Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.184/2004
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4C.184/2004 /ech

Arrêt du 10 septembre 2004
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, président, Nyffeler et Favre.
Greffier: M. Carruzzo.

A. ________,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Alexandre Bernel,
contre

B.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Jean Jacques Schwaab.

union libre; société simple,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du
14 avril 2004.

Faits:

A.
A.  ________ (ci-après: la défenderesse ou la recourante) et B.________
(ci-après: le demandeur ou l'intimé) ont vécu en concubinag, dans
l'appartement loué par la prénommée, de juillet 1997 à juillet 1999
inclusivement. Le 21 juillet 1999, la défenderesse a dénoncé le demandeur au
juge pénal pour vol, menace de mort et violences sur sa personne et celle de
la fille qu'elle avait eue avec son ex-mari. Faute de preuves, le demandeur a
été libéré de tous les chefs d'accusation retenus contre lui par jugement du
Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne rendu le 12 septembre
2001.

Au début de la cohabitation, le demandeur travaillait comme chauffeur-livreur
chez X.________ SA. A fin octobre 1998, il s'est retrouvé au chômage. Dès le
1er décembre 1998, il a été engagé par Y.________ SA.

La défenderesse travaillait dans un établissement médicosocial. Le 2
septembre 1998, elle a ouvert un kiosque à journaux à Lausanne. Il lui en a
coûté quelque 70'000 fr. Le demandeur a financé une partie de cet
investissement en prêtant la somme de 19'567 fr. 75 à sa compagne. La
défenderesse a également emprunté un montant de 45'000 fr. auprès de deux
amies. Pendant le mois de novembre 1998, alors qu'il était au chômage, le
demandeur a travaillé à plein temps au kiosque sans être rémunéré. Après son
départ, la défenderesse a continué seule l'exploitation du kiosque. Elle a
fini par céder son commerce dont la gestion était déficitaire.

Le 8 novembre 1999, le demandeur a fait impartir, sans succès, à la
défenderesse un délai de six semaines pour lui rembourser le prêt
susmentionné, les intérêts échus et une partie des frais de recouvrement.

B.
Le 4 janvier 2002, le demandeur a assigné la défenderesse en paiement de
30'000 fr., intérêts en sus. Ce faisant, il a réclamé le remboursement du
prêt de 19'567 fr. 75, d'un second prêt de 3'000 fr. et des honoraires de son
conseil dans la procédure pénale, par 4'839 fr. 90, ainsi que le versement
d'une indemnité pour tort moral en relation avec cette procédure.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande en excipant de la
compensation avec ses propres créances issues, d'une part, de la liquidation
de l'union libre et, d'autre part, du préjudice subi dans l'exploitation du
kiosque en raison des vols qui auraient été commis par le demandeur.

Statuant le 15 janvier 2003, le Président du Tribunal civil d'arrondissement
de Lausanne a reconnu la défenderesse débitrice du demandeur de la somme de
16'500 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 1999.

Le jugement rendu par ce magistrat repose, en substance, sur les motifs
suivants: fondée sur le contrat de prêt que les parties ont conclu le 6
octobre 1998, la prétention du demandeur tendant au remboursement de 19'567
fr. 75 avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 1999 est en principe justifiée,
la destruction unilatérale, par la défenderesse, de la convention écrite n'y
changeant rien. En revanche, le demandeur ne saurait faire valoir une
quelconque prétention en rapport avec la procédure pénale ouverte contre lui
dans la mesure où la défenderesse, en le dénonçant au juge pénal, n'a pas agi
avec malveillance ni de façon abusive. S'agissant des créances invoquées en
compensation, la défenderesse n'a pas apporté la preuve des vols que le
demandeur aurait commis à son détriment. En ce qui concerne la prétention du
chef de la liquidation de l'union libre, qui doit être opérée en conformité
avec les règles régissant la liquidation de la société simple, il sied de
rappeler que l'art. 531 al. 2 CO présume que les apports des parties sont
égaux. En l'occurrence, sur le vu de l'ensemble des éléments figurant au
dossier, et eu égard en particulier aux faibles revenus de la défenderesse,
il est invraisemblable que celle-ci ait payé l'entier des dépenses
d'entretien des concubins. On doit, au contraire, tenir pour acquis que le
demandeur a participé dans une mesure non négligeable aux dépenses courantes
pendant la vie commune. Pour le surplus, la défenderesse n'a pas établi que
la liquidation de l'union libre se soit soldée par un bénéfice ou des pertes,
ni d'ailleurs que le demandeur ait fait des économies pendant la vie commune.
Elle n'est donc titulaire d'aucune créance à l'encontre de ce dernier du chef
de cette liquidation. Dans la mesure où, de l'avis même des parties, le
kiosque ne faisait pas partie de la société simple formée par les concubins,
le prêt consenti par le demandeur pour l'acquisition de ce commerce doit être
remboursé par la défenderesse en capital et intérêts. Tel n'est pas le cas du
second prêt, les 3'000 fr. versés à ce titre par le demandeur à sa compagne
ayant constitué une participation aux frais communs. De son côté, la
défenderesse peut exiger la restitution des 2'900 fr. qu'elle a investis pour
financer l'acquisition en leasing du véhicule de marque BMW 320d par le
demandeur. En définitive, ce dernier a droit au paiement d'un montant -
arrondi - de 16'500 fr. avec les intérêts y afférents.
Saisie par la défenderesse, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du
canton de Vaud a confirmé le jugement de première instance par arrêt du 14
avril 2004. Elle a considéré que l'état de fait dudit jugement, complet et
conforme aux pièces du dossier, lui permettait de statuer sans qu'une
instruction complémentaire, qui n'avait pas été requise, fût nécessaire. Sur
le fond, l'autorité de recours a repris à son compte les motifs retenus par
le premier juge au sujet des dépenses d'entretien des concubins, en précisant
qu'il ne lui était pas possible de déterminer exactement les apports
effectués par l'un et l'autre pour payer les frais du ménage.

C.
Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté par arrêt séparé
de ce jour, la défenderesse interjette un recours en réforme dans lequel elle
invite le Tribunal fédéral à débouter le demandeur de toutes ses conclusions.
La défenderesse requiert également sa mise au bénéfice de l'assistance
judiciaire.

Le demandeur propose le rejet du recours.

Par décision du 17 juin 2004, la Cour de céans a admis la demande
d'assistance judiciaire et désigné Me Alexandre Bernel comme avocat d'office
de la recourante.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1  Interjeté par la partie qui a été condamnée à verser une somme d'argent
à
l'autre partie et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance
cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) dans une contestation
civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. fixé à l'art.
46 OJ, le présent recours est recevable, puisqu'il a été déposé en temps
utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).

1.2  Lorsqu'il est saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit
conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient
été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les
constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte
de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64
OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).

Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions
des parties, mais elle n'est pas liée par les motifs invoqués dans les
écritures (art. 63 al. 1 OJ), ni par l'argumentation juridique retenue par la
cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 in fine, p.
140).

2.
La défenderesse soutient que la cour cantonale a violé le droit fédéral en
n'admettant pas que les prétentions du demandeur envers elle étaient plus que
compensées par ses propres prétentions à l'encontre de ce dernier.

S'agissant des frais assumés par le demandeur pour le compte de la société
simple, la défenderesse conteste que l'on puisse considérer, comme l'ont fait
les juges cantonaux, que le demandeur ait fait un apport en nature à la
société simple en travaillant sans rémunération dans le kiosque tenu par sa
concubine. En effet, il a été expressément admis par les parties et les deux
juridictions cantonales que le kiosque était exclu de la société simple
formée par les concubins. Le service rendu hors société simple, qui n'a duré
qu'un mois, ne saurait, au demeurant, fonder une prétention du demandeur qui,
précisément, n'a jamais soutenu avoir droit à une telle rémunération.

Les juges cantonaux se voient, en outre, reprocher d'avoir implicitement
admis, à la suite du premier magistrat, que l'art. 531 al. 2 CO pose la
présomption selon laquelle "les apports des parties sont égaux" alors que
cette disposition exige, sauf convention contraire, que les apports soient
égaux.
La défenderesse invoque également une violation de l'art. 8 CC au motif que
les juges précédents, en considérant qu'il n'existait pas d'éléments de
preuve suffisants quant aux apports respectifs de chacune des parties, lui
auraient implicitement imposé de prouver non seulement ses propres apports,
mais aussi ceux de son ex-partenaire.

Enfin, la défenderesse s'emploie à démontrer que, même en admettant, par
impossible, que chaque concubin n'ait droit qu'à la restitution de la moitié
des montants dépensés par lui pour la société simple, il en résulterait un
solde actif en sa faveur, après compensation des créances réciproques.

3.
Dans l'arrêt séparé qu'elle a rendu ce jour sur le recours de droit public
connexe, la Cour de céans, examinant à titre préjudiciel la question -
juridique - de savoir dans quelle mesure la défenderesse pouvait faire valoir
une prétention en remboursement d'une partie de ses contributions courantes
au ménage commun, a considéré que l'intéressée n'était pas titulaire d'une
créance de ce chef envers le demandeur, quelle qu'ait été l'ampleur des
dépenses consenties par elle pour le compte du ménage (cf. consid. 2.2.2
dudit arrêt). Il lui est donc apparu que la mesure dans laquelle chaque
partenaire avait contribué aux dépenses courantes du ménage commun ne
constituait pas un fait juridiquement pertinent pour la solution du litige.

D'où il suit que tous les griefs articulés dans le recours en réforme
relativement à ce fait, qu'il s'agisse des violations alléguées de l'art. 531
al. 2 CO ou de l'art. 8 CC, tombent à faux.

Par identité de motif, il n'est pas déterminant de savoir si le travail non
rémunéré effectué par le demandeur durant le mois de novembre 1998 dans le
kiosque tenu par la défenderesse pouvait être considéré comme un apport en
nature à la société simple, ainsi qu'en a décidé le premier juge. En effet,
lors même que ce ne serait pas le cas, la situation juridique de la
défenderesse ne s'en trouverait pas modifiée pour autant, car l'intéressée ne
pourrait de toute façon pas exiger du demandeur qu'il lui rembourse une
partie des fonds qu'elle a investis pour payer les frais du ménage commun. Au
demeurant, si tout porte à admettre, contrairement à l'avis du premier
magistrat, que le kiosque était exorbitant de la société simple, il ne
s'ensuit pas nécessairement que le demandeur ne puisse pas faire valoir une
prétention pour le travail non payé qu'il y a effectué pendant un mois, en se
fondant sur l'art. 320 al. 2 CO (cf. Werro, op. cit., p. 47 n. 133; arrêt
4C.89/1999 du 23 août 1999, consid. 2a et les références).
Ainsi, en écartant la prétention litigieuse, la cour cantonale a choisi une
solution qui n'est pas contraire au droit fédéral, sinon dans tous ses
motifs, du moins dans son résultat.

4.
La créance du demandeur visant au remboursement, intérêts en sus, des 19'567
fr. 75 prêtés par lui à la défenderesse pour le financement de l'acquisition
du kiosque a été reconnue par les deux instances cantonales et n'est pas
véritablement contestée par la bénéficiaire de cet argent, même si cette
dernière parle, à ce propos, du "prétendu prêt".
Il n'est pas non plus contesté que la défenderesse a droit au remboursement
des fonds qu'elle a avancés au demandeur pour l'achat de sa BMW 320d (2'900
fr.). Le premier juge lui a d'ailleurs expressément reconnu ce droit. Même si
les juridictions cantonales n'en ont pas tenu compte, à tort et sans en
expliquer la raison d'ailleurs, on peut y ajouter le montant de 264 fr.50
correspondant aux factures de l'écrivain public Z.________, payées par la
défenderesse, mais qui concernent un litige ayant opposé le demandeur à son
employeur de l'époque.

Aussi, après compensation de ces prétentions réciproques des parties, qui
sont exorbitantes de la relation de concubinage et qui n'influent pas sur la
liquidation de la société simple formée par les ex-partenaires, il subsiste
un solde de 16'403 fr. 25 en faveur du demandeur au lieu des 16'500 fr.
portés en compte par les juges cantonaux. L'arrêt attaqué sera dès lors
réformé dans ce sens.

5.
La modification infime de l'arrêt déféré ne commande pas de laisser une
partie des frais de la procédure fédérale à la charge du demandeur, ni de
réduire l'indemnité à laquelle il peut prétendre pour ses dépens, non plus
que de modifier la répartition des frais antérieurs (cf. art. 157 OJ).

Cela étant, bien qu'elle succombe dans la quasi-totalité de ses conclusions,
la défenderesse n'aura pas à payer les frais de la procédure fédérale,
puisqu'elle a été mise au bénéfice de l'assistance judiciaire (art. 152 al. 1
OJ). Elle devra, en revanche, indemniser le demandeur, en application de
l'art. 159 al. 1 OJ. Quant aux honoraires de son avocat d'office, ils seront
supportés par la Caisse du Tribunal fédéral, conformément à l'art. 152 al. 2
OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens
que la défenderesse est reconnue débitrice du demandeur de la somme de 16'403
fr. 25 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 1999.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 1'500 fr. à titre de
dépens.

4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Alexandre Bernel la somme de 1'500
fr. à titre d'honoraires.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 10 septembre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: