Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.644/2004
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1P.644/2004 /col

Arrêt du 29 novembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat,

contre

Service de justice, de l'intérieur et des cultes du canton de Vaud, place du
Château 1, 1014 Lausanne,
Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.

demande de grâce; effet suspensif, assistance judiciaire,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de
Vaud du 27 octobre 2004.

Faits:

A.
Par ordonnance du 29 avril 2004, le Juge d'instruction de l'arrondissement de
Lausanne a condamné A.________, ressortissant français et marocain né en
1962, à 10 jours d'emprisonnement, pour violation de la LStup. Il lui était
reproché d'avoir vendu deux doses d'héroïne à 30 et 40 fr., et d'avoir
consommé de l'héroïne à raison de deux paquets par semaine. Le juge a par
ailleurs révoqué un précédent sursis à l'exécution d'une peine de quinze mois
d'emprisonnement - sous déduction de 130 jours de détention préventive -,
ainsi qu'un sursis à l'expulsion de Suisse pour trois ans.

B.
Le 15 juillet 2004, A.________ a formé une demande en grâce auprès du Grand
Conseil du canton de Vaud. Bien qu'ayant omis de faire opposition à
l'ordonnance de condamnation, il estimait que la révocation du sursis était
choquante car le nouveau délit était de peu de gravité. Le requérant était
divorcé et père d'un enfant qu'il voyait régulièrement. Il demandait l'effet
suspensif afin qu'il soit sursis à l'exécution de la peine jusqu'à droit
connu sur la demande de grâce. Il demandait également l'assistance
judiciaire, qui lui a été accordée le 21 juillet suivant par le Président du
Tribunal d'arrondissement de Lausanne.
Par décision du 26 juillet 2004, le Chef du Service de justice, de
l'intérieur et des cultes a rejeté la demande d'effet suspensif. Celui-ci
n'était accordé, en règle générale, que pour une peine de courte durée (moins
de six mois), afin d'éviter qu'elle ne soit entièrement exécutée avant le
prononcé sur la grâce. En l'occurrence, il pourrait être statué lors d'une
prochaine session, soit bien avant que le requérant n'ait subi une grande
partie de la peine, le service pénitentiaire n'ayant pas encore arrêté la
date de l'entrée en détention. La demande de grâce n'avait pas pour but de
palier la négligence du requérant qui avait omis de former opposition à
l'ordonnance de condamnation. En outre, le requérant n'avait rien tenté pour
se reprendre en main ou se réinsérer.
Par arrêt du 27 octobre 2004, le Tribunal administratif vaudois a confirmé
cette décision. La peine à exécuter dépassait la limite de six mois posée par
la jurisprudence, et aucune circonstance exceptionnelle ne permettait de
faire primer l'intérêt privé du recourant sur l'intérêt public à une
exécution immédiate des peines. Un émolument judiciaire de 400 fr. a été mis
à la charge du recourant. L'arrêt indique pouvoir faire l'objet d'un recours
de droit administratif, dans les trente jours.

C.
Agissant par la voie d'un recours de droit administratif, formé dans les dix
jours en raison du caractère incident de l'arrêt attaqué,  A.________ demande
au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du Tribunal administratif en ce sens
que l'effet suspensif est accordé à sa demande en grâce, qu'il est dispensé
de tout émolument de justice et que des dépens lui sont alloués pour la
procédure cantonale. Dans une conclusion subsidiaire présentée après coup, le
recourant demande le renvoi de la cause à la cour cantonale afin que celle-ci
se prononce sur sa demande d'assistance judiciaire. Il demande l'effet
suspensif, qui a été accordé à titre superprovisoire.
Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours en relevant qu'une
décision présidentielle relative à l'octroi de l'assistance judiciaire a été
prise le 19 août 2004. Le Service de justice, de l'intérieur et des cultes
conclut au rejet du recours, traité comme recours de droit public, ainsi
qu'au rejet de la demande d'effet suspensif.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la qualification juridique
et la recevabilité des recours qui lui sont soumis.

1.1 Acte étatique sui generis, la décision d'octroi ou de refus de la grâce
n'entre pas dans les catégories de décisions définies à l'art. 268 PPF; le
pourvoi en nullité n'est dès lors pas ouvert à son encontre. N'ayant pas non
plus le caractère d'une décision au sens de l'art. 5 PA, elle ne saurait
faire l'objet d'un recours de droit administratif (ATF 106 Ia 132 consid.
1a). Le recours de droit public est donc seul recevable à l'encontre d'un
refus de grâce. Il en va de même des décisions incidentes prises dans le
cours de la procédure de grâce, tel l'octroi ou le refus de l'effet
suspensif, exclusivement fondé sur les dispositions du droit cantonal (ATF
117 Ia 84 consid. 1a p. 85-86). Le recours doit par conséquent être traité
comme recours de droit public, en dépit de sa dénomination inexacte.

1.2 Même si la décision attaquée est de nature incidente, elle est
susceptible de causer au recourant un dommage irréparable puis-qu'elle
implique le risque de devoir se présenter pour exécuter une peine privative
de liberté. Les conditions de l'art. 87 al. 2 OJ paraissent ainsi
satisfaites.

1.3 Selon l'art. 88 OJ, les particuliers n'ont qualité pour agir par la voie
du recours de droit public qu'en tant qu'ils ont un intérêt direct et
juridiquement protégé à l'annulation de la décision attaquée (ATF 130 Ia 82
consid. 1.2 p. 84).

1.3.1 Les art. 394 à 396 CP ne déterminent pas les conditions auxquelles est
subordonné l'octroi de la grâce. Sont décisives à cet égard des
considérations étrangères à l'appréciation des preuves, à l'application du
droit et aux principes régissant la fixation de la peine, considérations qui,
selon les cas, peuvent même être de nature purement politique. L'autorité
compétente pour examiner la demande de grâce jouit d'un très grand pouvoir
d'appréciation. Au contraire de l'accusé qui peut prétendre à l'acquittement
au bénéfice du doute, nul n'a un droit à la grâce (ATF 95 I 543 consid. 1).
Le recours de droit public n'est donc en principe pas ouvert, faute d'un
intérêt juridiquement protégé, contre l'acte étatique par lequel la demande
en grâce est rejetée (ATF 117 Ia 84 consid. 1b p. 86 et la jurisprudence
citée).

1.3.2 Le particulier qui n'a pas la qualité pour agir au fond peut certes,
par la voie du recours de droit public, se plaindre de la violation de droits
qui lui sont reconnus par la législation cantonale ou de droits découlant
directement du droit supérieur, lorsqu'une telle violation équivaut à un déni
de justice formel (ATF 120 Ia 157 consid. 2a/bb p. 160 et les arrêts cités).
En matière de grâce toutefois, le condamné ne dispose que de droits
procéduraux restreints. Ainsi, dès lors que l'autorité n'est pas tenue de
motiver sa décision (ATF 107 Ia 103), il ne saurait faire valoir une
violation de son droit d'être entendu stricto sensu. En revanche, il peut se
plaindre de ce que l'autorité aurait refusé à tort de statuer sur la demande
(ATF 106 Ia 132 consid. 1a).

1.3.3 Selon la jurisprudence, le droit d'obtenir l'effet suspensif excède les
droits procéduraux évoqués ci-dessus: cette mesure se rapporte en effet au
droit de fond, dont elle tend à assurer provisoirement la protection. La
qualité pour agir contre le refus de l'effet suspensif ne saurait ainsi être
reconnue à celui qui ne peut pas recourir sur le fond (ATF 116 Ia 177 consid.
3b/bb p. 180). Le recours est par conséquent irrecevable quant à son objet
principal.

1.4 Le recours porte également sur l'émolument judiciaire de 400 fr. mis à la
charge du recourant (ch. II du dispositif). Le recourant se plaint à cet
égard d'un "véritable déni de justice", car il avait requis l'assistance
judiciaire pour la procédure devant le Tribunal administratif; ce dernier
aurait purement et simplement ignoré cette requête. Le recours apparaît
recevable sur ce point, puisque le droit d'obtenir l'assistance judiciaire
est un droit de partie au sujet duquel une décision formelle doit être
rendue. Cela étant, le grief est mal fondé: le 19 août 2004, le Président du
Tribunal administratif a rendu une décision séparée sur l'assistance
judiciaire: il a refusé de désigner un avocat d'office au recourant, et a
dispensé ce dernier d'effectuer une avance de frais, suivant l'allégation
selon lequel il était démuni. Cette décision n'a pas été contestée. Le
recourant ne saurait donc prétendre que sa demande d'assistance judiciaire
aurait été purement et simplement ignorée. Le Tribunal administratif a
ensuite mis 400 fr. de frais  à la charge du recourant, ce qui peut être
assimilé à un refus implicite de l'assistance judiciaire. Le recourant était
toutefois à même de contester le bien-fondé de cette décision en démontrant
que les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire étaient réunies; le
défaut de motivation ne lui porte donc pas préjudice, et le grief formel
soulevé par le recourant doit être écarté.

2.
Le recours, traité comme recours de droit public, doit par conséquent être
rejeté, dans la mesure où il est recevable. Cette issue paraissait d'emblée
prévisible, ce qui conduit au rejet de la demande d'assistance judiciaire. Il
peut toutefois être renoncé à la perception de l'émolument judiciaire. Le
présent arrêt rend par ailleurs sans objet la demande d'effet suspensif
présentée par le recourant.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours, traité comme recours de droit public, est rejeté dans la mesure
où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Service de justice, de l'intérieur et des cultes et au Tribunal administratif
du canton de Vaud.

Lausanne, le 29 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: