Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.627/2004
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2004


1P.627/2004 /fzc

Arrêt du 22 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour
et Président du Tribunal fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Zimmermann.

E. ________,
recourant,

contre

Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg, case postale 56, 1702 Fribourg.

refus d'ouvrir une action pénale,

recours de droit public contre l'arrêt de la
Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg du 21 septembre 2004.

Faits:

A.
Le 27 octobre 1999, le Tribunal pénal de la Sarine a reconnu E.________
coupable de diffamation; il l'a condamné à la peine de trois mois
d'emprisonnement avec un délai d'épreuve de trois ans.

Le 16 mars 2001, le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a rejeté le
recours formé par E.________ contre ce jugement. Par arrêt du 21 décembre
2001, le Tribunal fédéral a admis le recours de droit public formé par
E.________ contre cet arrêt. Le Tribunal fédéral a constaté que le droit
d'être entendu avait été violé, parce que l'accusé n'avait pas eu accès au
procès-verbal de l'audience de jugement dans le cadre de la procédure
d'appel. Il a annulé l'arrêt du 16 mars 2001 pour ce seul motif, sans
examiner les autres griefs soulevés dans le recours (consid. 4).

Le 23 août 2002, le Tribunal cantonal, statuant à nouveau, a annulé le
jugement du 27 octobre 1999 et renvoyé la cause pour nouveau jugement au
Tribunal pénal de la Sarine. Le 21 novembre 2002, celui-ci a pris acte de la
prescription de l'action pénale et rayé la cause du rôle.

B.
Le 30 avril 2003, le Tribunal cantonal a tenu une conférence de presse
consacrée à la présentation de son rapport sur l'administration de la justice
pour l'année 2002. E.________, qui y assistait, a évoqué l'arrêt du Tribunal
fédéral du 21 décembre 2001. Le Juge cantonal X.________ aurait indiqué à ce
propos que « d'après la décision rendue par les juges fribourgeois, les
divergences relevées (entre le procès-verbal manuscrit et sa version
dactylographiée) n'avaient pas d'incidence sur le jugement ». Le 6 mai 2003,
E.________ s'est adressé au Juge X.________ pour lui demander de retirer
cette déclaration qu'il tenait pour attentatoire à son honneur. Le 26 mai
2003, le Juge X.________ lui a répondu que les termes contestés
correspondaient à un passage de l'arrêt du 16 mars 2001 et qu'il n'avait par
conséquent rien à retirer aux propos tenus le 30 avril 2003.

Le 29 juillet 2003, E.________ a déposé plainte pénale contre le Juge
X.________ pour atteinte à l'honneur, faux dans les titres commis dans
l'exercice de fonctions publiques et abus d'autorité.

Le 2 avril 2004, le Juge d'instruction spécial de l'Etat de Fribourg a refusé
d'ouvrir l'action pénale, faute de prévention.

Le 21 septembre 2004, le Tribunal cantonal, statuant dans la composition des
juges suppléants A.________, B.________ et C.________, ainsi que de la
greffière D.________, a rejeté le recours formé par E.________ contre cette
décision.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, E.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 21 septembre 2004. Il invoque les art.
8, 9, 29 et 30 Cst., ainsi que l'art. 6 par. 1 CEDH.

Le Tribunal cantonal a renoncé à se déterminer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 249 consid. 2 p.
250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308, et les arrêts cités).

2.
Ont qualité pour recourir les particuliers lésés par des décisions qui les
concernent personnellement (art. 88 OJ). Selon une jurisprudence constante,
le plaignant n'a pas qualité pour agir contre le classement ou
l'acquittement, au motif que l'action pénale appartient exclusivement à
l'Etat; elle est instituée dans l'intérêt public et ne profite
qu'indirectement au lésé. Celui-ci n'est dès lors pas habilité à recourir, au
regard de l'art. 88 OJ, contre une décision relative à la conduite de
l'action pénale. La loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions, du 4
octobre 1991 (LAVI; RS 312.5), qui a renforcé la situation procédurale du
lésé, (cf. ATF 128 I 218 consid. 1.1 p. 220; 120 Ia 157 consid. 2c p.
161/162), n'est toutefois d'aucun secours pour le recourant qui n'est pas une
victime au sens de cette loi (cf. ATF 128 I 218 consid. 1.2 p. 220/221; 125
II 265 consid. 3a p. 268). Cela étant, même si le lésé n'a pas qualité pour
agir au fond, il lui est possible de dénoncer la violation des droits formels
que lui reconnaît le droit cantonal de procédure ou qui découlent directement
de la Constitution ou de la CEDH, s'agissant notamment du droit d'être
entendu et de participer à l'administration des preuves (ATF 128 I 218
consid. 1.1 p. 219/220; 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b p.
255). Le lésé ne saurait toutefois remettre en cause par ce biais la décision
attaquée sur le fond, en critiquant l'appréciation des preuves ou en faisant
valoir que la motivation retenue serait matériellement fausse; l'examen de
telles questions ne se laisse en effet pas distinguer du fond (ATF 120 Ia 157
consid. 2a p. 159-161, 220 consid. 2a p. 221/222). Le Tribunal fédéral
n'examine que sous l'angle de l'arbitraire l'interprétation et l'application
du droit cantonal de procédure; il vérifie en revanche avec une cognition
pleine si les garanties minimales offertes par la Constitution et la CEDH ont
été respectées (ATF 117 Ia 433 consid. 3 p. 438; 115 Ia 76 consid. 1d p. 79
et les arrêts cités).

3.
Le recourant soutient que le juge A.________ et le greffier H.________
auraient dû se récuser.

3.1 Selon les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue par un tribunal établi par la loi, compétent,
indépendant et impartial, c'est-à-dire par des juges qui offrent la garantie
d'une appréciation parfaitement objective de la cause (ATF 129 III 445
consid. 3.3.3 p. 454; 129 V 196 consid. 4a.1 p. 198; 128 V 82 consid. 2a
p.84, et les arrêts cités). Des circonstances extérieures au procès ne
doivent influer sur le jugement d'une manière qui ne serait pas objective, en
faveur ou au préjudice d'une partie, car celui qui se trouve sous de telles
influences ne peut être un "juste médiateur" (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3
p. 454; 128 V 82 consid. 2a p. 84; 125 I 209 consid. 8a p. 217, et les arrêts
cités). Cette garantie est assurée en premier lieu par les règles cantonales
relatives à la récusation. Mais, indépendamment de ces dispositions
cantonales, la Constitution et la Convention assurent à chacun que seuls des
juges qui ne font pas d'acception de personnes statuent sur son litige. Si la
simple affirmation de la partialité ne suffit pas, mais doit reposer sur des
faits objectifs, il n'est pas davantage nécessaire que le juge soit
effectivement prévenu; la suspicion est légitime même si elle ne se fonde que
sur des apparences, pour autant que celles-ci résultent de circonstances
examinées objectivement (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454; 128 V 82
consid. 2a p. 84; 124 I 121 consid. 3a p. 123/124, et les arrêts cités).

3.2 Le grief tiré de la composition incorrecte de l'autorité ou de la
prévention de l'un de ses membres doit être soulevé aussitôt que possible.
Celui qui omet de dénoncer immédiatement un tel vice et laisse le procès se
dérouler sans intervenir, agit contrairement à la bonne foi et voit se
périmer son droit de se plaindre ultérieurement de la violation qu'il allègue
(ATF 126 III 249 consid. 3c p. 253/254; 121 I 225 consid. 3 p. 229; 120 Ia 19
consid. 2c/aa p. 24; 118 Ia 282 consid. 3a p. 284, et les arrêts cités). Il
n'est pas nécessaire que la composition de l'autorité soit communiquée
officiellement aux parties; il suffit que cette information soit accessible
au public, par exemple par le truchement d'un répertoire officiel (ATF 117 Ia
322 consid. 1c p. 323; 114 Ia 278 consid. 3c p. 280).

En l'occurrence, le recourant n'a pas présenté de demande de récusation du
juge A.________ et du greffier H.________ dans la procédure cantonale, alors
même qu'il aurait pu connaître la composition possible de la cour appelée à
statuer en consultant le site Internet de l'Etat de Fribourg (www.fr.ch/tc).
Il est ainsi forclos. A cela s'ajoute, au demeurant, que le 21 juin 2004
(soit trois mois jour pour jour avant le prononcé de l'arrêt attaqué), le
Tribunal cantonal a pris le soin d'avertir les parties, dont le recourant, de
la composition de la cour appelée à statuer. Le recourant a disposé ainsi du
temps nécessaire pour demander la récusation de ses juges, s'il l'estimait
nécessaire.

3.3 Supposé recevable, le grief aurait de toute manière dû être rejeté.

3.3.1 Pour ce qui concerne le greffier H.________, le moyen est sans objet
puisque cette personne n'a pas participé au prononcé de la décision attaquée.
Il importe peu à cet égard qu'elle ait accompli certaines tâches dans
l'instruction de la cause, comme le suivi des échanges d'écritures ou de
correspondance, ou reçu en mains propres les déterminations de l'une des
parties.

3.3.2 Pour le recourant, le juge suppléant A.________ aurait dû se récuser en
application de l'art. 53 let. d LOJ/FR. Aux termes de cette disposition, le
juge doit se récuser lui-même s'il est en relation professionnelle suivie
avec une partie ou avec une société ou une personne morale dont la partie est
directeur, administrateur, contrôleur ou liquidateur.

Dans un premier moyen, le recourant expose que le juge X.________ serait
l'administrateur de la personne morale que constituerait le Tribunal
cantonal. Il ressort cependant du texte clair de l'art. 53 let. d LOJ/FR que
cette disposition vise la société ou la personne morale au sens du droit
civil. Tel n'est pas le cas, à l'évidence, d'un tribunal cantonal qui est un
organe de l'Etat.
Dans un deuxième moyen, le recourant évoque les liens professionnels étroits
unissant le juge suppléant A.________, avocat de son état, et le juge
cantonal X.________. Il relève en outre que le Tribunal cantonal est
l'autorité de surveillance des avocats. Ces éléments ne sont pas déterminants
pour admettre l'existence d'une prévention du juge A.________ à l'égard du
recourant. A l'instar de tous les magistrats judiciaires, les juges qui
exercent leur fonction occasionnellement, en marge de leur activité
professionnelle, sont réputés capables d'examiner impartialement les causes
qui leur sont soumises, en s'élevant au-dessus des intérêts des parties.
Hormis l'affirmation générale que le juge A.________ serait dépendant du juge
X.________ parce que le premier exerce la profession d'avocat et l'autre la
fonction de magistrat judiciaire, le recourant n'apporte aucun élément propre
à démontrer que le juge A.________ n'aurait pas disposé de l'indépendance
d'esprit nécessaire pour statuer en toute objectivité sur le litige opposant
le juge X.________ au recourant.

4.
Celui-ci prétend que la procédure d'instruction se serait déroulée de manière
irrégulière, en violation des garanties offertes par les art. 29 al. 1 et 30
al. 1 Cst.

La procédure d'instruction est régie par les art. 152ss CPP/FR. Contrairement
à ce que semble croire le recourant, ces dispositions s'appliquaient à la
plainte déposée contre le Juge X.________. Comme personne dénoncée, celui-ci
devait être considéré comme un prévenu au sens de la loi (art. 30 al. 1
CPP/FR). Il était dès lors partie à la procédure devant le juge d'instruction
(art. 29 let. a CPP/FR). Partant, il disposait du droit de prendre position
sur la plainte avant que le juge d'instruction ne statue. C'est au demeurant
ce qui s'est passé: répondant à l'invitation du juge d'instruction, le Juge
X.________ s'est déterminé sur la plainte et le sort à lui réserver, le 11
décembre 2003. Le recourant critique le fait qu'il n'ait pas eu l'occasion de
répliquer. La loi n'impose pas un deuxième échange d'écritures, qui n'est
nécessaire que lorsque l'autorité entend fonder sa décision sur un élément
qui n'a pas été porté à la connaissance de toutes les parties et sur lequel
celles-ci n'auraient pas pu se déterminer (ATF 129 II 497 consid. 2.2 p.
505). Or, tel n'était pas le cas en l'espèce. Sur le vu de la plainte et de
la réponse du 11 décembre 2003, le juge d'instruction disposait de tous les
éléments nécessaires pour statuer. Il pouvait tenir sans arbitraire une
réplique pour superflue.

5.
Le recourant reproche au Tribunal cantonal d'avoir communiqué au Juge
X.________ une copie du recours cantonal. Il y voit une violation de l'art.
68 CPP/FR, aux termes duquel l'instruction reste en principe secrète.

Le Tribunal cantonal était tenu d'entendre la partie adverse avant de
trancher le recours cantonal, à peine de violer le droit d'être entendu,
garanti par la Constitution (art. 29 al. 2 Cst.) et la loi (cf. art. 4 al. 1
let. d et 42 CPP/FR). Partant, contrairement à ce que soutient le recourant
qui se prévaut de l'art. 73 CPP/FR, la réponse du Juge X.________ ne peut
être considérée comme nulle.

6.
Sous l'angle de la bonne foi, le recourant fait valoir que l'arrêt attaqué ne
mentionne pas la réponse au recours cantonal faite par le Juge X.________ le
3 juin 2004. Il s'agit là toutefois d'une omission sans conséquence pour
l'issue de la cause.

7.
Le recourant invoque le droit de recevoir une décision motivée ainsi que la
prohibition de l'arbitraire dans la constatation des faits. Tels qu'ils sont
formulés, ces griefs reviennent à critiquer la décision attaquée au fond, ce
que le recourant n'est pas recevable à faire (consid. 2). Il n'y a partant
pas lieu de s'y arrêter.

8.
Aux termes de l'art. 59 al. 2 CPP/FR, les décisions comprennent notamment la
désignation des destinataires et de leur qualité dans la procédure (let. c),
ainsi que l'indication des voies de droit ordinaires (let. d).
Le Juge X.________ est mentionné parmi les parties auxquelles la décision
attaquée a été notifiée, selon la mention portée en dessous du dispositif (p.
7 en bas). Il est exact que sa qualité dans la procédure n'est pas indiquée;
mais tel n'est pas davantage le cas du recourant, du Ministère public et du
juge d'instruction. Ce manquement mineur est également sans portée pour
l'issue de la cause. Pour le surplus, le Tribunal cantonal n'était pas tenu
d'indiquer la voie du recours de droit public, qui est un moyen de droit
extraordinaire.

9.
Le recours est irrecevable et au surplus mal fondé. Les frais sont mis à la
charge de son auteur (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens
(art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et à la Chambre pénale
du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.

Lausanne, le 22 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: