Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.654/2004
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1P.654/2004 /svc

Arrêt du 28 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Zimmermann.

A. ________,
recourant,

contre

C.________,
D.________,
E.________,
intimés,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Plenum de la Cour de justice du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case postale 3108,
1211 Genève 3.

art. 9, 29 et 30 Cst., art. 6 CEDH (récusation),

recours de droit public contre la décision du
Plenum de la Cour de justice du canton de Genève
du 4 novembre 2004.

Faits:

A.
Les époux A.________ et B.________ étaient propriétaires de la parcelle n°
xxx du Registre foncier de Thônex. Sur ce bien-fonds est érigée la maison
qu'ils habitent. La Banque X.________ S.A.. (ci-après: la Banque), auprès de
laquelle ils avaient remis des cédules hypothécaires en nantissement, a dû
engager la poursuite en réalisation de gage. Lors de la réalisation forcée,
la parcelle n° xxx a été adjugée à la Banque, pour un montant de 930'000 fr.

Comme les époux A.________ et B.________ n'entendaient pas quitter leur
maison, la Banque a ouvert une action en revendication auprès du Tribunal de
première instance du canton de Genève.

Par jugement du 29 janvier 2004, le Tribunal de première instance, statuant
contradictoirement pour ce qui concernait A.________ et par défaut pour ce
qui concernait B.________, les a condamnés à évacuer immédiatement la
parcelle n° xxx.

B. ________ s'étant opposée à ce jugement, le Tribunal de première instance a
accordé le relief et, statuant à nouveau, condamné derechef B.________ à
évacuer la parcelle n° xxx.

Les époux A.________ et B.________ ont appelé de ces jugements devant la Cour
de justice du canton de Genève.

Le 19 octobre 2004, la Cour de justice, siégeant dans la composition des
juges C.________, D.________ et E.________, a tenu une audience de
plaidoiries, au cours de laquelle A.________ a demandé l'audition de deux
témoins. Au terme de l'audience, la Cour a indiqué qu'elle rendrait sa
décision prochainement.

Le 20 octobre 2004, A.________ a demandé la récusation des juges C.________,
D.________ et E.________, au motif qu'ils auraient refusé l'audition des
témoins qu'il avait réclamée.

Le 4 novembre 2004, la Cour de justice statuant dans sa composition plénière,
mais en l'absence des juges récusés, a rejeté la demande. Elle a considéré
que le demandeur s'était mépris sur le sens de l'annonce faite au terme de
l'audience du 19 octobre 2004, qui ne pouvait être assimilée à un rejet de la
requête d'instruction formée par le demandeur.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 4 novembre 2004. Il invoque les
art. 9, 29 al. 2 et 30 Cst., ainsi que l'art. 6 par. 1 CEDH. Il requiert
l'effet suspensif, le droit de répliquer et qu'il soit statué dans une
audience publique.

La Cour de justice se réfère à sa décision. Les juges C.________, D.________
et E.________ proposent le rejet du recours dans la mesure de sa
recevabilité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Aux termes de l'art. 91 OJ, la procédure du recours de droit public est en
principe écrite (al. 1). Des débats ne sont ordonnés qu'exceptionnellement,
pour des motifs importants (al. 2). Tel n'est pas le cas en l'espèce: sur le
vu du dossier de la cause, le Tribunal fédéral est en mesure de trancher les
questions soulevées par le cas sans débats. Il n'est dès lors pas davantage
nécessaire d'ordonner un deuxième échange d'écritures, qui n'a lieu
qu'exceptionnellement (art. 93 al. 2 OJ).

2.
Le recourant reproche à la Cour de justice de ne pas avoir admis que les
juges C.________, D.________ et E.________ se trouvaient dans un cas de
récusation.

2.1 Selon les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue par un tribunal établi par la loi, compétent,
indépendant et impartial, c'est-à-dire par des juges qui offrent la garantie
d'une appréciation parfaitement objective de la cause (ATF 129 III 445
consid. 3.3.3 p. 454; 129 V 196 consid. 4a.1 p. 198; 128 V 82 consid. 2a
p.84, et les arrêts cités). Lorsque, comme en l'espèce, le recourant
n'invoque pas les prescriptions du droit cantonal, le Tribunal fédéral
examine librement la compatibilité de la procédure suivie avec les garanties
offertes par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 126 I 68 consid. 3b
p. 73; 123 I 49 consid. 2b p. 51; 118 Ia 282 consid. 3b p. 284/285, et les
arrêts cités).
Des circonstances extérieures au procès ne doivent influer sur le jugement
d'une manière qui ne serait pas objective, en faveur ou au préjudice d'une
partie, car celui qui se trouve sous de telles influences ne peut être un
"juste médiateur" (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454; 128 V 82 consid. 2a
p. 84; 125 I 209 consid. 8a p. 217, et les arrêts cités). Si la simple
affirmation de la partialité ne suffit pas, mais doit reposer sur des faits
objectifs, il n'est pas davantage nécessaire que le juge soit effectivement
prévenu; la suspicion est légitime même si elle ne se fonde que sur des
apparences, pour autant que celles-ci résultent de circonstances examinées
objectivement (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454; 128 V 82 consid. 2a p.
84; 124 I 121 consid. 3a p. 123/124, et les arrêts cités).

2.2 A l'audience des plaidoiries du 19 octobre 2004, le recourant a demandé
l'audition de deux témoins en sa faveur. Cet élément n'est pas contesté, pas
davantage le fait que l'audience a été close par l'annonce du prononcé d'une
prochaine décision. Le recourant en a déduit que la cour allait statuer
ultérieurement, sans ordonner préalablement la mesure qu'il avait réclamée.
La Cour de justice et les intimées objectent à cela que le recourant aurait
mal compris le sens de l'indication donnée au terme de l'audience du 19
octobre 2004.

La procédure de l'appel ordinaire devant la Cour de justice est régie par les
art. 306 ss de la loi cantonale de procédure civile, du 10 avril 1987 (LPC).
Dans ce cadre, la Cour de justice peut ordonner les mesures probatoires
nécessaires (art. 307 LPC), selon les art. 197 ss LPC, applicables par renvoi
de l'art. 307 al. 3 de la même loi. En particulier, elle peut faire entendre
des témoins (art. 197 al. 1 LPC), en rendant à ce propos une ordonnance
préparatoire au sens de l'art. 198 al. 1 LPC. En indiquant au recourant son
intention de rendre prochainement une décision, la Cour de justice entendait
évoquer uniquement le prononcé d'une décision admettant ou rejetant l'offre
d'entendre les deux témoins cités par le recourant, et non point l'arrêt à
rendre sur le fond de l'affaire. Le doute qui a pu naître sur ce point dans
l'esprit du recourant - et que la cour cantonale aurait pu dissiper d'emblée
en précisant clairement son intention au recourant anglophone qui ne maîtrise
pas toutes les subtilités de la langue française et qui n'était pas assisté
d'un avocat -, ne constituait pas toutefois un signe quelconque de prévention
de la part des juges récusés à l'encontre du recourant.
Le rejet de la demande de récusation était ainsi bien fondé.

3.
Le recourant reproche à la Cour de justice d'avoir statué sans lui avoir
préalablement communiqué, pour réplique, la prise de position des juges
récusés et du Procureur général.

3.1 Les parties ont le droit d'être entendues (art. 29 al. 2 Cst.). Cela
inclut pour elles le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise
à leur détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer
sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration
des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF
129 I 85 consid. 4.1 p. 88/89; 129 II 497 consid. 2.2 p. 504/505; 127 I 54
consid. 2b p. 56, et les arrêts cités).

Le droit d'être entendu n'impose pas à l'autorité de communiquer dans tous
les cas au recourant la réponse de l'autorité dont la décision est attaquée;
cette communication est cependant indispensable lorsque  les déterminations
de l'autorité intimée contiennent des éléments décisifs sur lesquels le
recourant n'a pas eu l'occasion de se déterminer précédemment, ou lorsque
l'autorité intimée fait valoir des motifs matériels sur la question
litigieuse en concluant au rejet du recours (cf. pour ce qui concerne la
jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 4 aCst., ATF 114 Ia 84 consid. 3
p. 87, 307 consid. 4b p. 314; 101 Ia 298 consid. 4a p. 304). Ces règles
s'appliquent à la procédure de la récusation des juges devant les autorités
cantonales compétentes (cf. les arrêts 1P.237/2002 du 12 décembre 2002 et
1P.730/2001 du 31 janvier 2002).

3.2 Le Ministère public et les juges concernés se sont déterminés, le 26
octobre 2004, sur le sort de la demande de récusation. Contrairement à celle
du Procureur général, laconique, la prise de position des juges C.________,
D.________ et E.________ indiquait les éléments de fait sur lesquels
l'autorité intimée s'est fondée pour rejeter la demande de récusation. La
Cour de justice était dès lors tenue de communiquer au moins cette dernière
détermination au recourant, en l'invitant à se prononcer au sujet de ce
qu'elle contenait. En ne le faisant pas, elle a violé son droit d'être
entendu (cf. arrêt 1P.237/2002, précité).

3.3 Ce défaut n'entraîne pas l'admission du recours, nonobstant la nature
formelle du droit d'être entendu (ATF 126 V 130 consid. 2b p. 132; 124 V 180
consid. 4a p. 183 et les arrêts cités). Il peut en effet y être remédié
exceptionnellement dans la procédure du recours de droit public, si le
Tribunal fédéral dispose d'un pouvoir d'examen au moins aussi étendu que
celui de l'autorité cantonale et si l'atteinte aux droits de partie n'est pas
particulièrement grave (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72).

Le recourant a eu l'occasion de soulever ses griefs devant le Tribunal
fédéral qui dispose en l'occurrence d'un plein pouvoir d'examen (consid. 2.1
ci-dessus). L'atteinte à ses droits de partie, sans être grave au demeurant,
a été redressée dans la procédure du recours de droit public. Il convient
partant de s'abstenir d'annuler l'arrêt cantonal.

4.
Le recours doit ainsi être rejeté, aux frais de son auteur (art. 156 OJ). Il
n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Procureur général et
au Plenum de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 28 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: