Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.688/2004
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1P.688/2004 /col

Arrêt du 10 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Zimmermann.

B. ________,
recourant,

contre

Procureur général du canton du Jura,
Le Château, case postale 196, 2900 Porrentruy 2,
Chambre d'accusation du Tribunal cantonal
du canton du Jura, Le Château, 2900 Porrentruy.

liberté personnelle, art. 10 al. 2 et 31 Cst., art. 5 CEDH (mise en liberté
provisoire),

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'accusation du Tribunal
cantonal du canton du Jura
du 17 novembre 2004

Faits:

A.
Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2002, un groupe de personnes a assailli un
croupier du casino de Courrendlin au moment où il quittait son service, l'a
immobilisé, menotté, frappé et blessé d'un coup de feu à la jambe. Les
assaillants l'ont forcé à ouvrir le coffre-fort du casino et dérobé un
montant de 170'000 fr.
Le 3 janvier 2003, à raison de ces faits, le Juge d'instruction du canton du
Jura a inculpé B.________, ressortissant suisse et bosniaque né le 26 juin
1979, de brigandage qualifié et ordonné son incarcération immédiate.
Le 21 novembre 2003, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton
du Jura a rejeté la demande de libération provisoire présentée par
B.________, à raison d'un risque de fuite. Par arrêt du 26 janvier 2004, le
Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public formé par B.________
contre cette décision (cause 1P.778/2003).

B.
Le 1er novembre 2004, B.________ a demandé sa libération provisoire.
Le 17 novembre 2004, la Chambre d'accusation a rejeté cette requête. Elle a
retenu l'existence d'un risque de fuite et considéré que la durée de la
détention n'était pas disproportionnée.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, B.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 17 novembre 2004 et d'ordonner sa
libération immédiate. Il invoque les art. 9, 10, 29 al. 2 et 31 Cst., ainsi
que l'art. 5 CEDH. Il requiert l'assistance judiciaire.
La Chambre d'accusation et le Procureur général concluent au rejet du
recours.
Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.

D.
Le 22 novembre 2004, la Chambre d'accusation a renvoyé  B.________ et sept
autres prévenus devant la Cour criminelle, comme accusé notamment de
brigandage qualifié.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Nonobstant le fait que le recours est rédigé en allemand, le présent arrêt
est rendu en français, langue de la décision attaquée (art. 37 al. 3 OJ).

2.
Le recours de droit public ne produit qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1
let. b OJ; ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176;
128 III 50 consid. 1b p. 53, et les arrêts cités). Il est fait exception à ce
principe lorsque l'admission du recours ne suffit pas à rétablir une
situation conforme à la Constitution et qu'une mesure positive est nécessaire
(ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132). Tel est le cas notamment lorsqu'une
mesure de détention préventive n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115
Ia 293 consid. 1a p. 297; 107 Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1 p.
29). La conclusion tendant à la libération immédiate du recourant est ainsi
recevable.

3.
A teneur de l'art. 129 CPP/JU, le prévenu demeure ordinairement en liberté
pendant l'instruction (al. 1). Toutefois son arrestation peut être ordonnée
s'il existe des présomptions graves et précises de culpabilité, si les
circonstances font craindre que le prévenu n'abuse de sa liberté pour prendre
la fuite, ou pour compromettre le résultat de l'enquête ou pour poursuivre
son activité délictueuse (al. 2). Le recourant ne prétend pas que cette
disposition aille au-delà de la protection de l'art. 10 al. 2 Cst.
garantissant la liberté personnelle, dont nul ne peut être privé si ce n'est
dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit (art. 31
al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral examine à la lumière de la garantie de la
liberté personnelle si le maintien en détention d'un prévenu se justifie pour
des raisons objectives. Les principes que la Convention européenne des droits
de l'homme consacre essentiellement à son art. 5, sont pris en considération
pour l'interprétation et l'application de cette garantie en tant qu'ils la
concrétisent (ATF 115 Ia 293 consid. 3 p. 299; 108 Ia 64 consid. 2c p. 66/67;
105 Ia 26 consid. 2b p. 29).
La garantie de la liberté personnelle n'empêche pas l'autorité publique de
procéder à l'incarcération d'un individu ou de le maintenir en détention, aux
conditions toutefois que cette mesure particulièrement grave repose sur une
base légale, qu'elle soit ordonnée dans l'intérêt public et qu'elle respecte
le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 123 I 268
consid. 2c p. 270; 114 Ia 281 consid. 3 p. 283; 107 Ia 148 consid. 2 p.
149,et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral ne revoit les constatations de
fait que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 31 consid. 3a p.
35; 115 Ia 293 consid. 1b p. 297).

4.
La Chambre d'accusation a maintenu la détention en raison du risque de fuite,
que des mesures moins incisives ne seraient, selon elle, pas de nature à
pallier. Le recourant conteste tous les éléments de cette appréciation. Tels
qu'ils sont formulés, les griefs de violation du droit d'être entendu, de
l'art. 5 CEDH et de l'art. 9 Cst. prohibant l'arbitraire se confondent avec
celui tiré de la liberté personnelle.

4.1 Le recourant est originaire de la Bosnie-Herzégovine, dont il a gardé la
nationalité. Séjournant en Suisse depuis l'âge de sept ans, il a également
obtenu la nationalité suisse. Dans son arrêt du 26 janvier 2004, le Tribunal
fédéral avait jugé que le recourant avait conservé des liens avec la
Bosnie-Herzégovine, où vivait une partie de sa famille. Eu égard à la peine à
laquelle il serait exposé pour le cas où un verdict de culpabilité serait
rendu contre lui, il existait concrètement le risque qu'il ne profite d'une
libération provisoire pour se réfugier dans sa première patrie. A l'appui de
sa demande de libération provisoire du 1er novembre 2004, le recourant a
expliqué que le délai de validité de son passeport bosniaque avait expiré; il
a joint une déclaration de renonciation à la nationalité bosniaque. Ces
éléments ne sont toutefois pas déterminants. Il n'est pas établi que le
recourant aurait effectivement perdu sa nationalité bosniaque. Le risque
qu'il ne mette à profit sa liberté provisoire pour se réfugier en
Bosnie-Herzégovine d'où il ne pourrait plus être extradé, le cas échéant,
perdure. En outre, il n'est pas exclu qu'il puisse faire renouveler son
passeport. Il n'est pas nécessaire, pour le surplus, de vérifier si le
recourant a effectivement conservé des liens avec sa famille dans son pays
d'origine.
De même, il n'est pas certain que le fait que le recourant ait, comme il le
dit, stabilisé sa relation avec la mère de son fils de trois ans, soit propre
à le dissuader de prendre la fuite, eu égard à la durée de la peine qui
pourrait être prononcée contre lui s'il devait être reconnu coupable des
graves charges qui pèsent sur lui.
Que le recourant ait trouvé un employeur prêt à l'engager, comme il
l'affirme, n'est pas davantage suffisant pour le dissuader de se soustraire à
l'action de la justice. Dans ces conditions, et compte tenu également du fait
que la perspective du jugement se rapproche à la suite du prononcé de l'arrêt
de renvoi du 22 novembre 2004, la Chambre d'accusation pouvait admettre que
des mesures moins incisives que la détention ne seraient pas suffisantes pour
assurer la présence du recourant à l'audience de jugement.

4.2 La durée de la détention préventive s'apprécie au regard de l'ensemble
des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215;
123 I 268 consid. 3a p. 273; 107 Ia 256 consid. 1b p. 257). Elle est
excessive lorsqu'elle se rapproche grandement de celle de la peine privative
de liberté qui pourrait être prononcée, le cas échéant (ATF 126 I 172 consid.
5a p. 176/177; 124 I 208 consid. 6 p. 215; 123 I 268 consid. 3a p. 273; 107
Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257ss). La durée probable de la peine qui pourrait
être prononcée doit être évaluée avec la plus grande prudence, car il faut
éviter que le juge de l'action pénale ne soit incité à prononcer une peine
excessive pour la faire coïncider avec la détention préventive à imputer (ATF
116 Ia 143 consid. 5a p. 147).
En l'espèce, eu égard à la gravité des faits imputés au recourant (passibles
d'une peine pouvant être supérieure à cinq ans de réclusion selon l'art. 140
ch. 4 CP; cf. arrêt du 26 janvier 2004, consid. 5) et de la perspective d'un
jugement dans un délai relativement proche, la durée de la détention ne
saurait être tenue pour disproportionnée.

5.
Le recours doit ainsi être rejeté. Le recours étant dénué de toute chance de
succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 152 OJ).
Les frais devraient partant être mis à la charge du recourant (art. 156 OJ).
Toutefois, compte tenu de sa situation personnelle, il y sera
exceptionnellement renoncé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Il est statué sans frais, ni dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, ainsi qu'au Procureur
général et à la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton du Jura.

Lausanne, le 10 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: