Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.708/2004
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1P.708/2004 /col

Arrêt du 16 février 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffière: Mme Revey

A.________ S.A.,
recourante, représentée par Me Fidèle Joye, avocat,

contre

B.________,
représentée par Me Jacopo Rivara, avocat,
C.________,
intimés,
Tribunal de première instance du canton de Genève, 15ème Chambre, place du
Bourg-de-Four 1,
case postale 3736, 1211 Genève 3.

récusation d'expert,

recours de droit public contre le jugement du Tribunal
de première instance du canton de Genève du 28 octobre 2004.

Faits:

A.
A. ________ S.A. a déposé le 29 novembre 2002 auprès du greffe du Tribunal de
première instance du canton de Genève une demande tendant notamment au
versement par B.________ de 22'416 fr. 95 avec intérêts, en paiement de
travaux de peinture. Dans le cadre de ce procès, à la demande de la
défenderesse, D.________, membre du Groupement d'experts de la Fédération des
métiers du bâtiment (FMB) a établi, le 5 juillet 2002, une "expertise privée"
dans laquelle il constatait que les travaux n'avaient pas été faits dans les
règles de l'art. La demanderesse contestant les conclusions de ce rapport, le
Tribunal de première instance du canton de Genève a ordonné une expertise
judiciaire et désigné C.________ en qualité d'expert. Dans son rapport du 26
mai 2004, ce dernier, indiquant être également membre du Groupement d'experts
FMB, est arrivé à la conclusion que le travail de la demanderesse était à
refaire, faute d'avoir été exécuté dans les règles de l'art.

A. ________ S.A. a requis, le 4 juin 2004, la récusation de C.________ à
raison de son appartenance au même Groupement d'experts que D.________. La
défenderesse s'est opposée à la récusation de l'expert.

B.
Par jugement du 28 octobre 2004, le Tribunal de première instance a rejeté la
requête en récusation. Il a mis les frais et les dépens de cette décision à
la charge de A.________ S.A. Après avoir rappelé que les experts étaient
récusables pour les mêmes motifs que les juges, conformément à l'art. 258 de
la loi de procédure civile genevoise (LPC gen.), il constatait qu'aucun
élément du dossier ne permettait de retenir que l'expert C.________ aurait
manqué d'impartialité. En outre, le motif invoqué par la demanderesse était
sans pertinence. En effet, l'appartenance au Groupement d'experts FMB, qui
compte de nombreux spécialistes compétents dans différents domaines de la
construction, n'est pas de nature à laisser penser que l'expert C.________
aurait pu manquer d'impartialité sous prétexte qu'un autre membre de ce
groupement aurait préalablement rendu une "expertise privée" au contenu
analogue. Le Tribunal de première instance a renoncé à infliger une amende à
A.________ S.A. bien qu'il estimât que la requête de récusation frisât la
témérité.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ S.A. demande au
Tribunal fédéral d'accorder l'effet suspensif à son recours et d'annuler le
jugement du Tribunal de première instance du 28 octobre 2004. La recourante
le tient pour arbitraire et contraire à la garantie d'un expert impartial
déduite des art. 29 al. 1, 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. L'intimée
B.________ a conclu au rejet de la requête d'effet suspensif et à celui du
recours. L'intimé C.________ s'en est remis à justice en ce qui concerne la
requête d'effet suspensif et a demandé que le recourant soit débouté de ses
conclusions au fond. Le Tribunal de première instance s'en est rapporté à
justice s'agissant de la requête d'effet suspensif et n'a au surplus pas
déposé de réponse.
Le Président de la Ire Cour de droit public a, par ordonnance du 13 janvier
2005, rejeté la demande d'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Interjeté contre une décision incidente sur une demande de récusation
d'expert (art. 87 al. 1 OJ; ATF 126 III 249 consid. 3c p. 253; 125 II 541
consid. 4a p. 544 et les arrêts cités), prise en dernière instance cantonale
(art. 258 al. 3 LPC gen), qui ne peut être attaquée que par la voie du
recours de droit public et qui touche la recourante dans ses intérêts
juridiquement protégés, le présent recours est recevable au regard des art.
84 ss OJ (cf. ATF 97 I 1 consid. 1b p. 3/4).

2.
La recourante tient la décision sur récusation pour arbitraire. Elle conteste
"l'appréciation des faits" de l'autorité cantonale à propos de l'indépendance
des experts membres du Groupement des experts FMB. En réalité, par ce grief,
elle remet en cause l'appréciation de cette autorité concernant la
réalisation prétendue des conditions de récusation. Ce moyen n'a pas de
portée propre. Il se confond en effet avec celui par lequel la recourante
invoque la violation des garanties du droit constitutionnel (art. 29 al. 1,
30 al. 1 Cst.) et du droit conventionnel (art. 6 par. 1 CEDH) en matière
d'impartialité des experts judiciaires. Au surplus, la recourante ne dénonce
pas une application arbitraire du droit cantonal pertinent en matière de
récusation.
Selon la jurisprudence relative aux art. 29 al. 1 Cst., 30 al. 1 Cst. et 6
par. 1 CEDH, les parties à une procédure ont le droit d'exiger la récusation
d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire
naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter
que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le
jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la
récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une
disposition interne de l'expert ne peut guère être prouvée; il suffit que les
circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une
activité partiale. Seules des circonstances constatées objectivement doivent
être prises en considération; les impressions individuelles d'une des parties
au procès ne sont pas décisives (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198; 126 I 68
consid. 3a p. 73, 168 consid. 2a p. 169; 125 II 541 consid. 4a p. 544 et les
arrêts cités).
La recourante invoque comme circonstance donnant l'apparence d'une
prévention, l'appartenance de l'expert judiciaire C.________ et de l'expert
privé D.________ au Groupement d'experts FMB et, en outre, l'usage de termes
identiques et les conclusions semblables figurant dans les deux rapports
établis respectivement par chacun d'eux.
En l'occurrence, en tout cas sur la base des allégations de la recourante, on
ne voit pas quelle conséquence pourrait avoir sur l'indépendance de l'expert
judiciaire cette appartenance au même groupement que l'expert privé, d'autant
qu'il est notoire que les experts judiciaires sont souvent regroupés en
association sans que cela crée de lien de dépendance ou de subordination
entre eux. Quant à l'usage de termes identiques dans leurs rapports
respectifs, il s'agit d'un grief dépourvu de sens. En effet, ces deux
expertises, brèves et rédigées opportunément en style télégraphique, sont
toutes deux formulées par des spécialistes de la même branche, lesquels sont
ainsi susceptibles de recourir à un même vocabulaire spécifique, et portent
sur le même sujet, à savoir la bien-facture de la prestation professionnelle
exécutée par la recourante pour l'intimée. Il est dès lors attendu que les
termes utilisés soient identiques. Quant au caractère similaire des
conclusions des deux experts, on ne peut en tirer aucune conclusion relative
à une prétendue prévention de l'expert judiciaire dans la mesure où il n'est
pas exclu que deux spécialistes puissent faire les mêmes constats.
Les griefs de la recourante sont dès lors manifestement mal fondés.

3.
Il s'ensuit que le recours de droit public, relevant au demeurant de la
témérité, doit être rejeté. A.________ S.A., qui succombe, doit payer
l'émolument judiciaire (art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ). L'intimée
B.________, qui obtient gain de cause et qui est représentée par un avocat, a
droit à une indemnité à titre de dépens à la charge de la recourante;
l'intimé C.________, qui a agi sans l'assistance d'un avocat, n'a pas droit à
une telle indemnité (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, vu l'art. 36aOJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Une indemnité de 1'500 fr. est allouée à l'intimée B.________ à titre de
dépens, à la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la 15ème Chambre du
Tribunal de première instance du canton de Genève.

Lausanne, le 16 février 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: