Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.72/2004
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1P.72/2004 /col

Arrêt du 3 mai 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

A. ________,
recourant,

contre

Philippe Vallet, Président du Tribunal pénal de l'arrondissement de la
Gruyère, case postale 364, 1630 Bulle,
Ministère public du canton de Fribourg, rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Chambre pénale, case postale 56,
1702 Fribourg.

récusation

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale du 10 décembre
2003.

Faits:

A.
Par jugement du 10 septembre 2003, le Tribunal pénal de l'arrondissement de
la Gruyère a reconnu A.________ coupable de diverses infractions et l'a
condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 5'000
fr. A.________, bien que dûment cité, ne s'était pas présenté aux débats; il
était condamné par défaut. Le 5 septembre, il avait fait parvenir au
Président du Tribunal pénal, le président Philippe Vallet, un certificat
médical annonçant qu'il serait empêché de comparaître "pour raison médicale".

A. ________ a introduit une demande de relief. Le président Vallet l'a alors
averti, par une lettre du 23 septembre 2003, que cette demande ne serait pas
admise sans vérification préalable des circonstances qui l'avaient empêché de
se présenter.

B.
A.________ s'est immédiatement adressé au Vice-président du Tribunal
d'arrondissement pour demander la récusation du président Vallet. Il
soutenait qu'en mettant en doute son empêchement de se présenter, pourtant
établi par le certificat médical, ce magistrat violait de façon évidente la
garantie d'un procès équitable et faisait preuve, par là, d'une attitude
partiale.
Le Vice-président du Tribunal d'arrondissement, statuant en qualité de
suppléant du président Vallet, a rejeté cette demande par ordonnance du 7
novembre 2003.
Sans succès, A.________ a contesté ce prononcé devant la Chambre pénale du
Tribunal cantonal. Cette juridiction a déclaré le recours irrecevable au
motif que l'ordonnance ne faisait pas partie des décisions susceptibles de
lui être déférées selon l'art. 202 CPP frib.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de l'art. 9
Cst., A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre
pénale, rendu le 10 décembre 2003. Il se plaint d'une application arbitraire
de l'art. 202 CPP frib.
Invités à répondre, la juridiction intimée et le Ministère public du canton
de Fribourg ont renoncé à déposer des observations; le président Vallet
propose le rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes des art. 86 al. 1 et 87 al. 1 OJ, le recours de droit public n'est
recevable qu'à l'encontre des décisions prises en dernière instance
cantonale. Le recours peut être dirigé contre les décisions incidentes sur la
compétence de l'autorité et sur des demandes de récusation, prises séparément
de la décision finale; ces décisions ne peuvent pas être attaquées
ultérieurement.
L'arrêt présentement attaqué est une décision incidente (elle ne met pas un
terme au procès pénal; cf. ATF 129 III 107 consid. 1.2.1 p. 110; arrêt
1P.490/2003 du 13 octobre 2003, consid. 1) par laquelle l'autorité refuse
d'entrer en matière sur un recours. Celui-ci avait pour objet une demande de
récusation, de sorte que cette décision doit, s'il y a lieu, être attaquée
immédiatement (ATF 126 I 203). Sur le plan cantonal, le refus d'entrer en
matière n'est susceptible d'aucun recours immédiat et il ne pourra pas non
plus être contesté ultérieurement. Le recours de droit public est donc
recevable au regard des art. 86 et 87 OJ.

2.
Une décision est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst., lorsqu'elle
viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou
contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité.
Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité
cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en
contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs
objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que
les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci
soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus
qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale puisse
être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 129
I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 II 259 consid. 5 p. 280/281; 127 I 54 consid. 2b p.
56).

3.
3.1 Selon l'art. 202 al. 1 CPP frib., le recours à la Chambre pénale du
Tribunal cantonal est recevable contre "toute décision, mesure ou omission"
du Juge d'instruction, du Tribunal pénal d'arrondissement ou du Président de
ce tribunal, pour autant qu'aucune autre voie de droit ne soit ouverte et que
la loi ne déclare pas la décision définitive. L'art. 202 al. 2 let. b CPP
frib. exclut du recours "les décisions et mesures prises au cours de la
procédure de jugement", sauf si elles concernent des mesures de contrainte ou
sont dirigées contre des tiers.
Par ailleurs, l'appel à la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal est
recevable contre les jugements du Tribunal pénal d'arrondissement; il peut
être interjeté "pour tout vice de la procédure ou du jugement" (art. 18, 211
al. 1 et 212 al. 1 CPP frib.). L'appel permet ainsi de contester les
décisions incidentes qui, en vertu de l'art. 202 al. 2 let. b CPP frib.,
précité, n'ont pas pu faire l'objet d'un recours immédiat à la Chambre pénale
(Damien Piller et Claude Pochon, Commentaire du Code de procédure pénale du
canton de Fribourg, p. 326 ch. 212.2).
3.2 La Chambre pénale du Tribunal cantonal s'est plusieurs fois saisie de
recours concernant la récusation du Juge d'instruction. Ensuite, dans un
arrêt du 30 juin 2003, elle a déclaré changer sa jurisprudence pour retenir
que le refus de récuser ce magistrat, prononcé par le Vice-président de
l'Office des juges d'instruction, est une décision étrangère à la poursuite
pénale et qu'elle ne fait donc pas partie des actes visés à l'art. 202 al. 1
CPP. Elle a considéré que la récusation du Juge d'instruction est régie
exclusivement par la loi d'organisation judiciaire, que celle-ci ne prévoit
aucun recours et qu'il n'existe, à ce sujet, aucune disposition spécifique
dans le code de procédure pénale. Le recours était donc irrecevable. Saisi
d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral a jugé que cette
interprétation de la loi, quoique discutable, échappait au grief d'arbitraire
(arrêt précité 1P.490/2003, consid. 2.2).
Dans une affaire antérieure qui concernait, comme la présente affaire, le
Président du Tribunal pénal d'arrondissement, la Chambre pénale du Tribunal cantonal a jugé que la demande de récusation était une "requête concernant la
composition du tribunal" selon l'art. 177 al. 1 let. b CPP, sur laquelle le
Tribunal pénal doit statuer avant de poursuivre les débats; intervenu au
cours de la procédure de jugement, cette décision incidente n'était pas
susceptible d'un recours à la Chambre pénale car ce moyen de droit ne devait
pas se substituer à l'appel (arrêt du 21 mai 1999 in RFJ 1999 p. 286).
L'arrêt du 10 décembre 2003, dont la constitutionnalité est actuellement
litigieuse, repose sur la même motivation.
Dans chacun de ces trois arrêts, la Chambre pénale affirme qu'il est possible
de recourir au Tribunal fédéral contre une décision rejetant une demande de
récusation, de sorte qu'il n'existe pas de risque qu'un procès pénal se
termine en première instance alors que la procédure est entachée d'un vice
radical.

3.3 Selon la jurisprudence cantonale, il est donc admis que la décision
concernant la récusation du Président du Tribunal pénal d'arrondissement, à
la différence de celle du Juge d'instruction, est régie par le code de
procédure pénale parce que visée à l'art. 177 al. 1 let. b de ce code. Au
regard de l'art. 202 al. 2 let. b CPP frib., la Chambre pénale peut retenir
sans arbitraire que cette décision n'est pas susceptible d'un recours
immédiat. Par ailleurs, on ne saurait considérer que cette dernière
disposition soit intrinsèquement inconstitutionnelle en tant qu'elle porte,
notamment, sur les contestations en matière de récusation. En effet, le
Tribunal fédéral a jugé que ni l'art. 30 al. 1 Cst., relatif aux garanties de
procédure judiciaire, ni l'organisation judiciaire fédérale, par l'art. 87
al. 1 OJ, n'obligent les cantons à instituer une procédure incidente de
récusation; il a également jugé que si cette procédure existe, une voie
cantonale de recours n'est pas non plus garantie (arrêt 2P.336/1999 du 15
août 2000, consid. 3c).

3.4 S'il existe une procédure incidente de récusation et que celle-ci aboutit
à une décision définitive sur le plan cantonal, le plaideur doit agir
immédiatement par la voie du recours de droit public; un recours ultérieur
est irrecevable (ATF 126 I 203). Si la procédure incidente n'aboutit qu'à une
décision provisoire, susceptible d'être attaquée, sur le plan cantonal, avec
le jugement final, le recours de droit public n'est pas disponible contre
cette décision incidente parce que les instances cantonales ne sont pas
épuisées. Le plaideur est alors, au contraire, obligé d'attendre avant de
saisir le Tribunal fédéral (arrêt 4P.62/2003 du 12 juin 2003, consid. 3.2).
L'obligation d'épuiser les instances cantonales a donc la priorité sur
l'exigence d'attaquer immédiatement les décisions incidentes concernant la
composition de l'autorité.
Ainsi, contrairement aux indications de l'arrêt attaqué, le rejet d'une
demande de récusation du Président du Tribunal pénal d'arrondissement n'est
pas définitif sur le plan cantonal, dans la mesure où la procédure aboutit à
un jugement susceptible d'appel et que le plaideur peut alors, dans le cadre
de ce moyen de droit, contester la composition du tribunal qui a statué. La
motivation de l'arrêt attaqué apparaît critiquable sur ce point, mais, comme
on l'a vu, ce prononcé n'est pas arbitraire dans son résultat. Il en résulte
que le recours de droit public, mal fondé, doit être rejeté.

4.
En règle générale, le plaideur qui saisit le Tribunal fédéral et n'obtient
pas gain de cause doit acquitter l'émolument judiciaire. En l'occurrence,
compte tenu que l'arrêt attaqué pouvait prêter à discussion, il se justifie
de renoncer à percevoir cet émolument.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au président
Philippe Vallet, ainsi qu'au Ministère public et au Tribunal cantonal du
canton de Fribourg.

Lausanne, le 3 mai 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: