Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2P.169/2004
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2P.169/2004 /elo

Arrêt du 7 février 2005
IIe Cour de droit public

MM. les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler, Wurzburger, Müller et Berthoud, Juge suppléant.
Greffier: M. Langone.

X. ________,
recourant,
représenté par Me Yanis Callandret, avocat,

contre

Département de la justice, de la santé et de la sécurité du canton de
Neuchâtel, Château,
case postale, 2001 Neuchâtel 1,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 1, case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.

Art. 9, 27 et 36 Cst. (retrait d'une autorisation de pratiquer en qualité de
médecin),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel du 16 juin 2004.

Faits:

A.
Par décision du 18 octobre 1995, le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel a
autorisé X.________ à pratiquer la médecine dans ce canton. L'intéressé a
ouvert à Y.________ un cabinet médical comme spécialiste FMH en chirurgie
orthopédique. A la suite de l'ouverture d'une procédure pénale à son encontre
pour actes d'ordre sexuel, actes sexuels et abus de détresse sur plusieurs de
ses patientes, X.________ s'est vu retirer à titre provisoire son
autorisation de pratiquer par le Département de la justice, de la santé et de
la sécurité du canton de Neuchâtel (ci-après: le Département cantonal) le 7
juin 1997, mesure confirmée par arrêt du Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel du 14 juillet 1997. Par décision du 4 mai 1998, le Département
cantonal a toutefois autorisé l'intéressé à pratiquer en qualité de
chirurgien orthopédique auprès d'une clinique privée, à Z.________. Cette
autorisation, qui était provisoire et devait déployer ses effets jusqu'à
droit connu sur le plan pénal, était subordonnée à la condition que
X.________ ne se trouve jamais seul avec ses patients et que la clinique
veille, sous sa responsabilité, à l'application rigoureuse de cette
condition.

Le 3 février 2000, le Tribunal correctionnel du district de Y.________ a
condamné X.________ pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne
incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et abus de la
détresse (art. 193 CP) à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec
sursis pendant cinq ans, ainsi qu'au paiement d'indemnités pour tort moral à
deux de ses victimes. Ce jugement a été confirmé le 14 août 2001 par la Cour
de cassation pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois et le 31 octobre 2001
par la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral. Cette condamnation
repose sur des faits survenus à fin 1992 ou début 1993 et, principalement, de
décembre 1996 à février 1997. L'intéressé a notamment caressé les seins d'une
patiente, massé les fesses, léché un sein et caressé le vagin d'une deuxième
patiente et entretenu deux relations sexuelles complètes avec une troisième.

B.
Le 5 juillet 2002, le Département cantonal a retiré à X.________ son
autorisation de pratiquer comme médecin pour une durée de quatre ans, avec
effet dès le 1er octobre 2002, sous déduction de onze mois déjà exécutés
(soit de juin 1997 à mai 1998).
Saisi d'un recours contre cette décision, le Tribunal administratif, par
arrêt du 16 juin 2004, l'a partiellement admis et a réduit la durée du
retrait de l'autorisation de pratiquer la profession de médecin à deux ans,
sous déduction de onze mois déjà exécutés. Il a retenu en substance que
l'autorisation conditionnelle de pratiquer dont X.________ bénéficiait depuis
mai 1998 ne pouvait pas être rangée dans la liste des sanctions
disciplinaires exhaustivement énumérées par la loi et que,  n'étant  pas
assimilable à un retrait partiel de l'autorisation, ne pouvait être
maintenue; cela étant, la durée de quatre ans du retrait de l'autorisation
n'était pas conforme au principe de la proportionnalité, compte tenu
principalement de l'écoulement du temps depuis les faits litigieux, et un
retrait d'une durée de deux ans apparaissait approprié à l'ensemble des
circonstances.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du
Tribunal administratif du 16 juin 2004. Il se plaint de la violation des art.
27 et 36 Cst. ainsi que d'une application arbitraire du droit cantonal.

Le Tribunal administratif et le Département cantonal concluent tous deux au
rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Formé en temps utile, dans les formes prescrites par la loi, contre une
décision finale prise en dernière instance cantonale et touchant le recourant
dans ses intérêts juridiquement protégés, le recours est recevable au regard
des art. 84 ss OJ.

1.2 Le dossier complet de la cause ayant été produit, la réquisition y
relative présentée par le recourant est devenue sans objet.

2.
2.1 Invoquant les art. 27 et 36 Cst., le recourant fait valoir que le retrait
de son autorisation de pratiquer pour une durée de deux ans viole le principe
de la proportionnalité, dès lors que l'autorité intimée n'a pas tenu compte
du retrait partiel que constitue l'autorisation provisoire conditionnelle de
pratiquer qui régit son activité professionnelle depuis le 4 mai 1998; en
retenant que cette mesure était dépourvue de base légale et en faisant
abstraction des restrictions apportées à l'exercice de sa profession pendant
plusieurs années, le Tribunal administratif a en outre fait preuve
d'arbitraire.

2.2 Selon l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1); elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). Cette
liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre
professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (cf.
Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle
Constitution fédérale, in FF 1997 I p. 1 ss, p. 176), telle celle de médecin
(cf. dans ce sens ATF 118 Ia 175 consid. 1).

Aux termes de l'art. 36 Cst., toute restriction d'un droit fondamental doit
être fondée sur une base légale; les restrictions graves doivent être prévues
par une loi; les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al.
1); toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un
intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2);
toute restriction d'un droit fondamental doit être proportionnée au but visé
(al. 3); l'essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

En interdisant au recourant d'exercer l'activité de médecin pendant deux ans,
le retrait mis en cause constitue une restriction grave à sa liberté
économique et doit reposer sur une loi au sens formel (cf. art. 36 al. 1
Cst.). En outre, le Tribunal fédéral examine librement et avec plein pouvoir
d'examen si l'exigence de l'intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.) et de la
proportionnalité (cf. art. 36 al. 3 Cst.) sont respectés (cf. ATF 123 I 212
consid. 3a p. 217; 122 I 236 consid. 4a p. 244 et les références citées).

2.3 La mesure incriminée se fonde sur l'art. 57 de la loi de santé
neuchâteloise du 6 février 1995 (ci-après: LS/NE). Selon cette disposition
légale, l'autorisation d'exercer une profession médicale est retirée si les
conditions de son octroi ne sont plus réunies ou s'il survient un motif de
refus (al. 1 lettre a; en relation avec l'art. 56 LS/NE); il en va de même si
son titulaire est incapable d'exercer sa profession ou s'il manque à ses
devoirs professionnels (al. 1 lettre b); ce retrait peut porter sur une
partie ou sur la totalité de l'autorisation, définitivement ou pour un temps
déterminé (al. 2).

Il n'est pas contesté que la sanction querellée repose sur une base légale
suffisante et qu'elle répond à un intérêt public. Reste à examiner si elle
respecte le principe de la proportionnalité.

3.
3.1 Le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 Cst.) comprend la
règle d'adéquation, qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le
but fixé, la règle de nécessité, qui impose qu'entre plusieurs moyens
adaptés, soit choisi celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts
privés, ainsi que la règle de proportionnalité au sens étroit, qui exige que
la gravité des effets de la mesure sur la situation de l'administré soit mise
en balance avec l'impact attendu en fonction de l'intérêt public (ATF 130 I
65 consid. 3.5.1 p. 69; 128 II 292 consid. 5.1 p. 297 et les arrêts cités).

3.2
3.2.1Dans son examen de la proportionnalité de la mesure infligée au
recourant par le Département cantonal - qui l'a amené à réduire la durée du
retrait de l'autorisation de pratiquer de quatre à deux ans - le Tribunal
administratif s'est principalement fondé sur l'écoulement du temps depuis les
faits incriminés (dont les plus récents remontent  au mois de février 1997),
tout en relevant que du printemps 1998 au début 2002 l'autorité cantonale de
première instance n'avait procédé qu'à une seule opération dans le dossier.
La cour cantonale a également tenu compte, entre autres éléments, du fait que
le travail du recourant - qui n'était certes autorisé à recevoir des patients
en milieu hospitalier depuis mai 1998 qu'en présence d'une tierce personne -
n'avait pas donné lieu à des plaintes.

3.2.2 En revanche, le Tribunal administratif n'a examiné les restrictions qui
avaient été imposées au recourant dans l'exercice de sa profession en mai
1998 que pour écarter sa conclusion tendant au maintien de son autorisation
de travailler sous condition, au motif qu'une telle mesure n'était pas prévue
par l'art. 57 al. 2 LS/NE. Autrement dit, il a considéré que les limitations
apportées à l'exercice de la profession de médecin indépendant du recourant
ne pouvaient pas être assimilées à une forme de retrait partiel de
l'autorisation de pratiquer au sens de l'art. 57 al. 2 LS/NE.

Une telle interprétation de cette norme cantonale peut paraître discutable,
voire critiquable, dans la mesure où, selon le principe de "qui peut le plus
peut le moins", l'autorité qui est compétente pour octroyer une autorisation
de pratiquer la profession de médecin et pour en ordonner le retrait total ou
partiel devrait aussi l'être pour subordonner l'exercice de ladite profession
à certaines conditions. D'autant que le texte de l'art. 57 al. 2 LS/NE
prévoit expressément que le retrait peut porter "sur une partie" de
l'autorisation. L'interprétation faite par la cour cantonale n'est pas pour
autant arbitraire (cf. sur la notion d'arbitraire, ATF 129 I 8 consid. 2.1 p.
9, 173 consid. 3.1 p. 178 et les arrêts cités).

3.2.3 Même si le statut auquel le recourant est soumis depuis le 4 mai 1998
n'est pas expressément prévu par la loi, il convient de constater que le
Département cantonal s'est efforcé d'aménager à l'égard de l'intéressé des
modalités d'exercice de la profession qui réduisent le risque de récidive.
C'est ainsi que le recourant n'a plus été autorisé à consulter dans son
cabinet mais uniquement dans une salle d'auscultation d'une clinique privée.
En outre, une assistante dépendant de l'établissement a été chargée, sous la
surveillance de la clinique, de faire en sorte que le recourant ne se trouve
jamais seul avec des patients. Pour les interventions chirurgicales, la
clinique a également pris les dispositions utiles pour que le recourant soit
toujours entouré de l'équipe du bloc opératoire ainsi que du médecin
anesthésiste et de son assistant. Or ce régime, examiné à l'aune des buts
visés par les mesures disciplinaires, a empêché tout écart de conduite de la
part du recourant et a assurément contribué au maintien de l'ordre dans la
profession, à la sauvegarde du bon renom du corps médical, ainsi qu'au
rétablissement de la confiance des patients. Il a entraîné, pour le
recourant, des conséquences financières non négligeables et l'a probablement
amené à comprendre qu'il devait adopter un comportement conforme aux
exigences de son métier.  De telles mesures constituent indéniablement des
restrictions importantes à l'exercice de cette activité et, de ce fait,
peuvent être apparentées à une sanction disciplinaire, surtout si l'on
considère que ces limitations sont en vigueur depuis plus de six ans et demi.

3.2.4 Tout bien considéré, il y a lieu de retenir que la mesure de retrait
total de deux ans, sous déduction de onze mois déjà exécutés, s'avère
disproportionnée à l'ensemble des circonstances du cas concret. Car
l'autorité intimée a omis de tenir compte, sous l'angle de l'examen du
principe de la proportionnalité, également des effets et de la longue durée
des restrictions apportées le 4 mai 1998 à l'exercice de la profession du
recourant. Il appartient ainsi aux autorités cantonales de prononcer à
l'égard du recourant une mesure disciplinaire qui prend en considération
également ces éléments.

4.
Vu ce qui précède, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé. Le
canton de Neuchâtel, dont l'intérêt pécuniaire n'est pas en cause, n'a pas à
supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). En revanche, il doit
verser au recourant une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
L'Etat de Neuchâtel versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre
de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Département de la justice, de la santé et de la sécurité ainsi qu'au Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 7 février 2005

Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le  greffier: