Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.572/2004
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1P.572/2004 /col

Séance du 10 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud,
Fonjallaz
et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

1. Olivier Feller, route de la Cézille 1, 1272 Genolier,
2.Philippe Leuba, place de l'Eglise 3, 1071 Chexbres,
3.Philippe Berlie, chemin des Vosges 8, 1009 Pully,
4.Laurent Besso, chemin Porchat 22,
1004 Lausanne,
5.Pierre-Gabriel Biéri, chemin de Bérée 44,
1010 Lausanne,
6.Delphine Blanc, route de Bois 8, 1024 Ecublens,
7.Sylvie Bosse, rue du Perron 44, 1196 Gland,
8.Véronique Bouche, chemin de Mourat 26, 1095 Lutry,
9.Philippe Braun, Servan 18, 1006 Lausanne,
10.Jérôme Burtet, avenue de Perrausaz 129,
1814 La Tour-de-Peilz,
11.Sandrine Cachin, chemin de la Fauvette 5,
1012 Lausanne,
12.Virginia Catalfamo, chemin du Châtelard 25,
1860 Aigle,
13.Samuel Cossy, 1071 Chexbres,
14.Anne Croset, Agites 6, 1860 Aigle,
15.Maurice Dorier, Collèges 47, 1009 Pully,
16.Patrice Galland, boulevard de la Forêt 34,
1009 Pully,
17.Laurent Grosjean, 1867 Antagnes s/Ollon,
18.Pierre Kissling, Les Landes 38, 1299 Crans-près-Céligny,
19.René Lagger, avenue de Jolimont 31, 1008 Prilly,
20.Steve Linder, chemin de la Venoge 7,
1028 Préverenges,
21.Corinne Monnard, route de Genève 66,
1028 Préverenges,
22.Sophie Paschoud, chemin Vermont 20,
1006 Lausanne,
23.Jean-Mary Paul, St-Roch 36, 1004 Lausanne,
24.François Perret, rue St-Georges 62,
1400 Yverdon-les-Bains,
25.Yves Rapin, chemin de Leisis 4, 1009 Pully,
26.Jean Schmidt, La Bruvière, 1041 Poliez-le-Grand,
27.Robert Schneiter, chemin des Champs de Rive 12, 1588 Cudrefin,
28.Daniel Seilaz, chemin de Fontanettaz 7, 1009 Pully,
29.Jacques Tacheron, chemin de la Crétaux 27,
1196 Gland,
30.Josiane Uldry, Parc-de-la-Rouvraie 1,
1018 Lausanne,
31.Marinette Viande, chemin des Bancels 8,
1004 Lausanne,
32.Steve Vuichard, chemin de la Villaire 31,
1040 Echallens,
recourants,
tous représentés par Me Philippe Richard et Me Christine Sattiva Spring,
avocats, Petit-Chêne 18, case postale 7296, 1002 Lausanne,

contre

Grand Conseil du canton de Vaud,
place du Château 6, 1014 Lausanne,
représenté par Me Denis Sulliger, avocat, rue du Simplon 13, 1800 Vevey.

art. 85 lettre a OJ (référendum obligatoire concernant les modifications
législatives liées aux mesures d'assainissement financier),

recours de droit public contre le décret du Grand Conseil du canton de Vaud
du 21 septembre 2004.

Faits:

A.
La constitution vaudoise du 14 avril 2003 (cst./VD), adoptée le 17 mai 2002
par l'Assemblée Constituante et acceptée le 22 septembre 2002 en votation
populaire, comprend un art. 165 dont la teneur est la suivante:
Assainissement financier
Art. 165 - Si, dans les derniers comptes, les recettes ne couvrent pas les
charges avant amortissements, les autorités cantonales prennent sans délai
les mesures d'assainissement portant sur le montant du dépassement.
Les mesures qui nécessitent des modifications de rang législatif sont
soumises au vote du corps électoral. Pour chacune de ces mesures, le vote
oppose la modification législative proposée à une augmentation du coefficient
de l'impôt cantonal direct d'effet équivalent.
Cette disposition apparaît comme le corollaire de l'art. 164 cst./VD, qui
prévoit que le budget de fonctionnement de l'Etat doit, en règle générale,
être équilibré, et que les recettes doivent dans tous les cas couvrir les
charges avant amortissements (al. 3). La constitution vaudoise a été garantie
par arrêté simple de l'Assemblée fédérale du 24 septembre 2003 (FF 2003
6303).

B.
Dans son rapport du mois de septembre 2004 au Grand Conseil, le Conseil
d'Etat vaudois exposait que le déficit de fonctionnement issu des comptes
2003 s'élevait à 385,3 millions de francs, ce qui nécessitait des mesures
d'assainissement à hauteur de 162,4 millions de francs. Le Conseil d'Etat
proposait un catalogue de mesures de réductions de charges (119 millions) et
d'augmentations de revenus (51,3 millions), dont certaines nécessitaient des
modifications législatives, de la compétence du Grand Conseil et soumises au
référendum obligatoire selon l'art. 165 al. 2 cst./VD. Le Conseil d'Etat
indiquait également, pour chaque mesure proposée, l'augmentation du
coefficient de l'impôt cantonal d'effet équivalent, en précisant que le
référendum prévu à l'art. 165 al. 2 cst./VD devait avoir lieu selon un
processus particulier: l'électeur pouvait choisir l'un des termes de
l'alternative, mais ne pouvait les refuser les deux. Même si l'on pouvait
s'interroger sur la conformité d'un tel système avec la liberté de vote, les
autorités vaudoises restaient tenues d'appliquer l'art. 165 al. 2 cst./VD,
qui avait d'ailleurs obtenu la garantie fédérale.
Dans son rapport de majorité, la commission chargée de l'examen de ce projet
a estimé que l'art. 165 cst./VD imposait un assainissement, tout en laissant
une grande liberté au Grand Conseil dans le choix des mesures. Se référant à
une note du Premier secrétaire du Service de justice (qui contestait
certaines conclusions d'un avis de droit du professeur Etienne Grisel), la
commission a considéré que les "mesures d'assainissement" mentionnées à
l'art. 165 cst./VD pouvaient également comprendre des augmentations de
recettes. La commission recommandait l'adoption des mesures proposées, par
préférence aux augmentations correspondantes du taux d'impôt cantonal.
Plusieurs rapports de minorité ont été déposés.

C.
Par décret du 21 septembre 2004, publié le 28 septembre suivant dans la
Feuille des Avis Officiels, le Grand Conseil du canton de Vaud a convoqué les
électeurs aux fins de se prononcer sur les modifications législatives liées
aux mesures d'assainissement prises suite au résultat des comptes 2003. Ce
décret comporte les questions suivantes:
Dans le cadre des mesures d'assainissement prises conformément à l'article
165 de la Constitution cantonale suite au résultat des comptes 2003 de l'Etat
de Vaud, préférez vous:
a) [pour chaque question est proposée une mesure de rang législatif];
ou
b) l'augmentation de ... point du coefficient de l'impôt cantonal, dans le
cadre de la loi annuelle d'impôt 2005 ?
Les modifications législatives proposées et les augmentations correspondantes
du taux d'impôt sont les suivantes:
1.art. 12 de la loi sur l'exercice de la religion catholique dans le canton
de Vaud (réduction de 5% du soutien financier aux églises); augmentation de
0,16 point;
2.art. 3, 4a, 7, 10, 20, 22, 52a, 54-58 de la loi sur les routes (définition
restrictive des routes cantonales, transfert aux communes des tronçons moins
importants, transfert au canton des tronçons de routes cantonales en
traversée de localités); augmentation de 0,41 point;
3.art. 27 et 40 de la loi sur l'emploi et l'aide aux chômeurs (suppression du
supplément incitatif alloué aux bénéficiaires du revenu minimum de
réinsertion en contrepartie de l'exécution du contrat de réinsertion);
augmentation de 0,08 point;
4.art. 25a de la loi sur le registre foncier, le cadastre et le système
d'information sur le territoire (publication sur Internet des acquisitions
immobilières); augmentation de 0,01 point;
5.art. 37 let. g de la loi sur les impôts directs cantonaux (suppression de
la déduction pour intérêts de capitaux d'épargne); augmentation de 1,25
point;
6.adoption d'un décret relatif à la perception d'un impôt extraordinaire sur
la fortune de 5%; augmentation de 0,93 point;
7.adoption d'un décret relatif à la perception d'un impôt extraordinaire sur
la dépense de 4%; augmentation de 0,1 point;
8.art. 72 de la loi sur les impôts directs cantonaux (modification du barème
d'imposition du gain immobilier par une dégressivité moins forte des taux);
augmentation de 0,38 point.
Par acte du 5 octobre 2004, Olivier Feller et Philippe Leuba - tous deux
députés au Grand Conseil vaudois -, ainsi que trente consorts, forment un
recours de droit public contre ce décret, dont ils demandent l'annulation,
pour violation de leurs droits politiques. Subsidiairement, ils demandent une
annulation limitée aux mesures d'augmentations d'impôts. Ils désirent d'ores
et déjà pouvoir répliquer aux arguments du Grand Conseil, et requièrent la
production de tout le dossier, y compris la note datée du mois de juin 2004
émanant du Service de justice, de l'intérieur et des cultes ainsi que du
Secrétariat général du département des finances, mettant en doute la
constitutionnalité du système de vote prévu par le décret. Les recourants ont
simultanément formé une demande de mesures provisionnelles tendant à ce qu'il
soit sursis aux opérations électorales, fixées au 28 novembre 2004, jusqu'à
droit jugé. Ils prennent dans leur recours des conclusions subsidiaires en
annulation de la votation populaire, pour le cas où celle-ci aurait néanmoins
lieu. La demande d'effet suspensif a été admise le 18 octobre 2004 par
ordonnance présidentielle.
Dans sa réponse sur le fond, le Grand Conseil soutient que l'art. 165 al. 2
cst./VD, qui bénéficie de la garantie fédérale, a été compris et interprété
comme imposant un système de vote interdisant le "double non". Les mesures
d'assainissement comprendraient les économies, les transferts de charges et
les recettes d'impôt supplémentaires. Les citoyens auraient alors le choix
entre deux augmentations différentes d'impôts. Le Grand Conseil conteste
également le caractère trompeur de certaines questions, et le manque de
clarté du bulletin de vote. Il s'oppose à un second échange d'écritures, en
souhaitant que le Tribunal fédéral statue dans les meilleurs délais; il
s'oppose également à la production de la note précitée du Service de justice,
qui constituerait un document interne sans incidence pour la solution de la
cause.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
En vertu de l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours de
droit public concernant le droit de vote des citoyens et de ceux qui ont
trait aux élections et aux votations cantonales, quelles que soient les
dispositions de la constitution cantonale et du droit fédéral régissant la
matière.

1.1 Le recours peut être dirigé contre un acte préparatoire telle que la
convocation des électeurs à une votation, lorsque la constitutionnalité de
cette dernière est contestée (ATF 116 Ia 359 consid. 2 p. 363). Tel est le
cas en l'espèce: les recourants estiment que la manière dont les questions
seront soumises aux électeurs viole la liberté de vote garantie par l'art. 34
Cst.

1.2 Citoyens actifs dans le canton de Vaud, les recourants ont qualité pour
agir au sens de l'art. 85 let. a OJ, sans qu'ils aient à justifier d'un
intérêt particulier à l'admission de leur recours (ATF 130 I 290 consid. 1.3
p. 293 et les arrêts cités; 120 Ia 194 consid. 1c). L'acte attaqué n'est
susceptible d'aucun recours cantonal, la cour constitutionnelle prévue à
l'art. 136 cst./VD n'ayant pas encore été mise sur pied.

1.3 Selon l'art. 93 al. 3 OJ, un second échange d'écritures n'a lieu
qu'exceptionnellement. Les recourants peuvent être autorisés à présenter un
mémoire complétif lorsque la motivation à l'appui de l'acte attaqué n'est
fournie qu'avec la réponse de l'autorité (art. 93 al. 2 OJ), ou lorsque
celle-ci invoque des faits ou des moyens de droit pertinents dont les
recourants n'avaient pas connaissance au moment du dépôt du recours. Aucune
de ces circonstances n'est réalisée en l'espèce: le Grand Conseil s'est
contenté de répondre aux arguments des recourants, sans se fonder sur des
pièces nouvelles; les parties connaissent d'ailleurs depuis longtemps leurs
positions respectives. Dans ces conditions, il ne se justifie pas d'autoriser
les recourants à répliquer, ce qui rallongerait la procédure alors que
l'intérêt public impose que l'arrêt du Tribunal fédéral soit rendu dans les
meilleurs délais.

1.4 Il n'y a pas lieu non plus de donner suite à la requête des recourants
tendant à la production d'une note commune établie en juin 2004 par le
Service de justice et le Secrétariat général du département des finances.
Selon les recourants, ce document permettrait de démontrer que le Conseil
d'Etat était conscient du caractère contestable de la procédure de vote.
Comme cela ressort des considérants qui suivent, la pièce en question est
toutefois sans incidence sur l'issue de la cause.

2.
Les recourants se plaignent d'une violation de la liberté de vote garantie
par l'art. 34 al. 2 Cst.

2.1 Selon eux, le système de vote obligeant à choisir entre deux solutions
proposées - la mesure d'assainissement ou l'augmentation correspondante du
taux d'impôt -, sans pouvoir opter pour le statu quo en votant deux fois non,
ne permettrait pas au citoyen d'exprimer librement son opinion sur les sujets
proposés. Le droit de référendum aurait précisément pour objet de pouvoir
choisir le statu quo. Le Grand Conseil disposerait d'une totale liberté
d'action: son obligation d'assainir ne serait assortie d'aucune sanction, et
le parlement serait libre des mesures qu'il entend proposer, alors que le
corps électoral serait entièrement lié par l'alternative qui lui est soumise.
De nombreux doutes avaient été élevés quant à la constitutionnalité de ce
système lors des travaux de la Constituante vaudoise. La violation de la
liberté de vote serait encore plus caractérisée dans la mesure où le décret
force le citoyen à choisir entre deux mesures fiscales, voire même entre deux
impôts touchant la même substance fiscale. Autoriser un tel procédé
conférerait un blanc-seing en faveur du Grand Conseil, pour augmenter sans
limite les contributions publiques. Les recourants soutiennent également que
l'art. 165 cst./VD lui-même serait violé: il ne serait pas d'application
immédiate - comme en témoignerait l'existence d'une disposition transitoire à
son sujet - et ne constituerait pas une base suffisamment claire, notamment
pour interdire le double non et permettre d'opposer deux mesures fiscales.
Les recourants présentent aussi des arguments spécifiques au décret attaqué.
Les questions seraient posées de manière peu claire et certaines d'entre
elles seraient trompeuses.

2.2 Le Grand Conseil estime pour sa part que la Constituante vaudoise, le
peuple vaudois - lors de la votation du 22 septembre 2002 - et les Chambres
fédérales - lors de l'octroi de la garantie - auraient admis que l'art. 165
cst./VD peut interdire aux électeurs de voter deux fois non lors du scrutin
relatif aux mesures d'assainissement. Une interprétation historique et
systématique le confirmerait. La garantie octroyée par l'Assemblée fédérale
empêcherait d'examiner la constitutionnalité de cette norme.

3.
L'art. 165 cst./VD a obtenu, avec l'ensemble de la Constitution vaudoise, la
garantie des Chambres fédérales par arrêté simple du 24 septembre 2003. Dans
cette perspective, la commission du Conseil national a demandé à l'Office
fédéral de la justice (OFJ) de s'exprimer sur la conformité au droit fédéral
de l'art. 165 cst./VD. Par avis du 8 septembre 2003, l'OFJ a estimé que le
fait d'obliger les citoyens à choisir entre la mesure d'assainissement et
l'augmentation correspondante du taux d'impôt n'était pas contraire à la
liberté de vote. Les cantons n'étaient pas obligés d'instituer un référendum
législatif; ils pouvaient notamment limiter cette institution à certains
domaines. Selon l'OFJ, la disposition constitutionnelle vaudoise était certes
inhabituelle, mais néanmoins conforme au droit fédéral. Pour sa part, le
Message du Conseil fédéral concernant la garantie de la constitution vaudoise
(FF 2003 3167) est limité aux dispositions "qui ont un rapport direct avec
des matières réglées par le droit fédéral"; il n'évoque pas précisément ce
problème particulier.

3.1 Selon la jurisprudence actuelle, le Tribunal fédéral n'examine en
principe pas la conformité avec le droit fédéral des dispositions
constitutionnelles cantonales auxquelles l'Assemblée fédérale a donné sa
garantie. Il est fait exception à ce principe dans les cas où la règle de
droit supérieur n'était pas encore en vigueur lors de l'octroi de la garantie
(ATF 111 Ia 239 consid. 3 p. 240; cf. ensuite ATF 116 Ia 359 consid. 3 p.
364), ou lorsqu'il s'agit de tenir compte d'une évolution de principes de
droit constitutionnel non écrit qui aurait eu lieu dans l'intervalle (ATF 121
I 138 consid. 5c/aa p. 147).

3.2 Bien que cette réserve du juge constitutionnel fasse l'objet d'une
critique quasi unanime de la doctrine (cf. les auteurs cités dans l'ATF 111
Ia 239 consid. 1b in initio), il n'y a pas lieu de réexaminer la pratique
actuelle à ce propos. En effet, la question centrale posée par le présent
recours consiste à savoir non pas si l'art. 165 al. 2 cst./VD est en soi
conforme au droit fédéral, mais si cette disposition est, selon l'expression
des recourants, "directement applicable", c'est-à-dire si son texte est
suffisamment clair pour permettre l'adoption d'un décret tel que celui qui
est attaqué, et selon les modalités prévues, ou s'il doit au préalable être
concrétisé dans une loi.
Dans son avis de droit, l'OFJ est parti de la considération que l'art. 165
al. 2 cst./VD interdisait aux électeurs de refuser à la fois la mesure
d'assainissement et l'augmentation correspondante du taux d'impôt. Il s'agit
là d'une interprétation du texte constitutionnel sur laquelle l'office était
invité à se prononcer. L'OFJ ne s'est pas demandé, en revanche, si le texte
constitutionnel est suffisamment clair pour permettre d'imposer aux électeurs
un tel mode de procéder.

3.3 L'octroi de la garantie fédérale ne dispense dès lors pas d'examiner si
l'art. 165 al. 2 cst./VD permettait au Grand Conseil vaudois d'agir comme il
l'a fait en se fondant directement sur la constitution cantonale ou si, comme
le prétendent les recourants, il était nécessaire de préciser au préalable,
par voie législative, les principes applicables au scrutin relatif aux
mesures d'assainissement.

4.
Saisi d'un recours pour violation des droits politiques, le Tribunal fédéral
revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral et du
droit constitutionnel cantonal, ainsi que des dispositions de rang inférieur
qui sont étroitement liées au droit de vote ou en précisent le contenu et
l'étendue (ATF 129 I 185 consid. 2 p. 190). Il n'examine en revanche que sous
l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation d'autres règles du droit
cantonal (ATF 123 I 175 consid. 2d/aa p. 178; 121 I 1 consid. 2 p. 3, 357
consid. 3 p. 360 et les arrêts cités). En présence de deux interprétations
également défendables, il s'en tient en général à celle retenue par la plus
haute autorité cantonale (ATF 121 I 334 consid. 2c p. 339).
En l'occurrence, la contestation porte sur l'application d'une disposition
constitutionnelle cantonale à propos des modalités du scrutin relatif aux
mesures d'assainissement. Le litige concerne l'interprétation d'une norme en
relation directe avec les modalités d'exercice des droits politiques, ce qui
impose un libre pouvoir d'examen.

5.
Selon l'art. 34 al. 1 Cst., les droits politiques sont garantis. Cette
garantie générale et abstraite ne définit pas elle-même le contenu et
l'étendue des droits politiques; elle renvoie pour ceci aux réglementations
fédérale et cantonales, tout en protégeant le corps électoral contre les
atteintes qui peuvent être portées à ces droits. C'est dès lors aux cantons
qu'il appartient de définir les titulaires, l'étendue et les modalités de
l'exercice des droits politiques, sous réserve des exigences démocratiques
posées à l'art. 51 al. 1 Cst., en particulier quant au mode d'adoption et de
révision de la constitution cantonale. Pour le surplus, les cantons
déterminent eux-mêmes les compétences de leur corps électoral (Auer,
Malinverni, Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, pp.
260-261), et disposent pour ce faire d'une autonomie quasi complète: ils
peuvent ainsi décider quels actes seront ou non soumis au référendum,
obligatoire ou facultatif.

5.1 Selon l'art. 34 al. 2 Cst., la garantie des droits politiques protège la
libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et l'expression
fidèle et sûre de leur volonté. Les votations et élections doivent être
organisées de telle manière que la volonté des électeurs puisse s'exercer
librement, notamment sans pression ni influence extérieure (ATF 129 I 185
consid. 5 p. 192; 121 I 138 consid. 3 p. 141 avec les références). Cela
implique en particulier une formulation adéquate des questions soumises au
vote. Celles-ci ne doivent pas induire en erreur, ni être rédigées dans des
termes propres à influer sur la décision du citoyen (ATF 106 Ia 20). Chaque
électeur doit pouvoir se former son opinion de la façon la plus libre
possible, et exprimer son choix en conséquence.

5.2 La liberté de l'électeur d'exprimer son choix est concrétisée à plusieurs
égards dans le domaine du droit d'initiative. Le respect de la liberté de
vote interdit de mêler, dans un même objet, plusieurs propositions de nature
ou de but différents, qui forceraient ainsi le citoyen à une approbation ou à
une opposition globales, alors qu'il pourrait n'être d'accord qu'avec une
partie des propositions qui lui sont soumises (ATF 90 I 69 consid. 2c p. 74).
Le système de l'interdiction du double oui - applicable lorsqu'une initiative
populaire est opposée à un contre-projet et en vigueur dans la constitution
fédérale jusqu'en 1987 - a été remplacé par un système d'option (art. 139 al.
6 Cst.) dans le but de permettre aux votants de s'exprimer de manière plus
complète et plus nuancée qu'auparavant, tout en évitant deux scrutins
successifs (Grisel, Initiative et référendum populaires, 3ème éd., Berne 2004
p. 291s). L'ancien système n'a pas pour autant été qualifié de contraire aux
exigences démocratiques fondamentales; l'essentiel est que l'électeur
conserve la possibilité d'exprimer sa volonté de façon suffisamment
différenciée (ATF 113 Ia 46 consid. 5a p. 54 et les références citées).
Lorsque le référendum est demandé à l'égard d'un projet législatif complet,
la liberté de vote ne permet certes pas à l'électeur d'exiger que certaines
dispositions soient votées séparément (ATF 113 Ia 46 consid. 6 p. 57; 111 Ia
198 consid. 2b p. 198); le droit de refuser l'ensemble du projet est
cependant toujours garanti.

6.
Obligatoire ou facultatif, le référendum s'analyse en premier lieu comme un
droit de veto (Thürer, Aubert, Müller, Droit constitutionnel suisse, Zurich
2001, § 25 p. 398; Grisel, op. cit. n° 104 p. 60). Le droit d'exiger le statu
quo apparaît comme une évidence inhérente au système (Aubert, Traité de droit
constitutionnel suisse, Neuchâtel 1967, vol. 2 n° 410). La faculté de
préférer la situation actuelle par rapport aux dispositions qui lui sont
proposées constitue en effet un élément fondamental de la liberté de choix
qui doit être reconnue au citoyen. Dans cette perspective, l'interdiction du
"double non" implique, pour les électeurs vaudois, la renonciation à une
faculté essentielle, soit celle d'opter pour le statu quo lors d'une votation
sur les mesures d'assainissement alternatives qui leur sont proposées. Les
modalités de vote prévues sont en outre pour le moins insolites, puisque
l'interdiction du "double non" apparaît comme un paradoxe s'agissant du droit
de référendum: si l'électeur juge inacceptables certaines mesures
d'assainissement, ou estime que d'autres mesures seraient préférables, il n'a
d'autre choix que d'accepter la hausse d'impôt correspondante. Pareille
renonciation de l'électeur à sa liberté de décision et à son pouvoir de
sanction devrait pouvoir se fonder sur une base particulièrement claire.
Compte tenu de l'autonomie cantonale en matière de définition des droits
populaires, le canton de Vaud relève à juste titre que le constituant aurait
pu soustraire à tout référendum les mesures décidées dans le cadre de
l'assainissement financier; a fortiori, il n'est pas en soi contraire au
droit de vote de prévoir un mode de scrutin particulier n'accordant au
citoyen qu'une liberté de choix limitée. Toutefois, une telle limitation de
la liberté de l'électeur ne saurait être admise que sur la base d'un texte
clair, lui-même soumis à la sanction populaire par le biais du référendum. Le
corps électoral peut certes renoncer à certaines prérogatives découlant de sa
liberté de vote, mais il doit le faire en toute connaissance de cause. Les
modalités et la portée d'une telle renonciation doivent elles aussi être
clairement définies.

6.1 Le Grand Conseil entend se fonder directement sur l'art. 165 al. 2
cst./VD pour justifier sa démarche. Il ressortirait clairement des travaux de
la Constituante qu'après avoir été vivement contestée, la proposition tendant
à instituer un mécanisme d'assainissement financier (à l'origine, l'art.
147ter cst./VD) a pu faire l'objet d'une solution négociée aux termes de
laquelle le peuple pourrait se prononcer en choisissant soit la mesure
proposée, soit l'augmentation correspondante du coefficient de l'impôt
cantonal, sans pouvoir les refuser les deux. Lors de l'adoption de la
constitution par le peuple, ce dernier aurait disposé d'un commentaire où
cette interprétation du texte est clairement exposée. Tant les constituants
que le peuple vaudois ainsi que l'Assemblée fédérale se seraient prononcés en
pleine connaissance de cause sur le système mis en place, y compris
l'interdiction du "double non".

6.2 Lors des travaux de la Constituante, la question du "double non" a
effectivement été expressément abordée. Le texte a été adopté à une large
majorité, sans que ce mode particulier de scrutin n'ait été remis en cause
(cf. Constitution vaudoise, Pierre Moor (éd.), Berne 2004, p. 324).
L'interprétation historique - de même d'ailleurs que l'interprétation
systématique - permet certes d'affirmer que l'interdiction du "double non"
peut trouver son fondement dans le texte constitutionnel. Cela ne suffit
toutefois pas pour admettre que le peuple ait accepté cette procédure de vote
en toute connaissance de cause. Il faudrait pour cela que le texte
constitutionnel soit suffisamment clair et explicite ou, dans le cas
contraire, que l'attention des électeurs ait été spécialement attirée sur ce
mode d'application de la disposition en cause. Or, ni l'une ni l'autre de ces
conditions ne sont réalisées.

6.3 L'art. 165 al. 2 cst./VD prévoit que, pour chacune des mesures, "le vote
oppose la modification législative proposée à une augmentation du coefficient
de l'impôt cantonal direct d'effet équivalent". L'opposition de deux
propositions ne signifie pas encore que l'électeur devrait obligatoirement en
adopter une. Dans le domaine des droits politiques, le terme "opposer" est
utilisé à propos du contre-projet qui peut être présenté par le Grand Conseil
à l'encontre d'une initiative rédigée de toutes pièces (cf. art. 102 al. 3 de
la loi vaudoise sur l'exercice des droits politiques); dans ce cas, la
possibilité de refuser les deux objets pour maintenir le statu quo est une
évidence. Consacré au référendum populaire, l'art. 83 al. 2 cst./VD stipule
simplement que les mesures d'assainissement financier prévues à l'art. 165
al. 2 cst./VD sont soumises au référendum obligatoire, sans prévoir de
modalités particulières de scrutin, notamment l'interdiction du "double non".
L'institution d'un référendum obligatoire, en lieu et place du référendum
facultatif ordinaire, signifiait a priori un renforcement des droits
politiques alors qu'en réalité, l'interdiction d'opter pour le statu quo
constitue une restriction qui pouvait échapper même à un lecteur attentif du
texte constitutionnel.

6.4 Les explications données aux électeurs lors de l'adoption de la
constitution vaudoise ne sont pas propres à pallier ce manque de clarté et de
densité normative. De ce point de vue, seule compte l'information officielle
remise en vue de la votation populaire. Le Grand Conseil prétend que les
électeurs vaudois ont eu "à disposition" un commentaire du projet de
constitution dans lequel le sens de l'art. 165 al. 2 cst./VD était clairement
expliqué (p. 71). Il ne prétend toutefois pas que ce document a été remis à
chaque électeur, en vue de la votation. En réalité, le message explicatif en
vue de la votation cantonale du 22 septembre 2002, qui comprend 15 pages et
auquel était annexé uniquement le texte de la nouvelle constitution
cantonale, ne fait que paraphraser l'art. 165 al. 2 (p. 8), sans évoquer
précisément l'interdiction du "double non". Le peuple était d'ailleurs appelé
à s'exprimer sur une révision totale de la constitution, et non sur quelques
articles isolés sur lesquels son attention eût pu être attirée de manière
plus précise.

7.
On ne saurait, dans ces conditions, affirmer que le peuple aurait
délibérément accepté un processus de vote aussi particulier que celui qui est
prévu dans le décret attaqué. Si l'électeur renonce à une partie des
prérogatives découlant du droit de référendum, il doit connaître exactement
la portée de cette renonciation. L'art. 165 cst./VD ne peut, à cet égard,
être considéré que comme le fondement d'une législation d'exécution dans
laquelle la portée des droits politiques devra être définie avec précision.

7.1 L'interdiction du "double non", ainsi que les modalités du scrutin,
devront ainsi être prévues de manière claire. La manière de remplir les
bulletins de vote devra être précisée. Le projet de bulletin, en vue de la
votation du 28 novembre 2004, prévoit en effet également la nullité des
bulletins comportant deux oui, ou des bulletins ne comportant pas un oui dans
l'une des deux cases, ce qui nécessite une précision supplémentaire.

7.2 Dans la mesure où le mécanisme de l'art. 165 al. 2 cst./VD restreint la
liberté de choix des électeurs, sa portée et son champ d'application
devraient eux aussi être définis le plus exactement possible. Il y aurait
ainsi lieu de préciser quels types de mesures d'assainissement pourront être
adoptés en vertu de l'art. 165 cst/VD. Contrairement à ce que soutiennent les
recourants, le texte constitutionnel mentionne des "mesures", ce qui paraît
autoriser tant les économies que les nouvelles recettes; toutefois,
lorsqu'une augmentation de recette telle que celles figurant aux ch. 5 à 8 du
décret attaqué est proposée - suppression d'une déduction fiscale,
modification d'un barème, impôt extraordinaire -, les électeurs ne peuvent en
définitive qu'opter entre deux mesures, certes différentes, mais toutes deux
d'ordre fiscal. Leur liberté de choix s'en trouve donc encore réduite, ce qui
nécessite une précision supplémentaire dans la loi. Il y aurait lieu de
définir également la durée des modifications législatives proposées. En
effet, si la fixation du taux d'impôt se fait d'année en année, les
modifications des différentes lois visées par le décret ne sont apparemment
pas limitées dans le temps. Ce point devra lui aussi être précisé dans la
loi.

7.3 La loi d'exécution devra encore expliciter le rapport entre le référendum
obligatoire prévu à l'art. 165 al. 2 cst./VD et le référendum législatif
ordinaire prévu à l'art. 84 cst./VD. Lorsqu'à l'issue de la votation sur les
mesures d'assainissements, une hausse du taux d'impôt a été acceptée, la
quotité de l'impôt cantonal doit encore être adoptée par le Grand Conseil
(art. 105 let. b cst./VD), sous la forme d'un acte qui, à l'instar de
l'ensemble des lois et décrets, devrait être sujet au référendum facultatif
(art. 84 let. a cst./VD). Si la hausse d'impôt acceptée à l'issue du
référendum obligatoire ne peut plus être contestée par la suite, la loi
devrait le prévoir clairement.

8.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public est admis et le
décret attaqué est annulé. S'agissant d'un recours pour violation des droits
politiques, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. L'Etat de Vaud
acquittera en revanche une indemnité de dépens allouée aux recourants.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est admis et le décret du Grand Conseil du canton
de Vaud du 21 septembre 2004 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Une indemnité de dépens de 3000 fr. est allouée aux recourants, à la charge
du canton de Vaud.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourants et du
Grand Conseil du canton de Vaud.

Lausanne, le 10 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: