Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.132/2004
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4C.132/2004 /viz

Arrêt du 26 juillet 2004
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

Assurance X.________,
défenderesse et recourante,
représentée par Me Michel Bergmann, avocat,

contre

A.________,
B.________,
demandeurs et intimés,
tous les deux représentés par Me Oswald Bregy, avocat,

Responsabilité civile du détenteur de véhicule automobile,

recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève
du 13 février 2004.

Faits:

A.
Le 8 janvier 1997, un accident a eu lieu sur la route de St-Julien, à la
hauteur du chemin de Vers. Sont impliqués A.________, qui roulait à scooter
en direction de Carouge, et C.________, qui venait de quitter le "stop" du
chemin de Vers au volant de son automobile, pour obliquer sur la gauche en
direction de Plan-les-Ouates. Les deux conducteurs ont donné des versions
divergentes de l'accident, au cours duquel A.________ a été grièvement
blessé.

B.
Par acte du 22 juin 2001, A.________ - qui a ultérieurement cédé ses
prétentions à son ex-épouse afin qu'elle puisse agir à ses côtés - a saisi le
Tribunal de première instance du canton de Genève d'une demande en paiement
dirigée contre l'assurance X.________, qui couvre en responsabilité civile
C.________. Il réclame le paiement d'une somme totale de 640'763 fr. à titre
de perte de gain (pour activité principale et pour activité accessoire), de
tort moral et de dommage causé à son véhicule.
Le tribunal a ordonné une instruction partielle sur le principe de la
responsabilité. Par jugement du 8 avril 2003, il a exclu toute faute de la
part de l'automobiliste et entièrement rejeté la demande.
La Cour de justice du canton de Genève a annulé cette décision dans un arrêt
du 13 février 2004. Elle a retenu que l'automobiliste, pour n'avoir pas
vérifié qu'aucun véhicule ne venait sur sa gauche, avait commis une faute
grave, mais non exclusive, qui justifiait que son assurance responsabilité
civile supporte le dommage à raison de 70 %, les risques inhérents aux deux
véhicules se neutralisant. Le dossier a été renvoyé au Tribunal de première
instance pour examen de la quotité du dommage.

C.
L'assurance X.________ recourt en réforme au Tribunal fédéral. Ses
conclusions tendent à l'annulation de l'arrêt du 13 février 2004 et au
déboutement des demandeurs de toutes leurs conclusions.
Les demandeurs proposent le rejet du recours.
La cour cantonale ne formule pas d'observations.

D.
Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable un recours de
droit public que les demandeurs avaient déposé parallèlement contre l'arrêt
du 13 février 2004.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1  L'arrêt attaqué ne met pas fin à la procédure entre les parties, puisque
le Tribunal de première instance doit rendre un nouveau jugement. Il ne
s'agit donc pas d'une décision finale au sens de l'art. 48 OJ. En effet, pour
qu'une décision soit qualifiée de finale au sens de cette disposition, il
faut d'une part qu'elle mette un terme à la procédure entre les parties (ATF
123 III 140 consid. 2a; cf. Corboz, Le recours en réforme au Tribunal
fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, 6) et, d'autre part, que l'autorité cantonale
ait statué sur le fond de la prétention ou s'y soit refusée pour un motif qui
empêche définitivement que la même prétention soit exercée à nouveau entre
les mêmes parties (ATF 127 III 433 consid. 1b/aa p. 435, 474 consid. 1a et
les arrêts cités). La cour cantonale n'a pas non plus, dans son dispositif,
statué sur une partie de ce qui était demandé, soit sur tout ou partie d'un
ou des quatre postes du dommage allégué, de sorte que la qualification de
décision partielle est également exclue pour ce motif (sur cette notion: cf.
ATF 129 III 25 consid. 1.1 et les arrêts cités, p. 27).

1.2  L'arrêt par lequel une autorité supérieure renvoie l'ensemble de la
cause
à l'instance inférieure pour nouveau jugement constitue une décision
incidente, même si elle tranche définitivement (dans son dispositif ou par
renvoi à ses considérants) une question préalable à la décision finale (cf.
ATF 127 III 433 consid. 1b/aa et bb p. 435 s.).
Hormis l'hypothèse, non réalisée en l'espèce, d'un recours pour violation de
prescriptions du droit fédéral sur la compétence (art. 49 al. 1 OJ), un
recours en réforme contre une décision incidente n'est recevable qu'aux
conditions posées par l'art. 50 al. 1 OJ.
Cette disposition précise qu'un tel recours n'est recevable
qu'exceptionnellement et à deux conditions. Il faut, d'une part, qu'une
décision finale puisse ainsi être provoquée immédiatement et, d'autre part,
que la durée et les frais de la procédure probatoire apparaissent si
considérables qu'il convient de les éviter en autorisant le recours immédiat
au tribunal. Ces deux exigences sont cumulatives (cf. ATF 123 III 414 consid.
3b p. 420).
Le Tribunal fédéral décide librement et sans délibération publique si ces
conditions sont remplies (art. 50 al. 2 OJ).

1.3  L'arrêt entrepris retient que la responsabilité civile de la
défenderesse
est en principe engagée par le comportement de son assurée, si bien qu'une
décision finale pourrait être immédiatement provoquée dans l'hypothèse de
l'admission du recours en réforme déposé par celle-là.
En conséquence, il convient de s'interroger sur la réalisation de la seconde
condition cumulative posée par l'art. 50 al.1 OJ.
Celle-ci suppose d'examiner si la durée et les frais de la procédure
probatoire restant à accomplir seraient si considérables qu'il convient de
les éviter en autorisant le recours immédiat au tribunal.
Comme le texte légal se réfère expressément à la procédure probatoire, le
temps naturellement nécessaire pour que les parties puissent s'exprimer et
que le tribunal puisse rendre son jugement n'entre pas en considération
(Corboz, op.cit., p. 13). Il faut seulement apprécier l'ampleur prévisible de
la procédure probatoire et déterminer si celle-ci justifie d'écarter la règle
générale selon laquelle une cause ne peut être soumise au Tribunal fédéral
qu'une seule fois.
Le recours immédiat étant exceptionnel, il convient d'interpréter la
condition issue de l'art. 50 al. 1 OJ de manière restrictive; la décision
incidente, en cas d'irrecevabilité du recours, pourra encore être attaquée
avec le fond (ATF 122 III 254 consid. 2a; 118 II 91 consid. 1b p. 92). S'il
ne découle pas manifestement de la décision entreprise ou de la nature de la
cause que la poursuite de la procédure prendra un temps considérable et
exigera des frais très importants, il incombe à la partie recourante
d'indiquer quelles sont les mesures probatoires prévisibles et pourquoi
l'administration des preuves devrait être particulièrement longue et coûteuse
(ATF 118 II 91 consid. 1a p. 92; 116 II 738 consid. 1b/aa).

1.4  En l'espèce, la cour cantonale a fixé à 70 % du dommage subi la
responsabilité civile de l'automobiliste, et a ordonné le renvoi de la
procédure au Tribunal de première instance pour examen de la quotité du
dommage. Si ce dernier est lié par la décision de renvoi et si la cour
cantonale, par hypothèse à nouveau saisie de la procédure, ne modifiera
vraisemblablement pas son opinion quant à la proportion de prise en charge du
dommage par les parties, le dossier dans son ensemble pourra, le cas échéant,
être soumis au Tribunal fédéral tant par la voie du recours en réforme que
par celle du recours de droit public. Dans la mesure où la seconde condition
de l'art. 50 al. 1 OJ ne serait pas remplie, l'économie de procédure que
postule cette règle exige que la cause ne soit examinée par le Tribunal
fédéral qu'une seule fois, au moment de la décision finale, et non pas à
l'occasion de la décision incidente tranchant une question préalable, même
déterminante comme celle de l'existence de la responsabilité civile et du
partage du dommage entre les parties.
Dans le cas particulier, le dossier est complet concernant le principe de la
responsabilité civile. Pour ce qui est du dommage, il contient déjà plusieurs
avis médicaux, notamment l'expertise orthopédique du docteur D.________ -
médecin associé au CHUV - sur mandat de la compagnie d'assurances du
scootériste et deux rapports médico-psychiatriques ou neuro-psychologiques
dont un à l'attention de l'Office cantonal AI, qui a rendu une déclaration
d'invalidité à 100 % le 1er avril 1999. Ces avis retiennent de façon univoque
et convergente une atteinte grave à l'intégrité, à des degrés divers, et
peuvent permettre la fixation de la capacité économique de gain résiduelle.
Si le premier juge estime nécessaire l'expertise multidisciplinaire, ou de
synthèse, que la défenderesse dit vouloir requérir, il s'agirait là d'une
démarche habituelle dans ce genre de litiges, qui ne revêt pas le caractère
exceptionnel justifiant le recours immédiat au Tribunal fédéral.
Au surplus, ont déjà été versées au dossier cantonal de nombreuses
informations, citées par la défenderesse elle-même, selon lesquelles le
revenu mensuel du demandeur, en sa qualité d'ancien conseiller en assurances
(agent d'assurances), ou réalisé dans le cadre de ses activités accessoires,
pourrait être inférieur à ce qu'il allègue. En outre, la production de
certificats de salaire, de déclarations fiscales et/ou de décisions de
taxation, voire de documents pris en considération par l'assurance LPP du
demandeur, permettra de se déterminer à ce sujet, peut-être sans enquête, ou
en tous cas sans procédure probatoire compliquée, longue et onéreuse. Sous
cet angle également, le cas ne présente pas les caractéristiques d'une cause
d'une difficulté particulière où la durée et les frais de la procédure
probatoire prévisible justifieraient aussi le recours immédiat au Tribunal
fédéral, vu l'interprétation restrictive qu'il convient de faire de l'art. 50
al. 1 OJ.
Dans ces conditions, le recours en réforme doit être déclaré irrecevable.

2.
La défenderesse supportera les frais de justice et versera aux intimés,
créanciers solidaires, une indemnité de dépens (art. 156 al. 1 et 7, 159 al.
1 et 5 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge de la défenderesse.

3.
La défenderesse versera aux demandeurs, créanciers solidaires, une indemnité
de 9'000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 26 juillet 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: