Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.605/2004
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1P.605/2004/col

Arrêt du 9 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, juge présidant,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

S. ________,
recourante, représentée par Me Alain Dubuis, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211
Genève 3.

procédure pénale; circulation routière;
appréciation des preuves,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale de la Cour de
justice du canton de Genève
du 20 septembre 2004.

Faits:

A.
Le 4 juin 2003, à 08h35, S.________ circulait au volant d'une Citroën AX
grise sur la voie de présélection de gauche de l'avenue Eugène-Pittard, à
Genève, en direction du parc Bertrand. Alors qu'elle s'apprêtait à obliquer
sur l'avenue Louis-Aubert, elle a heurté avec l'avant gauche de son
automobile la moto de marque Ducati Monster, pilotée par D.________, qui
circulait sur cette artère en direction de la route de Florissant, le
blessant légèrement. L'accident a eu lieu sur l'avenue Louis-Aubert à la
hauteur de l'avenue Eugène-Pittard, quelques mètres après le passage pour
piétons traversant cette artère.
L'avenue Louis-Aubert comporte deux voies pour les voitures et une piste
cyclable, dans le sens emprunté par D.________; au moment des faits, celui-ci
circulait sur la voie de droite réservée aux voitures alors que L.________ se
trouvait au guidon de son scooter sur celle de gauche, à cinquante mètres
derrière la moto de D.________. L'avenue Eugène-Pittard comporte à son
intersection avec l'avenue Louis-Aubert deux voies de présélection en
direction du parc Bertrand, l'une pour tourner à gauche, l'autre pour aller à
droite. Au moment de l'accident, B.________ se trouvait au volant d'une
voiture qui suivait immédiatement celle de S.________ sur la présélection de
gauche de l'avenue Eugène-Pittard. Enfin, deux piétons, K.________ et
R.________, attendaient de part et d'autre du passage pour piétons permettant
de traverser l'avenue Eugène-Pittard.
La circulation à l'intersection des avenues Eugène-Pittard et Louis-Aubert
est réglée par une signalisation lumineuse. Les feux de l'avenue Louis-Aubert
pour les cyclistes et les véhicules passent en principe au vert vingt-cinq
secondes après la phase rouge du feu de la présélection utilisée par
S.________, celle-ci étant précédée d'une phase orange de trois secondes. Le
feu de signalisation pour les piétons traversant l'avenue Eugène-Pittard à
cet endroit passe en phase verte une seconde avant que les feux de l'avenue
Louis-Aubert ne deviennent verts. Selon la matrice des temps interverts, une
durée minimale de six secondes sépare en tous les cas la fin de la phase
verte du feu de la présélection empruntée par S.________ du début de la phase
verte du feu réglant la circulation sur l'avenue Louis-Aubert en direction de
la route de Florissant, alors qu'un laps de temps de onze secondes sépare la
fin de la phase verte du feu de la présélection de gauche de l'avenue
Eugène-Pittard du début de la phase verte du feu pour les piétons traversant
cette artère.

S. ________ a déclaré à la police que le feu de signalisation la concernant
était encore à l'orange, lorsqu'elle s'est engagée sur l'avenue Louis-Aubert.
B.________ a affirmé que celle-ci ne s'était pas arrêtée alors même que les
signaux lumineux étaient rouges. D.________, qui était immobilisé en première
position aux feux de l'avenue Louis-Aubert, a dit avoir démarré assez
rapidement dès l'apparition de la phase verte. L.________ a indiqué pour sa
part que le motocycliste avait démarré un peu avant tout le monde, compte
tenu de la puissance de sa machine, alors que les feux étaient passés au
vert. K.________ a déclaré avoir vu une voiture déboucher sur sa gauche,
tandis qu'elle attendait que le feu pour piétons devienne vert.
Un rapport de contravention a été dressé le 21 juillet 2003 par la
gendarmerie cantonale, que S.________ a contesté. Le Procureur général du
canton de Genève a transmis l'opposition au Tribunal de police du canton de
Genève le 18 novembre 2003.
Par jugement du 26 mars 2004, cette autorité a condamné S.________ à une
amende de 250 fr. pour avoir violé les règles de la circulation routière, en
n'observant pas la signalisation lumineuse, causant ainsi un accident avec
blessé.
Au terme d'un arrêt rendu le 20 septembre 2004 sur appel de la contrevenante,
la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la
Chambre pénale) a confirmé ce jugement. Se fondant sur les témoignages du
lésé, de L.________ et de B.________, elle a considéré que l'accident devait
être attribué à une violation des règles de la circulation commise par
l'appelante.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, S.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt qui violerait le principe de la
présomption d'innocence garanti par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH.
La Chambre pénale se réfère aux considérants de son arrêt. Le Procureur
général du canton de Genève conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seul le recours de droit public est ouvert pour se plaindre d'une
appréciation arbitraire des preuves (ATF 127 IV 46 consid. 1; 124 IV 81
consid. 2a p. 83) ou d'une violation de la présomption d'innocence, garantie
à l'art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH (ATF 127 IV 215 consid. 2d p. 218). La
recourante est directement touchée par l'arrêt attaqué, qui confirme sa
condamnation à une amende de 250 fr.; elle a un intérêt personnel, actuel et
juridiquement protégé à ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité
pour recourir selon l'art. 88 OJ. Formé au surplus en temps utile contre une
décision finale, prise en dernière instance cantonale, le recours répond aux
exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

2.
La recourante prétend que sa condamnation reposerait sur une appréciation
arbitraire des faits; les témoignages à charge auraient dû être écartés dès
lors qu'ils sont en contradiction avec les autres mesures d'instruction
effectuées; à tout le moins, il subsistait un doute qui aurait dû lui
profiter. Elle dénonce une violation de la présomption d'innocence garantie
aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH.

2.1 En tant qu'elle s'applique à la constatation des faits et à
l'appréciation des preuves, la présomption d'innocence interdit au juge de
prononcer une condamnation s'il éprouve des doutes quant à la culpabilité de
l'accusé. Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne
suffisent cependant pas à exclure une condamnation; la présomption
d'innocence n'est donc invoquée avec succès que s'il apparaît, à l'issue
d'une appréciation des preuves exempte d'arbitraire, que le juge aurait dû
éprouver des doutes sérieux et irréductibles sur la culpabilité de
l'intéressé (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120
Ia 31 consid. 2c p. 37).
La jurisprudence reconnaît au juge un important pouvoir d'appréciation dans
la constatation des faits et leur appréciation, qui trouve sa limite dans
l'interdiction de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86
consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2a p. 38; 118 Ia 28 consid. 1a p. 30; 116
Ia 85 consid. 2b p. 88 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral n'intervient
en conséquence pour violation de l'art. 9 Cst. que si le juge a abusé de ce
pouvoir, en particulier lorsqu'il admet ou nie un fait pertinent en se
mettant en contradiction évidente avec les pièces et éléments du dossier,
lorsqu'il méconnaît des preuves pertinentes ou qu'il n'en tient
arbitrairement pas compte, lorsque les constatations de fait sont
manifestement fausses ou encore lorsque l'appréciation des preuves se révèle
insoutenable ou qu'elle heurte de façon grossière le sentiment de la justice
et de l'équité (ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58, 173 consid. 3.1 p. 178; 128 I
81 consid. 2 p. 86; 127 I 38 consid. 2a. p. 41), ce qu'il appartient au
recourant d'établir (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).

2.2 En l'occurrence, la Chambre pénale n'a pas retenu pour probante la
version des faits de la recourante, suivant laquelle celle-ci avait obliqué à
gauche alors que le feu était encore à l'orange, parce qu'elle était
contredite par les déclarations du lésé et de deux autres témoins qui avaient
une position privilégiée pour observer les feux pour véhicules dès lors
qu'ils suivaient chacun l'un des deux protagonistes de l'accident et
n'avaient aucune raison de prendre partie pour l'un ou pour l'autre.
D.________ a ainsi affirmé avoir démarré assez rapidement après le passage en
phase verte du feu de signalisation le concernant. L.________ a dit à la
police avoir vu démarrer au feu vert un motocycliste, qui était à une
cinquantaine de mètres devant lui sur la voie de droite, un peu avant tout le
monde, compte tenu de la puissance de sa machine, avant d'être heurté par une
voiture qui survenait sur sa droite. Devant le Tribunal de police, il a
confirmé que le feu pour les voitures était vert lorsque le motard a accéléré
en précisant que celui-ci n'était pas complètement à l'arrêt, mais roulait
très lentement. B.________ a pour sa part déclaré à la police que la
recourante, qui la précédait sur la présélection de gauche de l'avenue
Eugène-Pittard, ne s'était pas arrêtée alors que le signal lumineux était
rouge. Elle a confirmé ses dires aux débats en précisant être restée
interloquée alors qu'elle n'avait même pas vu le feu passer au rouge.
Les témoignages des piétons qui se trouvaient de part et d'autre du passage
pour piétons traversant l'avenue Eugène-Pittard n'infirment nullement ces
déclarations. K.________ a précisé, lors de l'audience de jugement du
Tribunal de police, qu'elle n'avait pas gardé les yeux rivés sur le feu pour
piétons, mais que celui-ci devait être rouge lorsque la recourante a franchi
le passage pour piétons puisqu'elle attendait pour traverser. R.________ a
pour sa part indiqué que le feu pour piétons était vert lorsqu'il l'a regardé
quelques instants après l'accident. Ainsi, ces témoignages ne permettent pas
d'exclure qu'au moment du choc, le feu de signalisation pour les piétons
traversant l'avenue Eugène-Pittard à cet endroit venait de passer au vert;
or, ce feu entre en phase verte une seconde avant que les feux de l'avenue
Louis-Aubert ne deviennent verts; compte tenu de cet élément et de la
puissance de l'engin piloté par D.________, il était encore possible que
celui-ci ait démarré immédiatement au passage de la phase verte, comme le
prétendait également L.________. La Chambre pénale n'a donc pas fait preuve
d'arbitraire en considérant que le témoignage des piétons ne venait pas
contredire la version des faits concordante des autres témoins.
La recourante voit un élément supplémentaire de nature à accréditer la thèse
suivant laquelle D.________ aurait démarré alors que le feu était rouge dans
le fait qu'au moment du choc, seule la moto du lésé se trouvait au milieu du
carrefour. Elle se base en cela sur le témoignage de K.________, suivant
lequel la moto aurait démarré avant les autres véhicules. Or, cette version
des faits ne coïncide pas avec celle de R.________, qui a affirmé que la
voiture suivant la moto avait démarré en même temps qu'elle, et de
L.________, qui a certifié que D.________ avait accéléré alors que le feu
pour voitures avait passé au vert. Par ailleurs, le lésé était au volant
d'une Ducati Monster, dont la vitesse d'accélération est plus élevée que
celle d'une voiture ou d'un scooter; de plus, il n'était pas complètement
arrêté lorsque le feu est passé au vert, selon les déclarations de
L.________. Dans ces circonstances, il n'était pas inconcevable que la moto
soit le seul véhicule circulant sur l'avenue Louis-Aubert à se trouver au
milieu de l'artère lors du choc, quand bien même elle aurait démarré au vert.

2.3 En définitive, la recourante ne parvient pas à démontrer que le jugement
de première instance reposerait sur une appréciation arbitraire des preuves,
ni qu'un examen objectif de l'ensemble des éléments de la cause aurait dû
inciter les premiers juges, puis la Chambre pénale à concevoir des doutes sur
sa culpabilité, au point que sa condamnation pénale à une amende de 250 fr.
pour ne pas avoir observé la signalisation lumineuse et violé ainsi les
règles de la circulation routière serait contraire à la présomption
d'innocence.

3.
Le recours doit par conséquent être rejeté aux frais de la recourante, qui
succombe (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 9 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: