Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.434/2004
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1P.434/2004 /col

Arrêt du 19 octobre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Juge présidant,
Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Thélin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Gerhard Schnidrig, avocat,
contre

Procureur général du canton de Berne,
case postale, 3001 Berne,
Cour suprême du canton de Berne, IIe Chambre pénale, Hochschulstrasse 17,
case postale 7475,
3001 Berne.

procédure pénale; appréciation des preuves

recours de droit public contre le jugement de la Cour suprême du 5 juillet
2004.

Le Tribunal fédéral considère en fait et en droit:

1.
Le 21 septembre 2002, un accident de la circulation s'est produit à Bienne,
dans le giratoire qui se trouve à l'intersection de la rue Centrale et de la
rue d'Argent. Deux automobiles se suivaient et sont entrées dans le
giratoire, l'une derrière l'autre, venant du nord-ouest par la rue Centrale.
A l'opposé, devant la sortie sud-est de l'intersection, l'avant droit de la
deuxième voiture est venu heurter l'avant gauche de la première. L'accident a
causé des dégâts à ces véhicules; personne n'a subi de lésions corporelles.
Selon les déclarations de B.________, conducteur du premier véhicule, l'autre
conducteur a tenté de le dépasser alors que lui-même parcourait normalement
le giratoire en vue d'obliquer à gauche. A.________, conducteur du deuxième
véhicule, voulait continuer dans la rue Centrale. Contestant la tentative de
dépassement, il a expliqué que B.________ a d'abord obliqué à droite, dans la
rue d'Argent, avant de revenir soudainement dans le giratoire.
Lors de l'accident, A.________ circulait en compagnie de sa femme. B.________
conduisait en état d'ébriété; une sanction pénale lui a été infligée. Avant
tout déplacement des voitures accidentées, la police a établi un dossier de
photographies. Le sol étant mouillé, les pneus n'avaient laissé aucune trace.

2.
Prévenu d'avoir imprudemment passé à gauche du véhicule de B.________ et
d'avoir ainsi violé les règles de la circulation routière, A.________ a
comparu devant le Président du Tribunal d'arrondissement de Bienne-Nidau. Ce
magistrat a également interrogé, en qualité de témoins, la femme du prévenu
et l'autre conducteur impliqué. Chaque conducteur a confirmé sa propre
version des faits. Dans la mesure où elle avait observé le trafic juste avant
la collision, l'épouse a confirmé la version de son mari. Statuant le 14
janvier 2004, le Président a prononcé l'acquittement de A.________. Il a jugé
que la version de B.________ était invraisemblable, notamment parce que la
tentative de dépassement décrite par lui ne correspondait pas à l'attitude
d'un conducteur raisonnable et qu'il n'existait aucun motif de soupçonner le
prévenu d'être un "fou du volant".

3.
Le Ministère public a appelé de ce jugement à la Cour suprême du canton de
Berne. Dans la procédure écrite ordonnée par le Président de la chambre
pénale compétente, le Procureur général a motivé l'appel. Sur la base des
photographies, il a soutenu que les faits étaient constatés de façon
manifestement inexacte. En raison d'un îlot présent au centre de la rue
d'Argent et à la périphérie du giratoire, il était impossible que la voiture
de B.________ eût fait un écart à cet endroit. De plus, deux véhicules ne
pouvaient pas circuler de front dans le giratoire sans que l'un d'eux
n'empiétât sur le rond central de ce carrefour. Or, la voiture de A.________
s'était immobilisée dans une position presque parallèle à l'axe de la rue
Centrale et au diamètre du giratoire, position qu'il lui était impossible
d'atteindre par une trajectoire normale; au contraire, cette position ne
s'expliquait que si le conducteur avait traversé le giratoire par le centre.
Au regard de ces circonstances, nonobstant les déclarations contraires du
prévenu et de son épouse, il s'imposait de constater la tentative d'un
dépassement incorrect et imprudent.
Après que l'appelé eut répondu par le dépôt d'un mémoire, la Cour suprême
s'est prononcée le 5 juillet 2004. Elle a accueilli l'argumentation du
Procureur général. Réformant le jugement attaqué, elle a reconnu A.________
coupable de violation des règles de la circulation et elle l'a condamné à une
amende de 300 fr.

4.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ requiert le
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour suprême. Invoquant les art. 9
et 32 al. 1 Cst., il tient l'appréciation des juges d'appel pour arbitraire
et contraire à la présomption d'innocence.
Invités à répondre, la Cour suprême et le Procureur général ont renoncé à
présenter des observations.

5.
Consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, selon l'adage in dubio
pro reo, la présomption d'innocence interdit au juge de prononcer une
condamnation alors qu'il éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé.
Des doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles, ne suffisent
cependant pas à exclure une condamnation. Pour invoquer utilement la
présomption d'innocence, le condamné doit donc démontrer que le juge de la
cause pénale, au regard de l'ensemble des preuves à sa disposition, aurait dû
éprouver des doutes sérieux et irréductibles au sujet de la culpabilité (ATF
127 I 38 consid. 2 p. 40; 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e
p. 38, consid. 4b p. 40).
L'appréciation des preuves est arbitraire, donc contraire à l'art. 9 Cst.,
lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et
de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide l'appréciation retenue par le
juge de la cause que si elle apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective ou adoptée sans motifs objectifs. Il ne
suffit pas que les motifs du verdict soient insoutenables; il faut en outre
que l'appréciation soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit pas non
plus qu'une solution différente puisse être tenue pour également concevable,
ou apparaisse même préférable (ATF 129 I 49 consid. 4 p. 58; 127 I 38 consid.
2 p. 40, 126 I 168 consid. 3a p. 170; voir aussi ATF 129 I 8 consid. 2.1 in
fine p. 9).
L'art. 90 al. 1 let. b OJ exige que l'acte de recours contienne un exposé des
faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des
principes juridiques tenus pour violés, précisant en quoi consiste la
violation. A l'appui du grief d'arbitraire, il ne suffit donc pas que le
recourant contredise la décision attaquée par l'exposé de ses propres
allégations et opinions. Le recourant doit surtout indiquer de façon précise
en quoi la juridiction ou l'autorité intimée parvient à une décision
manifestement erronée ou injuste; une argumentation qui ne satisfait pas à
cette exigence est irrecevable (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495, 117 Ia 10
consid. 4b p. 11/12, 110 Ia 1 consid. 2a p. 3).

6.
Dans la présente affaire, le recourant aurait dû s'en prendre au raisonnement
des juges d'appel fondé sur le dossier de photographies. Il lui incombait de
mettre en évidence d'éventuelles erreurs que ces magistrats auraient commises
dans l'analyse ou l'interprétation de ces documents, ou d'éventuels vices
dans la logique qui les a conduits à la constatation critiquée. Or, le
recourant ne tente aucune réfutation de ce genre; il se borne à de simples
dénégations. Il insiste très longuement sur sa propre version des faits, les
déclarations de son épouse, les incertitudes qui subsistent sur le point de
savoir si B.________ avait actionné l'indicateur de direction de sa voiture,
le cas échéant à droite ou à gauche et avant ou après son entrée dans le
giratoire, et l'appréciation retenue dans le jugement de première instance.
Rien de cela n'est apte à révéler une violation des garanties
constitutionnelles en cause. Pour autant que l'appréciation des preuves soit
objective, ces garanties n'excluent aucunement que le juge de la cause pénale
rejette certaines preuves favorables à l'accusé pour en retenir d'autres qui
lui paraissent plus convaincantes. Faute de motivation pertinente, le recours
de droit public est donc irrecevable au regard de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 1'500 fr.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Cour suprême du canton de Berne.

Lausanne, le 19 octobre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: