Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.665/2004
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1P.665/2004 /col

Arrêt du 2 février 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Zimmermann.

X. ________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,

contre

Y.________,
intimée,
agissant par son curateur Yves Bertossa,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève,
place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108,
1211 Genève 3.

procédure pénale; refus d'ordonner une expertise,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de
Genève du 15 octobre 2004.

Faits:

A.
A. ________ a déposé plainte contre X.________ pour des attouchements commis
sur sa fille Y.________, née le 6 février 1990.

B. ________, médecin gynécologue, a examiné Y.________. Selon son rapport du
31 juillet 2001, elle a constaté une défloration ancienne de l'hymen, mais
n'a décelé aucune trace de sperme.
Le 31 août 2001, le Juge d'instruction a inculpé X.________ de viol (art. 190
CP) et d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP). Le prévenu a
contesté les charges portées contre lui.

X. ________ a été renvoyé devant la Cour d'assises du canton de Genève le 8
mars 2004. Entendu comme témoin, C.________, médecin, a confirmé les
constatations faites par B.________. Il a précisé qu'il était possible qu'une
ou deux cellules de sperme soient retrouvées par hasard dans le liquide
prostatique, ce qui permettrait de vérifier la présence d'acide
désoxyribonucléique (ADN). X.________ a demandé qu'il soit procédé à cet
examen, ce que la Cour a refusé. Aux termes des débats, elle a reconnu
l'accusé coupable de viol, de contrainte sexuelle et d'actes d'ordre sexuel
avec un enfant et l'a condamné à la peine de six ans de réclusion, sous
déduction de neuf mois et vingt-deux jours de détention préventive.
Par arrêt du 15 octobre 2004, la Cour de cassation du canton de Genève a
rejeté le pourvoi formé par X.________ contre le jugement du 8 mars 2004.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 15 octobre 2004. Il invoque les art. 9,
29 et 32 Cst., l'art. 6 par. 1, 2 et 3 CEDH, ainsi que l'art. 14 par. 3 Pacte
ONU II.
La Cour de cassation se réfère à son arrêt. Le Ministère public et Y.________
concluent au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recourant reproche à la Cour d'assises de n'avoir pas fait rechercher
l'ADN dans les sécrétions vaginales de l'intimée. Il y voit une violation de
son droit d'être entendu.

1.1 Garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., celui-ci inclut pour les parties le
droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à leur détriment, de
fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision,
d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en
prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 129 I 85 consid.
4.1 p. 88/89; 129 II 497 consid. 2.2 p. 504/505; 127 I 54 consid. 2b p. 56,
et les arrêts cités).
L'autorité peut renoncer au moyen de preuve offert par une partie, pour
autant qu'elle puisse admettre sans arbitraire que ce moyen n'aurait pas
changé sa conviction (ATF 130 II 425 consid. 2.1 p. 429; 124 I 241 consid. 2
p. 242; 124 V 90 consid. 4b p. 94, et les arrêts cités). Le droit d'être
entendu est cependant violé lorsque l'autorité nie sans motifs suffisants
toute pertinence à un moyen de preuve (ATF 114 II 289 consid. 2a p. 291). Le
Tribunal fédéral revoit cette question sous l'angle restreint de
l'arbitraire, car elle porte uniquement sur l'appréciation des preuves, et
non point sur la portée du droit d'être entendu (ATF 115 Ia 8 consid. 3a p.
11/12; 106 Ia 161).

1.2 Lorsqu'elle a examiné Y.________, B.________ n'a pas trouvé de traces de
sperme. Dans une analyse ultérieure, des phosphatases prostatiques ont été
décelées. B.________ a porté sur la fiche d'analyse une annotation manuscrite
selon laquelle le résultat, "peu spécifique", ne constituait toutefois pas
une "preuve formelle de la présence de sperme", de sorte qu'il a été renoncé
à d'autres investigations. Devant la Cour d'assises, tout en confirmant les
conclusions de B.________, C.________ a indiqué qu'il peut arriver qu'une ou
deux cellules de sperme se trouvent par hasard dans le liquide prostatique,
rendant possible un examen de l'ADN. Le recourant a demandé sur-le-champ
qu'il y soit procédé. La Cour d'assises a rejeté cette requête au motif que
la probabilité de retrouver des cellules vivantes munies de caractéristiques
génétiques était faible. Quant à la Cour de cassation, tout en confirmant
cette appréciation, elle a ajouté que le verdict de culpabilité reposait
également sur d'autres éléments à prendre en compte.
Si l'examen requis avait été effectué, du sperme trouvé, du matériel
génétique exploitable identifié - aussi faible que fût la probabilité d'une
telle issue -, et à supposer que celui-ci n'ait pas correspondu aux traits
génétiques du recourant, il est possible que cela eût pu peser sur le
verdict. Dans sa réponse au recours du 29 novembre 2004, le Ministère public
a souligné que la perspective de retrouver du matériel génétique provenant de
spermatozoïdes après l'examen du 31 juillet 2001 était pour ainsi dire nulle,
car à cette époque, le dernier viol subi par la victime remontait à plus d'un
mois. Il ne s'agit là cependant que d'une conjecture, qui contredit au
demeurant l'avis de C.________. La défense disposait d'un intérêt légitime à
ce que la preuve - à supposer qu'elle existât - de l'intervention d'un tiers
soit rapportée. Du point de vue de l'accusation aussi, il n'aurait pas été
indifférent de renforcer les charges pesant sur l'accusé par un élément
supplémentaire, pour le cas où l'ADN retrouvé correspondrait à celui du
recourant. Même si la probabilité que l'examen réclamé fournisse un résultat
fiable est très réduite, la Cour d'assises, puis la Cour de cassation, ne
pouvaient sans arbitraire écarter cette offre de preuve au motif que son
résultat, quel qu'il fût, n'aurait rien changé à l'appréciation du jury.

2.
Le recours doit ainsi être admis et l'arrêt attaqué annulé. Partant, il est
superflu d'examiner les autres points soulevés par l'affaire. Il convient de
statuer sans frais (art. 156 OJ). L'Etat de Genève versera au recourant une
indemnité à titre de dépens (art. 159 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des
dépens pour le surplus.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué annulé.

2.
Il est statué sans frais.

3.
L'Etat de Genève versera au recourant une indemnité de 2000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, ainsi
qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 2 février 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: