Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.682/2004
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004


1P.682/2004/col

Arrêt du 7 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Féraud et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565,
1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211 Genève 3.

mise en liberté provisoire sous caution,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du 16 novembre 2004.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant suisse né le 14 juin 1963, a été arrêté et placé
en détention préventive le 28 mars 2003 dans le cadre d'une procédure pénale
ouverte contre lui des chefs notamment de faux dans les titres,
d'escroquerie, d'abus de confiance, de gestion déloyale et de banqueroute
frauduleuse. Il est soupçonné d'avoir remis en sous-location des locaux
auxquels il n'avait plus aucun droit et d'avoir détourné les loyers
encaissés, par le biais de diverses sociétés américaines; pour induire les
sous-locataires en erreur, il aurait présenté un bail principal falsifié et
se serait prétendu l'avocat des propriétaires. Il lui est aussi reproché
d'avoir détourné à son profit un prêt bancaire de deux millions de francs
consenti à l'une des sociétés qu'il gérait.

A. ________ a sollicité à plusieurs reprises sans succès sa libération
provisoire auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève (ci-après:
la Chambre d'accusation ou la cour cantonale), puis du Tribunal fédéral. Dans
un arrêt rendu le 12 février 2004, celui-ci a confirmé l'existence de charges
suffisantes à l'encontre du prévenu en relation avec les infractions
dénoncées et le maintien de la détention préventive en raison des risques de
fuite et de collusion (1P.32/2004).
Le 12 novembre 2004, le Juge d'instruction en charge de la procédure a
sollicité une prolongation de la détention préventive de A.________ d'une
durée de trois mois afin de procéder à deux audiences de témoins prévues les
30 novembre et 13 décembre 2004; il invoquait en outre les risques de
collusion, de fuite et de réitération. Le 15 novembre 2004, le prévenu a
requis sa mise en liberté provisoire.
Par ordonnance du 16 novembre 2004, la Chambre d'accusation a autorisé la
prolongation de la détention préventive de A.________ pour une durée de deux
mois en raison des risques de collusion et de fuite. Vu sa précédente
décision du 17 septembre 2004, dans laquelle elle laissait entendre qu'en
l'absence de faits nouveaux importants, l'instruction devrait pouvoir se
terminer dans le courant du mois de novembre 2004, elle a estimé que le
principe du respect de la proportionnalité commençait à se poser et qu'une
libération provisoire assortie de mesures propres à écarter le risque de
fuite pouvait entrer en considération. Elle a ainsi ordonné la mise en
liberté provisoire de A.________, moyennant le versement d'une caution de
100'000 fr. en espèces, à charge pour lui de se présenter à tous les actes de
la procédure aussitôt qu'il en sera requis.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette décision, de prononcer sa liberté provisoire
sans conditions, le cas échéant, d'assortir celle-ci des conditions qu'il lui
plaira de fixer, à l'exception de toute sûreté ou caution. Il invoque une
violation des art. 8, 9, 10, 29 al. 2, 31 et 32 al. 1 Cst. et des art. 5 et 6
§ 2 CEDH. Il requiert l'assistance judiciaire gratuite.
La Chambre d'accusation et le Juge d'instruction du canton de Genève se
réfèrent aux considérants de la décision attaquée. Le Procureur général du
canton de Genève conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance
cantonale et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement
protégés, le recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ. Par exception
à la nature cassatoire du recours de droit public, la conclusion du recourant
tendant à ce que le Tribunal fédéral ordonne sa mise en liberté immédiate
sans caution est recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333). En revanche,
la détermination du recourant du 30 novembre 2004, déposée après l'échéance
du délai de recours (art. 89 al. 1 OJ) et sans qu'un second échange
d'écritures n'ait été ordonné (art. 93 al. 3 OJ), et les pièces qui
l'accompagnent ne peuvent être prises en considération.

2.
Le recourant prétend que la Chambre d'accusation n'était pas fondée à
subordonner sa libération provisoire au versement d'une caution, étant donné
que les conditions de la détention ne sont pas remplies. Il soutient
également que le montant de la caution ne serait pas adapté à la situation
effective de ses revenus et de sa fortune. Il reproche à la cour cantonale de
ne pas avoir cherché à déterminer concrètement sa capacité financière.

2.1 Selon l'art. 155 du Code de procédure pénale genevoise (CPP gen.), la
Chambre d'accusation peut ordonner la mise en liberté moyennant des sûretés
et obligations, dont le but est de garantir la présence de l'inculpé aux
actes de la procédure et sa soumission au jugement (art. 156 al. 1 CPP gen.).
Cette disposition correspond à l'art. 5 § 3, dernière phrase, CEDH, à teneur
duquel la mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la
comparution de l'inculpé à l'audience. Comme succédané de la détention
préventive, la caution est une application du principe de la
proportionnalité; elle ne doit être ordonnée ou maintenue que si aucune
mesure moins incisive pour la liberté n'est envisageable (ATF 107 Ia 206
consid. 2a p. 208; art. 36 al. 3 Cst.; cf. ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215;
123 I 268 consid. 3a p. 273; 107 Ia 256 consid. 1b p. 257 et les arrêts
cités). Le dépôt de sûretés n'est exigible que si et aussi longtemps que les
motifs de la détention préventive persistent (ATF 107 Ia 206 consid. 2b p.
208/209; 95 I 202 consid. 1 p. 204).
L'importance de la garantie s'apprécie au regard des ressources du prévenu,
de ses liens avec des personnes pouvant lui servir de caution et de la
confiance qu'on peut avoir que la perspective de perdre le montant agira
comme un frein suffisamment puissant pour écarter toute velléité de fuite
(ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187, citant l'arrêt de la Cour européenne des
droits de l'homme dans la cause Neumeister contre Autriche, du 27 juin 1968,
Série A, vol. 7, par. 14). Le montant de la caution est prohibitif lorsque
l'autorité sait ou devrait admettre, sur la base des renseignements
disponibles, qu'il sera impossible au prévenu de trouver les fonds
nécessaires (ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 188). Lorsque l'instruction pénale
porte sur des détournements de fonds importants, dont une grande partie n'a
pas pu être récupérée, l'autorité chargée de fixer la caution doit faire
preuve d'une grande prudence, car il est toujours à craindre que le prévenu
ne profite de sa mise en liberté pour tenter de récupérer le produit de
l'infraction soustrait à la justice. Elle ne peut pas, dans ce cadre, faire
abstraction du montant des sommes détournées et fixer le montant de la
caution en ne tenant compte que de la situation actuelle du prévenu,
indépendamment des agissements délictueux qu'il aurait commis (arrêt
1P.570/2003, du 20 octobre 2003, consid. 2.2.1 et les arrêts cités; cf. aussi
l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans la cause Punzelt
contre République tchèque, du 25 avril 2000, §§ 85 ss).

2.2 La décision attaquée n'est pas dénuée de toute contradiction en tant
qu'elle reconnaît l'existence d'un risque de collusion, en sus du danger de
fuite, propre à justifier la prolongation de la détention du recourant pour
une durée de deux mois, tout en admettant sa mise en liberté provisoire
moyennant le versement d'une caution de 100'000 fr., alors qu'une telle
mesure ne peut être ordonnée que si la détention préventive n'a plus d'autre
objet que de garantir la présence du prévenu aux débats (arrêt P.424/1979 du
19 décembre 1979 consid. 5b paru à la SJ 1981 p. 137 et la jurisprudence
citée). De plus, la Chambre d'accusation se réfère au principe de la
proportionnalité pour admettre la libération provisoire du recourant sans que
l'on sache si ce principe est invoqué en relation avec la conduite de la
procédure ou avec la durée prévisible de la peine privative de liberté qui
pourrait, le cas échéant, être prononcée. Cette question n'est pas sans
incidence, car si la détention préventive devait être disproportionnée par
rapport à la peine à laquelle s'expose le recourant, celui-ci devrait être
libéré sans condition (arrêt 1P.570/2003 précité consid. 2.3; cf. ATF 107 Ia
206 consid. 2b p. 208/209; 95 I 202 consid. 1 p. 204); si en revanche la
détention devait être disproportionnée au regard de la conduite de la
procédure, une éventuelle libération sous caution serait envisageable. Encore
faudrait-il, dans ce cas, que le montant de la caution ne soit pas
prohibitif. Or, il est constant que le recourant n'est pas en mesure de
verser la somme de 100'000 fr. requise avec les moyens financiers dont il
dispose. Certes, la jurisprudence permet de prendre en compte les fonds
détournés qui n'ont pas été récupérés pour fixer la caution. Cela suppose la
présence d'indices concrets permettant de retenir que ces montants ont
effectivement été soustraits et que le prévenu en a  la maîtrise. Lorsque,
comme en l'espèce, l'instruction est sur le point d'être achevée, on peut
exiger à cet égard une plus grande vraisemblance (arrêt 1P.413/2003 du 30
juillet 2003 consid. 1.3). Or, l'ordonnance de la Chambre d'accusation est
muette sur ce point. Le Tribunal fédéral n'est donc pas en mesure de
contrôler la compatibilité de la décision attaquée avec les exigences légales
et constitutionnelles au regard de la motivation retenue.

3.
Lorsque le Tribunal fédéral constate que la procédure de prolongation de la
détention n'a pas satisfait aux garanties constitutionnelles ou
conventionnelles qui la régissent, il n'en résulte pas obligatoirement que le
prévenu doive être immédiatement remis en liberté (ATF 116 Ia 60 consid. 3b
p. 64; 115 Ia 293 consid. 5g p. 308; 114 Ia 88 consid. 5d p. 93; arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme dans la cause Minjat contre Suisse du
28 octobre 2003, § 47). Dans le cas particulier, il s'impose d'annuler
l'ordonnance attaquée et de renvoyer la cause à la Chambre d'accusation afin
que cette autorité statue à nouveau sur les demandes de prolongation de la
détention préventive et de mise en liberté provisoire, dont elle a été
saisie, à bref délai et par un prononcé suffisamment motivé. Les conclusions
du recourant tendant à sa libération immédiate sans conditions, le cas
échéant, aux conditions fixées par le Tribunal fédéral, seront donc rejetées.

4.
Le recours doit ainsi être partiellement admis, dans la mesure où il est
recevable. Le canton de Genève, qui succombe, est dispensé des frais
judiciaires (art. 156 al. 2 OJ). Il n'y a pas lieu d'octroyer des dépens au
recourant qui a agi seul. Vu l'issue du recours, la demande d'assistance
judiciaire gratuite a perdu son objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, dans la mesure où il est recevable, et
l'ordonnance attaquée annulée.

2.
La demande de libération provisoire est rejetée.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, ainsi qu'au Juge
d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de
Genève.

Lausanne, le 7 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: