Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.44/2004
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1P.44/2004 /col

Arrêt du 12 octobre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Jomini.

Société anonyme Y.________,
recourante, représentée par Me Bruno Mégevand, avocat,

contre

Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, Chancellerie d'Etat, rue
de l'Hôtel-de-Ville 2,
case postale 3964, 1211 Genève 3,
Ville de Genève, 1204 Genève, partie intéressée.
Tribunal administratif de la République et canton
de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1

plan de site,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève du 2 décembre 2003.

Faits:

A.
Le 5 mars 2003, le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève a
approuvé le plan de site n° 29184A "Roseraie/Beau-Séjour" et son règlement
(règlement du plan de site, ci-après: RPS). Ce plan, élaboré en application
des art. 38 ss de la loi cantonale genevoise du 4 juin 1976 sur la protection
des monuments, de la nature et des sites (LPMNS), a pour but général de
"protéger les quartiers de la Roseraie et de Beau-Séjour [en ville de Genève]
et de permettre leur transformation en respectant l'échelle et le caractère
des constructions d'origine ainsi que le site environnant" (art. 1 RPS). Le
périmètre général du plan de site comprend six sous-périmètres soumis à des
réglementations partiellement différentes. Il s'agit d'un secteur urbain qui
s'étend depuis la rive nord de l'Arve, entre le complexe des hôpitaux
universitaires de Genève, à l'ouest, et l'avenue de Champel, à l'est, sur une
profondeur d'environ 750 m.

B.
La Société anonyme Y.________ S.A. est propriétaire de la parcelle n° 1808 du
registre foncier de Genève-Plainpalais (à l'avenue de Beau-Séjour 8), qui est
comprise dans le périmètre général du plan de site. Cette parcelle a une
surface totale de 2'473 m2. Il s'y trouve un bâtiment d'habitation construit
en 1837 (bâtiment G144), qui est utilisé pour les besoins de l'exploitation
de la clinique La Colline, directement voisine au nord. Le bâtiment occupe la
moitié est de la parcelle, en bordure de l'avenue; l'autre moitié, en pente
en direction de l'ouest, est un jardin avec un cordon boisé en limite de
propriété. A l'ouest et au nord, les limites de la parcelle correspondent à
celles du périmètre du plan de site.
Selon le plan général d'affectation (plan des zones) du canton de Genève, la
parcelle n° 1808 est incluse dans la 4e zone à bâtir, qui est destinée
principalement aux maisons d'habitation, comportant en principe plusieurs
logements, les activités non susceptibles de provoquer des nuisances ou des
inconvénients graves pouvant également y être autorisées (d'après la
définition de l'affectation de la zone à l'art. 19 al. 2 de la loi cantonale
genevoise du 4 juin 1987 d'application de la loi fédérale sur l'aménagement
du territoire [LaLAT]). Elle est en outre classée dans une zone de
développement 3, ce qui signifie que moyennant l'adoption par le Conseil
d'Etat d'un plan localisé de quartier, le régime de la 3e zone urbaine -
destinée aux grandes maisons affectées à l'habitation, au commerce et autres
activités du secteur tertiaire - pourrait y être appliqué (cf. art. 12 al. 4,
13 al. 1 let. a et 19 al. 1 LaLAT).
Ce bien-fonds est inclus dans le sous-périmètre 2 du plan de site, qui
prévoit les prescriptions particulières suivantes:
- Le bâtiment G144 est rangé dans la catégorie des "bâtiments qui sont
maintenus en raison de leur qualité architecturale ou historique et de leur
appartenance à un ensemble digne d'intérêt" ("bâtiments maintenus", art. 4
ch. 1 RPS); il ne peut donc faire l'objet que de travaux d'entretien et de
transformations nécessaires à une adaptation des locaux, à un changement
d'affectation ou à une amélioration du confort, moyennant la sauvegarde des
structures porteuses et des éléments dignes de protection (art. 4 ch. 2 RPS).
- Les surfaces de terrain non bâties doivent rester libres de constructions
et d'installations diverses, sous réserve de constructions ou d'installations
de peu d'importance et d'agrandissements mineurs de bâtiments existants (art.
8 ch. 2 RPS).
- Les jardins doivent conserver leur caractère d'espace de verdure (surfaces
vertes et dégagements, terrasses et cheminements, arbres isolés, végétation
en limite de parcelle telle que haie ou cordon boisé - art. 10 ch. 1 RPS);
les cordons boisés situés en limite de propriété provenant généralement d'une
régénération naturelle (érables, frênes, tilleuls, ...) sont maintenus (art.
10 ch. 3 RPS). Sur la parcelle n° 1808, le plan figure six arbres, autour du
bâtiment existant, et deux cordons boisés le long des limites sud et ouest
qui, selon la légende, font partie de la "végétation existante maintenue".
Avant son approbation par le Conseil d'Etat, le projet de plan de site avait
fait l'objet d'un préavis favorable du Conseil municipal de la ville de
Genève. Lors de l'enquête publique, la société Y.________ s'y était opposée.
Le Conseil d'Etat a rejeté cette opposition par un arrêté du 5 mars 2003 -
pris le même jour que l'arrêté d'approbation - qui donne les indications
suivantes sur le site et l'objet de la protection:
"Quartiers de la Roseraie et de Beau-Séjour: rappel historique et contexte
évolutif.

C'est à partir des années 1870 que les quartiers de la Roseraie et de
Beau-Séjour ont pris leur configuration actuelle, consécutivement au
lotissement d'un grand domaine dominant l'Arve, dont une maison de maître du
XVIIIe siècle subsiste encore à ce jour et est affectée à l'Hôpital de
Beau-Séjour. Cette configuration est elle-même le résultat d'une vaste
opération d'urbanisation réalisée à l'époque dans le voisinage immédiat de
l'établissement hydrothérapique des bains d'Arve autrefois réputés. Au gré de
la topographie, marquée par la rupture de pente due à une ancienne moraine,
le tissu urbain se déploie en trois endroits distincts:
- la partie haute occupe le plateau de Beau-Séjour;
- la partie centrale se situe au pied de la falaise;
- quant à la partie basse du périmètre, elle habite le quartier de la
Roseraie.

En dépit des différentes implantations, le tissu urbain présente des
caractéristiques voisines: les terrains sont formés de lots de petite
dimension; les maisons d'habitation, en ordre non contigu et de dimension
modeste également, occupent le centre de chaque parcelle, au milieu de
jardins privés, dont la végétation émerge et participe étroitement à la
composition et à la qualité de l'espace public. Pour une large part, le
caractère des quartiers de la Roseraie et de Beau-Séjour traduit la
complémentarité qui existe entre le cadre bâti et la végétation qui
l'accompagne.

D'une architecture simple, mais soignée, les constructions qui y ont été
édifiées avaient été conçues et utilisées à l'origine comme résidence
secondaire, ce qui explique pourquoi celles-ci bénéficiaient d'un confort
relatif. Rapidement et parce qu'elles se trouvaient situées aux portes de la
ville, ces constructions se sont muées en domicile principal et,
progressivement, leurs utilisateurs les ont dotées des installations
sanitaires et de chauffage nécessaires à un habitat permanent.

Les quartiers de villas de la Roseraie et de Beau-Séjour, sous l'effet de
l'évolution des circonstances et des conceptions liées à la protection du
tissu bâti, ont pris la marque d'un ensemble exceptionnel, en particulier sur
le plan historique. Étonnamment, les constructions formant cet ensemble ont
pu se maintenir jusqu'à ce jour sans devoir subir trop d'altérations
majeures, si l'on excepte la démolition de l'établissement des bains d'Arve,
survenue dans les années 1980."

C.
La société Y.________ a recouru auprès du Tribunal administratif cantonal
contre l'arrêté du Conseil d'Etat approuvant le plan de site n° 29184A et son
règlement. Se plaignant des restrictions apportées à son droit de propriété,
elle a fait en substance valoir que l'utilisation de l'instrument du plan de
site selon les art. 38 ss LPMNS n'était pas admissible, sous l'angle de la
légalité, dans un périmètre aussi hétérogène que celui du secteur
"Roseraie/Beau-Séjour". Elle a également mis en doute l'intérêt public de
cette planification ainsi que la proportionnalité des mesures prévues sur sa
parcelle. Elle a demandé l'annulation du plan de site, à tout le moins dans
la mesure où il incluait son bien-fonds et, subsidiairement, la délimitation
sur la parcelle n° 1808 d'une aire d'implantation pour constructions
nouvelles.
Le Tribunal administratif a statué sur le recours par un arrêt rendu le 2
décembre 2003. Il l'a rejeté, en jugeant conformes au droit cantonal et à la
garantie de la propriété les mesures de protection imposées par le plan de
site.

D.
Agissant par la voie du recours de droit public, la société Y.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif. Elle
se plaint d'une violation de la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.)
car le plan de site ne respecterait pas les conditions prévues à l'art. 36
al. 1 à 3 Cst. pour les restrictions des droits fondamentaux.
Invité à répondre au nom du Conseil d'Etat, le Département de l'aménagement,
de l'équipement et du logement (DAEL; ci-après: le département cantonal)
conclut au rejet du recours.

E.
Une délégation du Tribunal fédéral a procédé à une inspection locale.
La recourante, le département cantonal et la Ville de Genève, partie
intéressée (représentée à l'inspection locale) ont ensuite présenté leurs
observations finales. La recourante et le département cantonal ont confirmé
leurs conclusions. La Ville de Genève a présenté des conclusions tendant au
rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La voie du recours de droit public est ouverte contre une décision, prise en
dernière instance cantonale, relative à l'approbation d'un plan réglant le
mode d'utilisation du sol (plan d'affectation au sens de l'art. 14 al. 1
LAT), lorsque l'application de règles d'aménagement du territoire ou d'autres
règles du droit cantonal est en jeu (art. 34 al. 3 LAT). Il en va ainsi en
l'espèce car le plan de site selon les art. 38 ss LPMNS est matériellement un
plan d'affectation, destiné à préciser le régime d'aménagement défini par le
plan des zones (cf. art. 13 al. 1 let. c LaLAT). L'acte de la recourante
satisfait aux conditions de recevabilité des art. 86 ss OJ. Il y a donc lieu
d'entrer en matière.

2.
L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de
protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit
de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst.; pour être compatible avec
cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale,
être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 et
les arrêts cités). La recourante soutient, s'agissant des restrictions
applicables à sa parcelle en vertu du plan de site, qu'aucune de ces trois
conditions n'est remplie.

2.1 La recourante invoque en premier lieu le principe de la légalité, au sens
de l'art. 36 al. 1 Cst.: elle prétend que la loi cantonale sur la protection
des monuments, de la nature et des sites (LPMNS) ne fournirait pas une base
légale claire et nette à un plan de site du type de celui qu'elle conteste.
Selon elle, l'espace compris dans le périmètre général n'est ni un paysage
caractéristique, ni un ensemble bâti, faute d'unité architecturale,
chronologique ou autre entre les différents éléments; il ne répondrait donc
pas à la définition légale du site à protéger (art. 35 LPMNS).

2.1.1 La loi cantonale précitée poursuit, notamment, ces deux buts: conserver
les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités
immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton (art. 1 let. a
LPMNS); préserver l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les
immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles
(art. 1 let. b LPMNS). Dans ce cadre, l'auteur de la loi a choisi de diviser
la matière en "deux grandes parties": la conservation des monuments et des
antiquités, d'une part, et la protection de la nature et des sites, d'autre
part (cf. Exposé des motifs relatif au projet de LPMNS, Mémorial des séances
du Grand Conseil [ci-après: Mémorial] 1974 p. 3245).
Le chapitre II de la loi est consacré aux monuments et antiquités (art. 4 à
25 LPMNS). Il énonce en premier lieu le principe de la "protection générale"
de monuments, d'antiquités, d'immeubles et de sites dignes d'intérêt (art. 4
LPMNS). Il prévoit en outre des instruments pour la protection concrète de
certains objets, à savoir l'inscription à un inventaire cantonal (art. 7 ss
LPMNS) et le classement par un arrêté du Conseil d'Etat (art. 10 ss LPMNS).
Le chapitre V est, selon son titre, consacré à la nature et aux sites (art.
35 à 41 LPMNS). La section 1 de ce chapitre traite de la "protection
générale" (art. 35 ss LPMNS), tandis que la section 2 contient la
réglementation du "plan de site" (art. 38 ss LPMNS). L'art. 35 LPMNS définit
dans les termes suivants l'objet de la protection générale:
1 Sont protégés conformément à la présente loi les sites et paysages, espèces
végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique,
historique, esthétique ou éducatif.

2 Constituent notamment des sites, au sens de l'alinéa premier:
a) des paysages caractéristiques, tels que rives, coteaux, points de vue;
b) les ensembles bâtis qui méritent d'être protégés pour eux-mêmes ou en
raison de leur situation privilégiée.

3 Les dispositions de la loi sur les constructions et les installations
diverses, du 14 avril 1988, relatives aux zones protégées, sont réservées.
Quant à l'art. 38 LPMNS, il définit ainsi la notion et le contenu du plan de
site:
1 Le Conseil d'Etat peut édicter les dispositions nécessaires à l'aménagement
ou à la conservation d'un site protégé par l'approbation d'un plan de site
assorti, le cas échéant, d'un règlement.

2 Ces plans et règlements déterminent notamment:
a) les mesures propres à assurer la sauvegarde ou l'amélioration des lieux,
telles que: maintien des bâtiments existants, alignement aux abords de
lisières de bois et forêts ou de cours d'eau, angles de vue, arborisation;
b) les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations
de toute nature (implantation, gabarit, volume, aspect, destination);
c) les cheminements ouverts au public ainsi que les voies d'accès à un site
ou à un point de vue;
d) les réserves naturelles.

3 A défaut d'autres règles fixées dans le plan de site ou son règlement,
l'article 90, alinéa 1, de la loi sur les constructions et les installations
diverses est applicable par analogie aux travaux exécutés dans les immeubles
déclarés maintenus, sous réserve des cas d'intérêt public.

4 Les immeubles maintenus au sens de l'alinéa 2, lettre a, ne peuvent, sans
l'autorisation du Conseil d'Etat, être démolis, transformés ou faire l'objet
de réparations importantes.
Il résulte de ces dispositions que le périmètre d'un plan de site selon les
art. 38 ss LPMNS doit englober un "site protégé" (art. 38 al. 1 LPMNS),
notion définie à l'art. 35 LPMNS (en tête du chapitre consacré spécialement à
la nature et aux sites). Les sites protégés sont donc, d'après l'art. 35 al.
2 LPMNS, principalement des paysages caractéristiques (let. a) et des
ensembles bâtis (let. b). Le Tribunal administratif a relevé que cette
définition du site comportait l'adverbe "notamment"; il en a déduit que la
notion devait être comprise largement, ce qui ressortait d'après lui déjà des
travaux préparatoires. Dans son arrêté du 5 mars 2003 (décision de rejet de
l'opposition), le Conseil d'Etat soutenait lui aussi que la notion de site ne
se limitait pas aux éléments expressément mentionnés à l'art. 35 al. 2 LPMNS
mais qu'elle était "plus vaste".
Dans l'exposé des motifs de 1974, le Conseil d'Etat indiquait que la LPMNS
était censée combler des lacunes de l'ancienne législation cantonale de 1920
- laquelle prévoyait essentiellement le classement d'immeubles et un droit de
préemption de l'Etat sur les immeubles classés - parce que le cercle des
biens dignes de protection s'était considérablement élargi pour s'étendre à
de nouvelles composantes du patrimoine commun: monuments, ensembles bâtis ou
naturels, paysages particulièrement remarquables, etc. (Mémorial 1974 p.
3243-3244). Il était donc proposé de créer des plans de sites, avec un "rôle
analogue à celui des plans d'aménagement en zones urbaines, mais aux fins
propres de la loi" (Mémorial 1974 p. 3246). La commission du Grand Conseil a
proposé de préciser le texte légal au sujet des plans de sites; cet
instrument devait pouvoir être utilisé non seulement "pour les sites
particulièrement intéressants et pour la création de réserves naturelles",
mais également pour les "ensembles bâtis", qui n'étaient pas expressément
mentionnés dans le projet de loi du Conseil d'Etat (Mémorial 1976 p. 1906).

2.1.2 Dans le cas particulier, le Tribunal administratif a considéré que
l'ensemble formé par "les constructions des quartiers de la Roseraie et de
Beau-Séjour, le tissu urbain dans lequel elles s'inscrivent et la végétation
qui les englobe" constituait un site protégé. Il n'a toutefois pas déterminé
clairement si l'espace compris dans le périmètre général du plan de site
était un "ensemble bâti" au sens de l'art. 35 al. 2 let. b LPMNS (voire
éventuellement un groupe d'ensembles bâtis) ou au contraire si l'on était
plutôt en présence d'un autre type de site, compris néanmoins dans la
définition large, parce que non exhaustive, de l'art. 35 al. 2 LPMNS. Quoi
qu'il en soit, la recourante met en cause l'interprétation de l'art. 35 LPMNS
par le Tribunal administratif. Selon elle, la notion de site ne s'applique
pas à un périmètre constitué de deux quartiers de la ville de Genève, où se
trouvent des éléments disparates (établissements hospitaliers, groupes de
villas, bâtiments de grand gabarit, constructions isolées).
Le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral, dans le contrôle de la base légale
d'un plan limitant les possibilités d'utilisation d'un immeuble, dépend de la
gravité des restrictions du droit de propriété du recourant. Si la
restriction est grave, il y a lieu d'examiner librement la légalité de la
mesure de protection. Si la restriction n'est pas grave, le Tribunal fédéral
se borne à examiner si la juridiction cantonale a interprété de manière
arbitraire la norme invoquée comme base légale (cf. ATF 126 I 213 consid. 3a
p. 218, 219 consid. 2c p. 221 et les arrêts cités).

2.1.3 La recourante se plaint de ce que le plan de site, qui interdit toute
nouvelle construction sur sa parcelle et impose le maintien de la végétation
existante (art. 8 et 10 RPS), fige l'aménagement actuel du terrain et empêche
la réalisation des possibilités d'utilisation selon la régime de la zone de
développement 3. Elle critique également la réglementation applicable à son
bâtiment G144 (art. 4 RPS). Globalement, les restrictions frappant la
parcelle de la recourante doivent être considérées comme relativement graves
et leur base légale doit être examinée librement (cf. ATF 126 I 219 consid.
2c p. 221; 118 Ia 384 consid. 4a p. 387; arrêt 1P.637/1997 du 6 mai 1998,
publié in ZBl 101/2000 p. 99 consid. 3b).
Dans le domaine de la protection des monuments, du paysage et des sites, les
normes contiennent souvent des concepts juridiques indéterminés et n'énoncent
que des critères généraux; ces concepts laissent par essence à l'autorité
comme au juge une latitude d'appréciation considérable (cf. notamment Pierre
Moor, Droit administratif, vol. I, 2e éd., Berne 1994, p. 380; Idem,
Commentaire LAT, Zurich 1999, art. 17 N. 23-24). Les notions de l'art. 35
LPMNS - site présentant un intérêt historique ou esthétique, ensemble bâti -
font typiquement partie de ces concepts. La réponse du département cantonal
indique que, dans la pratique genevoise, l'instrument du plan de site a été
utilisé pour la protection de périmètres ou d'objets assez divers et ne
présentant pas nécessairement une homogénéité architecturale ou historique:
la rade de Genève (cf. arrêt 1P.28/1993 du 5 novembre 1993 publié in SJ 1995
p. 85), le centre de la ville de Carouge (vieux Carouge - cf. art. 94 ss,
notamment 95 de la loi cantonale sur les constructions et les installations
diverses [LCI]), des villages au caractère typique (Hermance, Dardagny), etc.
La loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT) emploie également des
concepts juridiques indéterminés - localités typiques, lieux historiques
notamment - pour définir l'objet des zones à protéger selon son art. 17. Les
concepts contenus dans cette norme fédérale ne sont toutefois pas à
interpréter nécessairement de manière identique à ceux de l'art. 35 LPMNS car
le droit cantonal peut, conformément à l'art. 17 al. 2 LAT, prescrire des
mesures de protection des sites sortant du cadre des zones à protéger selon
l'art. 17 al. 1 LAT (cf. Moor, Commentaire LAT, art. 17, n. 38-39). La LPMNS,
antérieure à la LAT, n'a du reste pas été conçue comme une simple
réglementation d'application de l'art. 17 al. 1 LAT.
En l'espèce, il est sans doute vrai que, dans les quartiers de la Roseraie et
de Beau-Séjour, les secteurs occupés par de petites villas présentent un
intérêt historique et architectural plus marqué que les autres secteurs du
plan de site, notamment la partie nord où se trouve la propriété de la
recourante. On peut le déduire du "rappel historique" figurant dans l'arrêté
du Conseil d'Etat du 5 mars 2003. Cela étant, les constatations faites lors
de l'inspection locale au sujet de la structure des quartiers compris dans le
périmètre général, ainsi que des caractéristiques de la végétation et des
bâtiments, démontrent que cette partie de la ville de Genève a, dans son
ensemble, un aspect particulier, bien distinct des quartiers voisins. Ce
périmètre peut constituer un site au sens de l'art. 35 LPMNS, dès lors que
cette notion est conçue de manière large. En conséquence, l'élaboration d'un
plan de site à cet endroit repose sur une base légale suffisante. Il convient
d'ajouter que les mesures prévues par le plan litigieux, qui tendent au
maintien de bâtiments et d'arbres existants ou qui restreignent les
possibilités d'implantation de constructions nouvelles, disposent d'une base
légale claire à l'art. 38 al. 2 let. a et b LPMNS, ce qui n'est du reste pas
contesté. Il s'ensuit que l'exigence de l'art. 36 al. 1 Cst. est satisfaite.

2.2 La recourante reproche au Tribunal administratif de n'avoir pas discuté
l'existence d'un intérêt public. Elle conteste la réalisation de cette
condition d'abord pour l'ensemble du périmètre, en raison de son caractère
hétérogène, puis à propos du régime prévu pour sa parcelle. Elle se réfère à
l'art. 36 al. 2 Cst. qui dispose que toute restriction d'un droit fondamental
doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit
fondamental d'autrui.

2.2.1 D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées
pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe
d'intérêt public (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221; 119 Ia 305 consid. 4b p.
309 et les arrêts cités). Tout objet ne méritant pas une protection, il faut
procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou
scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de
prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et
urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un
cercle restreint de spécialistes; elle doit au contraire apparaître légitime
aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en
quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a p. 275; 118 Ia
384 consid. 5a p. 389).

2.2.2 L'arrêt attaqué contient les considérations suivantes au sujet de
l'intérêt public justifiant les mesures de protection de l'immeuble de la
recourante: le bâtiment G144 est incorporé dans la catégorie des bâtiments
maintenus (art. 4 RPS) du fait de ses qualités architecturales et il répond
aux préoccupations des milieux de la protection du patrimoine de le
préserver. La parcelle n° 1808 abrite un bâtiment particulièrement digne
d'intérêt et comporte une arborisation et une végétation de grande qualité.
Dans la partie "faits" de l'arrêt, il est rappelé que le Conseil d'Etat avait
porté une appréciation identique sur le bâtiment et le végétation; cette
appréciation n'était pas plus détaillée. Pour le reste, le Tribunal
administratif a décrit les caractéristiques générales du site, notamment la
complémentarité entre le cadre bâti et la végétation existante.
En règle générale, le Tribunal fédéral examine librement si une mesure de
protection est justifiée par un intérêt public suffisant; il s'impose
toutefois une certaine retenue lorsqu'il doit tenir compte de circonstances
locales ou se prononcer sur de pures questions d'appréciation, en particulier
en matière de protection des monuments ou des sites, et cela même après une
inspection des lieux par une délégation de la Cour. Selon la jurisprudence en
effet, il appartient de façon prioritaire aux autorités des cantons de
définir les objets méritant protection (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222; 120
Ia 270 consid. 3b p. 275; 118 Ia 394 consid. 2b p. 397; 115 Ia 370 consid. 3
p. 372 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 129 I 337 consid. 4.1 p. 344).
Cette retenue ne doit cependant pas conduire le Tribunal fédéral à admettre
la constitutionnalité d'une mesure de protection lorsque la décision prise en
dernière instance cantonale ne donne aucune indication sur les critères
objectifs retenus, soit directement soit par un renvoi à un rapport d'expert
ou de spécialiste jugé probant.
Or, dans le cas particulier, s'il est évident que le bâtiment G144, datant de
la première moitié du XIXe siècle, toujours utilisé et a priori bien
entretenu, mérite une certaine protection, on ne voit pas selon quels
critères les autorités cantonales ont choisi d'y appliquer le régime de
l'art. 4 RPS, s'apparentant en quelque sorte à un classement au sens des art.
10 ss LPMNS, alors que le plan de site prévoit pour certains bâtiments dignes
de protection un régime moins strict (régime des "bâtiments avec éléments
intéressants" de l'art. 5 RPS), et que la législation cantonale connaît
encore d'autres instruments (mise à l'inventaire selon les art. 7 ss LPMNS,
par exemple). La végétation sur la parcelle litigieuse n'est pas décrite dans
l'arrêt attaqué. Les éléments du dossier et les constatations faites lors de
l'inspection locale ne permettent pas d'en estimer la valeur. Pour admettre
sa "grande qualité", comme l'a fait la juridiction cantonale, des indications
objectives supplémentaires auraient à l'évidence été nécessaires. Il n'est
pas possible, sur la base des faits retenus par le Tribunal administratif, de
discerner si la protection du bâtiment G144 exige véritablement, en dépit de
la déclivité du terrain, une interdiction de construire sur la moitié ouest
de la parcelle, éventuellement pour préserver une vue sur ce bâtiment. En
résumé, ni l'appréciation très vague de la valeur de l'immeuble litigieux ni
les considérations générales sur les quartiers de la Roseraie et de
Beau-Séjour ne suffisent à établir l'intérêt public censé justifier les
mesures de protection appliquées au bâtiment et au jardin de la recourante.
Il s'ensuit que, de ce point de vue, la décision attaquée viole le droit
constitutionnel (art. 36 al. 2 Cst. en relation avec l'art. 26 al. 1 Cst.).
Les griefs du recours de droit public sont à ce propos fondés.

2.3 Il est inutile, dans ces conditions, d'examiner la proportionnalité des
restrictions litigieuses (art. 36 al. 3 Cst.). Cela étant, si la
justification de ces restrictions, dans l'arrêt attaqué, ne répond pas aux
exigences des art. 26 et 36 Cst., la présente décision n'empêche pas la
juridiction cantonale, appelée à statuer à nouveau sur le recours contre
l'arrêté du Conseil d'Etat, de considérer, le cas échéant et après une
éventuelle instruction complémentaire, que certaines mesures de protection du
bâtiment et du jardin répondent à un intérêt public suffisant. Cette question
n'a pas à être examinée plus avant en l'état.

3.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être admis et que l'arrêt
attaqué doit être annulé.
Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ). La
recourante a droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Genève (art. 159
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est admis et l'arrêt attaqué est annulé.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à la recourante à titre de dépens, est
mise à la charge de l'Etat de Genève.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Conseil d'Etat et au Tribunal administratif de la République et canton de
Genève ainsi qu'à la Ville de Genève.

Lausanne, le 12 octobre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: