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Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.546/2004
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1P.546/2004/svc

Séance du 25 mai 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Nay, Aeschlimann, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.

Alain Bregnard, recourant,

contre

Chancellerie d'Etat de la République
et canton du Jura, rue de l'Hôpital 2, 2800 Delémont,
Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal
de la République et canton du Jura, Le Château,
2900 Porrentruy.

remboursement des frais d'impression de bulletins officiels,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour constitutionnelle du
Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 27 août 2004.

Faits:

A.
Alain Bregnard s'est présenté comme candidat unique de la liste "Sans parti
Ajoie et Clos-du-Doubs" dans le district de Porrentruy, lors de l'élection du
Parlement cantonal jurassien en automne 2002. Il a obtenu 2'099 suffrages, ce
qui correspond à 0,95 % des suffrages exprimés. Alain Bregnard s'est
également présenté, sous la liste "Indépendant-e-s et sans parti du Jura", à
l'élection des députés au Conseil des Etats, qui s'est déroulée en automne
2003. Il a obtenu 1'047 suffrages, soit 2,3% des suffrages exprimés.
La Chancellerie d'Etat de la République et canton du Jura (ci-après: la
Chancellerie d'Etat) est intervenue à plusieurs reprises sans succès auprès
d'Alain Bregnard pour lui réclamer le remboursement des frais d'impression
des bulletins officiels découlant de sa candidature aux élections précitées
en invoquant l'art. 14 al. 3bis de la loi jurassienne sur les droits
politiques (LDP jur.), qui prévoit une prise en charge de ces frais par les
candidats non élus lorsque la liste sur laquelle ces derniers se sont
présentés n'a pas obtenu 5% des suffrages exprimés.
Par décision sur opposition du 19 mars 2004, elle a mis à la charge d'Alain
Bregnard les frais d'impression de la liste "Sans parti Ajoie et
Clos-du-Doubs" lors de l'élection du Parlement cantonal en automne 2002, par
1'240.70 fr., ainsi que les frais d'impression se rapportant à sa
participation à l'élection du Conseil des Etats en automne 2003, par 1'140.55
fr. Alain Bregnard a recouru le 19 avril 2004 contre cette décision auprès de
la Chambre administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du
Jura. Il contestait la validité de l'art. 14 al. 3bis LDP jur. en se fondant
sur un arrêt rendu le 1er avril 1998 par le Tribunal fédéral et publié aux
ATF 124 I 55 au terme duquel cette juridiction a fixé à environ 1% des
suffrages exprimés le seuil à partir duquel le remboursement des frais
d'impression des listes pour les élections au Parlement cantonal fribourgeois
pouvait être exigé.
Le Président de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal de la
République et canton du Jura (ci-après: la Cour constitutionnelle) a invité
les parties à se déterminer sur la compétence éventuelle de la cour,
s'agissant d'une question relevant des droits politiques. Par arrêt du 27
août 2004, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours d'Alain Bregnard et
statué sans frais ni dépens. Elle a estimé qu'en l'absence d'un quorum direct
ou indirect en droit jurassien, le seuil de 5% des suffrages exprimés pour la
prise en charge définitive par la collectivité publique des frais
d'impression et de distribution des listes était trop élevé, mais qu'une
limite quelque peu supérieure à celle de 1% fixée par le Tribunal fédéral,
arrêtée à 3%, était adéquate.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation des droits
politiques, Alain Bregnard demande au Tribunal fédéral de casser cet arrêt,
d'ordonner à la Cour constitutionnelle de rendre une décision conforme à la
jurisprudence fédérale en disant que l'impression des bulletins de la liste
"Sans parti Ajoie et Clos-du-Doubs" et de la liste "Indépendant-e-s sans
parti du Jura" ne saurait être mise à sa charge, de rétablir une égalité de
traitement vis-à-vis des autres formations politiques et de lui allouer une
indemnité pour le tort moral et l'atteinte à l'image subis.
La Cour constitutionnelle et le Gouvernement de la République et canton du
Jura concluent au rejet du recours.

C.
Par une ordonnance du 22 octobre 2004, le Juge présidant la Ire Cour de droit
public a admis la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
dont il est saisi (ATF 130 II 321 consid. 1 p. 324, 388 consid. 1 p. 389 et
la jurisprudence citée).

1.1 En vertu de l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours
de droit public concernant le droit de vote des citoyens et de ceux qui ont
trait aux élections et aux votations cantonales, quelles que soient les
dispositions de la constitution cantonale et du droit fédéral régissant la
matière. Le recours de droit public pour violation du droit de vote permet de
se plaindre de la violation de toutes les prescriptions qui sont en relation
avec les droits politiques, telles celles concernant le remboursement des
frais d'impression et de distribution des listes électorales. Le recourant
est atteint dans sa situation juridique et son action politique par l'arrêt
attaqué, qui le contraint à rembourser les frais d'impression des listes sur
lesquelles il s'est présenté aux élections au Parlement cantonal et au
Conseil des Etats intervenues en automne 2002, respectivement en automne
2003; il a, partant, qualité pour recourir par la voie du recours de droit
public fondé sur l'art. 85 let. a OJ en invoquant une violation de son droit
à l'égalité des chances et à l'égalité de traitement entre partis politiques
(cf. ATF 124 I 55 consid. 2b p. 58).

1.2 Les exigences de motivation posées à l'art. 90 al. 1 let. b OJ
s'appliquent aussi en matière de recours pour violation du droit de vote (ATF
129 I 185 consid. 1.6 p. 189 et les arrêts cités). En l'occurrence, Alain
Bregnard tient pour contraire à la garantie de l'égalité des chances en
matière de droits politiques l'obligation qui lui est faite de rembourser les
frais d'impression des listes électorales sur lesquelles il s'est présenté
lors des élections au Conseil des Etats et au Parlement cantonal tenues en
automne 2002, respectivement en automne 2003. La contestation a donc un
double objet. Il convient d'examiner si les exigences de motivation de l'art.
90 al. 1 let. b OJ sont satisfaites pour chacune des élections en cause.
Le recourant se réfère à un arrêt publié aux ATF 124 I 55 en relation avec le
grief tiré de la violation de l'égalité de traitement. Dans cette affaire,
qui concernait le remboursement des frais d'impression et de distribution des
listes pour l'élection des députés au Grand Conseil du canton de Fribourg, le
Tribunal fédéral a considéré qu'un seuil d'un ordre de grandeur d'environ 1%
du total des suffrages exprimés, en-deçà duquel le remboursement pouvait être
exigé des candidats, était approprié au regard des garanties du droit
constitutionnel fédéral (ATF 124 I 55 précité, consid. 6b p. 71). En
l'espèce, le recourant invoque précisément cette limite de 1%, qui devrait,
selon lui, être respectée pour que l'égalité des chances ne soit pas
compromise. S'agissant de l'élection au Conseil des Etats, où sa liste a
recueilli 2,3% des suffrages exprimés, on voit clairement en quoi consiste le
grief de violation des droits politiques. De ce point de vue, le recours de
droit public répond aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Cette
condition n'est en revanche pas respectée, en ce qui concerne l'autre objet
de la contestation. En effet, la liste sur laquelle Alain Bregnard s'est
présenté lors des élections au Parlement cantonal n'a pas atteint le seuil de
1% des suffrages exprimés dans la circonscription électorale. Le recourant,
qui accorde dans son argumentation une portée décisive à cette limite, ne
démontre pas en quoi l'obligation de rembourser les frais d'impression,
lorsque ce seuil n'est pas atteint, violerait le principe d'égalité ou, plus
généralement, les garanties en matière de droits politiques. Il ne cherche en
particulier pas à établir en quoi la situation de fait et de droit qui
prévaut dans le canton du Jura pour les élections parlementaires étaient à ce
point différentes de celles qui existaient dans l'arrêt précité pour
justifier un traitement différencié en sa faveur (cf. ATF 129 I 381 consid.
4.5 p. 392). Le recours ne satisfait donc pas sur ce point aux exigences de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ et doit être déclaré irrecevable en tant qu'il
porte sur le remboursement des frais d'impression des listes pour les
élections au Parlement cantonal jurassien intervenues en automne 2002. Cette
question ne doit donc être examinée qu'en relation avec l'élection des
députés au Conseil des Etats intervenue en automne 2003.

1.3 Le recours pour violation des droits politiques n'a en principe, comme
les autres recours de droit public, qu'une nature cassatoire (ATF 129 I 185
consid. 1.5 p. 189; 119 Ia 167 consid. 1f p. 173; 118 Ia 184 consid. 1d p.
188). Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation partielle ou totale de
l'arrêt attaqué sont donc irrecevables. Il en va ainsi de la demande en
indemnité pour le tort moral et l'atteinte à l'image subis.

2.
Saisi d'un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal
fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit
constitutionnel, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui règlent le
contenu et l'étendue du droit de vote ou qui sont en relation étroite avec
celui-ci (ATF 129 I 185 consid. 2 p. 190); il n'examine en revanche que sous
l'angle de l'arbitraire l'interprétation d'autres règles du droit cantonal
(ATF 123 I 175 consid. 2d/aa p. 178; 121 I 1 consid. 2 p. 3, 357 consid. 3 p.
360 et les arrêts cités). En présence de deux interprétations également
défendables, il s'en tient à celle retenue par la plus haute autorité
cantonale (ATF 121 I 334 consid. 2c p. 339; sur l'évolution du pouvoir
d'examen du Tribunal fédéral, voir ATF 111 Ia 201).

3.
Le recourant fait valoir une violation du principe d'égalité ancré à l'art. 8
al. 1 Cst. qu'il s'agit d'examiner dans le cadre de la garantie des droits
politiques.

3.1 L'art. 34 al. 1 Cst. garantit de manière générale et abstraite les droits
politiques, que ce soit sur le plan fédéral, cantonal ou communal. Selon
l'art. 34 al. 2 Cst., qui codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral
établie sous l'empire de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (arrêt
1P.298/2000 du 31 août 2000 consid. 3a publié in ZBl 102/2001 p. 188; ATF 124
I 55 consid. 2a p. 58; 121 I 138 consid. 3 p. 141, 187 consid. 3a p. 190),
cette garantie protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des
citoyennes et l'expression fidèle et sûre de leur volonté. Le Tribunal
fédéral a déduit de cette garantie le droit pour chaque citoyen de participer
à une élection, comme électeur ou candidat, avec les mêmes chances de succès,
pour autant qu'il remplisse les exigences requises. De même, les partis
doivent être en mesure de participer aux élections à des conditions
similaires. De ce point de vue, le principe d'égalité et l'interdiction de
toute discrimination sont une composante importante de la liberté de vote et
d'élection (ATF 125 I 441 consid. 2a p. 443 et les références citées). Les
élections ne doivent pas se résumer à une confirmation des forces politiques
en présence; les électeurs doivent au contraire pouvoir se former une opinion
sur la base la plus libre et la plus complète possible (ATF 129 I 185 consid.
5 p. 192; 125 I 441 consid. 2a p. 444). Le droit à la libre formation de
l'opinion en matière d'élections exclut en principe toute influence directe
des autorités qui serait de nature à fausser la formation de la volonté des
citoyens. Les autorités doivent se comporter de façon politiquement neutre et
il ne faut pas que l'on puisse les identifier à certains groupements ou à
certaines tendances. Les interventions indirectes de la collectivité sous la
forme de mesures de soutien ou d'aide sont cependant admises dans la campagne
électorale. Ces mesures sont, jusqu'à un certain point, indispensables au bon
déroulement des élections. Pour être compatibles avec l'art. 34 al. 2 Cst.,
elles ne doivent toutefois pas avoir d'effets sur la formation et
l'expression de la volonté des électeurs et ne pas favoriser un candidat ou
un groupement politique particulier (ATF 124 I 55 consid. 2a p. 58 et les
références citées).

3.2 Selon l'art. 81 de la Constitution jurassienne, l'Etat reconnaît le rôle
des partis politiques et favorise leur activité. Le mandat impératif contenu
dans cette disposition doit être concrétisé dans la loi; il implique une
prestation positive de l'Etat ou des communes (Jean Moritz, Commentaire de la
Constitution jurassienne, vol. II, Courrendlin 2002, ch. 3 ad art. 81, p.
421). Dans le canton du Jura, l'aide des pouvoirs publics aux partis prend
notamment la forme d'une prise en charge des frais d'impression et de
distribution des listes pour les élections cantonales ou communales (art. 14
al. 3 LDP jur.). Cette prise en charge, lors d'élections au système
proportionnel, est limitée aux listes ayant obtenu 5% des suffrages exprimés
ou un élu dans leur circonscription. En revanche, les frais d'impression et
de distribution des bulletins n'ayant pas obtenu ce résultat doivent être
acquittés par les candidats figurant sur la liste, solidairement entre eux,
ou par la personne morale ayant présenté la liste (art. 14 al. 3bis LDP
jur.).
3.3 La prise en charge des frais d'impression des listes électorales est une
forme de soutien aux partis politiques qui doit être accordé en principe
pareillement à tous les partis afin d'éviter que l'Etat n'agisse, par une
telle mesure, sur la concurrence entre les partis. Les élections doivent
déterminer l'importance future respective des groupements en présence sans
que les forces politiques existantes ne soient avantagées. Tous les partis
doivent donc pouvoir se présenter à égalité de chances devant le corps
électoral et on ne saurait admettre une intervention des autorités qui
favoriserait les partis majoritaires au détriment des autres formations
politiques (ATF 124 I 55 consid. 5a p. 62/63; Yvo Hangartner/Andreas Kley,
Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen
Eidgenossenschaft, Zurich 2000, n. 2623, p. 1050).
D'un point de vue purement formel, un système qui autorise le remboursement
des frais d'impression des listes électorales aux partis qui obtiennent un
certain résultat électoral alors qu'il le refuse aux autres implique un
traitement discriminatoire des candidats et des partis qui remplissent toutes
les conditions constitutionnelles et légales pour participer à une élection.
L'égalité dans la loi et l'égalité des chances n'excluent toutefois pas qu'un
traitement différencié des partis puisse exceptionnellement se justifier en
ce qui concerne l'octroi de contributions aux frais électoraux. La
collectivité ne saurait en effet être tenue de soutenir financièrement tous
les partis, indépendamment de leur importance sur la scène politique. Un
soutien étatique inconditionnel pourrait en effet encourager la
multiplication de très petits partis ainsi que leur participation aux
élections, avec la conséquence - préjudiciable au fonctionnement démocratique
- que nombre de suffrages exprimés ne seraient pas pris en considération. Il
existe ainsi un intérêt public à soutenir d'abord les partis qui rencontrent
un certain écho dans le corps électoral, c'est-à-dire qui disposent d'une
base minimale quant au nombre d'adhérents et au champ de leurs
préoccupations, afin que ces partis puissent garantir une certaine durée et
continuité dans leur activité politique (ATF 124 I 55 consid. 5c/cc p. 65;
arrêt 1P.120/1996 du 12 septembre 1996 consid. 4 publié in ZBl 98/1997 p.
359).
Le succès électoral constitue un critère objectif pour mesurer l'importance
et la représentativité d'un parti politique ou d'un mouvement électoral au
sein de la population. Aussi, l'imposition d'un quorum pour le remboursement
des frais d'impression des listes n'est pas nécessairement incompatible avec
le principe d'égalité des chances (Message du Conseil fédéral à l'appui de la
révision partielle de la loi fédérale sur les droits politiques, FF 1993 III
483 ch. 32 p. 507). S'il dispose à cet égard d'une certaine marge
d'appréciation, le législateur cantonal n'est cependant pas totalement libre.
La compatibilité d'une telle mesure avec le principe d'égalité des chances
doit s'apprécier au regard des circonstances particulières dans lesquelles le
soutien aux candidats ou aux partis est refusé. Parmi les critères qui
entrent en ligne de compte, le Tribunal fédéral mentionne notamment le
caractère ouvert et pluraliste du système politique, les exigences requises
pour participer à une élection, la taille du cercle ou de l'arrondissement
électoral dans lequel le nombre minimum de suffrages est requis et
l'éventuelle combinaison des limitations du remboursement des frais
d'impression des listes avec les règles sur le quorum, qui imposerait un
seuil bas (ATF 124 I 55 consid. 5b p. 64 et consid. 6b p. 70/71).

3.4 On distingue plusieurs types de quorum. Ainsi, le quorum direct exclut de
la répartition des mandats toutes les listes qui n'ont pas atteint un certain
pourcentage, fixé dans la constitution ou par la loi, des voix valablement
exprimées dans la circonscription électorale (ATF 129 I 185 consid. 7.1.1 p.
197). Le quorum indirect fait dépendre la participation des listes à la
répartition des mandats restants de l'atteinte du quotient électoral, lequel
correspond au nombre des suffrages exprimés divisé par le nombre de sièges à
pourvoir dans la circonscription, augmenté d'un. Il exclut ainsi de la
répartition des mandats restants une liste qui ne recueille pas de siège lors
de la première répartition (ATF 129 I 185 consid. 7.1.2 p. 198). Le quorum
naturel correspond au pourcentage de voix qu'une liste doit recueillir pour
obtenir un mandat lors de la première répartition (100 divisé par le nombre
de sièges à attribuer augmenté d'un). Il varie selon la taille des
circonscriptions électorales et du nombre de sièges à pourvoir; ainsi, plus
le nombre de mandats à attribuer est restreint, plus une liste doit
recueillir de voix afin d'obtenir au moins un siège lors de la première
répartition (ATF 131 I 74 consid. 3.3 p. 80; 129 I 185 consid. 7.1.2 p. 198
et les références citées).

3.5 Le canton du Jura a droit à deux représentants au Conseil des Etats, élus
pour une durée de quatre ans selon le système de la représentation
proportionnelle (art. 71 et 73 LDP jur.). L'élection a lieu dans le canton,
qui constitue une seule circonscription (art. 72 LDP jur.). Les sièges sont
répartis entre les listes suivant les règles fixées à l'art. 40 LDP jur.
Selon cette disposition, le nombre total des suffrages de toutes les listes
est divisé par le nombre des sièges du district, augmenté d'un; le résultat
porté au nombre entier immédiatement supérieur est le quotient électoral
(let. a); chaque liste obtient autant de sièges que le nombre de ses
suffrages contient de fois le quotient électoral (let. b); si tous les sièges
ne sont pas répartis, le nombre de suffrages de chaque liste est divisé par
le nombre de sièges qu'elle a déjà obtenus, augmenté d'un (let. c). Un siège
est attribué à la liste qui a le plus fort quotient. L'opération se répète
jusqu'à ce que tous les sièges soient répartis. En cas d'égalité de quotient
pour le dernier siège, le sort décide.
Les élections des représentants jurassiens au Conseil des Etats se
caractérisent ainsi par l'absence de quorum direct ou indirect. La
répartition des sièges se fait selon la méthode dite de "Hagenbach-Bischoff"
: dans un premier temps, les sièges sont attribués à l'aide d'un quotient
électoral obtenu en divisant le nombre total des suffrages de liste par le
nombre de sièges à pourvoir plus un; les sièges restants sont ensuite
attribués aux listes qui présentent le plus fort quotient lorsque l'on divise
le nombre de leurs suffrages par le nombre de sièges qu'elles ont déjà
obtenus plus un (cf. ATF 109 Ia 203 consid. 4c p. 205). Le quotient électoral
tient lieu de quorum naturel. Aussi, pour obtenir de plein droit l'un des
deux sièges au Conseil des Etats dévolus au canton du Jura, lors de la
première répartition, un parti ou un candidat indépendant doit impérativement
recueillir 33,33% des voix valablement exprimées (cf. Moritz, op. cit., ch.
59 ad art. 74 Cst. jur., p. 240).

3.6 Dans l'arrêt paru aux ATF 124 I 55 (consid. 7), qui concernait les
élections parlementaires fribourgeoises selon le système de la représentation
proportionnelle, le Tribunal fédéral a jugé que le fait de limiter le
remboursement des frais d'impression des listes électorales aux seuls partis
ayant obtenu au moins 7,5 % des suffrages de liste par circonscription -
limite tenant lieu de quorum direct - violait la garantie constitutionnelle
des droits politiques. Il s'est alors référé au nombre de voix recueillies
par le Parti évangélique populaire, qu'il a mis en relation avec le total des
suffrages valablement exprimés, pour apprécier la représentativité de ce
parti dans les circonscriptions où il avait déposé une liste. Il a estimé à
environ 1% des voix exprimées le pourcentage minimum nécessaire pour admettre
qu'un parti disposait d'une résonance suffisante auprès de la population
concernée et pour exclure une prise en charge des frais d'impression de ses
listes électorales. Il a dès lors admis que le Parti évangélique populaire
avait droit à une contribution étatique aux frais d'impression de ses listes
pour le district dans lequel il avait recueilli plus de 1% des voix.
Dans le cas présent, l'élection des députés jurassiens au Conseil des Etats
se singularise par le quorum naturel particulièrement élevé requis pour
qu'une liste obtienne l'un des deux sièges à pourvoir lors de la première
répartition. Or, la représentativité d'un parti qui recueille quelque 1% des
suffrages exprimés lors d'une élection donnée n'est pas la même selon que le
quorum, direct ou naturel, est fixé à 7,5% ou, au contraire, à 33,33% des
suffrages exprimés. Si elle peut être admise dans le premier cas, il n'en va
pas de même dans le second. La résonance d'un parti au sein du corps
électoral ne saurait s'apprécier uniquement d'après le nombre de voix
recueillies par une liste; il convient également de tenir compte du nombre de
voix à atteindre pour espérer obtenir un mandat lors de la première
répartition. Dans l'arrêt publié aux ATF 124 I 55, le seuil de l'ordre de 1%
des suffrages valablement exprimés pour la prise en charge des frais
d'impression des bulletins officiels était fixé pour l'élection d'un
parlement cantonal, où le quorum naturel ou direct ne peut en règle générale
être supérieur à 10% (cf. ATF 131 I 74 consid. 5.3 et 5.4 p. 83 et les arrêts
cités). Cet arrêt prend en considération le quorum pour les élections
parlementaires à la proportionnelle – qui était de 7,5% dans le canton de
Fribourg - nettement plus bas que celui à atteindre dans le cas actuel. En
même temps, il fait ressortir que la compatibilité du seuil à franchir pour
le remboursement des frais d'impression des listes électorales par l'Etat
doit s'apprécier au regard des circonstances particulières et énumère non
exhaustivement les critères qui entrent en ligne de compte (cf. infra,
consid. 3.3 in fine). Partant, pour apprécier correctement la
représentativité d'un parti ou d'une candidature indépendante lors des
élections des députés jurassiens au Conseil des Etats, il convient de tenir
compte, en sus du nombre de voix effectivement recueillies, de l'écart qui
sépare ce chiffre du nombre de suffrages qu'une liste devrait atteindre pour
obtenir de plein droit un siège lors de la première répartition (quorum
naturel ou direct) ou, en l'absence d'un quorum indirect, pour avoir une
réelle chance de succès lors de la deuxième répartition.

3.7 En l'espèce, la liste sur laquelle Alain Bregnard s'est présenté lors des
élections au Conseil des Etats en automne 2003 a obtenu 1'047 voix sur un
total de 44'831 suffrages valablement exprimés dans le canton, soit en
proportion 2,3%. Compte tenu du quotient électoral de 33,33%, il devait
récolter quelque quatorze fois plus de voix s'il entendait se voir attribuer
l'un des deux sièges à pourvoir lors de la première répartition. Par
ailleurs, le nombre de voix recueillies ne lui permettait pas plus de briguer
le ou les mandats restants lors de la seconde répartition. Le résultat obtenu
était donc par trop éloigné d'un éventuel succès électoral pour admettre que
les idées défendues par Alain Bregnard avaient recueilli un écho suffisant au
sein de la population, lors des élections en cause, et qu'il ne s'agissait
pas d'une candidature marginale sans réelle chance de succès. Le recourant ne
démontre d'aucune manière le contraire. Il était donc conforme aux principes
dégagés par la jurisprudence de ne pas tenir la liste sur laquelle il s'était
présenté pour représentative et de lui imposer le remboursement des frais
d'impression de sa liste. Le seuil de 3% des suffrages exprimés fixé par la
Cour constitutionnelle pour qu'un parti échappe à l'obligation de rembourser
les frais d'impression de ses listes lors des élections au Conseil des Etats
n'est en tout cas pas contraire à la garantie des droits politiques exprimée
à l'art. 34 Cst.

3.8 Vu ce qui précède, et compte tenu du pouvoir d'appréciation laissé aux
cantons dans ce domaine, la solution retenue ne saurait être considérée comme
discriminatoire, s'agissant à tout le moins des élections des députés
jurassiens au Conseil des Etats. La Chancellerie d'Etat n'a donc pas violé
les droits constitutionnels du recourant en exigeant qu'il rembourse les
frais d'impression des bulletins officiels concernant cette élection, par
1'140.55 fr.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Suivant la pratique qui prévaut en matière de recours de droit
public pour violation des droits politiques, il n'y a pas lieu de percevoir
un émolument judiciaire auprès du recourant qui succombe (arrêt 1P.2/1993 du
7 avril 1993 consid. 2b publié in ZBl 95/1994 p. 79). La République et canton
du Jura n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, à la Chancellerie
d'Etat et à la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal de la République
et canton du Jura.

Lausanne, le 25 mai 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: