Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.624/2004
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1P.624/2004 /col

Arrêt du 29 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Féraud.
Greffier: M. Kurz.

B. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Hahn, avocate,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

art. 9 Cst. (indemnité en cas d'acquittement),

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 7 juillet
2004.

Faits:

A.
Le 5 septembre 2002, la Justice de paix du cercle de Lausanne a désigné
B.________ comme curateur. L'intéressé s'y est opposé. Convoqué le 5 novembre
2002 pour être investi dans ses fonctions, B.________ fit valoir un
empêchement; il confirma qu'il s'opposait à sa nomination et ne se
présenterait pas. Le 8 novembre 2002, la Justice de paix lui adressa une
sommation de se présenter le 18 novembre 2002, sous la menace des peines
prévues à l'art. 292 CP. Le 13 novembre suivant, B.________ releva que
l'investiture ne pouvait avoir lieu qu'au moment où la nomination serait
définitive; compte tenu de son opposition, il demanda à la Justice de paix de
lui indiquer, par retour du courrier, si la séance du 18 novembre 2002 était
maintenue. Par lettre du 15 novembre 2002, la Justice de paix fit savoir que
la convocation était maintenue, la nomination étant effective jusqu'à droit
jugé sur l'opposition.

B. ________ ne s'étant pas présenté, il fut destitué et dénoncé au pénal.
Entendu le 20 mars 2003 par le Juge d'instruction de l'arrondissement de
Lausanne, B.________ expliqua que la lettre de la Justice de paix du 15
novembre 2002 avait été postée le 18 novembre 2002 en courrier B et qu'il
l'avait reçue le 19 suivant. Le 5 juin 2003, le Juge d'instruction l'a
inculpé d'insoumission à une décision de l'autorité. Le lendemain, il a rendu
un avis de prochaine condamnation.  B.________ a demandé le non-lieu en
expliquant à nouveau qu'il avait fait opposition à sa nomination, et que la
lettre du 15 novembre 2002 n'avait pas été reçue à temps. Il refusait d'ores
et déjà toute ordonnance de condamnation. Par lettre du 18 juillet 2003, son
avocat - consulté le 17 juin précédent - demanda également un non-lieu. Le 23
juillet 2003, le Juge d'instruction renvoya B.________ devant le Tribunal de
police de l'arrondissement de Lausanne.
Par jugement du 13 mai 2004, le tribunal l'a acquitté, frais à la charge de
l'Etat. La Justice de paix avait persisté à ignorer que l'investiture
dépendait d'une nomination définitive; elle n'avait pas répondu à temps aux
questions légitimes de l'accusé. Il n'y avait pas d'intention de la part de
ce dernier.

B.
Le 2 juin 2004, B.________ demanda au Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal vaudois le paiement d'une indemnité en relevant qu'il n'avait ni
provoqué, ni compliqué la procédure; son préjudice s'élevait à 426 fr. (soit
deux demi-journées de travail et 50 fr. de photocopies), plus 2'837 fr. de
frais de défense.
Par arrêt du 7 juillet 2004, le Tribunal d'accusation a rejeté la demande.
L'infraction poursuivie n'était pas grave et l'affaire était simple, la seule
question importante relevant du fait. Le requérant était en mesure de se
défendre seul. Par ailleurs, les deux demi-journées d'audience n'avaient pas
fait l'objet d'une retenue de salaire de la part de l'employeur.

C.
B.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il
requiert l'annulation.
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut
au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt rendu en
dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche tend à
l'obtention d'une indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité pour agir
au sens de l'art. 88 OJ.

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire. Selon lui, la cour cantonale ne pouvait
considérer que l'affaire était simple et qu'il pouvait se défendre seul:
alors qu'il avait tous les éléments en main pour rendre un non-lieu, le juge
d'instruction avait prononcé le renvoi en jugement, en ignorant les faits
allégués et prouvés par le recourant. Devant le Tribunal, il avait fallu
plaider l'absence d'intention, sur le vu d'une jurisprudence relativement
abondante. Le recourant étant architecte, en relations fréquentes avec les
autorités, il ne pouvait courir le risque d'une condamnation pour infraction
à l'art. 292 CP.

2.1 Il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., lorsque la décision
attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et
indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la
justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est
insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, si elle
a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Par
ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient
insoutenables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat
(ATF 129 I 9 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273 consid. 2.1 p. 275 et la
jurisprudence citée).

2.2 L'arrêt attaqué est fondé sur l'art. 163a al. 1 du code de procédure
pénale vaudois, dont la teneur est la suivante:
1 L'inculpé et l'accusé libérés des fins de la poursuite pénale, qui ne l'ont
ni provoquée, ni compliquée fautivement, peuvent obtenir de l'Etat, du
plaignant ou de la partie civile une indemnité équitable pour le préjudice
résultant de l'infraction et pour leurs frais de défense. L'art. 159, alinéa
premier, est applicable par analogie. [Cette dernière disposition vise la
condamnation d'une partie aux frais pour des raisons d'équité, notamment en
cas de dol, témérité ou légèreté, ou lorsqu'elle a compliqué l'instruction].
Selon la pratique relative à cette disposition, l'indemnisation "équitable"
ne couvre pas un dommage peu important, ni un dommage que le prévenu aurait
pu éviter ou dont il aurait pu restreindre l'ampleur; s'agissant des frais
d'avocat, ceux-ci doivent en principe être remboursés lorsqu'au regard de la
gravité de l'accusation, de la complexité de l'affaire et des capacités du
prévenu, celui-ci était fondé à se pourvoir d'un défenseur. Tel n'est pas le
cas lorsqu'il est ait appel à un avocat uniquement pour des motifs de
convenance personnelle, par exemple en raison d'un caractère particulièrement
anxieux (Antoine Thélin, L'indemnisation du prévenu acquitté en droit
vaudois, JdT 1995 III 98, et la jurisprudence citée p. 100).

2.3 En l'espèce, il n'est certes pas arbitraire de retenir que la cause
n'était pas en soi objectivement compliquée au point de nécessiter
l'intervention d'un avocat. L'acquittement a finalement été prononcé en
raison du simple fait que la lettre de la Justice de paix confirmant la
convocation était parvenue tardivement au recourant. On ne saurait toutefois
s'arrêter à ce simple constat. Le recourant a en effet tenté, dans un premier
temps, de se défendre seul en expliquant au juge d'instruction, lors de
l'audience du 20 mars 2003, les motifs pour lesquels il se croyait en droit
de ne pas se présenter. Il a remis une copie de la lettre du 15 novembre
2002, avec le timbre postal attestant d'une expédition le 18 novembre
suivant. Le juge d'instruction n'a toutefois fait aucun cas de ces
explications, en inculpant le recourant le 5 juin 2003 et en annonçant une
prochaine condamnation par voie d'ordonnance. Le recourant a tenté une
nouvelle fois de présenter ses arguments par lettre du 18 juin 2003, en
demandant un non-lieu. Un avis de prochaine clôture lui a été adressé le 24
juin 2003. Agissant cette fois par l'entremise de son avocate, le recourant a
encore demandé le non-lieu. Ignorant toujours les arguments du recourant, le
juge d'instruction l'a renvoyé en jugement le 23 juillet 2003, estimant que
l'art. 292 CP paraissait "applicable à l'accusé". Devant les refus répétés de
prendre en considération ses objections, le recourant a pu être amené à
penser que ses motifs de défense n'avaient pas été présentés de manière
adéquate. Sur le vu de l'attitude du magistrat instructeur, le recours à un
avocat était ainsi légitime. L'intervention de l'avocat s'est d'ailleurs
révélée utile, car le jugement d'acquittement reprend presque textuellement
(consid. 3) l'argumentation exposée par le recourant, puis par sa mandataire
dans la lettre du 18 juillet 2003. Par ailleurs, même si l'accusation n'était
pas particulièrement grave, le recourant, fréquemment en contact avec les
autorités dans le cadre de sa profession d'architecte, avait de bonnes
raisons de vouloir éviter une condamnation pour insoumission. Dans ces
circonstances, le refus d'indemniser le recourant de ce chef apparaît
choquant, partant arbitraire.

3.
Le recours de droit public doit par conséquent être admis. Une indemnité de
dépens est allouée au recourant, à la charge du canton de Vaud. Quand bien
même les intérêts pécuniaires de ce dernier sont en jeu (art. 156 al. 2 OJ),
il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Une indemnité de dépens de 1000 fr. est allouée au recourant, à la charge du
canton de Vaud.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire du recourant, au
Ministère public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton
de Vaud.

Lausanne, le 29 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: