titre de partie qui succombe, la défenderesse doit acquitter l'émolument
judiciaire (art. 156 al. 1 OJ). La demanderesse ayant procédé sans le
concours d'un mandataire, il ne lui est pas alloué de dépens (art. 159 al. 1
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 3'000 fr.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre d'appel
en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 19 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: