Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.6/2004
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1P.6/2004 /dxc

Arrêt du 26 mars 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

X. ________ SA,
recourante, représentée par Mes Pierre-Alain Schmidt et Jean-Yves
Schmidhauser, avocats,

contre

Y.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-François Ducrest, avocat,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République
et canton de Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, case postale
1956, 1211 Genève 1.

amende pour infractions à la réglementation sur les chantiers,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal
administratif de la République et canton de Genève
du 18 novembre 2003.

Faits:

A.
Le 26 novembre 1998, Y.________ S.A. (ci-après: Y.________) a demandé
l'autorisation de construire un entrepôt, sur les parcelles n° 3798 et 4055
de la commune de Vernier, en zone de développement industriel. La société
X.________ S.A. (ci-après: la société) était désignée comme entreprise
générale. Le 3 mars 1999, le Département cantonal de l'aménagement, de
l'équipement et du logement (ci-après: DAEL) a accordé l'autorisation de
construire, sous diverses charges et conditions.

Le 14 janvier 2000, l'inspecteur du DAEL a constaté que les mesures de
sécurité prévues par l'art. 94 du règlement cantonal sur les chantiers
(ci-après: RCh) n'étaient pas respectées. A raison de ces faits, une nouvelle
amende de 10'000 fr. a été infligée le 8 février 2000 à la société, laquelle
a recouru auprès de la Commission cantonale de recours en matière de
constructions du canton de Genève (ci-après: la commission).

B.
Le 1er février 2000, Y.________ a décidé de suspendre les travaux sur le
chantier. Elle en a informé la société, en lui demandant de lui remettre le
double des clés correspondant aux serrures installées sur le bâtiment.
Simultanément, Y.________ a averti le DAEL de l'interruption des travaux, qui
devait se prolonger durant "quelques semaines", en vue de la réorganisation
de la direction du chantier.

Le 23 février 2000, l'inspecteur du DAEL a constaté que des matériaux avaient
été entreposés dans une partie de la halle (soit 19'000 m2 pour une
superficie totale de 26'000 m2), notamment pour le compte de A.________;
d'autre part, toute une série de mesures techniques, liées à la construction
et à la sécurité du bâtiment, telles qu'elles avaient été définies dans
l'autorisation de construire, n'avaient pas été prises ou ne fonctionnaient
pas. Par deux décisions séparées du 6 mars 2000, le DAEL a ordonné à
Y.________ et à la société de prendre des mesures immédiates de sécurité; il
leur a infligé en outre, solidairement entre elles, une amende de 60'000 fr.
Contre ces décisions, Y.________ et la société ont recouru séparément auprès
du Tribunal administratif du canton de Genève, la seconde en faisant
notamment valoir que le contrat d'entreprise générale avait été transféré à
la société Z.________ SA (ci-après: Z.________), dès le mois de février 1999.

C.
Le 21 novembre 2000, la commission a rejeté le recours dirigé contre l'amende
du 8 février 2000. Cette décision a également fait l'objet d'un recours
auprès du Tribunal administratif.

D.
Par arrêt du 3 avril 2001, le Tribunal administratif, après avoir joint les
trois causes, a rejeté le recours formé contre la décision du 21 novembre
2000 concernant l'amende du 8 février 2000. La société était désignée comme
entreprise générale durant la phase d'étude, ainsi que lors de la réalisation
du projet, durant laquelle elle assurait la coordination entre les
sous-traitants; elle devait être considérée comme perturbateur par situation,
et le montant de l'amende apparaissait proportionné. Le Tribunal
administratif a en revanche admis les recours formés directement contre les
décisions du 6 mars 2000, l'amende ne pouvant être infligée aux différents
perturbateurs pris conjointement et solidairement entre eux. Après avoir
déterminé leur responsabilité respective de manière séparée, il a infligé à
la société une amende de 40'000 fr. et à Y.________ une amende de 20'000 fr.

E.
Par arrêt du 30 août 2001, le Tribunal fédéral, saisi d'un recours de droit
public formé par la société, a annulé cet arrêt en tant qu'il portait sur
l'amende du 6 mars 2000, celle du 8 février 2000 n'étant pas remise en cause.
La société prétendait que la direction générale des travaux était assuré par
Z.________, elle-même n'étant que sous-traitant. Le Tribunal administratif
avait rejeté les offres de preuve sur ce point, considéré comme non
déterminant. Cette appréciation anticipée des preuves, certes discutable,
n'était pas arbitraire car, sur le vu des autres moyens de preuve
disponibles, l'on pouvait considérer que le rôle effectif de la recourante
dépassait celui défini par contrat. La société faisait aussi valoir que les
travaux étaient suspendus dès le 1er février 2000, et qu'elle ne pouvait être
tenue pour responsable des faits constatés le 23 février 2000. Cette question
n'avait pas été explicitement examinée, alors qu'elle pouvait avoir une
influence sur la responsabilité de la société; la cause a été renvoyée au
Tribunal administratif afin qu'il procède aux investigations nécessaires.

F.
Après avoir invité les parties à se déterminer et appelé Y.________ en cause,
le Tribunal administratif a, par arrêt du 18 novembre 2003, repris le
dispositif de son arrêt du 3 avril 2001, en infligeant à la société une
amende de 40'000 fr. Les pièces du dossier faisaient ressortir la présence de
la société après le 1er février 2000, et sa volonté de poursuivre la
direction et l'exploitation de ce chantier. Il n'y avait donc pas lieu de
réduire le montant de l'amende.

G.
X.________ SA forme un recours de droit public, avec demande d'effet
suspensif, contre ce dernier arrêt. Elle conclut à son annulation, en tant
qu'il porte sur l'amende qui lui a été infligée le 6 mars 2000.
Le Tribunal administratif persiste dans les termes et conclusions de son
arrêt. Le DAEL conclut au rejet du recours. Y.________ SA conclut à son
irrecevabilité, subsidiairement à son rejet.

Par ordonnance présidentielle du 4 février 2004, l'effet suspensif a été
accordé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué est une décision finale prise en dernière instance cantonale.
La recourante, qui fait l'objet de l'amende administrative, a qualité pour
recourir.

2.
La recourante soulève plusieurs griefs, d'ordre formel et matériel. Elle
reproche en premier lieu au Tribunal administratif d'avoir omis de tenir
compte de pièces (contrat, procès-verbaux de chantier, courrier) destinées à
la mettre hors de cause en démontrant d'une part qu'elle agissait comme
sous-traitant, après l'intervention de Z.________ en tant qu'entrepreneur
général, et d'autre part, que Y.________ était seule responsable de
l'installation de ses propres employés et de locataires dans les locaux.
L'arrêt attaqué n'indiquerait pas pour quelles raisons ces pièces ont été
écartées. L'appel en cause de Y.________ avait pour seul but d'obtenir des
éléments à charge contre la recourante. Sur le fond, la recourante se plaint
essentiellement d'arbitraire et d'une violation de la présomption
d'innocence: l'amende était liée à l'occupation illicite des locaux, et la
recourante, n'ayant rien à voir avec cette occupation, ne pouvait être
considérée comme perturbatrice par situation, contrairement au cas de
l'amende prononcée en 1999. L'appréciation de la faute, et le montant de
l'amende, procéderaient par ailleurs d'un abus du pouvoir d'appréciation,
compte tenu de l'intervention limitée de la recourante.

2.1 D'un point de vue formel, la recourante se plaint de ce que la cour
cantonale ait appelé en cause Y.________. Selon l'art. 71 de la loi genevoise
de procédure administrative, un tiers peut être appelé en cause lorsque sa
situation juridique est susceptible d'être affectée; en l'occurrence,
Y.________ n'avait pas d'intérêt à intervenir, dès lors que l'amende de
20'000 fr. prononcée à son encontre était devenue exécutoire après le
prononcé du premier arrêt du Tribunal administratif. La recourante ne saurait
toutefois prétendre que l'appel en cause avait pour seul but de recueillir
des éléments de preuve à sa charge; les pièces sur lesquelles le Tribunal
administratif s'est finalement fondé figuraient déjà dans le dossier cantonal
et, même si Y.________ n'était plus touchée par la nouvelle décision à
rendre, elle était partie à la première procédure et pouvait être amenée à
s'exprimer sur la portée des pièces qu'elle avait produites dans ce cadre. Il
n'en est en tout cas résulté aucun préjudice pour la recourante.

2.2 La société reprend son argumentation d'ensemble quant à son implication
dans les faits reprochés. Ce faisant, elle méconnaît que l'objet du litige
s'est trouvé considérablement limité après le prononcé du premier arrêt du
Tribunal fédéral, du 30 août 2003. A cette occasion, le Tribunal fédéral a
déjà examiné les griefs soulevés par la recourante quant à sa responsabilité
dans les irrégularités constatées. La recourante invoquait déjà
l'intervention de Z.________ en tant qu'entreprise générale et reprochait au
Tribunal administratif d'avoir omis d'instruire sur ce point. La cour de
céans a toutefois considéré que l'appréciation anticipée des preuves, certes
discutable, n'était pas arbitraire pour autant, car sur le vu des autres
moyens de preuve à disposition, on pouvait considérer que le rôle effectif de
la recourante dépassait celui défini contractuellement. Pour l'essentiel, la
recourante tente de revenir sur cette appréciation, pourtant revêtue de la
chose jugée, et son argumentation, tant formelle que matérielle, relative au
principe de la sanction administrative, à son degré de responsabilité et au
montant de l'amende, est irrecevable.

2.3 En réalité, le seul point que la cour cantonale était invitée à éclaircir
concernait la responsabilité de la recourante pour les faits survenus entre
la suspension du chantier, le 1er février 2000, et le constat du 23 février
suivant, période durant laquelle la recourante avait affirmé avoir perdu la
maîtrise du chantier. Se limitant à ces aspects, la cour cantonale a
notamment invité les parties à se déterminer sur des pièces produites par
Y.________ concernant des sous-traitants de la recourante, qui auraient
continué de travailler sur le chantier malgré la suspension. Font notamment
partie de ces pièces deux lettres de la recourante des 4 et 17 février 2002,
selon lesquelles la société avait "décidé de poursuivre le chantier depuis le
lundi 7 février 2000 et d'en assurer son exploitation", et précisé qu'elle
n'avait "jamais totalement interrompu les travaux". En outre, selon un
constat du 23 février 2000, le responsable de la société aurait déclaré faire
"au mieux pour avancer le chantier". Le Tribunal administratif en a déduit
que l'intervention de la recourante s'était poursuivie durant le mois de
février 2000, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de diminuer le montant de
l'amende. La recourante omet totalement de critiquer l'arrêt cantonal sur ce
point, le seul qui puisse être revu à ce stade. Quoi qu'il en soit, il n'est
pas arbitraire de considérer, sur le vu des pièces mentionnées, que la
société est restée active sur le chantier durant la période déterminante,
nonobstant la suspension du chantier.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté dans
la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un
émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante. Y.________, partie
à la procédure cantonale et intimée, obtient gain de cause et a droit à une
indemnité de dépens, à la charge de la recourante (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à Y.________ SA, intimée, à
la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Département de
l'aménagement, de l'équipement et du logement et au Tribunal administratif de
la République et canton de Genève.

Lausanne, le 26 mars 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: