Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.142/2004
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4C.142/2004 /ech

Arrêt du 4 octobre 2004
Ire Cour civile

MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch,
Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Aubry Girardin.

X. ________,
demanderesse et recourante, représentée
par Me Nicolas Jeandin,
contre
A.________,
1205 Genève, défendeur et intimé, représenté
par Me Jean-Jacques Martin,
B.________,
défendeur et intimé, représenté par Me Nicolas Peyrot,
C.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Jean Patry,
D.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Pierre-Louis Manfrini.

responsabilité des administrateurs d'une société anonyme; prescription
(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice
genevoise du 13 février 2004).

Faits:

A.
En 1980, X.________, établissement de droit liechtensteinois dont le siège
est à Vaduz, a ouvert auprès de la société de gestion de fortune Y.________
S.A., devenue Z.________ S.A. en novembre 2000 (ci-après : la Société), un
compte no ... comportant plusieurs rubriques, dont un compte-courant et un
dépôt-titre.

Le 25 octobre 1991, A.________, administrateur président et délégué de la
Société, a été inculpé et arrêté dans le cadre d'une enquête pénale en
relation avec des fonds déposés par certains clients.

Le 8 novembre 1991 s'est tenue une réunion extraordinaire du conseil
d'administration de la Société, lors de laquelle les administrateurs suivants
étaient présents : C.________, B.________ et D.________. L'un des ayants
droit économiques de X.________ a assisté à cette réunion en qualité
d'invité. Celui-ci s'est vu confier la tâche d'organiser la Société de
manière à ce qu'elle puisse poursuivre ses activités.

Le 5 décembre 1991, X.________ a donné en vain pour instruction à la Société
de transférer immédiatement, auprès d'un établissement bancaire, la totalité
des avoirs déposés sur son compte no .... Des mises en demeure ont suivi,
mais sont restées vaines.

Lors de la réunion du conseil d'administration de la Société du 12 mars 1992,
il a été demandé à un expert-comptable d'éclaircir la situation, afin de
déterminer si les avoirs de X.________ pouvaient être libérés ou si la
Société avait des prétentions à faire valoir contre celle-ci et/ou ses ayants
droit économiques.

Le 16 mars 1992, le conseil d'administration de la Société a ordonné à son
personnel de ne pas transférer les avoirs de X.________ encore déposés sur le
compte no ....

Par lettre du 25 mars 1992, la Société a informé X.________ qu'elle disposait
de contre-créances à son encontre qui excéderaient le montant des avoirs dont
la restitution était requise. Elle a excipé de compensation et a refusé de se
départir des valeurs en dépôt.

Le 26 mars 1992, X.________ a formé contre la Société une requête en
restitution de l'intégralité des titres encore en dépôt sur le compte ...
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, qu'elle a par la
suite modifiée en une action en paiement portant sur 1'075'486 fr. 65, les
titres ayant été vendus par la Société.

Par note du 22 octobre 1992 destinée au conseil d'administration, l'expert
comptable a dressé une liste détaillée des contre-prétentions de la Société à
l'encontre de X.________, qui représentaient une valeur totale supérieure à
celle du dépôt de titres bloqué.

Le 27 novembre 1992, dans son mémoire réponse à la requête de restitution, la
Société a formellement excipé de compensation à l'encontre de X.________.

Le 9 décembre 1992, le conseil d'administration a discuté longuement de la
compensation opérée sur le compte X.________. Il a été décidé de demander un
avis de droit à un homme de loi indépendant.

Au 30 juin 1993, la valeur du portefeuille-titres de X.________ auprès de la
Société s'élevait à 1'071'486 fr. 65.

Dans un avis de droit du 6 septembre 2003, l'avocat mandaté a conclu en
substance à la réalisation des conditions de la compensation.

Le 20 octobre 1993, à la suite de l'avis de droit précité, les membres du
conseil d'administration de la Société ont approuvé à l'unanimité le principe
de la compensation.

Les 28 juin, 29 septembre et 9 novembre 1993, la Société a procédé à la vente
de gré à gré de l'ensemble des valeurs et titres déposés sur le compte no
....

Le 3 février 1994, X.________ a déposé une plainte pénale contre les organes
de la Société pour abus de confiance en raison de la compensation exercée par
celle-ci. X.________ a notamment énuméré de manière détaillée les actifs
qu'elle revendiquait.

Cette plainte a été classée par le Procureur général le 21 juin 1996. Ce
classement a été confirmé par la Chambre d'accusation le 11 avril 1997, qui a
souligné la nature civile prépondérante du litige.
Le 5 mars 2001, le Tribunal de première instance du canton de Genève a
prononcé la faillite de la Société. Celle-ci s'est clôturée le 28 février
2003, sans que X.________ n'ait produit une quelconque créance.

Le 14 mars 2001, le Tribunal de première instance a condamné la Société à
payer à la demanderesse 1'075'486 fr. 65 avec intérêt à 5 % dès le 30 juin
1993, estimant que la compensation n'était pas légitime, la Société n'ayant
pu établir le bien-fondé de ses contre-créances.

B.
Les 7 et 15 août, ainsi que le 7 novembre 2001, X.________ a fait notifier
individuellement à A.________, à B.________, à C.________ et à D.________ un
commandement de payer à hauteur de 1'075'486 fr. 65, plus 22'050 fr. et
100'000 fr., ainsi que les intérêts y afférents. Les anciens administrateurs
de la Société ont tous formé opposition.

Statuant sur l'action en paiement déposée par X.________ à l'encontre des
administrateurs à la suite des poursuites précitées, le Tribunal de première
instance, par jugement du 8 mai 2003, a débouté X.________ de toutes ses
prétentions, au motif qu'elles étaient prescrites.

Par arrêt du 13 février 2004, la Chambre civile de la Cour de justice a
rejeté l'appel formé par X.________ et confirmé le jugement attaqué.

C.
Contre cet arrêt, X.________ interjette un recours en réforme au Tribunal
fédéral. Elle conclut à l'annulation de la décision attaquée, au déboutement
des défendeurs de leur exception de prescription, à ce qu'il soit dit en
conséquence que son action en responsabilité n'est pas prescrite et au renvoi
du dossier à la juridiction cantonale pour qu'elle statue sur le fond et sur
les dépens.

A. ________ propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt du 13
février 2004. B.________, C.________ et D.________ concluent, pour leur part,
au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité et à la confirmation de
l'arrêt entrepris.

Par ordonnance du 16 juin 2004, le Président de la Ire Cour civile, donnant
suite aux requêtes de sûretés en garantie des dépens présentées par chacun
des quatre défendeurs, a invité X.________ à verser la somme de 56'000 fr.
(soit 4 x 14'000 fr.), ce qui a été fait dans le délai imparti.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision qui admet l'exception de prescription et rejette la demande au
fond est une décision finale au sens de l'art. 48 al. 1 OJ (ATF 121 III 270
consid. 1; 118 II 447 consid. 1b p. 450). Interjeté par la société
demanderesse qui a entièrement succombé dans son action en paiement et dirigé
contre un jugement rendu en dernière instance cantonale par un tribunal
supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le recours porte sur une contestation civile
dont la valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 8'000 fr. (art. 46
OJ). Il a en outre été déposé en temps utile (art. 32 et 54 al. 1 OJ) et dans
les formes requises (art. 55 OJ). Il convient donc d'entrer en matière.

Quant aux réponses fournies par les quatre défendeurs, elles ont également
été remises dans le délai légal, compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. b
et 59 OJ).

2.
Se fondant sur l'art. 760 CO, la demanderesse reproche à la cour cantonale
d'avoir considéré que son action en responsabilité était prescrite, au motif
qu'elle aurait eu connaissance du dommage dès le mois de mars 1992.

2.1 La jurisprudence reconnaît que la prescription des actions en
responsabilité dirigées notamment contre les administrateurs d'une société
anonyme tombe sous le coup de l'art. 760 CO (arrêts du Tribunal fédéral
4C.155/202 du 9 septembre 2002, consid. 2.2., et 4C.298/200 du 21 décembre
2000, consid. 3).

Comme cette disposition a rigoureusement la même teneur que l'art. 760 aCO,
il n'y a pas lieu de se demander si c'est l'ancienne ou la nouvelle version
de cet article qu'il convient d'appliquer (cf. arrêt du Tribunal fédéral
4C.298/2000 précité, consid. 3 in fine). En outre, les principes
jurisprudentiels rendus sous l'empire de l'ancien droit restent d'actualité
(Widmer/Banz, Commentaire bâlois, art. 760 CO no 1).

2.2 Il ressort de l'art. 760 al. 1 CO que les actions en responsabilité du
droit de la société anonyme se prescrivent par cinq ans à compter du jour où
la partie lésée a eu connaissance du dommage, ainsi que de la personne
responsable et, dans tous les cas, par dix ans dès le jour où le fait
dommageable s'est produit. L'art. 760 al. 2 CO réserve l'application de la
prescription pénale si elle est plus longue.

A juste titre, la demanderesse n'invoque plus, à ce stade de la procédure,
l'application de la prescription découlant de la loi pénale. La plainte
pénale déposée à l'encontre des défendeurs le 3 février 1994 s'est en effet
soldée par un classement du Procureur général, confirmé par la Chambre
d'accusation, soit par une décision qui a pour effet de mettre un terme en
principe définitif à la poursuite pénale et qui lie le juge civil (cf. arrêt
du Tribunal fédéral 4C.234/1999 du 12 janvier 2000, in SJ 2000 I 421, consid.
5c/aa et bb).

Il n'est également à bon droit pas contesté par les parties qu'en août et en
novembre 2001, soit au moment où la demanderesse a fait notifier à chacun des
défendeurs un commandement de payer interrompant la prescription
(Widmer/Banz, op. cit., art. 760 CO no 2), le délai de prescription absolu de
dix ans réservé à l'art. 760 al. 1 in fine CO n'était pas encore atteint.

Le litige porte donc exclusivement sur la détermination du point de départ de
la prescription quinquennale de l'art. 760 al. 1 CO, en relation avec le
moment de la connaissance du dommage.

3.
Selon l'arrêt attaqué, la demanderesse a acquis la connaissance de
l'existence, de la nature et de l'ampleur du dommage lorsqu'elle a reçu, le
25 mars 1992, le courrier l'informant que la société entendait exciper de
compensation et refusait de lui rendre ses avoirs. Le lendemain, elle a
d'ailleurs formé contre la société une requête en restitution des titres en
dépôt, qui contenait une liste détaillée des avoirs dont elle s'estimait
spoliée.

La demanderesse soutient que ce raisonnement viole la notion même de dommage.
A son avis, le refus de la société du 25 mars 1992 de lui restituer ses
avoirs n'a pas diminué son patrimoine. Ce n'est qu'au moment où sa créance,
établie par le Tribunal de première instance le 14 mars 2001, est devenue
irrécouvrable en raison de l'insolvabilité de la société que son patrimoine
s'est trouvé diminué et qu'est alors née une créance en réparation envers les
administrateurs. Cette situation serait comparable à celle dans laquelle se
trouve une caisse de compensation qui détient une créance en paiement des
cotisations sociales envers la société ou celle d'une personne qui a
contracté avec une société sans savoir qu'elle était surendettée. Dans ces
deux cas, le dommage dépend de la situation patrimoniale de la société et ne
survient qu'une fois la perte du créancier dans la faillite connue.

Cette argumentation révèle une divergence entre la cour cantonale et la
demanderesse à propos du dommage qui fait l'objet de la présente action en
responsabilité et suppose, dans un premier temps, de cerner celui-ci.

4.
Les créanciers sociaux peuvent être lésés directement ou de manière seulement
indirecte, en raison du comportement des organes de la société, en
l'occurrence des administrateurs.

Lorsque le comportement des organes cause un dommage aux créanciers à titre
personnel, indépendamment de tout préjudice à la société, ceux-ci subissent
un dommage direct (cf. ATF 110 II 391 consid. 1, confirmé notamment in arrêts
du Tribunal fédéral 4C.316/2003 du 3 mars 2004, consid. 6.1, et 4C.188/2003
du 22 octobre 2003, consid. 3.1). Le propre d'un tel dommage est que sa
réparation peut être invoquée en tout temps par les créanciers, peu importe
que la société ait été mise en faillite ou non (ATF 127 III 374 consid. 3a p.
377).

Les créanciers sociaux peuvent aussi subir une perte dans la mesure où ils ne
récupèrent pas ou seulement de manière partielle leurs prétentions dans le
cadre de la faillite de la société. Par rapport à d'éventuels manquements des
organes, leur dommage n'est alors qu'indirect, car il découle de
l'insolvabilité de la société (ATF 128 III 180 consid. 2c p. 183). Dans ce
cas de figure, les manquements des organes causent en premier lieu un dommage
à la société, les créanciers et les actionnaires n'étant lésés que par
ricochet. Tant que la société demeure solvable, c'est-à-dire qu'elle est en
mesure d'honorer ses engagements, le dommage reste dans sa seule sphère, sans
toucher les créanciers sociaux, qui pourront obtenir le plein de leurs
conclusions (arrêts du Tribunal fédéral précités 4C.316/2003, consid. 6.1, et
4C.188/2003 du 22 octobre 2003, consid. 3.1).
4.1 Il ressort de l'arrêt attaqué que la demanderesse était titulaire d'un
compte auprès d'une société de gestion de fortune comportant plusieurs
rubriques, dont un dépôt de titres. Depuis le 5 décembre 1991, la
demanderesse a sommé en vain la société de transférer la totalité des avoirs
déposés sur son compte auprès d'un établissement bancaire. Le 25 mars 1992,
la société lui a indiqué clairement qu'elle ne se départirait pas des valeurs
en dépôt, en excipant de compensation.

Devant un tel refus, la demanderesse a introduit plusieurs procédures. Dès le
lendemain, soit le 26 mars 1992, elle a déposé une demande en justice à
l'encontre de la société tendant à la restitution de ses avoirs, qui s'est
finalement soldée, le 14 mars 2001, par la condamnation de la société à lui
payer 1'075'486 fr. 65. Parallèlement à cette action, la demanderesse a
également formé, le 3 février 1994, une plainte pénale contre les organes de
la société, qui a abouti à un classement confirmé par la Chambre d'accusation
le 11 avril 1997, en raison notamment de la nature civile prépondérante du
litige. Enfin, en août et novembre 2001, la demanderesse a introduit des
poursuites à l'encontre des administrateurs et, à la suite de leurs
oppositions, elle a déposé l'action en paiement qui fait l'objet de la
présente procédure. En revanche, la demanderesse n'a produit aucune créance
contre la société, dont la faillite s'est clôturée le 28 février 2003.

Dans la procédure civile dirigée contre les administrateurs, qui seule doit
être examinée en l'espèce, la demanderesse cherche à obtenir la réparation du
dommage découlant du refus de la société, exprimé clairement le 25 mars 1992,
de lui restituer les valeurs en dépôt. Elle ne reproche pas aux
administrateurs d'avoir provoqué la faillite de la société en manquant
fautivement à leurs devoirs, ce qui lui aurait fait subir un dommage
indirect. Il apparaît ainsi que la demanderesse fait valoir un dommage
qu'elle a subi personnellement et qui est intervenu en-dehors de tout
préjudice à la société. Tout donne du reste à penser que la société ait
elle-même été bénéficiaire dans cette opération, puisqu'elle a ainsi disposé
d'actifs supplémentaires, qu'elle a vendus de gré à gré entre le 28 juin et
le 9 novembre 1993, sans qu'il n'ait finalement pu être établi qu'elle aurait
disposé de créances correspondantes, opposables en compensation. Il en
découle que les prétentions de la demanderesse envers les administrateurs
tendent à la réparation de son dommage direct.

5.
Les caractéristiques du dommage invoqué étant précisées, il convient de
vérifier si, comme le soutient la demanderesse, la cour cantonale a violé le
droit fédéral en considérant que, dès le 26 mars 1992, celle-ci avait
connaissance du dommage. Cette question suppose de déterminer au préalable à
quel moment le dommage est survenu.

5.1 Si les délais de prescription prévus à l'art. 760 CO valent aussi bien
pour le dommage direct que pour le dommage indirect (Widmer/Banz, op. cit.,
art. 760 CO no 3), le moment de la réalisation du préjudice ne sera pas
identique selon le dommage invoqué, puisque, comme on vient de le voir, le
premier survient indépendamment de tout préjudice à la société, alors que le
second ne se concrétise qu'au moment où l'insolvabilité de la société est
établie.

La présente action porte sur la réparation du dommage direct subi par la
demanderesse du fait qu'elle n'a pu récupérer les fonds qu'elle avait déposés
auprès de la société (cf. supra consid. 4). Or, selon les constatations
cantonales, c'est le 25 mars 1992 que la société a exprimé clairement son
intention de ne pas donner suite aux requêtes de la demanderesse et a refusé
de se départir des valeurs en dépôt, en excipant de compensation. La
créancière, qui cherchait depuis le mois de décembre 1991 à obtenir le
transfert de la totalité des avoirs déposés sur son compte auprès d'un
établissement bancaire, a alors reçu la confirmation que la société
n'entendait pas s'exécuter. N'en déplaise à la demanderesse, la cour
cantonale n'a pas méconnu la notion juridique du dommage (cf. ATF 129 III 18
consid. 2.4; 331 consid. 2.1 et les arrêts cités) en considérant que, dans
ces circonstances, celui-ci s'était réalisé le 25 mars 1992. Le refus de la
société de restituer les avoirs, exprimé fermement ce jour-là, a en effet
causé à la demanderesse une diminution de sa fortune consistant dans le fait
que la société s'est approprié ses actifs et qu'elle n'a plus pu en disposer
librement. Le dommage direct dont la réparation fait l'objet de la présente
procédure est indépendant de la faillite de la société elle-même, qui a été
clôturée plus de dix ans après. Le comportement reproché aux administrateurs
par la demanderesse en rapport avec la non-restitution de ses fonds n'a
d'ailleurs nullement été préjudiciable à la société; au contraire, il lui a
permis de disposer de fonds supplémentaires et ce au moins dès le mois de
mars 1992. C'est donc bien à cette période que le dommage direct invoqué par
la demanderesse s'est réalisé.

Celle-ci disposait alors d'un concours d'actions, l'une de nature
contractuelle envers la société et l'autre de nature délictuelle envers les
administrateurs. La demanderesse a immédiatement mis en oeuvre l'action
contractuelle, puisqu'elle a déposé une demande en restitution à l'encontre
de la société dès le 26 mars 2002. Rien ne l'empêchait toutefois, selon les
règles de la solidarité, en l'occurrence imparfaite, de demander
parallèlement réparation aux organes, sans attendre la faillite de la
société, ce qui démontre bien que le dommage dont elle se prévaut était
antérieur.

5.2 La demanderesse ne peut ainsi être suivie lorsqu'elle soutient que son
dommage n'est survenu qu'au moment de l'insolvabilité avérée de la société.
Quant à l'analogie qu'elle cherche à tirer avec la situation d'une caisse de
compensation ou de celui qui contracte avec une société surendettée et dont
la mesure du dommage dépend de la situation patrimoniale de la société, elle
n'est pas pertinente, car elle concerne des cas de dommage indirect. En
effet, dans les arrêts cités dans le recours, tant la caisse de compensation
que le créancier font valoir le dommage qu'ils ont subi en raison de la
faillite de la société, du fait que celle-ci n'est désormais plus en mesure
d'honorer ses engagements (cf. ATF 128 V 15 consid. 2a; 126 V 443 consid. 4c
p. 448 s.; 122 III 176 consid. 7b p. 190). La doctrine précise du reste
toujours que c'est seulement en relation avec le dommage indirect que se pose
la question délicate de savoir à partir de quel moment le créancier est
réputé avoir connaissance de son préjudice en cas de faillite ou de procédure
concordataire (cf. Böckli, Schweizer Aktienrecht, 3e éd. Zurich 2004, § 18 no
470; Widmer/Banz, op. cit., art. 760 CO no 5; Reiter, Prozessrechtliche
Probleme in Verantwortlichkeitsverfahren, Verantwortlichkeit im
Unternehmensrecht, Zurich 2003, p. 165 ss, 167). S'agissant, comme en
l'espèce, d'une action en responsabilité pour le dommage direct, on ne voit
pas que l'on puisse appliquer les mêmes règles et exiger du créancier qu'il
attende l'hypothétique insolvabilité de la société avant de pouvoir agir,
alors que le préjudice qu'il a subi est indépendant.

Enfin, en soutenant que son dommage ne serait survenu qu'en 2001, la
demanderesse adopte une position peu cohérente. Elle semble oublier qu'elle a
immédiatement réagi au refus exprimé par les organes de lui rendre ses
avoirs, en déposant, le 26 mars 1992, une demande en restitution à l'encontre
de la société, ce qui démontre qu'elle considérait que la décision exprimée
le 25 mars 1992 lui était préjudiciable. Elle a alors choisi de s'en prendre
à la société, mais, disposant d'un concours d'actions (cf. supra consid.
5.1), elle aurait aussi pu opter pour une action en responsabilité envers les
administrateurs. Du reste, elle n'a pas attendu la faillite de la société
pour déposer, le 3 février 1994, une plainte pénale contre les organes de
celle-ci, sur la base du même état de fait que celui fondant la présente
action en responsabilité et en énumérant de manière détaillée les actifs
qu'elle revendiquait.

5.3 Le dommage direct réclamé aux défendeurs étant survenu lors du prononcé
du refus de la société de restituer les fonds à la demanderesse, le 25 mars
1992, il faut encore déterminer le moment auquel la demanderesse à eu
connaissance de ce dommage.

Selon la jurisprudence, la connaissance du dommage par le lésé au sens de
l'art. 760 al. 1 CO suppose que celui-ci soit informé des circonstances
relatives à son existence, à sa nature et à ses caractéristiques essentielles
au point qu'il soit à même de déposer une action en justice et de motiver sa
demande. Il n'est toutefois pas nécessaire qu'il puisse arrêter la quotité du
dommage par des chiffres précis (ATF 116 II 158 consid. 4a; 100 II 339
consid. 1a; confirmés in arrêt du Tribunal fédéral 4C.298/2000 du 22 décembre
2000, consid. 5a).

En l'occurrence, les juges ont relevé qu'à partir du moment où la
demanderesse a été informée du refus de la société de libérer les valeurs
qu'elle avait déposées sur son compte et de sa volonté d'opérer une
compensation, elle connaissait les circonstances, la nature et les
caractéristiques essentielles de son dommage, comme le démontrait l'action en
constatation introduite le lendemain à l'encontre de la société, qui
contenait une liste détaillée des avoirs dont la demanderesse s'estimait
spoliée. Compte tenu de ces éléments, qui relèvent du fait et ne peuvent être
remis en cause dans un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ), on ne voit
manifestement pas en quoi l'arrêt attaqué serait contraire à l'art. 760 al. 1
CO lorsqu'il retient que, dès le 26 mars 1992, la demanderesse avait
connaissance du dommage.

C'est donc à juste titre que la cour cantonale a fait commencer le délai de
prescription relatif de cinq ans prévu à l'art. 760 al. 1 CO à partir du 3
février 1994, date à laquelle la demanderesse a déposé sa plainte pénale
contre les organes de la société, dès lors qu'à ce moment, la société, qui
connaissait déjà son dommage, était en mesure de désigner les personnes
qu'elle tenait pour responsables. Le premier acte interruptif de prescription
consistant en des poursuites introduites contre les défendeurs en août et en
novembre 2001, on ne peut reprocher à la cour cantonale d'avoir violé le
droit fédéral en retenant que les prétentions, objet de la présente
procédure, étaient prescrites.

Dans ces circonstances, le recours ne peut qu'être rejeté.

6.
La demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux frais et dépens (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ). Le montant des dépens correspondra aux sûretés
fournies.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 12'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.

3.
La demanderesse versera à chacun des défendeurs une indemnité de 14'000 fr. à
titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice genevoise.

Lausanne, le 4 octobre 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: