Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.733/2004
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1P.733/2004 /col

Arrêt du 5 janvier 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Nay et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.

X. ________,
Y.________,
Z.________,
recourants,
tous représentés par Me Thomas Barth, avocat,

contre

Tribunal de la jeunesse du canton de Genève,
rue des Chaudronniers 7, 1204 Genève,
Cour de justice du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

dépassement de la durée de la garde à vue,

recours de droit public contre la décision de la Cour de justice du canton de
Genève du 14 décembre 2004.

Faits:

A.
Le 12 novembre 2004, la brigade des mineurs de la police genevoise a
enregistré les déclarations de trois jeunes filles nées en 1993 et 1994, qui
ont affirmé que le dénommé X.________, né le 4 avril 1991, les avait, en
2003, contraintes à des fellations, sous la menace d'un couteau.
Les inspecteurs de la police ont, le 15 novembre 2004, fait rapport de ces
déclarations à la directrice du Service de protection de la jeunesse du
canton de Genève et, à ce titre, Juge des enfants au sens des art. 1ss de la
loi genevoise sur les juridictions pour enfants et adolescents, du 21
septembre 1973 (LJEA).
Sur ordre du Juge des enfants, la police a arrêté X.________ le 16 novembre
2004 à 7h et l'a emmené dans les locaux de l'Hôtel de police pour y être
interrogé, dès 7h20. X.________ a rejeté les accusations portées contre lui.
Le 16 novembre 2004, le Juge des enfants s'est dessaisi de l'affaire en
faveur du Tribunal de la jeunesse du canton de Genève, selon l'art. 8 LJEA.
Le 16 novembre 2004 à 16h10, le Commissaire de police a ordonné le placement
de X.________ en détention dans les locaux de l'Hôtel de police.
Le 17 novembre 2004 à 9h45, le Commissaire de police a entendu X.________,
qui a nié les faits. Il a ordonné son placement dans les locaux du centre
pour mineurs "La Clairière", afin qu'il y soit tenu à la disposition du
Tribunal de la jeunesse.
Le 17 novembre 2004 à 15h10, le Juge délégué du Tribunal de la jeunesse a
entendu X.________. Il a ordonné sa mise en détention pour les besoins de
l'instruction. L'audition a pris fin à 16h05.
Le défenseur de X.________, qui assistait à l'audition, a demandé sa
libération immédiate, au motif que la durée maximale de la garde à vue, de
vingt-quatre heures selon l'art. 23 al. 3 LJEA, aurait été dépassée. Il a
réitéré cette requête par une écriture séparée du même jour.
Le 18 novembre 2004, X.________ a recouru auprès de la Cour de justice du
canton de Genève contre le mandat d'arrêt. Il a fait valoir que la durée de
sa détention par la police était excessive au regard de l'art. 23 al. 3 LJEA.
Il a demandé l'effet suspensif et sa libération immédiate.
Le 24 novembre 2004, le Tribunal de la jeunesse a rendu un jugement
provisoire et ordonné le placement à La Clairière de X.________, prévenu
d'actes d'ordre sexuel avec des enfants.
Le lendemain, X.________ a recouru auprès de la Cour de justice contre ce
dernier jugement. Il a requis l'effet suspensif et sa libération immédiate.
Le 14 décembre 2004, la Cour de justice, statuant par un seul arrêt, a
déclaré irrecevable le recours du 18 novembre 2004 et rejeté celui du 25
novembre 2004. Elle a considéré que le mandat d'arrêt du 17 novembre 2004 ne
pouvait être attaqué par la voie du recours. Quant au dépassement du délai de
vingt-quatre heures fixé par l'art. 23 al. 3 LJEA, il ne justifiait pas
l'élargissement du recourant, compte tenu des charges pesant contre lui,
ainsi que de sa situation familiale et scolaire perturbée.

B.
Agissant le 15 décembre 2004 par la voie du recours de droit public,
X.________, ainsi que sa mère Y.________ et sa grand-mère Z.________,
demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 14 décembre 2004 et
d'ordonner la libération immédiate de X.________. Ils invoquent les art. 9,
10 al. 2 et 29 al. 2 Cst., ainsi que l'art. 5 CEDH. Ils requièrent
l'assistance judiciaire.
La Cour de justice se réfère à sa décision. Le Tribunal de la jeunesse
conclut préalablement à ce qu'il soit constaté que la procédure s'est
déroulée conformément au droit applicable; sur le fond, il propose la
confirmation du jugement attaqué.
Le Procureur général est intervenu spontanément dans la procédure, le 22
décembre 2004.
Invités à répliquer, les recourants ont maintenu leurs conclusions.

C.
Par ordonnance du 16 décembre 2004, le Président de la Ire Cour de droit
public a rejeté la demande de libération provisoire présentée par X.________
au titre des mesures provisionnelles.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 249 consid. 2 p.
250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308, et les arrêts cités).

1.1 X.________ a qualité pour agir, au sens de l'art. 88 OJ, contre la
décision maintenant sa détention préventive. Il est superflu d'examiner ce
qu'il en est, de surcroît, pour ce qui concerne sa mère et sa grand-mère.

1.2 Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let.
b OJ; ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176; 128 III
50 consid. 1b p. 53, et les arrêts cités). Il est fait exception à ce
principe lorsque l'admission du recours ne suffit pas à rétablir une
situation conforme à la Constitution et qu'une mesure positive est nécessaire
(ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132). Tel est le cas notamment lorsqu'une
mesure de détention préventive n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115
Ia 293 consid. 1a p. 297; 107 Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1 p.
29). La conclusion du recours tendant à la libération immédiate de X.________
est ainsi recevable.
Il n'en va pas de même, en revanche, de la conclusion préalable, de nature
constatatoire, formulée par le Tribunal de la jeunesse dans sa réponse au
recours.

1.3 Le Ministère public n'étant pas partie à la procédure cantonale, il  ne
l'est pas davantage devant le Tribunal fédéral. Sa prise de position du 22
décembre 2004, irrecevable, est écartée du dossier.

1.4 La Cour de justice a déclaré irrecevable le recours formé le 18 novembre
2004 contre le mandat d'arrêt. Les recourants ne critiquent pas ce point de
la décision attaquée. L'objet du recours de droit public est ainsi
circonscrit à la détention ordonnée le 24 novembre 2004.

2.
Les recourants reprochent à la Cour de justice de n'avoir pas examiné l'un
des griefs qu'ils lui avaient présenté; ils y voient une violation de leur
droit d'être entendus, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.

2.1 Les parties ont le droit d'être entendues (art. 29 al. 2 Cst.). Il en
découle que l'autorité doit indiquer dans son prononcé les motifs qui la
conduisent à sa décision (ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 123 I 31 consid
2c p. 34; 112 Ia 107 consid. 2b p. 109). Elle n'est pas tenue de discuter de
manière détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle n'est pas
davantage astreinte à statuer séparément sur chacune des conclusions qui lui
sont présentées. Elle peut se limiter à l'examen des questions décisives pour
l'issue du litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier correctement
la portée de la décision et l'attaquer à bon escient (ATF 126 I 15 consid.
2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149; 124
V 180 consid. 1a p. 181, et les arrêts cités).

2.2 Dans son recours cantonal du 25 novembre 2004, X.________ avait demandé à
être placé dans un autre lieu que le centre de La Clairière. La décision
attaquée est muette sur cette conclusion subsidiaire. Il en ressort toutefois
de manière implicite, mais suffisamment claire, que dès lors que la Cour de
justice a tenu pour justifié le maintien du recourant en milieu fermé pour le
besoin de mesures éducatives, elle a également approuvé le choix de La
Clairière comme établissement approprié à cette détention.

3.
Sous l'angle de la liberté personnelle, les recourants soutiennent que la
détention de X.________ ne reposerait pas sur une base légale suffisante. Tel
qu'il est formulé, le grief tiré de la violation arbitraire du droit cantonal
se confond avec le précédent.

3.1 La liberté personnelle est garantie (art. 10 al. 2 Cst.). Nul ne peut en
être privé si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes
qu'elle prescrit (art. 31 al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral examine à la
lumière de la garantie de la liberté personnelle si le maintien en détention
d'un prévenu se justifie pour des raisons objectives. Les principes que la
Convention européenne des droits de l'homme consacre, essentiellement à son
art. 5, sont pris en considération pour l'interprétation et l'application de
cette garantie en tant qu'ils la concrétisent (ATF 115 Ia 293 consid. 3 p.
299; 108 Ia 64 consid. 2c p. 66/67; 105 Ia 26 consid. 2b p. 29). La garantie
de la liberté personnelle n'empêche pas l'autorité publique de procéder à
l'incarcération d'un individu ou de le maintenir en détention, aux conditions
toutefois que cette mesure particulièrement grave repose sur une base légale,
soit ordonnée dans l'intérêt public et respecte le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270;
114 Ia 281 consid. 3 p. 283; 107 Ia 148 consid. 2 p. 149; 106 Ia 277 consid.
3a p. 281, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine avec une
cognition pleine l'application du droit cantonal; en revanche, il ne revoit
les constatations de fait que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123
I 31 consid. 3a p. 35; 115 Ia 293 consid. 1b p. 297). Aux termes de l'art. 24
LJEA, le juge peut ordonner l'arrestation d'un mineur s'il existe contre lui
des présomptions suffisantes de culpabilité et si l'intérêt de l'enquête ou
un risque de fuite l'exigent.

3.2 Selon les recourants, le dépassement du délai de garde à vue aurait pour
conséquence de priver la détention de X.________ de sa base légale.

3.2.1 Aux termes de l'art. 23 LJEA, le juge ou l'officier de police peut
décerner un mandat d'amener contre le mineur sur lequel pèsent des
présomptions suffisantes de culpabilité, en vue de le faire appréhender et
détenir provisoirement pour interrogatoire (al. 1). Le mandat d'amener, daté
et signé, est notifié par un agent de la force publique; il indique le fait
pour lequel il est décerné et les dispositions légales applicables (al. 2).
Le mineur doit être interrogé sans retard par l'autorité qui a décerné le
mandat; il doit être mis à la disposition du juge dans les plus brefs délais
et au plus tard vingt-quatre heures après l'exécution du mandat (al. 3).

3.2.2 Selon la Cour de justice, le délai fixé à l'art. 23 al. 3 LJEA
commencerait à courir dès l'arrestation, soit, en l'occurrence, dès le 16
novembre 2004 à 7h20. Il aurait expiré avec le prononcé de l'ordre de
placement par le Commissaire de police, le 17 novembre à 9h45.
Cette appréciation est inconciliable avec le texte légal. En effet, le délai
de l'art. 23 al. 3 LJEA ne commence à courir qu'avec le décernement d'un
mandat d'amener, soit l'acte par lequel le juge ou l'officier de police
ordonne d'appréhender la personne soupçonnée d'un crime ou d'un délit et de
la faire détenir provisoirement en vue d'un interrogatoire (art. 23 al. 1
LJEA; cf. également la disposition équivalente de l'art. 32 al. 1 CPP/GE). La
notion de mandat d'amener est claire. Elle vise un acte écrit, signé et daté
(art. 23 al. 2 LJEA), émanant d'une autorité désignée à cet effet. Partant,
le mandat d'amener ne peut être assimilé à un acte matériel de la police, tel
que l'arrestation. A cela s'ajoute que le mandat d'amener ne peut pas émaner
du juge des enfants au sens de l'art. 1 LJEA, comme semble le supposer la
Cour de justice. En effet, toutes les mesures portant sur un placement de
l'enfant hors de son milieu naturel (sic) relèvent de la compétence du
Tribunal de la jeunesse (cf. art. 5 al. 2 et 7 LJEA, mis en relation avec
l'art. 9 de la même loi).
Il suit de là que c'est l'ordre de placement rendu le 16 novembre 2004 à
16h10 par le Commissaire de police qui a fait office de mandat au sens de
l'art. 23 LJEA. Cet acte a déclenché le délai de garde à vue. Il a été
remplacé par le mandat d'arrêt rendu à l'encontre de X.________ le 17
novembre 2004 par le Tribunal de la jeunesse, au terme de son audience qui a
commencé à 15h10 pour prendre fin à 16h05. A ce moment-là, le délai de
vingt-quatre heures de l'art. 23 al. 3 LJEA n'avait pas expiré.

3.2.3 Le grief est ainsi mal fondé. Pour le surplus, les recourants ne
contestent pas les motifs de la détention ordonnée le 17 novembre 2004.

4.
Les recourants demandent l'assistance judiciaire, dont les conditions sont
remplies (art. 152 OJ). Il convient de statuer sans frais, de désigner Me
Thomas Barth, avocat à Genève, comme avocat d'office des recourants. Une
indemnité de 1500 fr. est allouée à Me Barth à titre d'honoraires. Il n'est
pas alloué de dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise.

3.
Il est statué sans frais.

4.
Me Thomas Barth, avocat à Genève, est désigné comme avocat d'office des
recourants. Il est alloué à Me Barth une indemnité de 1500 fr. à titre
d'honoraires.

5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au
Tribunal de la jeunesse et à la Cour de justice du canton de Genève, ainsi
qu'au Procureur général du canton de Genève, pour son information.

Lausanne, le 5 janvier 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: