Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.443/2004
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1P.443/2004 /col

Arrêt du 5 novembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Zimmermann.

la société I.________,
C.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Raymonde Richter-Perruchoud, avocate,

contre

SECO Secrétariat d'Etat à l'économie,
Effingerstrasse 1, 3003 Berne,
Juge d'instruction du canton de Vaud,
rue du Valentin 34, 1014 Lausanne,
Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.

procédure pénale; refus de lever un séquestre,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 11 juin 2004.

Faits:

A.
Le 24 juillet 2003, l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle
(ci-après: l'Institut fédéral) a déposé plainte pénale auprès du Ministère
public du canton de Vaud contre les dirigeants de la société I.________ pour
infraction à la loi fédérale sur la concurrence déloyale (LCD; RS 241) et à
la loi fédérale sur les armoiries publiques et autres signes publics (LPAP,
RS 232.21), ainsi que pour escroquerie (art. 146 CP). L'Institut fédéral
reproche à I.________ d'avoir proposé à des sociétés françaises la
publication contre paiement d'informations les concernant, au moyen d'un
formulaire portant la mention "Made in France. Registre de données de base du
commerce, des affaires et de l'industrie" et reproduisant le drapeau
tricolore. Ce formulaire se rapprocherait des informations collectées dans le
Registre national du commerce et des sociétés (ci-après: RCS) tenu par
l'Institut national de la propriété intellectuelle en France (ci-après:
INPI). Une consultation du site Internet de I.________ montrerait qu'un grand
nombre de sociétés françaises y sont recensées.
Le 27 octobre 2003, l'Institut fédéral a dénoncé le fait que I.________
démarchait également des sociétés suisses, en présentant un formulaire
analogue portant la croix fédérale et la mention "Made in Switzerland".
Le 4 février 2004, le Juge d'instruction du canton de Vaud a ordonné le
séquestre auprès de la banque X.________ à Genève des comptes n°xxx et n°yyy
détenus par I.________ et son dirigeant  C.________, pour un montant total de
3'171'503 fr.
Le 16 avril 2004, le Secrétariat d'Etat à l'économie (ci-après: Seco) s'est
substitué comme plaignant à l'Institut fédéral, pour le compte de la
Confédération.
Les 21 et 29 avril 2004, I.________ et C.________ ont demandé la levée
intégrale des séquestres portant sur les comptes n°xxx et yyy. Le 30 avril
2004, le Juge d'instruction a levé le séquestre pour un montant de 100'000
fr. concernant le compte n°xxx, et pour un montant de 50'000 fr. concernant
le compte n°yyy. Il a rejeté la requête pour le surplus.
Le 11 juin 2004, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de
Vaud a rejeté le recours formé par I.________ et C.________ contre cette
décision, qu'il a confirmée. Il a considéré, en bref, qu'il existait des
indices suffisants de la commission d'une infraction à la LCD et à la LPAP,
pouvant donner lieu, le cas échéant, à une confiscation des avoirs saisis
selon l'art. 58 CP, voire au recouvrement d'une créance compensatrice au sens
de l'art. 59 CP.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, I.________ et  C.________
demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 11 juin 2004 et de
renvoyer la cause au Juge d'instruction pour nouvelle décision au sens des
considérants. Ils invoquent les art. 9 Cst., leur droit d'être entendus et se
plaignent de la violation du droit fédéral.
Le Tribunal d'accusation se réfère à sa décision. Le Juge d'instruction a
renoncé à se déterminer. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Le
Seco a produit des observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la
recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 II 249 consid. 2 p.
250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308, 321 consid. 1 p. 324,
et les arrêts cités).

1.1 La décision refusant la levée du séquestre pénal ne met pas fin au procès
et présente, partant, un caractère incident (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131;
cf. ATF 123 I 325 consid. 3b p. 327; 122 I 39 consid. 1a/aa p. 41; 120 Ia 369
consid. 1b p. 372, et les arrêts cités). Elle cause toutefois un dommage
irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ à la personne privée temporairement
de la libre disposition des objets ou avoirs séquestrés (ATF 89 I 185 consid.
4 p. 187; cf. aussi ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p.
101; 118 II 369 consid. 1 p. 371, et les arrêts cités). Le recours est
recevable à cet égard.

1.2 Le recours de droit public exige un intérêt actuel et pratique à
l'annulation de la décision attaquée, respectivement à l'examen des griefs
soulevés (art. 88 OJ; ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a
p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53, 488 consid. 1a p. 490 et les arrêts
cités). L'intérêt au recours doit encore exister au moment où statue le
Tribunal fédéral, lequel se prononce sur des questions concrètes et non
théoriques (ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 125 I 394 consid. 4a p. 397; 125
II 86 consid. 5b p. 97, et les arrêts cités). L'intérêt actuel nécessaire
fait défaut en particulier lorsque l'acte de l'autorité a été exécuté ou est
devenu sans objet (ATF 125 II 86 consid. 5b p. 97; 120 Ia 165 consid. 1a p.
166; 106 Ia 151 consid. 1a p. 152/153, et les arrêts cités).
Dans sa réponse au recours du 16 septembre 2004, le Seco fait état d'une
transaction passée le 15 juin 2004 - soit après le prononcé de la décision
attaquée - avec I.________. Selon cette pièce, le Seco a retiré les plaintes
des 24 juillet et 27 octobre 2003 (ch. 1 de la convention). En contrepartie,
I.________ s'est engagée à modifier les formulaires qu'elle utilise (ch. 2).
Lorsque, comme en l'espèce, le séquestre est ordonné en vue d'une
confiscation au sens de l'art. 58 CP ou du recouvrement d'une créance
compensatrice selon l'art. 59 CP, il n'est pas nécessaire qu'une personne
soit punissable (ATF 129 IV 305 consid. 4.2.1 p. 310). De même, l'existence
d'une plainte valable, lorsque le délit n'est poursuivi que sur plainte,
n'est pas une condition de la confiscation au sens de l'art. 59 CP (ATF 129
IV 305 consid. 4.2.2 à 4.3 p. 310-313). Cette règle s'applique aussi, à plus
forte raison, au stade du séquestre en vue de confiscation ou de recouvrement
d'une créance compensatrice. Il suit de là que le retrait des plaintes n'a
pas privé le recours de son objet.

1.3 Hormis des exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit
public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 129
consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176; 128 III 50 consid. 1b p.
53, et les arrêts cités). La conclusion du recours tendant au renvoi de la
cause au Juge d'instruction pour nouvelle décision au sens des considérants
est ainsi irrecevable.
Sous cette réserve, il y a lieu d'entrer en matière.

2.
Les recourants reprochent au Tribunal d'accusation d'avoir arbitrairement
établi les faits et apprécié les preuves. Tel qu'il est formulé, le grief
tiré de la violation du droit d'être entendu et du déni de justice formel n'a
pas de portée propre.

2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité; à cet égard, le Tribunal
fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de
dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en
violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la
décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière
soit arbitraire dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid.
3.1 p. 178; 128 I 177 consid. 2.1 p. 182, 273 consid. 2.1 p. 275, et les
arrêts cités).

2.2 Dans la procédure cantonale, les recourants ont produit une décision
rendue le 16 septembre 1994 par la Commission suisse pour la loyauté en
publicité, ainsi qu'un arrêt rendu le 25 mars 2003 par la Cour suprême
("Oberster Gerichtshof") de la République d'Autriche. Selon la décision du 16
septembre 1994, il ressortirait de manière suffisamment claire des
formulaires utilisés par I.________ (intitulés "Datenbank Made in Germany")
que les services fournis par celle-ci seraient payants. Quant à l'arrêt du 25
mars 2003, il portait sur le litige opposant une société autrichienne
fournissant des renseignements sur les sociétés commerciales actives en
Autriche ("pages jaunes" de l'annuaire des abonnés de Telekom Austria) et
I.________ comme fournisseuse de formulaires intitulés "Made in Austria". La
cour autrichienne a écarté l'argument de la demanderesse, selon laquelle
l'utilisation de ces formulaires constituerait une infraction au sens de
l'art. 28a de la loi autrichienne sur la concurrence déloyale (UWG).
Le Tribunal d'accusation a considéré que ces éléments n'étaient pas
suffisants pour admettre que les faits poursuivis en Suisse ne seraient pas
illicites. L'arrêt du 25 mars 2003 se rapporterait à l'application de
dispositions différentes; en outre, le formulaire litigieux n'était pas le
même que celui à l'origine de la procédure en Suisse. Quant à la décision du
16 septembre 1994, elle ne concernerait pas la même question.
Les recourants critiquent cette appréciation. Ils allèguent que,
contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal d'accusation, les formulaires en
français et en allemand seraient identiques et contiendraient tous deux une
offre de contracter. Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que le
Tribunal d'accusation s'est fondé également sur le fait que les dispositions
applicables n'étaient pas les mêmes. Les recourants ne critiquent pas cette
partie du raisonnement de la cour cantonale. En outre, la solution retenue
par celle-ci n'est pas arbitraire de ce point de vue, car les recourants ne
démontrent pas en quoi le jugement porté par une autorité étrangère lierait
le juge suisse, qu'il se rapporte à un état de fait semblable, comme le
soutiennent les recourants, ou à un état de fait et des normes différents,
comme l'a estimé le Tribunal d'accusation.
Quant à la décision du 16 septembre 1994, elle concerne le seul point de
savoir s'il ressortait de manière suffisamment claire du formulaire que les
services offerts par I.________ étaient payants. Elle ne tranche pas les
autres aspects du litige. A supposer qu'elle l'ait fait, elle ne serait de
toute manière pas de nature à s'imposer à l'autorité judiciaire.

2.3 Le Tribunal d'accusation a fait sienne l'opinion du Juge d'instruction,
selon lequel les formulaires utilisés par I.________, portant les mentions
"Made in France" et "Made in Switzerland" présenteraient le risque d'être
confondus avec les formulaires utilisés par l'Institut fédéral et l'INPI. En
outre, l'offre de contracter n'apparaîtrait pas de manière claire. Les
recourants tiennent cette appréciation pour arbitraire dans ses deux
éléments.
Au stade du séquestre, il n'est pas possible d'examiner de manière détaillée
les questions de fond dont le règlement relève de l'autorité de jugement ou
de confiscation. Pour ce qui concerne la décision attaquée, il suffit qu'il
existe des indices concrets d'un délit et que le séquestre reste
proportionné.
Les formulaires utilisés par I.________ portent la mention "Made in
Switzerland" ou "Made in France". Le drapeau national est reproduit, ainsi
que l'indication qu'il s'agit d'un "Registre de données de base du commerce,
des affaires et de l'industrie" ("Bezugsquellen-Datenbank des Handels, des
Gewerbes und der Industrie"). La présentation et la mise en page de ces
documents sont de nature à éveiller l'impression chez le lecteur qu'il a
entre les mains un document officiel émis par un organe étatique. Les
recourants le contestent, en faisant valoir les différences entre le
formulaire litigieux et celui émis par l'INPI. En particulier, la locution
"Made in France" ne serait pas admissible dans l'administration française, la
reproduction du drapeau tricolore ne serait pas la même et aucune confusion
ne serait possible avec le RCS. Il est prématuré de trancher ces points qui
relèvent du fond de l'affaire. Il convient de constater à ce stade que les
éléments retenus par le Tribunal d'accusation sont suffisants pour maintenir
le séquestre. En effet, la portée de la loi dite Toubon n'est certainement
pas connue de tous les industriels et commerçants français. Quant aux
armoiries et à la dénomination du registre pour lequel les données sont
recueillies, elles sont assez proches de celles que pourrait utiliser un
organe officiel, au point qu'il n'est pas d'emblée exclu de se demander si
elles n'ont pas été utilisées sciemment pour semer la confusion.
Il en va de même pour ce qui concerne la controverse entre les parties au
sujet du caractère onéreux ou non des prestations fournies par I.________. A
ce propos, le formulaire indique en petits caractères que les services
proposés sont gratuits pour ce qui est de la diffusion des données de base de
l'entreprise. Ce n'est que dans la suite du texte que le lecteur découvre que
la diffusion des autres indications contenues dans le formulaire sont
payantes. A la fin du formulaire est insérée une rubrique intitulée "Ordre"
qui précise que la transcription payante coûte 45 euros par mois, et cela
pour deux ans au moins. Enfin, le formulaire comporte la mention suivante:
"Veuillez retourner ce formulaire avant le ...". Quoi qu'en disent les
recourants, ces indications peuvent laisser accroire que le destinataire est
tenu de retourner le questionnaire et que les prestations sont gratuites. Il
est significatif à cet égard que la transaction passée le 15 juin 2004 avec
le Seco impose précisément à I.________ de modifier tous les éléments du
formulaire qui ont donné lieu à contestation, dans le sens de préciser qu'il
s'agit d'une proposition de contrat pour une insertion dans un annuaire
commercial dépourvu de caractère officiel, que les prestations payantes
doivent être mieux distinguées des gratuites, que le prix doit en être
clairement indiqué, que le délai de réponse ne doit pas apparaître comme
impératif, que le terme "registre" et les armoiries publiques et signes
similaires doivent être bannis. Les recourants ne sauraient dès lors
prétendre que les aspects litigieux qui sont à l'origine de la plainte ne
seraient pas relevants du point de vue pénal, alors qu'ils ont consenti à y
renoncer en échange du retrait des plaintes.

2.4 A la demande des recourants, l'avocat Kamen Troller a établi, le 8 avril
2004, un avis de droit au sujet de l'affaire. Il conclut à ce qu'en diffusant
le formulaire contesté, I.________ n'aurait violé ni la LCD, ni la LPAP. Le
Tribunal d'accusation a écarté sans arbitraire cet avis, dès lors qu'il avait
été établi à la demande des recourants.

3.
Les recourants se plaignent de la violation de l'art. 59 CP. Ils estiment que
les conditions d'une confiscation ne seraient de toute manière pas remplies,
car il n'existerait pas de preuve tangible de la commission d'un délit,
notamment en l'absence de toute intention délictuelle. Ils contestent à ce
propos l'application au cas d'espèce des principes dégagés dans l'arrêt X.
(ATF 129 IV 305), auquel se réfère le Tribunal d'accusation.
Le grief - dont il est de toute manière douteux qu'il puisse être soulevé
dans le cadre du recours de droit public pour la violation des droits
constitutionnels au sens de l'art. 84 al. 1 let. a OJ - se rapporte à la
question de fond (la confiscation des fonds saisis en application de l'art.
58 CP, voire de l'art. 59 CP) qui ne fait pas l'objet du litige. Il n'y a
donc pas lieu de s'y arrêter.
Sous l'angle du principe de la proportionnalité - invoqué implicitement par
les recourants en tant qu'ils se plaignent des conséquences graves pour eux
de la décision attaquée -, il convient de souligner que le séquestre ne
saurait produire ses effets plus qu'il n'est nécessaire pour la vérification
des conditions de l'application des art. 58 ou 59 CP. Il incombe au Juge
d'instruction d'agir sans désemparer pour l'examen des questions y relatives
et le prononcé d'une décision à ce propos.

4.
Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les
frais en sont mis à la charge des recourants (art. 156 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge des recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la mandataire des recourants et au
Secrétariat d'Etat à l'économie, ainsi qu'au Juge d'instruction, au Procureur
général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 5 novembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: