Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2P.170/2004
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2P.170/2004/ROC/fzc

Arrêt du 14 octobre 2004
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler et Berthoud, Juge suppléant.
Greffière: Mme Rochat.

X. ________, recourante, représentée par Me Maurizio Locciola, avocat,

contre

Office cantonal du logement du canton de Genève, rue du Stand 26, case
postale 3937, 1211 Genève 3,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue du Mont-Blanc 18, case
postale 1956, 1211 Genève 1.

art. 9 Cst. (résiliation du bail dans un appartement subventionné),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de
Genève du 18 mai 2004.

Faits:

A.
X. ________ et son époux Y.________ ont signé, le 8 février 1989, avec une
régie de la place, un bail portant sur un appartement de 4 pièces situé au
sixième étage du numéro xxx, boulevard A.________,à Genève, dans un immeuble
subventionné. Suite au décès de Y.________, survenu le 8 décembre 1997,
l'Office cantonal du logement, par lettre du 10 février 1998 adressée à
l'agence immobilière, a écrit ce qui suit:
"Après consultation des documents en notre possession, nous vous informons
que nous acceptons, à titre exceptionnel, le transfert de bail au seul nom de
Madame X.________, malgré le fait qu'elle ne remplisse plus les normes
légales et réglementaires d'occupation de ce logement subventionné
(sous-occupation).
Dès lors, nous vous remercions de modifier le bail en conséquence et, de
notre côté, considérons ce dossier comme clos.
Toutefois, cette acceptation est liée à la situation actuelle de Madame
X.________ et n'est en aucun cas définitive. Nous réservons d'ores et déjà
notre position en cas de changement significatif."
Une copie de cette lettre a été adressée à X.________.

B.
Par décision du 24 juin 2003, l'Office cantonal du logement a requis du
bailleur la résiliation du bail en raison de la sous-occupation du logement.
X.________ disposait d'une année au plus pour évacuer les locaux à compter de
la notification du congé par le bailleur. La réclamation élevée par
l'intéressée le 2 juillet 2003 a été rejetée par l'Office cantonal du
logement, le 15 juillet 2003.

Saisi d'un recours dirigé contre cette décision, le Tribunal administratif
l'a rejeté, par arrêt du 18 mai 2004. Il a retenu en substance que
l'occupation par une personne seule d'un appartement de 4 pièces constituait
bien une sous-occupation autorisant l'Office cantonal du logement à requérir
la résiliation du bail. En outre, le principe de la protection de la bonne
foi n'avait pas été violé dans la mesure où X.________ n'avait pas subi de
préjudice du fait des dispositions qu'elle aurait prises ou qu'elle n'aurait
pas prises à la suite du courrier de l'Office cantonal du logement du 10
février 1998. L'intéressée savait que le transfert du bail à son nom n'était
pas définitif et la réserve d'un changement significatif, exprimé par
l'Office cantonal du logement, ne concernait pas seulement un changement
pouvant se produire dans la personne du locataire.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du
Tribunal administratif du 18 mai 2004. Elle se plaint essentiellement d'une
violation du principe de la bonne foi.

Le Tribunal administratif s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du
recours et persiste dans les termes et conclusions de son arrêt. Le
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après: le
Département cantonal) met en cause la recevabilité du recours, tout en s'en
rapportant à justice sur ce point, et conclut au rejet du recours quant au
fond.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 321 consid. 1 p. 324, 306 consid. 1.1
p. 308, 302 consid. 3 p. 303).

1.2 Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ, le recours de droit
public est ouvert uniquement à celui qui est atteint par l'acte attaqué dans
ses intérêts personnels, actuels et juridiquement protégés (ATF 130 I 82
consid. 1.3 p. 85). Le recours formé pour sauvegarder l'intérêt général ou ne
visant qu'à préserver des intérêts de fait est en revanche irrecevable. Un
intérêt est juridiquement protégé lorsqu'il fait l'objet d'une règle de droit
fédéral ou cantonal qui tend, au moins accessoirement, à sa protection, ou
lorsqu'il découle directement d'une garantie constitutionnelle spécifique
(ATF 126 I 81 consid. 3b p. 85 et les arrêts cités, 43 consid. 1a p. 44).

L'art. 31B al. 1 de la loi générale genevoise sur le logement et la
protection des locataires du 4 décembre 1977 prévoit notamment que le
propriétaire de l'immeuble peut être requis par le service compétent de
résilier le bail du locataire en cas de sous-occupation.

En l'espèce, l'arrêt attaqué confirme la décision de l'Office cantonal du
logement de requérir la résiliation du bail de la recourante sur la base de
cette disposition, de sorte que l'intéressée est touchée dans sa liberté
contractuelle, du moins indirectement. La question de savoir si cela suffit à
lui conférer la qualité pour recourir par la voie du recours de droit public
peut cependant demeurer indécise, dans la mesure où la recourante a de toute
façon qualité pour faire valoir que le non-respect des assurances que lui
aurait données l'Office cantonal le 10 février 1998 viole le principe de la
bonne foi (art. 9 Cst.; Walter Kälin, Das Verfahren der Staatsrechtlichen
Beschwerde, 2e éd. 1994, p. 245).

1.3 Formé dans le délai requis et dans les formes prescrites, le présent
recours remplit les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ, si
bien que le Tribunal fédéral peut entrer en matière.

2.
Invoquant le principe de la protection de la bonne foi, la recourante
conteste qu'elle ne subisse pas de dommage en devant chercher actuellement un
nouvel appartement. Les assurances de l'Office cantonal du logement l'avaient
dissuadée de procéder à une telle recherche peu après le décès de son mari et
la pénurie de logements est actuellement plus sévère qu'en 1998. Elle risque
donc de devoir payer un loyer plus cher alors que ses revenus ont diminué du
fait de sa retraite professionnelle. Elle fait en outre valoir que la lettre
de l'Office cantonal du logement du 10 février 1998 devait être comprise en
ce sens que le bail ne pourrait être résilié que si un changement
significatif intervenait et que ce changement ne pouvait avoir trait qu'à sa
propre situation.

2.1 Découlant de l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité
étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance
légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités (ATF 130 I 26
consid. 8.1 p. 60 et les arrêt cités). L'administration doit donc s'abstenir
de tout comportement propre à tromper l'administré et ne saurait tirer aucun
avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF
124 II 265 consid. 4a p. 269; 121 I 181 consid. 2a p. 183 et les références
citées). Ainsi, à certaines conditions, le citoyen a le droit d'exiger de
l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances précises qu'elle
lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'à juste titre il a placée dans
celles-ci (ATF 129 II 361 consid. 7.1 p. 381; 128 II 112 consid. 10b/aa p.
125). Il faut toutefois qu'il se soit fondé sur les assurances, ou le
comportement dont il se prévaut, pour prendre des dispositions auxquelles il
ne saurait renoncer sans subir de préjudice et que la réglementation n'ait
pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 122 II 113
consid. 3b/cc p. 123; 121 II 473 consid. 2c p. 479).

2.2 L'existence d'une assurance ou d'une promesse de l'Office cantonal du
logement résulte de l'interprétation qu'il y a lieu de donner au courrier de
cette autorité du 10 février 1998. L'Office cantonal du logement a en effet
admis, à titre exceptionnel, que la recourante continue d'occuper
l'appartement qu'elle partageait avec son mari, malgré la situation de
sous-occupation. Il a accepté le transfert du bail au seul nom de la
recourante et a considéré le dossier comme clos. Il a toutefois ajouté que
son acceptation était liée à la situation actuelle de la recourante, qu'elle
n'était donc pas définitive et qu'il réservait sa position en cas de
changement significatif.

Dans ses observations sur le recours, le Département cantonal expose que
l'Office cantonal du logement a pour pratique de ne pas requérir la
résiliation du bail lorsque le locataire se trouve en situation de
sous-occupation suite à un veuvage de moins de deux ans et que cette
dérogation s'est traduite, dans le courrier litigieux, par l'usage de
l'expression "à titre exceptionnel". La situation actuelle de la recourante
faisait ainsi référence à son statut de veuve; à ce titre, elle bénéficiait,
en principe, d'un sursis de deux ans avant la résiliation du bail. Cependant,
l'Office cantonal du logement n'a pas voulu s'engager pour toute la durée de
ce délai, raison pour laquelle il a réservé sa position, l'expression "en cas
de changement significatif" devant être comprise comme "en cas de
modification de sa pratique".

2.2.1 Il importe de déterminer comment la déclaration de l'Office cantonal du
logement devait être comprise par la recourante selon le principe de la
confiance. D'après ce principe, celui qui fait une déclaration de volonté
adressée à autrui est lié par sa déclaration selon le sens que le
destinataire peut et doit lui attribuer de bonne  foi, en fonction de
l'ensemble des circonstances. L'interprétation objectivée selon le principe
de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II
431 consid. 3a p. 434).

2.2.2 En l'absence de précisions, il n'était pas évident, pour la recourante,
de comprendre que le régime d'exception dont elle bénéficiait tenait à son
veuvage. En outre, on ne pouvait pas attendre d'elle qu'elle devine que le
changement significatif invoqué par l'Office cantonal du logement devait être
compris comme une modification de la pratique administrative accordant un
régime de faveur aux veuves. Même si le caractère lacunaire et imprécis de la
déclaration de l'Office cantonal du logement ne peut pas lui être opposé, la
recourante devait cependant comprendre que le régime dérogatoire dont elle
bénéficiait n'était pas définitif. Elle ne pouvait pas conclure, sans autre
demande d'explication, que le changement significatif pouvant y mettre fin
tenait uniquement à sa situation personnelle, familiale ou financière. En
effet, on voit mal quel changement dans sa vie familiale aurait pu influencer
défavorablement la sous-occupation du logement. En cas de remariage ou
d'installation de l'un de ses petits-enfants dans l'appartement, la
sous-occupation aurait cessé. En outre, la recourante savait qu'une
éventuelle amélioration de sa situation financière n'avait guère d'influence
sur la question de la sous-occupation. Elle a en effet pu conserver son
logement alors qu'elle bénéficiait, en 1998, d'un revenu annuel de 99'223 fr.
provenant de son salaire et de rentes de veuve. Elle a dû s'acquitter d'une
simple surtaxe jusqu'à sa retraite professionnelle, le 1er septembre 2001, à
partir de laquelle elle n'a plus perçu qu'un revenu annuel de 50'390 fr.,
constitué de sa rente de vieillesse. La recourante ne pouvait donc pas
ignorer qu'une éventuelle fluctuation de ses revenus n'aurait pas suffit à
entraîner son départ forcé de son logement. Dans ces conditions, elle devait
réaliser que ce n'était pas une modification de sa situation familiale ou
financière qui était susceptible de constituer un changement significatif au
sens du courrier de l'Office cantonal du logement et que la réserve émise par
cette autorité visait une autre hypothèse. Admettre que le changement
significatif invoqué par l'Office cantonal du logement ne concernait que la
situation personnelle de la recourante reviendrait en fait à conférer un
caractère définitif à la dérogation dont elle a bénéficié, ce que l'Office
cantonal du logement a clairement exclu. A cet égard, c'est donc à tort que
la recourante fait valoir qu'elle bénéficiait d'un droit acquis.

Même si le courrier litigieux de l'Office cantonal du logement manquait de
clarté, la recourante devait raisonnablement comprendre, à sa lecture,
qu'elle ne pourrait pas occuper son logement jusqu'à la fin de ses jours. Le
Tribunal administratif n'a donc pas violé le principe de la bonne foi en
retenant que l'Office cantonal du logement ne lui avait pas donné d'assurance
dans ce sens.

3.
Dans la mesure où la recourante ne peut pas se prévaloir d'une assurance de
l'Office cantonal du logement de pouvoir conserver son appartement malgré la
sous-occupation, il n'est pas nécessaire d'examiner si elle a pris ou s'est
abstenue de prendre des dispositions susceptibles de lui causer un préjudice.
La recourante devait réaliser que le maintien du bail en sa faveur n'était
que provisoire et qu'elle pourrait être amenée à devoir quitter son logement.
Elle pouvait donc se préoccuper de rechercher un appartement de taille plus
modeste avant la résiliation de son bail et de parer ainsi au risque d'une
diminution ultérieure de l'offre de logements. Au demeurant, la recourante a
bénéficié d'une certaine compréhension de la part de l'Office cantonal du
logement, puisqu'elle a pu vivre dans son appartement, malgré la
sous-occupation, pendant plus de cinq ans, privant ainsi un couple ou une
famille de l'accès à un logement subventionné. Elle bénéficiera en outre d'un
délai d'un an pour se reloger.

Le grief tiré de la violation du principe de la protection de la bonne foi
doit être écarté.

4.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.

Succombant, la recourante doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al.
1, 153 et 153a OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 159 al. 2
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, à
l'Office cantonal du logement et au Tribunal administratif du canton de
Genève.

Lausanne, le 14 octobre 2004

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: