Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.383/2004
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1P.383/2004 /col

Arrêt du 23 décembre 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Nay, Vice-président
du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Reeb, Féraud,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Josef Zisyadis, avenue des Bains 16, 1007 Lausanne,
recourant,

contre

Grand Conseil du canton de Vaud,
place du Château 6, 1014 Lausanne.

invalidation d'une initiative populaire,

recours de droit public contre le décret du Grand Conseil du canton de Vaud
du 1er juin 2004 constatant la nullité de l'initiative populaire cantonale
"Pour une caisse vaudoise d'assurance maladie de base".

Faits:

A.
L'initiative populaire cantonale "Pour une caisse vaudoise d'assurance
maladie de base" a été déposée au mois de mai 2002, munie de 12917
signatures. Il s'agissait d'une initiative législative rédigée de toute pièce
portant sur la création d'une loi "instituant une seule caisse d'assurance
maladie dans le canton de Vaud", dont la teneur était la  suivante:
Chapitre I  Dispositions générales

Art. 1 Forme juridique

La caisse vaudoise d'assurance maladie (CVAM) est un établissement public
indépendant jouissant de la personnalité juridique. Son siège est à Lausanne.
Elle fonctionne sous le contrôle et la garantie de l'Etat.

Art. 2  But

La CVAM a pour mission de garantir à tous les habitants du canton une
couverture de soins complète. Elle est une caisse destinée à assurer ses
membres en cas de maladie et d'accidents, conformément à:

a) la LAMal b) la LAVAMal c) les statuts approuvés par le Conseil d'Etat et
par l'Office fédéral des assurances sociales.

La CVAM ne peut fournir de prestations dans le domaine des assurances
complémentaires.

Art. 3 Affiliation

Toute personne domiciliée dans le canton est obligatoirement affiliée à la
CVAM. Les statuts de la caisse délimitent ses activités aux seuls résidents
du canton de Vaud.

Chapitre II Financement

Art. 4 Généralités

Le compte d'exploitation de la CVAM est alimenté par:

a) les primes versées par les assurés b) les participations et franchises des
assurés c) les subsides fédéraux et cantonaux d) les intérêts et autres
revenus.

Art. 5 Couverture des réserves et garantie de déficit

L'Etat couvre par une subvention à fonds perdus la réserve minimale
prescrite. Le Conseil d'administration peut décider la constitution de
réserves facultatives. L'Etat accorde à la CVAM une garantie de ses déficits
éventuels. L'Etat assure une gestion financièrement équilibrée.
Art. 6 Primes

Les primes de l'assurance obligatoire des soins et de l'assurance
individuelle d'indemnités journalières sont fixées selon les dispositions
fédérales applicables. La CVAM doit appliquer le principe du tiers payant et
rembourser directement les factures de soins, d'hospitalisation, de
médicaments et de rééducation. Les subventions fédérales et cantonales sont
destinées à diminuer les primes des personnes de condition économique
modeste, ainsi que des enfants, selon un barème décidé par le Conseil d'Etat.
La totalité des subventions fédérales en la matière est utilisée. Les
bénéficiaires des prestations complémentaires AVS/AI ont droit à une
exonération totale de primes.

Chapitre III Organisation

Art. 7 Organes

Les organes de la caisse sont le Conseil d'administration et la Direction.

Art. 8 Conseil d'administration

[composition, organisation, compétences]

Art. 9 Direction

[composition, compétences]

Art. 10 Surveillance

La CVAM est soumise au contrôle financier et de gestion de l'Etat. Elle
soumet ses comptes, qui sont rendus publics, à un organe de contrôle
indépendant désigné par le Conseil d'Etat. Le contrôle interne de la caisse
est assuré par une commission permanente indépendante nommée par le Conseil
d'administration.

Art. 11 Dispositions transitoires

La CVAM est mise en place dès que l'affiliation obligatoire, au sens de
l'art. 3 de la présente loi, est permise en vertu du droit fédéral. Les
autorités cantonales prennent toutes les mesures propres à faire évoluer la
législation fédérale dans le sens de la présente loi.

B.
Dans son préavis au Grand Conseil sur la recevabilité de l'initiative, le
Conseil d'Etat a considéré que celle-ci violait sur plusieurs points le droit
fédéral: l'affiliation obligatoire (art. 3) était contraire au principe du
libre choix; les subsides fédéraux (art. 4 let. c) ne pouvaient être
considérés comme une source de financement; le principe du tiers payant
obligatoire (art. 6 ) empêchait la conclusion de conventions avec certains
prestataires; le subventionnement direct par l'Etat était contraire au
système prévu par la LAMal. Le droit fédéral ne réservait aucune compétence
cantonale en matière d'assurance maladie, en particulier s'agissant de
l'affiliation et du financement. Les art. 1 à 10 de l'initiative devaient
être déclarés nuls. Les art. 1 et 7 à 10 n'avaient plus de sens s'ils
permettaient uniquement la création d'une caisse publique concurrente des
caisses privées. Les représentants du comité d'initiative avaient d'ailleurs
clairement fait savoir qu'ainsi limitée, l'initiative ne correspondait plus
au sens de leur démarche. L'art. 11, deuxième phrase, paraissait correspondre
à la volonté des initiants. Il ne pouvait toutefois imposer au Grand Conseil
d'agir par la voie de l'initiative cantonale; pour le surplus, on ignorait
sur quoi pouvait porter l'obligation faite aux autorités cantonales.

C.
Par décret du 1er juin 2004, le Grand Conseil, suivant l'avis de la majorité
de la Commission chargée d'examiner la question, a constaté la nullité de
l'initiative.

D.
Josef Zisyadis forme un recours de droit public au sens des art. 84 al. 1
let. a et 85 let. a OJ contre ce décret. Il conclut à l'annulation partielle
de ce décret, et à la validité de l'art. 11 de l'initiative, disposition
selon lui conforme au droit supérieur, et qui formerait un tout cohérent
correspondant à la volonté des initiants.

Le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Le recourant a répliqué

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité et la
qualification juridique des recours qui lui sont soumis.

1.1 Le recourant déclare agir par la voie du recours de droit public pour
violation des droits constitutionnels (art. 84 al. 1 let. a OJ). Il invoque
certes le principe constitutionnel de la proportionnalité, mais à l'encontre
d'une décision d'invalidation d'une initiative populaire, ce grief est traité
en relation avec la violation alléguée des droits politiques. Le recours de
droit public pour violation des droits constitutionnels est dès lors sans
portée propre dans ce cadre.

1.2 Le recours institué par l'art. 85 let. a OJ permet au citoyen de se
plaindre de ce qu'une initiative a été indûment soustraite au scrutin
populaire, notamment parce qu'elle a été déclarée totalement ou partiellement
invalide par l'autorité cantonale chargée de cet examen, et quelle que soit
la motivation de cette décision d'invalidation. La qualité pour recourir dans
ce domaine appartient alors à toute personne à laquelle la législation
cantonale accorde l'exercice des droits politiques pour participer à la
votation en cause, même si elle n'a aucun intérêt juridique personnel à
l'annulation de l'acte attaqué (ATF 128 I 190 consid. 1 p. 192; 121 I 138
consid. 1 p. 139; 357 consid. 2a p. 360).

1.3 Membre du comité d'initiative et citoyen vaudois, le recourant a qualité
pour agir.

2.
Le recourant ne conteste pas la déclaration de nullité, s'agissant des art. 1
à 10 de l'initiative. Il soutient que l'art. 11 de ce texte serait conforme
au droit fédéral, et constituerait l'élément central de l'initiative
puisqu'il fait obligation au canton d'intervenir pour obtenir une
modification du droit fédéral dans le sens de l'initiative. Cela
correspondrait à la volonté des initiants.

2.1
Le Grand Conseil relève que l'art. 11 première phrase n'aurait plus de sens
après l'invalidation des art. 1 à 10, et serait inexécutable. L'art. 11
deuxième phrase, lui aussi sorti de son contexte, manquerait de clarté et de
cohérence, notamment par la référence aux dispositions invalidées. L'art. 11
ne figurait d'ailleurs pas dans le texte initial de l'initiative, et avait
été ajouté après que l'attention des initiants eût été portée sur les
problèmes de conformité au droit fédéral, dans le cadre de l'examen
préliminaire.

Le Grand Conseil relève aussi qu'une initiative populaire ne peut porter que
sur un acte normatif, et non sur une résolution ou une déclaration, voire une
initiative cantonale, présentée sous la forme d'un décret. Une disposition
exclusivement programmatique ne serait pas admissible. Or, le mandat donné
aux autorités vaudoises par l'art. 11 de l'initiative s'apparenterait à une
résolution, voire à une proposition d'initiative cantonale. En tant que
simple programme, la disposition manquerait de clarté, faute d'indiquer les
moyens à utiliser. Elle poserait aussi un problème d'unité de rang,
puisqu'elle vise la modification du droit fédéral.

2.2 Dans sa réplique, le recourant, affirme que l'art. 11 de l'initiative
constituait la condition sine qua non de mise en oeuvre de la CVAM, ce dont
les citoyens étaient clairement informés. L'art. 11 deuxième phrase serait
une "disposition-programme" dont les moyens juridiques et politiques sont
précisés. Le recourant confirme que l'intervention du canton pour obtenir une
modification du droit fédéral correspond à la volonté des initiants.

3.
Conformément à la jurisprudence, les exigences de motivation posées à l'art.
90 al. 1 let. b OJ valent également pour le recours prévu à l'art. 85 let. a
OJ; le Tribunal fédéral n'examine ainsi que les griefs soulevés de manière
suffisante. Il appartient au recourant de démontrer en quoi la décision
attaquée viole le droit constitutionnel, soit ses droits politiques, en
précisant la nature de cette violation (ATF 129 I 185 consid. 1.6 p. 189 et
les arrêts cités).

3.1 Lorsque, comme en l'espèce, la décision relative à l'invalidation d'une
initiative populaire est publiée sans aucune motivation, ou lorsque les
motifs ne sont publiés qu'ultérieurement, l'autorité intimée fournit sa
motivation dans la réponse au recours. Un droit de réplique est alors accordé
au recourant, conformément à l'art. 93 al. 2 OJ, afin qu'il puisse faire
valoir ses arguments en connaissance de cause (cf. ATF 129 I 381 consid. 1.3
- non publié; 125 I 227 consid. 1b - non publié; ATF 123 I 63 consid. 3 ).
L'échange d'écritures supplémentaire permet ainsi de suppléer à une carence
éventuelle de la motivation de la décision (Kälin, Das Verfahen der
staatsrechtlichen Beschwerde, Berne 1994 p. 378).

3.2 En l'occurrence, les raisons invoquées par le Grand Conseil à l'appui de
sa décision d'invalidation totale sont de plusieurs ordres: l'art. 11, sorti
de son contexte, serait incompréhensible; dans l'esprit des initiants, il
n'aurait qu'un caractère accessoire; enfin, une initiative cantonale ne
pourrait porter que sur une loi au sens formel, et ne pourrait être limitée à
une disposition programmatique. Ces arguments figuraient déjà dans le préavis
du Conseil d'Etat, et ont été évoqués lors des débats parlementaires.

Pour sa part, le recourant persiste à considérer que l'art. 11 de
l'initiative constituerait une disposition centrale; il reproche au Grand
Conseil d'avoir interprété la volonté des opposants dans un sens défavorable.
Toutefois, pas plus dans son mémoire complétif que dans son recours initial,
le recourant ne met en cause l'impossibilité de proposer, par la voie d'une
initiative populaire, une disposition qui serait purement programmatique.
L'autorité intimée consacre pourtant de longs développements à cette
question. Elle se livre à une interprétation de l'art. 27 ch. 1 al. 1 Cst./VD
pour en déduire qu'une initiative populaire cantonale ne pourrait porter que
sur une loi au sens formel, ce qui exclurait les décrets, résolutions ou
déclarations, ainsi que les dispositions-programmes. Or, on cherche en vain
dans les écritures du recourant - déjà fort succinctes sur les autres points
- une quelconque argumentation à ce propos. Le recours apparaît par
conséquent insuffisamment motivé, et doit être déclaré irrecevable.

4.
Par ailleurs, même s'il devait être traité sur le fond, le recours devrait de
toute façon être rejeté.

4.1 La jurisprudence admet que lorsqu'une partie d'une initiative populaire
apparaît inadmissible, la partie restante peut subsister comme telle, pour
autant qu'elle forme un tout cohérent et qu'elle puisse encore correspondre à
la volonté des initiants (ATF 125 I 227 consid. 4 p. 231, 124 I 107 consid.
5b p. 117; 121 I 334 consid. 2a p. 338 et la jurisprudence citée). En vertu
du principe de la proportionnalité, l'invalidité d'une partie de l'initiative
ne doit entraîner celle du tout que si le texte ne peut être amputé sans être
dénaturé (ATF 128 I 190 consid. 6 p. 203). Il faut encore que la partie
subsistante de l'initiative respecte en elle-même les conditions de validité,
qu'elle conserve un sens et qu'elle corresponde à la volonté des initiants et
des signataires (ATF 130 I 185 consid. 5 p. 202, 129 I 381 consid. 4.4 p.
392).

4.2 Les auteurs de l'initiative n'ignoraient pas la contrariété de leur
démarche au droit fédéral, leur attention ayant été attirée d'emblée sur ce
point. L'art. 11 a été ajouté afin qu'il soit sursis à la création de la CVAM
jusqu'à ce qu'une telle institution soit admise par le droit fédéral. Comme
l'indique la note marginale, il s'agit d'une disposition transitoire censée
revêtir un effet guérisseur pour le reste de l'initiative. La disposition, de
caractère accessoire, n'a donc logiquement plus de sens si le reste de
l'initiative est annulé. S'agissant de la volonté des initiants, et plus
encore des signataires, le titre et le texte de l'initiative ne laissent pas
de doute: l'élément central en est le principe de la création d'une caisse
cantonale d'assurance maladie, et non la condition suspensive posée à sa
réalisation. Enfin, il y a lieu de convenir avec le Grand Conseil, que l'art.
11, sorti de son contexte, n'a plus guère de sens: la première phrase évoque
une institution dont - mis à part l'affiliation obligatoire - on ignore tout.
La deuxième phrase implique l'intervention des autorités cantonales "au sens
de la présente loi", ce qui n'est plus compréhensible si les articles
précédents sont supprimés. Certes, des adaptations purement rédactionnelles
pourraient être admises afin de rendre au texte sa lisibilité et sa cohérence
(ATF 130 I 185 consid. 6 non publié); cela ne permettrait toutefois pas de
réintroduire, à titre de programme, l'ensemble des dispositions invalidées.

5.
Le recours de droit public doit par conséquent être déclaré irrecevable.
Conformément à la pratique, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni
alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est irrecevable.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au Grand Conseil du
canton de Vaud.

Lausanne, le 23 décembre 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: