Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.752/2004
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1P.752/2004 /col

Arrêt du 15 mars 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Olivier Boillat, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale du 22 novembre
2004.

Faits:

A.
Par jugement du 25 août 2004, le Tribunal de police du canton de Genève a
condamné A.________, ressortissant Albanais né en 1968, à dix-huit mois
d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à cinq ans d'expulsion de Suisse avec
sursis, pour violation de la LStup. Le 22 novembre 2003, la police avait
trouvé 1,749 kg d'héroïne, livrée le jour même, ainsi que du matériel de
conditionnement (sachets et balance) dans un appartement où se trouvaient
A.________ ainsi que les dénommés B.________ et C.________. Le Tribunal a
notamment retenu que A.________ était présent dans l'appartement où la drogue
avait été livrée, et que ses déclarations avaient varié s'agissant du nombre
et de la situation des personnes présentes.

B.
Par arrêt du 22 novembre 2004, la Chambre pénale de la Cour de justice a
rejeté l'appel formé, notamment par A.________; la présence d'héroïne dans
des sachets en plastique, le conditionnement d'une partie de la drogue ainsi
que la présence de sachets et d'une balance constituaient des indices
importants qu'un partage était en cours entre les trois personnes présentes;
A.________ détenait deux téléphones portables lors de son arrestation, et
avait eu des conversations téléphoniques, notamment avec B.________, en
utilisant un double langage.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler ce dernier arrêt et de renvoyer la cause à la
Chambre pénale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il
demande l'assistance judiciaire.
La Chambre pénale se réfère aux considérants de son arrêt. Le Procureur
général conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public et son complément sont formés en temps utile
contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale. Le recourant,
dont la condamnation se trouve confirmée par l'arrêt attaqué, a qualité (art.
88 OJ) pour contester ce prononcé. Sous réserve d'exceptions non réalisées en
l'espèce, le recours de droit public est de nature purement cassatoire et ne
peut donc tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 129 I 129
consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176). La conclusion tendant au
renvoi du dossier à la cour cantonale pour nouveau jugement dans le sens des
considérants est irrecevable.

2.
Le recourant se plaint d'une violation du droit d'être entendu, grief d'ordre
formel qu'il y a lieu d'examiner en premier. Selon le recourant, l'arrêt
cantonal serait insuffisamment motivé et ne permettrait pas de comprendre
pourquoi ses explications, ainsi que celles de B.________ qui  le disculpent,
n'ont pas été prises en compte. On ne verrait pas en quoi consisterait sa
participation au trafic de drogue.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. permet notamment
d'exiger qu'un jugement soit motivé. Cette garantie tend à donner à la
personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le
contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance supérieure. Elle
tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations
subjectives ou dépourvues de pertinence; elle contribue, par là, à prévenir
une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications à fournir
dépend de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas;
en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les
motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de répondre à tous les
arguments présentés (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 126 I
97 consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146 consid. 2a p.
149).

2.2 Selon l'arrêt cantonal, la présence de drogue et de matériel de
conditionnement indiquait qu'un partage de drogue était vraisemblablement en
cours entre les personnes présentes. L'arrêt n'indique certes pas en quoi
consistent les variations dans les dires du recourant, mais la partie en fait
de l'arrêt (p. 4) relate les déclarations faites devant la police, puis
devant le juge d'instruction. L'arrêt évoque enfin les conversations
téléphoniques codées au cours desquelles le recourant aurait demandé à
B.________ "combien il en v[oulait]", et aurait dit qu'il en avait "pris
200".
Le raisonnement de la Chambre pénale est ainsi parfaitement compréhensible,
et le recourant est à même d'en contester le bien- fondé en toute
connaissance de cause. La garantie formelle du droit d'être entendu est
respectée.

3.
Sur le fond, le recourant se plaint d'arbitraire et d'une violation de la
présomption d'innocence. Il estime que les indices retenus seraient
insuffisants pour fonder la déclaration de culpabilité: la possession de deux
téléphones portables serait un fait courant; les erreurs dans ses
déclarations, dues au stress de l'arrestation, avaient été immédiatement
corrigées devant le juge d'instruction; elles se rapportaient à des faits
irrelevants - soit le lieu de rencontre avec B.________ et le nombre de
personnes venues livrer la drogue; ses conversations téléphoniques, cinq mois
avant les faits, se rapportaient à des prêts d'argent et ne contenaient pas
de termes codés; la présence du recourant dans l'appartement était fortuite,
et rien ne permettait de lui imputer une participation active à un trafic de
drogue; B.________, à qui la drogue était destinée, l'avait clairement mis
hors de cause. Le faisceau d'indices serait par conséquent insuffisant.

3.1 Consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, la présomption
d'innocence interdit au juge de prononcer une condamnation alors qu'il
éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Des doutes abstraits ou
théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent cependant pas à exclure
une condamnation, et le recourant ne saurait soutenir que "le simple doute"
devrait lui profiter. L'appréciation des preuves est arbitraire, donc
contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide
l'appréciation retenue par le juge de la cause que si elle apparaît
insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective ou
adoptée sans motifs objectifs. Il ne suffit pas que les motifs du verdict
soient insoutenables; il faut en outre que l'appréciation soit arbitraire
dans son résultat. Il ne suffit pas non plus qu'une solution différente
puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable
(ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58; 127 I 38 consid. 2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a
p. 170; voir aussi ATF 129 I 8 consid. 2.1 in fine p. 9).

3.2 Comme le relève le recourant, sa condamnation tient pour l'essentiel à sa
présence dans l'appartement où la drogue a été retrouvée. Cela constitue un
indice important à sa charge, dans la mesure où, comme l'indique la Chambre
pénale, la drogue n'avait pas simplement été livrée et entreposée dans
l'appartement: la présence de sachets et d'une balance indiquait qu'un
partage de la marchandise était en cours au moment de l'intervention de la
police. Le recourant ne conteste d'ailleurs pas cette appréciation. Or, si un
tel partage était en cours, il devait concerner, le plus vraisemblablement,
les personnes présentes dans l'appartement. S'agissant des écoutes
téléphoniques, le recourant tente d'expliquer les termes de sa conversation
avec B.________ en évoquant des prêts qu'ils se faisaient régulièrement. Cela
n'explique toutefois pas le ton extrêmement évasif des deux interlocuteurs,
qui mentionnent l'arrivée d'un tiers censé apporter "quelque chose", et
s'interrogent sur la quantité qu'ils désirent; le recourant affirme ensuite:
"j'en ai pris 200". Cette conversation, avec un individu dont la
participation à un trafic de stupéfiants a pu être démontrée, constitue un
sérieux indice de participation antérieure à un trafic, qui vient renforcer
les soupçons s'agissant de la livraison effectuée en novembre 2003. Dans ces
conditions, la déclaration de culpabilité ne viole pas la présomption
d'innocence. B.________ a certes déclaré que le recourant était étranger à
tout trafic, mais cela n'apparaît pas déterminant, dans la mesure où les deux
hommes sont de très bons amis qui se connaissent depuis sept ans.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Le recourant a demandé l'assistance
judiciaire, dont les conditions sont réunies. Me Boillat est désigné comme
avocat d'office, rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas
perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Olivier Boillat est désigné
comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1500 fr. lui est
allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 15 mars 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: