Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.556/2004
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1P.556/2004 /col

Arrêt du 18 novembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.

X. ________,
recourant,

contre

Philippe Thélin, Juge au Tribunal administratif de la République et canton de
Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1,
intimé,
Tribunal administratif de la République et canton
de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1.

récusation,

recours de droit public contre la décision du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève
du 24 août 2004.

Faits:

A.
Y. ________, propriétaire d'un bien-fonds sur le territoire de la commune de
Vandoeuvres, a déposé le 31 mars 2003 une demande d'autorisation de
construire pour édifier un auvent sur la terrasse attenante à sa maison. Le
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République
et canton de Genève (DAEL) a délivré l'autorisation requise le 13 juin 2003.
X.________, propriétaire de la parcelle voisine, sur laquelle se trouve une
villa contiguë à celle de Y.________, a recouru contre cette décision. La
Commission cantonale de recours en matière de constructions a rejeté ce
recours par un prononcé du 23 février 2004.

B.
X.________ a recouru auprès du Tribunal administratif cantonal contre ce
prononcé, en demandant l'annulation de l'autorisation de construire.
Le Juge Philippe Thélin a été chargé de l'instruction de la cause. Il a
ordonné une inspection locale (transport sur place) qui a eu lieu le 21 juin
2004 dans le jardin de Y.________, en présence des parties. Le Juge Thélin a
dressé un procès-verbal qui pour l'essentiel a la teneur suivante:
"M. Y.________ décrit l'auvent projeté. Ce dernier commencerait à mi-hauteur
du balcon sur une surface délimitée par la terrasse actuelle. Il serait
constitué de trois piliers et d'un toit monobloc translucide anti-rayonnement
afin que cette construction ne se transforme en serre. Un échantillon du
matériau prévu pour la couverture sera fourni au Tribunal administratif. M.
Y.________ souligne qu'il ne prévoit pas de fermer la surface sous le
couvert.

M. X.________ s'oppose à cette édification car il craint que cette surface ne
devienne habitable et qu'elle serait inesthétique depuis son jardin. Il
souhaiterait également obtenir un plan de coupe du projet.

Le tribunal se déplace dans le jardin de M. X.________, voisin direct de M.
Y.________. Depuis le milieu du jardin, l'auvent serait visible pour un
observateur debout."
Le procès-verbal a été envoyé aux parties, qui étaient priées de le retourner
signé. Le 12 juillet 2004, X.________ a répondu qu'il était inexact d'écrire
que l'auvent serait visible pour un observateur debout, placé au milieu du
jardin; cet auvent serait en réalité visible "simplement depuis la terrasse",
à travers une haie vive. Il a ajouté des remarques sur le matériau choisi et
sur d'autres ouvrages réalisés par Y.________, selon lui en violation des
normes du droit cantonal des constructions.
Le Juge Thélin a répondu à X.________ par une lettre du 29 juillet 2004. Il a
rappelé le but de l'inspection locale et notamment expliqué que le
procès-verbal reproduisait les constatations faites à propos de l'auvent
litigieux, ce qui ne signifiait "évidemment pas qu'il ne puisse être aperçu à
travers le feuillage de la haie, en cas de disparition de cette dernière, ou
pendant l'hiver".

C.
Le 5 août 2004, X.________ a adressé au Tribunal administratif une demande de
récusation du Juge Thélin. Il a dénoncé une erreur dans le procès-verbal de
l'inspection locale car, à son avis, l'auvent litigieux serait visible depuis
un point situé à environ 2.5 m de la façade de sa villa, non pas à travers la
haie mais au-dessus de celle-ci. Il a donc reproché au magistrat d'avoir
refusé une rectification. Evoquant les circonstances de la réalisation
d'autres ouvrages par Y.________, il a fait valoir que "d'autres cas de
violation pourtant bien réelles [n'étaient] pas prises en compte et
considérées dans le cadre d'un procès-verbal de transport sur place".
Estimant que l'opinion du juge délégué était déjà faite, il l'a soupçonné de
ne plus disposer de toute l'impartialité nécessaire.
Le Président du Tribunal administratif a invité le Juge Thélin et le
Procureur général à se déterminer sur la demande de récusation. Le Juge
Thélin a conclu au rejet de cette requête, au terme de brèves observations.
Selon lui, ni le contenu du procès-verbal ni sa lettre du 29 juillet 2004 ne
pouvaient être considérées comme une manifestation de son avis avant
d'émettre son opinion pour le jugement. Le Procureur général a également
conclu au rejet de la requête, en se bornant à appuyer les observations du
juge concerné.
Le 13 août 2004, le Tribunal administratif a communiqué à X.________ les
observations du Juge Thélin et du Procureur général par courrier postal (sous
pli simple) et par fax adressés à son étude (ce dernier, avocat à Genève, a
en effet utilisé cette adresse pour tous les actes de la procédure). Un délai
au 18 août 2004 à 17 heures lui a été imparti pour se déterminer.
Par lettre du 13 août 2004, le "secrétariat de Me X.________" a écrit au
Tribunal administratif pour solliciter un report d'une semaine du délai de
déterminations. Le signataire de cette lettre, sur papier à en-tête de
l'étude, affirmait être dans l'impossibilité de contacter Me X.________, en
déplacement à l'étranger.
Par lettre du 17 août 2004 du Tribunal administratif, X.________ a été
informé que la cause était gardée à juger en l'état du dossier.

D.
Le Tribunal administratif a rejeté la demande de récusation par une décision
du 24 août 2004. Il a considéré que, dans l'établissement du procès-verbal de
l'inspection locale, le juge délégué n'avait violé aucune règle concernant
les mesures probatoires et qu'en refusant les modifications et adjonctions
demandées par le recourant, il avait pris les dispositions qui convenaient
pour l'instruction du dossier, sans manifester prématurément son opinion. Il
n'y avait donc aucun motif de récusation au sens des dispositions pertinentes
du droit cantonal, à savoir les art. 90 s. de la loi sur l'organisation
judiciaire (LOJ), applicables par renvoi de l'art. 15 de la loi sur la
procédure administrative (LPA).

E.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision du 24 août 2004. Il se plaint d'une
violation du droit d'être entendu en raison de la brièveté du délai de
réplique qui lui avait été fixé par le Tribunal administratif après la
communication des observations du juge concerné et du Procureur général. Il
se plaint également, à ce propos, d'un refus arbitraire d'une prolongation du
délai de réplique. Il prétend par ailleurs que le magistrat visé donnait
objectivement une apparence de défaut d'impartialité.
Invités à répondre au recours, le Juge Thélin et le Tribunal administratif
ont renoncé à présenter des observations ou des conclusions.

F.
Le Tribunal administratif a par ailleurs rendu, également le 24 août 2004,
son arrêt sur le fond, rejetant le recours formé contre la décision prise le
23 février 2004 par la Commission cantonale. X.________ a formé contre cet
arrêt un recours de droit public, instruit séparément (cause 1P.550/2004).

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 130 II 321 consid. 1 p. 324, 388 consid. 1 p. 389 et
les arrêts cités).

1.1 La décision attaquée est une décision incidente, prise dans le cadre
d'une procédure juridictionnelle administrative. Comme il s'agit d'une
décision sur une demande de récusation, contre laquelle il n'y a plus de voie
de recours cantonale (cf. art. 99 al. 4 LOJ), elle peut faire l'objet
directement d'un recours de droit public nonobstant son caractère incident,
conformément à la règle de l'art. 87 al. 1 OJ (cf. ATF 126 I 207 consid. 1b
p. 209).

1.2 La qualité pour agir par la voie du recours de droit public est définie à
l'art. 88 OJ. Ce recours est ouvert uniquement à celui qui est atteint par
l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés.
D'après la jurisprudence, celui qui est partie à une procédure administrative
peut en principe se plaindre, par ce moyen, d'une inobservation des règles
sur la compétence ou la composition de l'autorité, ou encore d'une violation
des droits formels que lui reconnaît la législation cantonale ou qui sont
garantis directement par la Constitution, lorsque cela équivaut à un déni de
justice formel (ATF 129 II 297 consid. 2.3 p. 301; 126 I 81 consid. 3b p. 86
et les arrêts cités). Le recourant satisfait donc, en l'espèce, aux exigences
de l'art. 88 OJ.

1.3 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, pour que le recours de droit
public soit recevable, il faut que l'acte de recours contienne un exposé des
faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des
principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Il
résulte en particulier de cette obligation de motiver que le Tribunal fédéral
ne se prononce que sur les griefs soulevés de manière claire et explicite, et
qu'il n'examine donc pas d'office en quoi le prononcé attaqué pourrait être
contraire aux droits constitutionnels de la personne lésée (cf. ATF 129 I 185
consid. 1.6 p. 189; 126 III 534 consid 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76).
En l'occurrence, sous le titre "La récusation", le recourant présente divers
arguments et commentaires au sujet de la "position" du Juge Thélin et
d'éléments qui, d'après lui, seraient décisifs pour le sort de son recours
cantonal. Il ne se réfère expressément à aucune garantie du droit
constitutionnel ni à aucune règle du droit cantonal de procédure en matière
de récusation. Ses critiques ne sont pas énoncées clairement et elles
concernent aussi bien le résultat de l'administration des preuves sur le fond
- question traitée par le Tribunal administratif dans son arrêt final et non
pas dans la procédure de récusation - que la personne du juge délégué. Dans
ces conditions, la motivation du recours étant à cet égard manifestement
insuffisante, les griefs relatifs à l'application des règles sur la
récusation sont irrecevables.
On peut également s'interroger sur la recevabilité, de ce point de vue, des
griefs de violation du droit d'être entendu et d'arbitraire, s'agissant de la
possibilité de répliquer. Cette question peut cependant rester indécise car,
comme cela sera exposé ci-dessous, ces griefs doivent de toute manière être
rejetés.

2.
En invoquant le droit d'être entendu, le recourant se plaint de ce que le
Tribunal administratif lui aurait laissé, en pratique, moins de deux jours
ouvrables pour déposer sa réplique, après la communication des observations
du magistrat visé par sa demande de récusation ainsi que de celles du
Procureur général. Il se plaint encore d'un refus arbitraire d'une
prolongation du délai de réplique.

2.1 Selon l'art. 99 al. 1 LOJ, la juridiction compétente pour statuer sur la
demande de récusation décide après avoir pris connaissance des observations
du Ministère public et du juge visé; il ne peut être fait aucun autre acte de
procédure. Cette disposition paraît ainsi exclure la fixation d'un délai de
réplique mais, lorsque la garantie constitutionnelle du droit d'être entendu
exige pareil acte d'instruction, elle ne doit pas y faire obstacle.
Selon la jurisprudence, il découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2
Cst.) que, dans une procédure juridictionnelle, l'autorité a l'obligation de
communiquer au recourant les écritures de l'intimé, et le cas échéant de lui
permettre de répliquer, quand ces déterminations contiennent des éléments
nouveaux et importants au sujet desquels le recourant n'a pas pu prendre
position préalablement (ATF 114 Ia 84 consid. 3 p. 87, 307 consid. 4b p. 314;
101 Ia 298 consid. 4a p. 304). Dans le cas particulier, les observations du
Procureur général ne contenaient aucun élément nouveau. Quant à celles du
Juge Thélin, assez brèves, elles reprenaient pour l'essentiel, en s'y
référant, le contenu de la lettre adressée le 29 juillet précédent par ce
magistrat au recourant; on n'y voit donc guère d'éléments nouveaux. Quoi
qu'il en soit, le Tribunal administratif a communiqué ces déterminations et a
fixé un délai de réplique. Les griefs du recourant ne portent en définitive
que sur la durée de ce délai.

2.2 L'ordonnance fixant le délai de réplique a été rendue le vendredi 13 août
2004. Un auxiliaire du recourant en a pris connaissance le jour même. Ce
délai parvenait à échéance le mercredi 18 août 2004. Par son auxiliaire, le
recourant en a demandé d'emblée la prolongation. Cette requête a été rejetée
le 17 août 2004; tel est en effet le sens de la lettre du Tribunal
administratif informant les parties que la cause était gardée à juger en
l'état du dossier. Le recourant ne prétend pas qu'il avait un droit à une
prolongation du délai. En droit cantonal genevois, un délai fixé par le juge
ne peut être prolongé que pour des motifs fondés (art. 16 al. 2 LPA). En
critiquant la brièveté du délai de réplique, le recourant n'allègue aucun
motif fondé susceptible de justifier une prolongation. Si, d'après son
secrétariat, il était en déplacement à l'étranger le vendredi 13 août 2004,
il ne prétend pas qu'il était encore absent de son étude entre le 16 et le 18
août 2004. Comme la procédure incidente de récusation doit être liquidée
rapidement et qu'on ne voit pas sur quel point le recourant aurait pu encore
s'exprimer - il n'indique du reste pas, dans son recours de droit public,
quel aurait été l'objet de son argumentation en réplique -, la fixation d'un
bref délai et le refus de le prolonger n'étaient pas, en l'espèce,
arbitraires ni contraires aux garanties déduites du droit d'être entendu. Les
griefs du recourant sont donc mal fondés.

3.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure
où il est recevable.
Le recourant, qui succombe, doit payer l'émolument judiciaire (art. 153, 153a
et 156 al. 1 OJ). Les autorités cantonales n'ont pas droit à des dépens (art.
159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, au Tribunal
administratif de la République et canton de Genève (en deux exemplaires, dont
l'un à l'intention du Juge Thélin) et, pour information, au Département
cantonal de l'aménagement, de l'équipement et du logement ainsi qu'au
mandataire de Y.________, Me Pierre Martin-Achard, avocat à Genève.

Lausanne, le 18 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: