Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2P.276/2004
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2P.276/2004-svc

Arrêt du 1er mars 2005
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Meylan, Juge suppléant.
Greffière: Mme Dupraz.

G. ________,
recourant,

contre

I.________,
Tribunal administratif du canton de Fribourg,
Cour des assurances sociales,
route André Piller 21, case postale, 1762 Givisiez.

Art. 9 et 29 al. 1 Cst. (honoraires; assurance-invalidité),

recours de droit public contre la décision du Président de la Cour des
assurances sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg du 1er
octobre 2004.

Faits:

A.
Le 23 octobre 2000, G.________, avocat et notaire à X.________, a été
consulté par I.________ au sujet d'un projet de décision négative de l'Office
de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg. Le 29 janvier 2001,
G.________ a adressé à I.________ une note d'honoraires s'élevant à 500 fr.,
pour ce dossier. Ladite note n'ayant pas été réglée, G.________ a fait
notifier une poursuite à I.________, qui y a formé opposition totale le 12
août 2004.

B.
Par acte du 3 septembre 2004, G.________ a sollicité l'intervention du
Tribunal administratif du canton de Fribourg (ci-après: le Tribunal
administratif), en se référant à l'art. 26 al. 2 de la loi du 12 décembre
2002 sur la profession d'avocat du canton de Fribourg (ci-après: la loi
cantonale ou LAv).

Le 1er octobre 2004, le Président de la Cour des assurances sociales du
Tribunal administratif (ci-après: le Président) a rendu une décision
d'irrecevabilité. II se référait à l'art. 25 LAv et déclarait que la
prétention émise relevait exclusivement du droit privé, alors que le Tribunal
administratif ne connaissait que des litiges relevant du droit public et
opposant un administré à une administration, d'une manière générale sur
recours contre décision de cette dernière, ce qui n'était manifestement pas
le cas en l'espèce.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, G.________ demande au
Tribunal fédéral, sous suite de dépens, d'annuler la décision du Président du
1er octobre 2004. II invoque les art. 9 et 29 al. 1 Cst., se plaignant
d'arbitraire et de déni de justice.

Le Président a expressément renoncé à formuler des remarques sur le recours.

Egalement invité à déposer une réponse, I.________ ne s'est pas manifesté
dans le délai imparti à cet effet.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La loi cantonale traite des honoraires à son chapitre VI (art. 25 à 31 LAv).
Selon l'art. 25 LAv, les prétentions pécuniaires des avocats envers leurs
clients relèvent du droit privé. Quant à l'art. 26 LAv, intitulé
"Juridiction", il a la teneur suivante:

"1 Les contestations relatives aux honoraires et débours ressortissent au
juge unique, au président de l'autorité judiciaire ou à la section du
Tribunal cantonal qui a connu de la cause.

2 Les contestations relatives à des affaires portées ou susceptibles d'être
portées devant une autorité de la juridiction administrative cantonale
ressortissent au Tribunal administratif.

3 Si une contestation concerne une affaire civile ou pénale qui n'a pas été
portée devant une autorité juridictionnelle, elle ressortit à la Cour de
modération du Tribunal cantonal."

D'après l'art. 27 al. 1 LAv, la procédure applicable à ces contestations est
régie par les art. 382 ss du code de procédure civile du canton de Fribourg
du 28 avril 1953 (ci-après: CPC/FR), soit par la procédure accélérée;
toutefois, lorsque seul le montant des honoraires et débours est contesté,
des débats n'ont lieu que si l'une des parties le requiert (art. 27 al. 2
LAv). L'art. 28 LAv prévoit la possibilité de recourir auprès de la Cour de
modération du Tribunal cantonal fribourgeois contre les jugements rendus par
le juge unique ou le président de l'autorité judiciaire visés à l'art. 26 al.
1 LAv, l'art. 390 CPC/FR étant alors applicable. Selon l'art. 29 al. 1 LAv,
les jugements rendus selon les dispositions qui précèdent ont force
exécutoire au sens de l'art. 80 de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la
poursuite pour dettes et la faillite (LP; RS 281.1).

2.
2.1 Le recourant fait valoir que l'art. 26 LAv institue des juridictions
spéciales pour les litiges entre avocats et clients et ne saurait être tenu
en échec par la référence au droit matériel opérée par l'art. 25 LAv; selon
lui, le législateur fribourgeois a clairement instauré la compétence du
Tribunal administratif pour trancher les litiges de droit privé concernant
les affaires susceptibles d'être portées devant une autorité de la
juridiction administrative cantonale. C'était le cas du mandat qui lui avait
été confié par I.________, puisqu'il s'agissait d'apprécier les chances de
succès d'un recours au Tribunal administratif en matière
d'assurance-invalidité. D'après le recourant, le Président a commis un déni
de justice, en rendant une décision d'irrecevabilité. En outre, ladite
décision serait également entachée d'arbitraire, l'art. 26 al. 2 LAv n'étant
pas sujet à interprétation, vu la clarté de son texte.

2.2 Il convient de définir les notions de déni de justice et d'arbitraire.

2.2.1 Selon la jurisprudence rendue en application de l'art. 4 aCst., qui
garde toute sa valeur sous l'empire de l'art. 29 al. 1 Cst. (arrêt
1P.432/2004 du 27 octobre 2004, consid. 2), l'autorité commet un déni de
justice formel, contraire à cette dernière disposition, si elle refuse
indûment de se prononcer sur une requête dont l'examen relève de sa
compétence (ATF 125 III 440 consid. 2a p. 441; 117 Ia 116 consid. 3a p.
117/118 et la jurisprudence citée). Lorsque, comme en l'espèce, la compétence
de l'autorité dont la décision (ou l'absence de décision) est contestée est
régie par des règles de rang inférieur à la constitution cantonale, le
Tribunal fédéral n'en revoit l'interprétation et l'application que sous
l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 128 I 3 consid. 2b p. 9; cf. aussi
Walter Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., Berne
1994, p. 164 ss).

2.2.2 Une décision est arbitraire lorsqu'elle contredit clairement la
situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique
clair et indiscuté ou qu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle
apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation
effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain.
De plus, pour qu'une décision soit annulée, il ne suffit pas que sa
motivation soit insoutenable; encore faut-il que cette décision soit
arbitraire dans son résultat. En outre, il n'y a pas arbitraire du seul fait
qu'une autre solution - en particulier une autre interprétation de la loi -
que celle de l'autorité intimée paraît concevable, voire préférable (ATF 129
I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid. 3.1 p. 178; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373).

2.3 Il ressort de l'art. 26 LAv que les contestations entre les avocats et
leurs clients relatives aux honoraires et débours relèvent de l'autorité
judiciaire qui a statué en la cause, de la Cour de modération du Tribunal
cantonal fribourgeois si la cause civile ou pénale n'a été portée devant
aucune de ces autorités ou du Tribunal administratif s'agissant de causes
portées devant une autorité de la juridiction administrative cantonale ou
susceptibles de l'être. Dans ce dernier cas, il importe peu que les
prétentions pécuniaires de l'avocat envers son client, en particulier ses
prétentions d'honoraires et de débours, relèvent du droit privé, comme le
rappelle l'art. 25 LAv. Il résulte également du texte de l'art. 26 LAv que
seules les contestations portant sur les honoraires et débours des avocats
ressortissent aux autorités énumérées dans cette disposition. De plus, on
peut déduire de l'art. 27 al. 2 LAv a contrario que ces contestations peuvent
porter aussi bien sur le montant des honoraires et des débours que sur le
principe même de ceux-ci (cas où le client conteste devoir quelque honoraire
ou débours). Par ailleurs, on peut se demander si les autorités saisies en
application de l'art. 26 LAv doivent se borner à arrêter le montant -
contesté par hypothèse - des honoraires et débours et/ou à en
confirmer/infirmer le principe ou si elles se substituent aux autorités
ordinaires compétentes en matière d'action en reconnaissance de dette. C'est
cette dernière solution qui découle de l'art. 29 al. 1 LAv. Il résulte en
outre de l'art. 29 al. 2 LAv que si, devant l'une des autorités saisies en
vertu de l'art. 26 LAv, le client prend des conclusions reconventionnelles
qui ne portent pas sur le principe ou le montant des honoraires et débours -
par exemple, s'il réclame des dommages et intérêts pour inexécution ou
exécution défectueuse du mandat -, il sera, conformément à l'art. 135 du
CPC/FR, renvoyé à agir devant la juridiction compétente dans le délai qui lui
sera imparti, à défaut de quoi le jugement deviendra exécutoire dans son
entier.

Ainsi, les dispositions précitées de la loi cantonale forment un système
parfaitement cohérent qui ne laisse aucune place à l'ambiguïté. En outre, il
n'est pas contestable que la démarche entreprise par le recourant auprès du
Tribunal administratif tendait, au moins implicitement, à faire reconnaître
sa prétention d'honoraires et de débours envers I.________. Dès lors, en
invoquant l'art. 25 LAv pour refuser d'entrer en matière sur cette
contestation, le Président a non seulement fait une interprétation arbitraire
des art. 25 et 26 LAv, mais encore commis un déni de justice.

3.
Vu ce qui précède, le recours doit être admis.
Le canton de Fribourg, dont l'intérêt pécuniaire n'est pas en cause, n'a pas
à supporter d'émolument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ).
Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'avocat qui agit dans sa propre
cause et ne fait pas valoir de frais particuliers.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et la décision du Président de la Cour des assurances
sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg du 1er octobre 2004
est annulée.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, à I.________ et au
Président de la Cour des assurances sociales du Tribunal administratif du
canton de Fribourg.

Lausanne, le 1er mars 2005

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: