Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.318/2004
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1P.318/2004 /svc

Arrêt du 5 juillet 2004
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Président de la Cour et Président du Tribunal
fédéral, Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Thélin.

O. ________ Inc.,
O.________ Inc., succursale de Genève,
recourantes, agissant par A.________,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre d'accusation, case postale 3108,
1211 Genève 3.

procédure pénale; saisie conservatoire

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 14
avril 2004.

Faits:

A.
O. ________ Inc. est une personne morale constituée à l'étranger, pour
laquelle des succursales furent inscrites au registre du commerce à Genève et
à Bienne. Une déclaration de faillite est intervenue le 12 décembre 2002,
prononcée par le juge compétent de l'arrondissement judiciaire II
Bienne-Nidau; le même magistrat a suspendu la procédure de faillite, faute
d'actifs, par une ordonnance du 7 octobre 2003. La succursale de Bienne fut
radiée d'office tandis que celle de Genève est encore inscrite. A.________
était le gérant unique des deux succursales, avec droit de signature
individuelle.

A. ________ se trouve actuellement en détention préventive dans le canton de
Genève. Il est inculpé de nombreuses infractions telles que faux dans les
titres, escroquerie, abus de confiance, gestion déloyale et banqueroute
frauduleuse. En bref, il est prévenu d'avoir remis en sous-location des
locaux auxquels il n'avait plus aucun droit, à usage de bureaux meublés et
dotés d'un service de secrétariat, et d'avoir détourné les loyers encaissés.
Il aurait agi par l'intermédiaire de diverses sociétés dont il était
l'organe, soit notamment O.________ Inc. Pour induire les sous-locataires en
erreur, il aurait présenté un bail principal falsifié ou se serait prétendu
l'avocat des propriétaires. Il est aussi prévenu d'avoir détourné à des fins
personnelles un prêt bancaire consenti à l'une des sociétés concernées.

B.
En mars 2002, O.________ Inc. se trouvait en procès au sujet des locaux dont
elle était locataire à Genève et elle a alors consigné un montant de 70'431
fr. qui lui était réclamé à titre de loyer. Par ordonnance du 10 décembre
2003, le Juge d'instruction en charge de l'enquête pénale ouverte contre
A.________ a saisi le montant ainsi déposé, au motif qu'il paraissait
constituer un produit des infractions en cause.

O. ________ Inc. a vainement contesté ce prononcé. La Chambre d'accusation du
canton de Genève a rejeté son recours, dans la mesure où il était recevable,
le 14 avril 2004.

C.
Agissant cumulativement au nom de O.________ Inc. et au nom de la succursale
de Genève, A.________ a saisi le Tribunal fédéral d'un recours de droit
public tendant à l'annulation de l'ordonnance de la Chambre d'accusation. Il
se plaint surtout d'une application arbitraire, donc contraire à l'art. 9
Cst., du droit cantonal auquel l'ordonnance se réfère. Une demande
d'assistance judiciaire est jointe au recours.
Invitées à répondre, les autorités intimées ont renoncé à déposer des
observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le prononcé par lequel l'autorité ordonne la saisie conservatoire d'une somme
d'argent est une décision incidente de nature à causer un préjudice juridique
irréparable; elle peut donc, au regard de l'art. 87 al. 2 OJ, être contestée
par la voie du recours de droit public sans attendre la décision finale (ATF
128 I 129 consid. 1 p. 130; 126 I 97 consid. 1b p. 130).

2.
La succursale de O.________ Inc., inscrite au registre du commerce de Genève,
est un établissement dépourvu de personnalité juridique propre (ATF 120 III
11 consid. 1a p. 13); par conséquent, elle est aussi dépourvue de la capacité
d'être partie à une procédure judiciaire. Le recours est ainsi irrecevable en
tant qu'il est formé au nom de la succursale.

3.
Dès la déclaration de faillite du 12 décembre 2002 et sous réserve des droits
de tiers, la somme consignée depuis mars 2002 par O.________ Inc. a fait
partie de la masse à liquider pour la satisfaction des créanciers (art. 197
al. 1 LP; ATF 107 III 53 consid. 4e p. 59/60). La faillie a alors perdu tout
pouvoir de disposition sur ce bien (art. 204 al. 1 LP) et elle était
désormais privée de la capacité d'ester en justice nécessaire pour pouvoir
contester utilement la saisie ordonnée par le Juge d'instruction. En effet,
ladite capacité appartenait exclusivement à l'administration de la faillite
(art. 240 LP; ATF 121 III 28 consid. 3 p. 30/31).
La situation créée par la suspension de la faillite faute d'actifs,
intervenue le 7 octobre 2003, est douteuse. En dépit des affirmations
développées dans l'acte de recours, on ignore si l'existence du bien précité
était alors connue. Dans la négative, sa découverte pourrait entraîner une
réouverture de la procédure de faillite (Urs Lustenberger, Kommentar zum
Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, Bâle 1998, ch. 12 ad art. 230
LP; ATF 53 III 187 p. 193) et le bien appartiendrait actuellement encore à la
masse, avec cette conséquence que, vraisemblablement, la faillie ne serait
toujours pas habilitée à recourir elle-même contre la saisie conservatoire.
Il n'est cependant pas nécessaire d'élucider ce point car la décision
attaquée échappe, de toute manière, aux griefs du recours.

4.
Selon la jurisprudence, la saisie d'un bien à titre de produit d'une
infraction, au cours d'une enquête pénale, est compatible avec l'art. 9 Cst.
lorsque cette mesure est prévue par le droit de procédure applicable, que
l'origine délictueuse du bien est soupçonnée sur la base d'indices suffisants
et qu'il devra vraisemblablement, dans la suite du procès, être restitué au
lésé ou confisqué conformément à l'art. 59 CP (ATF 126 I 97 consid. 3b p.
104/105, consid. 3d/aa p. 107).

O. ________ Inc. ne conteste pas son implication dans les activités de
A.________. Elle affirme que celui-ci n'a commis aucune infraction et elle
tient la poursuite pénale pour dépourvue de toute justification, mais le
Tribunal fédéral a déjà constaté, dans un litige relatif à la détention
préventive, qu'il existe des indices pertinents de culpabilité (arrêt
1P.32/2004 du 12 février 2004, consid. 3). Le Tribunal fédéral a également
constaté que la destination des fonds que l'on suppose détournés est très
difficile à élucider et que cette tâche nécessite l'analyse de très nombreux
documents comptables (arrêt 1P.740/2003 du 15 décembre 2003, consid. 3). Dans
ces conditions, la saisie conservatoire des valeurs que l'inculpé détient
encore, directement ou par l'intermédiaire des personnes morales dont il est
l'organe, échappe à toute critique; au contraire, il se justifie de maintenir
ces valeurs à la disposition des autorités judiciaires jusqu'à l'issue de
l'enquête pénale ou, si un doute subsiste, jusqu'au jugement. C'est en vain
que l'auteur du recours insiste sur les conséquences des saisies ordonnées
par le Juge d'instruction, qui l'entravent dans la gestion des affaires
confiées par ses clients.

5.
Outre l'art. 9 Cst., l'acte de recours mentionne divers principes ou
garanties constitutionnels qui ne sont pas pertinents dans la présente
contestation. Bien que la saisie conservatoire comporte une atteinte au droit
de propriété, la garantie correspondante (art. 26 al. 1 Cst.) n'est pas
invoquée; il est toutefois manifeste que cette atteinte est admissible aussi
au regard de cette garantie-ci (ATF 128 I 129 consid. 3.1.3 p. 133). Le
recours doit ainsi être rejeté, dans la mesure où il est recevable.

6.
Même dans le cas exceptionnel où une personne morale peut éventuellement
bénéficier de l'assistance judiciaire prévue par l'art. 152 OJ (ATF 119 Ia
337 consid. 4c-d p. 339), cette disposition exige que la procédure entreprise
devant le Tribunal fédéral ne soit pas d'emblée vouée à l'échec. Le recours
de droit public était manifestement dépourvu de chances de succès, de sorte
que la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée pour ce motif déjà.
Le Tribunal fédéral percevra l'émolument judiciaire, conformément à l'art.
156 al. 1 OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
O.________ Inc. acquittera un émolument judiciaire de 2'000 fr.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à A.________, pour les recourantes,
ainsi qu'au Juge d'instruction, au Procureur général et à la Cour de justice
du canton de Genève.

Lausanne, le 5 juillet 2004

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: