Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.104/2004
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4C.104/2004 /svc

Arrêt du 2 juin 2004
Ire Cour civile

MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin.

B. ________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Lucien Tissot, avocat,

contre

D.________ Ltd,
demanderesse et intimée, représentée par
Me François Bohnet et Me François Knoepfler, avocats.

Contrat de vente.

Recours en réforme contre le jugement
du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel,
IIe Cour civile, du 29 janvier 2004.

Faits:

A.
D.  ________ Ltd (ci-après: D.________) est une société basée à Hong-Kong
active dans la vente de produits de marque de différentes natures, dont des
montres et des bijoux.

B.  ________ SA (ci-après: B.________), dont le siège est actuellement à
A.________, a pour but la création, la recherche, la fabrication, le
développement et le commerce de montres et d'articles de bijouterie et de
luxe.

Le 20 juin 1997, les deux sociétés ont signé un contrat d'une durée de trois
ans, à partir de novembre 1997, par lequel D.________ s'engageait à acquérir
des produits auprès de B.________ et à les distribuer dans six points de
vente en Extrême-Orient. Le contrat était renouvelable par écrit. En cas de
ventes insuffisantes des montres B.________ durant cette période, D.________
serait autorisée à retourner le stock à la société neuchâteloise, qui aurait
l'obligation de le racheter au prix ex-usine.

Le 12 octobre 2000, D.________ a informé B.________ de son intention de ne
pas reconduire le contrat. Elle invitait sa correspondante à racheter son
stock, conformément à leur accord. La société neuchâteloise a d'abord répondu
en priant sa cocontractante de lui fournir la liste des pièces qu'elle
entendait lui retourner; trois jours plus tard, elle l'a informée qu'elle
avait pris note de sa décision, qu'elle lui a demandé de différer en
expliquant qu'elle était en discussion avec un nouveau partenaire financier.
S'en est suivi un important échange de courriers dans le but de trouver un
arrangement. Ces efforts ont été infructueux.

Le 1er février 2001, D.________ a mis en demeure B.________ de lui verser
11'774'865 HK$ 41 contre la reprise de 413 pièces selon une liste qu'elle lui
avait remise. La démarche est restée sans effet.

Le 31 octobre 2001, D.________ a fait notifier à B.________ un commandement
de payer 2'725'881 fr. 35, plus intérêts à 5 % dès le 8 février 2001. La
poursuivie a fait opposition.

B.
Par demande du 17 mai 2001, D.________ a assigné B.________ en paiement
devant le Tribunal cantonal neuchâtelois. Ses dernières conclusions, réduites
en cours de procédure notamment en raison de la vente de quelques montres du
stock, tendaient au paiement de 2'036'349 fr., de 544'893 HK$ 70, de 86'967
fr., de 61'730 fr. et de 75'509 fr. 60 (conclusions 1-5), avec intérêts. La
demanderesse voulait également qu'il soit donné acte à la partie adverse
qu'elle tenait à sa disposition, principalement à son siège de Hong-Kong,
subsidiairement au siège de la défenderesse, d'une part les 392 pièces selon
stock au 10 juillet 2002 contre paiement du montant de 2'036'349 fr., d'autre
part les 31 pièces formant le stock de Taïwan au 10 juillet 2002 contre
paiement de 61'730 fr., tous frais d'emballage, de transport, d'assurances et
autres frais à la charge de la défenderesse (conclusions 6 et 7). Enfin, elle
sollicitait la mainlevée définitive de l'opposition formée par la
défenderesse à due concurrence (conclusion 8).

La défenderesse s'est opposée à l'action. Elle a pris des conclusions très
détaillées qui avaient, dans leur dernière version, la teneur suivante:

"I. Principalement:
1. Rejeter les conclusions nos 1 et 4 du complément à la réplique, en l'état,
vu l'exception d'inexécution pour défaut de consignation des stocks.
Subsidiairement:
2. Rejeter les conclusions nos 1 et 4 du complément à la réplique pour
nullité de la clause de reprise des stocks du contrat du 20 juin 1997.
Très subsidiairement:
3. Prendre en compte en compensation le préjudice subi par la défenderesse
résultant de l'inexécution des obligations contractuelles de la demanderesse,
à hauteur de CHFr. 1'294'514.40 ou du montant que Justice connaîtra.

4.   Soumettre l'exécution du jugement à la condition que les stocks à
retourner soient consignés à Neuchâtel aux fins de vérification et
d'acceptation.

II. Rejeter la conclusion no 2 du complément à la réplique par compensation
avec le préjudice subi par la défenderesse résultant de l'inexécution des
obligations contractuelles de la demanderesse, à hauteur de CHFr. 1'294'514
.40 ou du montant que Justice connaîtra.
III. Rejeter la conclusion no 3 ramenée à CHFr. 86'967.- avec intérêts au
taux de 5 % l'an dès le 8 février 2001, par compensation avec le préjudice
subi par la défenderesse résultant de l'inexécution des obligations
contractuelles de la demanderesse à hauteur de CHFr. 1'294'514.40 ou du
montant que Justice connaîtra.
IV. Rejeter la conclusion No 5 ramenée à CHFr. 75'509.60 avec intérêts au
taux de 5 % l'an dès le 14 février 2001, par compensation avec le préjudice
subi par la défenderesse résultant de l'inexécution des obligations
contractuelles de la demanderesse à hauteur de CHFr. 1 294'514.40 ou du
montant que Justice connaîtra.

V.   Déclarer irrecevables les conclusions Nos 6 et 7.

VI. Rejeter les conclusions Nos 8 et 9.
(...)".

Par jugement du 29 janvier 2004, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal
neuchâtelois a condamné la défenderesse à payer à la demanderesse les sommes
de 2'036'349 fr. et de 61'730 fr., intérêts en sus, contre expédition par la
demanderesse, aux frais de cette dernière, respectivement des 392 montres
constituant le stock de Hong-Kong et des 31 montres constituant le stock de
Taïwan. La cour a en outre condamné la défenderesse à verser à la
demanderesse 280'557 fr. 60 avec intérêts correspondant à des frais de
publicité et au prix de huit montres déjà retournées en Suisse. Elle a
prononcé la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer
dans la poursuite xxx de l'Office des poursuites du Littoral et du
Val-de-Travers à concurrence de ce dernier montant, intérêts en sus.

C.
B. ________ recourt en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut à
l'admission
de son recours et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle
décision.

D.  ________ invite le Tribunal fédéral principalement à déclarer le recours
irrecevable, subsidiairement à le rejeter.

La cour cantonale se réfère à son jugement.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1  Interjeté en temps utile (art. 54 OJ) par la partie qui a été déboutée
de
ses conclusions et dirigé contre une décision finale rendue en dernière
instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 OJ), le recours porte
sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de
8'000 fr. (art. 46 OJ).

1.2  Les conclusions et la motivation du recours soulèvent divers problèmes
(art. 55 al. 1 let. b et c OJ).

A la différence d'un pourvoi en cassation ou en nullité, le recours en
réforme est un moyen de droit destiné à obtenir la modification de la
décision entreprise. A moins qu'il ne lui manque des éléments de fait
déterminants, le Tribunal fédéral statue donc lui-même sur le fond en cas
d'admission du recours (art. 63, 64 OJ). La loi d'organisation judiciaire
exige dès lors du recourant qu'il indique non seulement exactement les points
attaqués de la décision qu'il conteste, mais aussi quelles sont les
modifications qu'il demande, étant précisé qu'il ne peut présenter de
conclusions nouvelles (art. 55 al. 1 let. b OJ) et que le Tribunal fédéral ne
peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 63 al. 1 OJ). Un recours
sans conclusions au fond dans une cause où les faits sont clairs est d'emblée
déclaré irrecevable, sauf si les modifications souhaitées par le recourant
ressortent à l'évidence de son écriture (ATF 130 III 136 consid. 1.2; 125 III
412 consid. 1b; 110 II 74 consid. I/1; 106 II 201 consid. 1; 103 II 267
consid. 1b; 101 II 372). S'agissant des motifs du recours, il faut qu'ils
indiquent succinctement quelles sont les règles de droit fédéral violées par
la décision attaquée et en quoi consiste cette violation. Ce n'est que dès
l'instant où une conclusion est motivée de façon conforme à l'art. 55 al. 1
let. c OJ que la règle selon laquelle le Tribunal fédéral applique le droit
d'office intervient (art. 63 al. 1 et 3 OJ; Poudret, COJ II, n. 3.3 ad art.
63, p. 523).

En l'occurrence, la défenderesse conclut uniquement au renvoi du dossier en
instance cantonale, sans qu'aucun complément d'instruction n'apparaisse
nécessaire. Du surcroît, les motifs de recours ne se distinguent pas par leur
clarté. On comprend néanmoins que la défenderesse entend principalement
obtenir le rejet de la demande, subsidiairement une modification de la
condition à laquelle est subordonné le paiement des stocks d'invendus, la
condition devant être la livraison des marchandises à son siège, et non
l'expédition de celles-ci depuis Hong-Kong. L'acte de recours ne contient
aucune argumentation spécifique au sujet du prix des huit montres déjà
retournées en Suisse. De même, le calcul des montants alloués n'est pas
discuté.

La demanderesse est d'avis que, même en admettant que la défenderesse aurait
suffisamment manifesté sa volonté d'obtenir la réforme du jugement attaqué
dans le sens du rejet de l'action, une telle conclusion serait encore
irrecevable, parce que nouvelle. La recourante intervertirait en effet
l'ordre de ses conclusions principales et subsidiaires, changeant aussi le
fondement juridique de celles-ci. L'argumentation de l'intimée paraît
soutenable si on se réfère aux conclusions formelles reproduites dans le
jugement attaqué. En revanche, si on se réfère au résumé de la position de la
défenderesse qui suit immédiatement ses conclusions formelles, la situation
est moins nette. Il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant ces questions.
En effet, supposé recevable du chef de l'art. 55 al. 1 let. b et c OJ, le
recours doit de toute façon être écarté pour les raisons exposées plus bas.

1.3  Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision
attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuves
n'aient été violées, qu'il ne faille rectifier des constatations reposant sur
une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations
de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits
pertinents régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130
III 136 consid. 1.4; 127 III 248 consid. 2c p. 252; 126 III 59 consid. 2a),
toutes exceptions qu'il appartient à la partie recourante de dûment faire
valoir, faute de quoi le Tribunal fédéral s'en tient aux constatations de
fait cantonales. Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre en
cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en
découlent (ATF 130 III 102 consid. 2.2; 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127
III 543 consid. 2c p. 547; 126 III 189 consid. 2a).

En application de ces principes, tous les points de fait que la défenderesse
invoque dans son recours mais qui ne figurent pas dans le jugement ne peuvent
être pris en considération par le Tribunal fédéral.

2.
Après avoir admis sa compétence ainsi que l'applicabilité du droit suisse, la
cour cantonale a posé que les parties avaient conclu un contrat mixte ou
innomé dit de concession de vente ou de représentation. Elle a jugé qu'en
vertu du principe de la liberté contractuelle, elles étaient libres de régler
les conséquences qu'aurait pour chacune d'elles le non-renouvellement du
contrat à son échéance, de même que le sort du stock en main de la
demanderesse à ce moment. Conclue entre deux parties rompues aux affaires, la
convention de reprise du stock au prix initial par la défenderesse sur
demande de sa cocontractante n'avait rien de si extraordinaire, ni dans son
énoncé ni dans la prévisibilité de ses conséquences, qu'elle aurait dû être
considérée comme nulle parce que contraire à l'ordre public ou aux moeurs;
elle ne restreignait pas non plus de manière excessive la liberté économique
des plaideurs.

La cour cantonale a également rejeté l'argument de la défenderesse qui
consistait à dire que sa cocontractante exerçait de manière abusive les
droits que lui conférait la clause litigieuse: la défenderesse avait les
moyens de se prémunir contre les effets indésirables d'une telle clause,
notamment en se renseignant sur l'évolution et l'état du stock pour moduler
en conséquence de nouvelles livraisons à la demanderesse, ce qu'elle n'avait
pas fait. Le dossier révélait au contraire que la société de Hong-Kong avait
fourni des états des stocks durant les relations contractuelles; rien
n'indiquait une réaction de la défenderesse visant à réduire ceux-ci.

Allouant à la demanderesse divers montants pour un total de 280'557 fr. 60
correspondant au prix de huit montres déjà retournées à la défenderesse ainsi
qu'à des frais de publicité à Hong-Kong et à Taïwan, la cour cantonale a
condamné la défenderesse à payer les sommes de 2'036'349 fr. pour les montres
en stock à Hong-Kong et de 61'730 fr. pour les montres en stock à Taïwan. La
défenderesse opposait l'exception d'inexécution au sens de l'art. 82 CO aux
prétentions de la demanderesse. La cour cantonale a considéré que cette
dernière n'avait pas à consigner la marchandise mais que sa condamnation à
payer devait être conditionnée à l'obligation de livrer. Lors de la
constitution du stock, les parties avaient manifestement appliqué le contrat
de 1997 de façon que la défenderesse avait l'obligation d'expédier la
marchandise. Il résultait en outre de certaines factures que les frais de
transport et d'assurance étaient compris dans le prix facturé. Il fallait
appliquer les mêmes usages s'agissant des conditions de retour du stock,
faute de convention particulière à ce sujet: le paiement interviendrait
contre expédition de la marchandise par la demanderesse à ses propres frais.

Reconventionnellement, la défenderesse invoquait en compensation un dommage
pour obsolescence ou dépréciation du stock. La cour cantonale a écarté le
moyen, estimant que la validité de la clause de retour du stock au prix
initialement facturé excluait tout préjudice de ce type. La défenderesse
avait, par ailleurs, admis sans réserve et postérieurement à l'échéance du
contrat des montants encore à sa charge au titre de sa participation aux
frais de publicité, de sorte qu'elle ne pouvait pas prétendre aujourd'hui que
la publicité aurait été inutile pour refuser d'en payer les frais, allégation
qui du reste n'était pas prouvée.

3.
Les parties ne remettent en cause ni la compétence des tribunaux suisses, ni
l'applicabilité du droit suisse. Il n'y a pas lieu de s'écarter du jugement
attaqué sur ces points (art. 6, 8, 112, 116 ss LDIP).

4.
4.1 En définitive, le litige porte sur la validité de la mise en oeuvre de la
clause permettant à la demanderesse d'exiger le rachat par la défenderesse
des stocks d'invendus à l'issue des trois ans de durée contractuelle et sur
l'interprétation des conditions de cette opération. Pour résoudre ces
questions, il convient de faire appel aux règles générales régissant
l'interprétation des manifestations de volonté, applicables aux actes
juridiques unilatéraux comme au consentement contractuel (Engel, Traité des
obligations en droit suisse, 2e éd., p. 239).

4.2  Le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la réelle intention
des parties. Déterminer ce qu'une personne savait ou voulait à un moment
donné relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral en
instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ; ATF 129 III 118 consid. 2.6 p. 123;
118 II 58 consid. 3a; 113 II 25 consid. 1a p. 27). Les circonstances
survenues postérieurement à la manifestation d'une volonté, notamment le
comportement des parties, constituent un indice de leur volonté réelle (ATF
118 II 365 consid. 1 p. 366; 112 II 337 consid. 4a p. 343 et l'arrêt cité).
Si la volonté réelle des parties ne peut être établie ou si elle est
divergente, le juge doit interpréter les déclarations et les comportements
selon la théorie de la confiance. Il doit donc rechercher comment une
déclaration ou une attitude doit être comprise de bonne foi en fonction de
l'ensemble des circonstances (cf. ATF 126 III 59 consid. 5b p. 68, 375
consid. 2e/aa p. 380). Il faut rappeler que le principe de la confiance
permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son
comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 129
III 118 consid. 2.5; 127 III 279 consid. 2c/ee p. 287).

L'application du principe de la confiance est une question de droit que le
Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, peut examiner librement (ATF
127 III 248 consid. 3a; 126 III 25 consid. 3c, 59 consid. 5a, 375 consid.
2e/aa). Pour trancher cette question, il faut cependant se fonder sur le
contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, lesquelles
relèvent du fait (ATF 129 III 118 consid. 2.5; 126 III 375 consid. 2e/aa; 124
III 363 consid. 5a; 123 III 165 consid. 3a).

4.3  Le principe de la confiance trouve sa source à l'art. 2 CC, qui dispose
que chacun est tenu d'exercer ses droits selon les règles de la bonne foi et
que l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé. La défenderesse invoque
non seulement la violation des règles de la bonne foi, mais aussi, à
plusieurs reprises, l'existence d'un abus de droit. Il faut rappeler, à cet
égard, que seul l'abus manifeste d'un droit est prohibé, si bien qu'on se
montre restrictif dans l'admission de ce dernier moyen (arrêt 4C.225/2001 du
16 novembre 2001 in SJ 2002 I p. 405, consid. 2b). L'existence d'un abus de
droit se détermine selon les conséquences concrètes du cas (ATF 121 III 60
consid. 3d), en s'inspirant des diverses catégories mises en évidence par la
jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1 et les nombreuses
références). Il peut ainsi y avoir abus manifeste d'un droit en cas de
comportement contradictoire d'une partie, lorsqu'un individu exerce un droit
qui ne répond à aucun intérêt, en cas de disproportion manifeste des intérêts
en présence ou d'exercice d'un doit sans ménagement (ATF 123 III 200 consid.
2b p. 203; 120 II 105 consid. 3a).

5.
La défenderesse ne conteste pas que la clause litigieuse confère un droit
formateur à la demanderesse. Elle critique les modalités d'exercice et la
portée de celui-ci.

6.
6.1 A titre principal, la défenderesse soutient qu'en mettant en oeuvre la
clause litigieuse, la demanderesse exerçait un droit formateur qui serait
nul, faute de correspondre à sa volonté réelle - pour preuves le fait qu'elle
a continué à se comporter en propriétaire des stocks concernés, poursuivant
la vente de ceux-ci, et qu'elle n'a accompli aucun des actes nécessaires à
l'exécution de ses propres obligations, comme retourner les stocks voire
consigner ceux-ci si elle avait des doutes sur la solvabilité de sa
cocontractante.

6.2  La défenderesse invoque en vain la volonté réelle de la demanderesse: la
volonté interne d'une partie, relève du fait, on l'a vu, si bien qu'elle est
soustraite au pouvoir d'examen du Tribunal fédéral statuant en instance de
réforme (art. 63 al. 2 OJ; 129 III 664 consid. 3.1, 118 consid. 2.5).

Sous l'angle du principe de la confiance, on ne voit pas ce qui permettrait
de remettre en cause la manifestation de volonté de la demanderesse, claire
et dénuée d'ambiguïté. La défenderesse l'a d'ailleurs bien comprise
puisqu'elle a déclaré dans un premier temps qu'elle prenait note de la
décision de sa cocontractante, sollicitant seulement ensuite, selon les
constatations souveraines des premiers juges (art. 63 al. 2 OJ), d'en
différer les effets, dans l'attente de trouver un nouveau partenaire
financier. Autre est la question de savoir si la demanderesse a peut-être
ultérieurement convenu de renoncer à l'exercice de son droit. En principe,
les droits formateurs sont irrévocables. Mais on admet que, face à un
destinataire qui conteste qu'un tel droit existe ou qu'il a valablement été
exercé, son titulaire peut abandonner sa position initiale, voire se rallier
à une proposition de rétablir de contrat (cf. ATF 128 III 70 consid. 2, et la
note in SJ 2002 p. 306). Les magistrats cantonaux ont cependant constaté de
manière à lier le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ) que les discussions
entre les parties ne leur avaient pas permis de trouver un terrain d'entente.
Nul élément ne permet, en outre, de déduire un accord de renonciation à la
mise en oeuvre de la clause litigieuse par voie d'une interprétation
normative.

La défenderesse allègue l'existence d'un comportement contradictoire de la
part de la demanderesse, à sanctionner sous l'angle de l'art. 2 CC. Il s'agit
là, selon la jurisprudence, d'un cas typique d'abus de droit. La loi ne
protège en effet pas l'attitude contradictoire lorsque le comportement
antérieur d'une partie a inspiré chez l'autre une confiance légitime qui l'a
déterminée à des actes qui se révèlent préjudiciables une fois que la
situation a changé (ATF 125 III 257 consid. 2a; 123 III 70 consid. 3c, 220
consid. 4d; 121 II 350 consid. 5b).

En l'occurrence, la défenderesse se plaint du fait que la demanderesse, après
avoir manifesté sa volonté de ne pas reconduire le contrat et de faire valoir
la clause de reprise des stocks, n'ait pas immédiatement retourné les montres
en sa possession, voire consigné celles-ci si elle avait des doutes sur la
solvabilité de la société suisse. Au contraire, la demanderesse aurait
continué à écouler les articles invendus, violant son obligation de conserver
les choses avec soin, comme un créancier gagiste. On ne peut partager cette
manière de voir. Il ressort des constatations souveraines de la cour
cantonale (art. 63 al. 2 OJ) que la défenderesse a immédiatement invoqué la
nécessité dans laquelle elle était de trouver un nouveau partenaire financier
lorsqu'elle a été informée de la volonté de la demanderesse d'obtenir la
reprise des invendus. Les deux sociétés ont échangé une importante
correspondance afin de trouver un terrain d'entente. Vu les difficultés
économiques rencontrées par la défenderesse, son interlocutrice pouvait
admettre qu'en continuant à écouler les montres en stock, elle allait dans le
sens des voeux et des intérêts de celle-ci. La défenderesse n'invoque aucun
élément prouvant que la vente d'articles supplémentaires lui aurait causé un
préjudice (par exemple parce que la revente des montres en lots aurait été
plus facile), ou qu'elle ait été déterminée, du fait des agissements qu'elle
reproche à la demanderesse, à des actes dommageables pour elle. Le moyen tiré
d'un abus de droit résultant d'un comportement contradictoire apparaît mal
fondé. S'agissant, enfin, de la consignation, on rappellera que celui qui
réclame le paiement d'une somme d'argent en échange d'une prestation, dans
une exécution trait pour trait ("Zug um Zug"), n'est pas obligé de fournir sa
prestation en premier. Il n'est pas non plus obligé de consigner (ATF 129 III
535 consid. 3.2.1; 111 II 463 consid. 5a). Il suffit qu'il ait offert de
s'exécuter (art. 82 CO; ATF précités).

7.
7.1  Dans une argumentation subsidiaire, la défenderesse conteste, également
en invoquant une violation de l'art. 2 CC, l'opinion du Tribunal cantonal
selon laquelle elle aurait pu se prémunir des conséquences de la clause
litigieuse en contrôlant l'état du stock avant d'honorer les commandes
passées en cours de contrat. Pour la défenderesse, qui renonce expressément à
contester la validité en tant que telle de la clause de reprise des stocks au
regard des art. 19 et 20 CO ou 27 ss CC, l'exercice du droit conféré par
cette clause serait  abusif, car elle n'aurait pas été en mesure de refuser
de livrer les commandes de la demanderesse. Il ne lui appartenait pas, au
surplus, de surveiller l'état des stocks et de le limiter; cela serait en
contradiction avec la nature des relations contractuelles des parties: le
concédant n'aurait pas à s'immiscer dans les affaires du distributeur et à
exercer un contrôle lorsque le contrat ne le prévoit pas. La réalisation de
la condition permettant la mise en oeuvre de la clause litigieuse ne serait
que le résultat de la violation de l'obligation de diligence qui incombait à
la demanderesse.

7.2  Là aussi, sur la base de l'état de fait dressé dans le jugement attaqué
(art. 63 al. 2 OJ), les conditions d'un abus manifeste de droit ne sont pas
réalisées. On ne peut reprocher à la demanderesse ni d'agir sans aucun
intérêt, ni sans ménagement, ni d'obtenir des avantages exorbitants en
faisant valoir la clause de reprise des stocks. La cour cantonale a jugé, de
manière convaincante, que la clause litigieuse, passée par des parties
rompues aux affaires, était valable dans un système fondé sur la liberté
contractuelle, à laquelle l'art. 2 CC n'impose d'ailleurs aucune limite
(autre étant la question de la fidélité contractuelle: ATF 129 III 209
consid. 3.5 non publié; 115 II 232 consid. 4d). Que les ventes n'aient pas
correspondu aux attentes de la défenderesse ne démontre encore pas une
violation du devoir de diligence de la demanderesse; à tout le moins, le
jugement attaqué ne contient élément permettant de retenir une telle
affirmation. De même, les premiers juges ont retenu que la défenderesse avait
admis sans réserve les frais encore à sa charge au titre de participation aux
frais de publicité, si bien qu'elle ne peut revenir sur le point dans la
présente procédure de recours. Par ailleurs, on ne voit pas que les
conditions d'une adaptation du contrat en vertu du principe de la "clausula
rebus sic stantibus" soient réunies (ATF 127 III 300 consid. 5).

8.
8.1  En dernier lieu, la défenderesse conteste les modalités de la condition
à
laquelle la cour cantonale a subordonné sa condamnation à payer à la
demanderesse les montants de 2'036'349 fr. et de 61'730 fr. Pour la
défenderesse, si le principe même d'un jugement conditionnel n'est pas
critiquable, la condition aurait dû être la livraison des stocks à son siège.

Rappelant que le lieu d'exécution d'une obligation est déterminé avant tout
par la volonté des parties, selon l'art. 74 al. 1 CO, la défenderesse
reproche à la cour cantonale d'avoir omis de prendre en considération le fait
que la clause litigieuse de reprise précisait l'obligation de la défenderesse
d'accepter ("shall accept to take back") de reprendre toutes les montres et
le matériel au prix ex-factory. Pour la défenderesse, cela signifierait que
le stock ne devrait pas seulement être expédié par la demanderesse, mais
repris par la défenderesse. Seule cette condition la mettrait en mesure de
procéder à un contrôle de la marchandise livrée.

8.2  Cette argumentation ne convainc pas. L'obligation d'accepter correspond
à
l'objet, pour la vente (contrat avec lequel la convention des parties
présente beaucoup d'analogies comme la cour cantonale l'a souligné), de
l'art. 211 CO. Indépendamment de la question de savoir si cette obligation
constitue une simple incombance, ou alors une véritable obligation de
l'acheteur, (Venturi, Commentaire romand, n°s 7-9 ad art. 211 CO; Koller,
Commentaire bâlois, n°s 4 ss ad art. 211 CO), elle doit être distinguée de
l'obligation de payer le prix, également mentionnée à l'art. 211, même si, en
pratique, dans la vente au comptant (Cavin, TDPS VII,1,1, p. 54), le refus de
remplir l'une obligation va généralement de pair avec le refus de remplir
l'autre (ATF 110 II 148 consid. 1a et 1b; Venturi, ibidem; Koller, op cit. n°
12 et 13 ad art. 211 CO).
Ainsi, l'acceptation des montres et l'exigibilité du paiement constituent
deux questions distinctes et la défenderesse ne peut rien déduire de la
clause contractuelle concernant l'acceptation des montres restituées.
L'exigibilité du prix est régie par les art. 74 et 75 CO qui sont de droit
dispositif. Lorsque - c'est le cas en l'espèce, - les parties sont convenues
qu'une chose doit être expédiée d'un lieu à un autre, Engel (op. cit., p.
632) estime que le lieu d'expédition doit être considéré en principe comme le
lieu d'exécution (plus nuancés: Von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des
Schweizerischen Obligationenrechts, tome II, 3e éd., p. 59). La cour
cantonale, interprétant la volonté des parties, a considéré qu'il fallait
appliquer la même règle dans les deux sens, c'est-à-dire pour la fourniture
des montres à l'origine d'une part et pour leur restitution d'autre part;
elle en a déduit que le paiement était exigible dès l'expédition des montres.
On ne voit pas en quoi, ce faisant, la cour cantonale aurait violé sur ce
point les règles d'interprétation ou toute autre disposition de droit
fédéral.

9.
Pour autant qu'il soit recevable, le recours est mal fondé. La recourante
supportera les frais de justice et versera une indemnité de dépens à
l'intimée (art. 156 al. 1, 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 15'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 17'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 2 juin 2004

Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: