Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.293/2004
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1P.293/2004 /col

Arrêt du 31 mai 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Nay, Reeb,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Société coopérative d'habitation Lausanne,
route des Plaines-du-Loup 32, 1018 Lausanne, recourante, représentée par Me
Christian Fischer, avocat, avenue Juste-Olivier 9, 1006 Lausanne,

contre

Conseil communal de Lausanne,
place de la Palud 2, 1002 Lausanne, représenté par
Me Jean-Claude Perroud, avocat, Grand-Chêne 4 et 8, case postale 7283, 1002
Lausanne.

art. 9, 36 et 49 Cst. (règlement communal sur les conditions d'occupation des
logements construits ou rénovés avec l'appui financier de la Commune de
Lausanne),

recours de droit public contre le règlement du Conseil communal de Lausanne
du 30 mars 2004.

Faits:

A.
Le 30 mars 2004, le Conseil communal de Lausanne a adopté un règlement
communal sur les conditions d'occupation des logements construits ou rénovés
avec l'appui financier de la Commune de Lausanne (ci-après: RCO). Il a pour
objet de favoriser la stabilité et la mixité dans le parc des immeubles à
loyers subventionnés et sociaux, et s'applique à tous les logements
construits ou rénovés avec un appui financier des pouvoirs publics communaux
et dont le loyer est soumis au contrôle des autorités cantonales ou
communales (art. 1). Il prévoit notamment que les logements peuvent être
loués à des personnes majeures, suisses ou titulaires d'un permis B ou C, qui
exercent leur activité professionnelle principalement sur le territoire de la
commune de Lausanne ou qui y sont domiciliées depuis trois ans, ou qui font
des études ou un apprentissage, avec activité professionnelle accessoire ou
disposant d'une bourse. Le règlement fixe des limites de revenu et de fortune
(en renvoyant au règlement cantonal du 24 juillet 1991 sur les conditions
d'occupation des logements construits ou rénovés avec l'appui financier des
pouvoirs publics - ci-après: RCOL), et certaines conditions de résiliation et
de prolongation du bail (art. 5-8). Les articles 11 à 13 de ce règlement ont
la teneur suivante:
Chapitre III. Dispositions spéciales pour les autorités et pour le
propriétaire
Attribution de logements
Mixité et stabilité

Art. 11- 1 Le choix des locataires dans un immeuble est réservé aux autorités
compétentes pour 15% du nombre total de logements ou de pièces de chaque
immeuble.

2 Le propriétaire peut, en contrepartie et dans la même proportion de 15%,
conserver des locataires ne répondant pas ou plus aux conditions d'occupation
sous réserve des articles 8, 9 et 10 du présent règlement.
Cellule logement
Art. 12- 1 Les locataires choisis par les autorités peuvent être pris en
charge par la cellule logement constituée au sein de la Direction de la
sécurité sociale et de l'environnement qui peut être appelée à intervenir,
tant sur le plan social que sur tous les aspects financiers du bail.
2 L'organisation de la cellule logement est réglée par voie de directives.
Chapitre IV. Dispositions d'assouplissement - Dérogations
Dérogations - mesures d'assouplissement
Art. 13- 1 Dans les cas où le locataire est choisi en application de l'art.
11 ou dans d'autres cas justifiés, des dérogations peuvent être appliquées
aux réglementations sur les conditions d'occupation en fonction notamment de
la situation du logement dans le quartier, de sa qualité, de sa surface, de
son loyer, de la durée du bail, de la situation personnelle et familiale du
locataire.
2 Les assouplissements portent sur les règles relatives à la résiliation du
bail et au montant des suppléments de loyers.
3 Les modalités et conditions de dérogations spécifiques seront fixées par
voie de directives.
4 Les normes cantonales relatives aux logements construits en application de
la Loi du 9 septembre 1975 sur le logement demeurent réservées.
Le même jour, le Conseil communal a adopté un règlement sur l'allocation
communale au logement, destiné à permettre aux ménages à revenus modestes
d'habiter ou de conserver un logement adapté à leurs besoins; l'allocation
personnalisée doit servir à réduire le loyer à un niveau supportable, et
s'applique aux locataires de logements construits ou rénovés avec l'appui des
pouvoirs publics et à ceux du marché libre (art. 1). Le Conseil communal a
également accepté le financement de cette allocation par une subvention
annuelle pouvant aller jusqu'à 2'075'000 fr.
Dans son rapport-préavis du 25 septembre 2003, la Municipalité de Lausanne
expliquait que les cantons et les communes étaient appelés à devenir les
acteurs principaux en matière de logements sociaux. La commune contrôlait et
subventionnait plus de 10% de l'ensemble des logements lausannois. La
politique communale en matière de logement tendait à faciliter le maintien
des ménages bien intégrés et actifs dans les logements occupés depuis un
certain nombre d'années (en supprimant les résiliations et en modérant les
suppléments de loyers), tout en améliorant l'intégration des ménages
financièrement et socialement défavorisés. Les gérances acceptaient déjà 600
ménages au bénéfice d'une garantie de loyer du Service social, et il
convenait de porter ce nombre à 900. Les gérances acceptant d'attribuer des
logements à des ménages défavorisés, recommandés par le Service de
l'environnement, de l'hygiène et du logement (SEHL), pourraient bénéficier de
dérogations en faveur de ménages ne respectant pas certaines conditions
d'occupation.

B.
Par acte du 14 mai 2003, la Société coopérative d'habitation Lausanne déclare
recourir contre le RCO, ainsi que contre toute décision d'approbation du
Conseil d'Etat vaudois. Elle demande principalement l'annulation de ce
règlement, subsidiairement de son seul art. 11.
L'instruction de la cause a été suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat
vaudois ait statué à propos de l'approbation du règlement. Celle-ci est
intervenue, sans modification, par décision du 8 septembre 2004. La procédure
a été reprise par ordonnance du 22 septembre 2004.
La Commune de Lausanne conclut au rejet du recours. Les parties ont répliqué
et dupliqué en maintenant leurs conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours est formé contre un règlement adopté par le parlement communal. La
notion d'"arrêté cantonal" figurant à l'art. 84 al. 1 OJ comprend les actes
normatifs communaux (Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde,
Berne 1994 p. 109).

1.1 Selon l'art. 89 OJ, le recours de droit public doit être déposé dans les
trente jours dès la communication, selon le droit cantonal, de l'arrêté
attaqué. Le recours a été déposé dans ce délai, mais avant l'approbation par
le Conseil d'Etat, laquelle a un caractère constitutif (cf. l'art. 94 de la
loi vaudoise du 28 février 1956 sur les communes - LC). Conformément à la
pratique, ce dépôt, quoique prématuré, ne rend pas le recours irrecevable: la
procédure a été suspendue, puis reprise après le prononcé cantonal
d'approbation (cf. ATF 103 Ia 577). Par ailleurs, même si l'approbation
suppose un certain contrôle de conformité au droit supérieur, elle ne
constitue qu'une condition de validité de la norme et ne saurait être
assimilée à une voie de droit cantonale. Il n'était donc pas nécessaire que
la recourante s'en prenne également à la décision d'approbation.

1.2 La recourante est une société coopérative au sens des art. 828 ss CO,
disposant de la personnalité juridique (art. 838 CO). Elle a pour but de
procurer à ses membres, avec ou sans le concours des pouvoirs publics, des
habitations à des conditions avantageuses; à cet effet, elle acquiert,
construit, loue, ou gère des immeubles (art. 2 de ses statuts). Elle ne loue
des appartements qu'à ses membres (art. 49 let. a). Elle dispose d'un parc
immobilier de 5000 objets, avec 1716 logements répartis dans la région
lausannoise, dont plus des trois quarts en marché libre. Pour le quart
restant, elle est susceptible de se voir imposer, dans 15% des cas, la
conclusion d'un bail avec des personnes choisies par l'autorité en vertu de
l'art. 11 RCO. Elle dispose ainsi d'un intérêt juridique suffisant au sens de
l'art. 88 OJ.

1.3 Au moment de son adoption, puis de son approbation par le Conseil d'Etat,
le règlement attaqué n'était susceptible d'aucun recours cantonal (art. 86
al. 1 OJ). La cour constitutionnelle, chargée selon l'art. 136 Cst./VD de
contrôler la conformité des "normes cantonales" au droit supérieur, n'est
entrée en fonction que le 1er janvier 2005.

1.4 La recourante conclut à l'annulation de tout le règlement. En réalité,
son argumentation est limitée au seul art. 11, et la recourante n'explique
pas en quoi l'annulation de cette disposition devrait entraîner celle du
règlement dans son entier. Faute d'une motivation suffisante (art. 90 al. 1
let. b OJ), la conclusion tendant à l'annulation de l'intégralité du
règlement est irrecevable.

1.5 Le Tribunal fédéral vérifie en principe librement la constitutionnalité
d'un arrêté de portée générale, notamment sous l'angle de la force
dérogatoire du droit fédéral (ATF 126 I 76 consid. 1 p. 78). Il n'annule
toutefois les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune
interprétation ou application conforme au droit constitutionnel. Il y a donc
lieu de tenir compte des circonstances dans lesquelles ces dispositions
seront appliquées, sur le vu, en particulier, des intentions exprimées à ce
sujet par l'autorité intimée. A elle seule - pour autant qu'une protection
juridique suffisante soit assurée contre les mesures concrètes d'application
-, l'éventualité d'une application inconstitutionnelle à des cas particuliers
n'est pas déterminante (ATF 125 II 440 consid. 1d p. 443-444 et les arrêts
cités; 125 I 369 consid. 3 in fine p. 375).

2.
La recourante invoque le principe de la primauté du droit fédéral (art. 49
Cst.). Selon elle, la possibilité pour l'autorité de forcer le bailleur à
conclure avec une personne déterminée serait contraire au principe du
consentement mutuel comme condition de conclusion d'un contrat de bail. Il
s'agirait d'une intervention dans les rapports directs entre les parties au
contrat de bail, prohibée par la jurisprudence (ATF 119 Ia 348). Si les
relations ainsi imposées entre bailleur et locataire ne devaient pas
constituer un contrat de bail, il s'agirait d'une réquisition par l'autorité
communale, elle aussi contraire au droit fédéral.
La commune relève que l'aide au logement constitue une tâche publique de
l'Etat - soit du canton et des communes - figurant notamment à l'art. 67 de
la constitution vaudoise (Cst./VD). L'obligation d'accepter certains
locataires ne serait qu'une modalité de la mise en oeuvre du
subventionnement, sous la forme d'une charge. Le contrat de bail serait ainsi
un instrument de réalisation du droit public.

2.1 Le droit fédéral prime d'emblée et toujours le droit cantonal dans les
domaines placés dans la compétence de la Confédération et que celle-ci a
effectivement réglementés (art. 49 al. 1 Cst.; 2 Disp. trans. aCst.). Les
règles cantonales qui seraient contraires au droit fédéral, notamment par
leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, doivent ainsi céder le
pas devant le droit fédéral. Ce principe n'exclut cependant toute
réglementation cantonale que dans les matières que le législateur fédéral a
réglées de façon exhaustive, les cantons restant au surplus compétents pour
édicter, quand tel n'est pas le cas, des dispositions de droit public dont
les buts et les moyens envisagés convergent avec ceux prévus par le droit
fédéral (ATF 130 I 82 consid. 2.2 p. 87, 169 consid. 2.1 p. 170, 279 consid.
2.2  p. 283, et les arrêts cités). Si donc, dans les domaines régis en
principe par le droit civil fédéral, les cantons conservent la compétence
d'édicter des règles de droit public en vertu de l'art. 6 CC, c'est à
condition que le législateur fédéral n'ait pas entendu régler une matière de
façon exhaustive, que les règles cantonales soient motivées par un intérêt
public pertinent et qu'elles n'éludent pas le droit civil, ni n'en
contredisent le sens ou l'esprit (ATF 130 I 169 consid. 2.1 p. 170; 129 I 330
consid. 3.1 p. 334, 402 consid. 2 p. 404, et les arrêts cités). Le Tribunal
fédéral examine librement la conformité d'une règle de droit cantonal ou
communal au droit fédéral (ATF 130 I 96 consid. 2.3 p. 98; 128 I 46 consid.
5a p. 54; 128 II 66 consid. 3 p. 70, et les arrêts cités).

2.2 Fondée sur ces principes, la jurisprudence admet qu'il est interdit aux
cantons d'intervenir dans les rapports directs entre les parties au contrat
de bail, réglés exhaustivement par le droit fédéral (ATF 117 Ia 328 consid.
2b p. 331; 113 Ia 126 consid. 9d p. 143). Les cantons demeurent cependant
libres d'édicter des mesures destinées à combattre la pénurie sur le marché
locatif, par exemple en soumettant à autorisation la démolition, la
transformation et la rénovation de maisons d'habitation (ATF 89 I 178). Si
l'institution d'un contrôle permanent et général des loyers est incompatible
avec le droit fédéral (ATF 116 Ia 401 consid. 4b/aa, et les arrêts cités), il
est possible en revanche de conditionner l'autorisation de rénover des
logements à un contrôle des loyers pendant une durée de dix ans (ATF 101 Ia
502). Le Tribunal fédéral a rappelé à cette occasion que les dispositions
cantonales qui soumettent à une autorisation les transformations de maisons
d'habitation et imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas
contraires aux règles du droit civil fédéral qui régissent les rapports entre
bailleurs et locataires.
Dans la perspective de la lutte contre la pénurie de logements locatifs, il
n'est pas non plus contraire au droit fédéral de soumettre à autorisation
l'aliénation d'appartements, qu'il s'agisse de ventes de lots de PPE ou de
donations. Il en va de même en cas d'avancement d'hoirie, de partage ou de
liquidation d'un régime matrimonial, pour autant que ces aliénations aient
pour conséquence la transformation d'un appartement offert en location en
logement soumis au régime de la propriété par étages. La réglementation doit
toutefois permettre une pesée suffisante des intérêts en présence (ATF 113 Ia
126).
La jurisprudence tient aussi pour conformes au droit fédéral et à la
constitution les normes imposant au propriétaire une réaffectation forcée de
ses locaux à l'usage d'habitation, voire l'expropriation temporaire de
l'usage des appartements locatifs laissés abusivement vides (ATF 119 Ia 348;
arrêt 1P.664/1999 du 1er septembre 2000, RDAF 2002 I 25). Ces normes
poursuivent un but d'intérêt public évident, suffisamment important pour
justifier des restrictions au droit de propriété, à la liberté économique et
à l'application de certaines règles de droit civil fédéral (ATF 116 Ia 401
consid. 9 p. 414/415, 113 Ia 126 consid. 7a p. 133, 111 Ia 23 consid. 3a p.
26).

2.3 L'ensemble des réglementations cantonales précitées, qui soumettent à
autorisation les ventes d'appartements, imposent une certaine affectation ou
limitent les loyers, porte une atteinte évidente à la liberté contractuelle.
Le droit public peut en effet interdire, ou au contraire imposer la
conclusion de contrats entre certaines personnes, sans que cela ne viole en
soi le droit fédéral. La liberté contractuelle, énoncée à l'art. 19 CO,
bénéficie certes de la protection assurée par le principe de primauté du
droit fédéral (ATF 102 Ia 533 consid 10a p. 542). Elle n'est toutefois pas
illimitée: elle est notamment soumise aux restrictions qui sont réservées aux
al. 1 et 2 de l'art. 19 CO, ainsi qu'à l'art. 20 CO. Certaines dérogations à
cette liberté peuvent aussi se justifier, notamment dans le domaine du
logement (ATF 113 Ia 126 consid. 8c p. 139). Faute de prétendre que la
réglementation attaquée serait contraire aux dispositions spéciales régissant
le bail à loyer, l'argumentation de la recourante fondée sur le respect du
droit fédéral n'a pas de portée propre par rapport à celle qui est tirée de
la garantie de la propriété, respectivement de la liberté économique (cf. ATF
102 Ia 533 consid. 10a p. 542).

3.
Invoquant la garantie de la propriété (art. 36 Cst.), la recourante estime
que l'art. 11 RCO instituerait un droit de réquisition en faveur de l'Etat,
de nature expropriatoire. Il s'agirait d'une restriction grave qui devrait
être prévue dans une loi au sens formel. La loi vaudoise sur l'expropriation
exigerait d'ailleurs aussi une base légale formelle. L'art. 12 du règlement
cantonal sur les conditions d'occupation des logements construits ou rénovés
avec l'appui des pouvoirs publics (RCOL) ne serait pas suffisamment précis
pour permettre à l'autorité de choisir et d'imposer 15% des locataires de
certains immeubles.
Pour la commune, l'art. 11 RCO ne constituerait pas une atteinte à la
garantie de la propriété puisqu'il s'agit de la contrepartie d'un avantage
accordé par l'Etat, librement accepté par son bénéficiaire. Adopté par le
parlement communal, le RCO serait, en dépit de sa dénomination, une loi au
sens formel. La compétence communale dans ce domaine reposerait sur l'art. 67
Cst./VD, les art. 2, 3 et 22 de la loi vaudoise sur le logement (LL),
concrétisée par l'art. 12 RCO. Les conventions conclues entre propriétaires,
commune et canton prévoiraient l'application du règlement et des
prescriptions communales; elles prévoient aussi que le bailleur n'a qu'un
droit de proposition: l'autorité - soit la commune - peut, selon ces
conventions, décider si le candidat peut être admis à conclure le bail. En
signant ces conventions, la recourante aurait donc renoncé à son droit de
choisir librement ses locataires, et accepté l'adoption par la commune
d'autres prescriptions particulières. A titre subsidiaire, la commune
soutient que l'atteinte au droit de propriété ne serait pas grave puisque le
propriétaire perdrait tout au plus son droit de proposition; les conditions
du bail resteraient les mêmes. Par conséquent, l'examen du Tribunal fédéral
serait limité à l'arbitraire.

3.1 Selon l'art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. L'art. 26 al. 2
Cst. pose le principe de la pleine indemnisation en cas d'expropriation ou de
mesure équivalente. Dans sa fonction individuelle, la garantie de la
propriété protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire: celui de
conserver sa propriété, d'en jouir et de l'aliéner. Les mesures de contrôle
des loyers (ATF 116 Ia 401), d'affectation forcée au logement,
d'expropriation du droit d'habitation (ATF 119 Ia 348), d'autorisation
d'aliénation, de démolir ou de transformer un immeuble (ATF 113 Ia 126)
portent toutes atteinte à l'une des prérogatives découlant du droit de
propriété. Il n'en va pas évidemment de même de la disposition attaquée: le
droit de conserver et d'aliéner n'est pas touché; en outre, dans la mesure où
le bailleur est de toute façon soumis à un contrôle des loyers, et où le
locataire doit remplir des conditions de revenus et de fortune fixées dans la
réglementation et être de surcroît agréé par l'autorité avant la signature du
bail, le fait de se voir imposer un locataire plutôt qu'un autre n'a guère
d'incidence sur le revenu qui pourra être retiré de l'appartement loué.
Certes, l'art. 11 RCOL permettra d'imposer des locataires présentant une
garantie moindre de solvabilité. Toutefois, ces locataires pourront
bénéficier d'une aide personnalisée de la commune, susceptible de pallier cet
inconvénient.

3.2 En réalité, l'atteinte résultant de la réglementation contestée concerne
bien d'avantage la liberté du commerce et de l'industrie, laquelle comprend
notamment la liberté de conclure ou non un contrat et de choisir son
cocontractant (ATF 102 Ia 533 consid. 10a p. 542). La recourante n'invoque
certes pas expressément ce droit fondamental, mais les objections qu'elle
fait valoir sous l'angle des art. 26 et 36 Cst. (existence d'une base légale,
principe de la proportionnalité) sont applicables de la même manière à la
liberté économique.

4.
Selon l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1); elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). Cette
liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre
professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (cf.
Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle
Constitution fédérale, in FF 1997 I p. 1 ss, p. 176; ATF 118 Ia 175 consid.
1). La garantie de la liberté contractuelle, consacrée explicitement aux art.
1 et 19 CO, fait partie intégrante de l'aspect constitutif de la liberté
économique (Auer, Malinverni, Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne
2000 vol. II p. 318).
L'art. 36 Cst. exige que toute restriction à une liberté fondamentale soit
fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public ou par la
protection d'un droit fondamental d'autrui, et proportionnée au but visé.
Lorsque la restriction n'est pas grave, la base légale ne doit pas
nécessairement être formelle (art. 36 al. 1 2e phrase Cst. a contrario), mais
peut se trouver dans des actes de rang infra-légal ou dans une clause
générale, ce que le Tribunal fédéral examine sous l'angle restreint de
l'arbitraire (ATF 129 I 173 consid. 2.2; 126 I 112 consid. 3b; 123 I 112
consid. 7a et les arrêts cités). Pour le surplus, le Tribunal fédéral vérifie
librement si les exigences de l'intérêt public et de la proportionnalité sont
respectées (ATF 130 I 65 consid. 3.3; 128 II 259 consid. 3.3).
4.1 Il n'est ni contesté, ni contestable que l'art. 11 RCO poursuit
exclusivement un but de politique sociale. Selon la jurisprudence en effet,
les mesures de lutte contre la pénurie de logements et pour la protection des
locataires poursuivent un but de politique sociale (ATF 116 Ia 401 consid. 9c
p. 414 et les arrêts cités). En l'occurrence, l'art. 11 RCO tend notamment à
permettre aux catégories les plus défavorisées de la population d'obtenir un
logement à des conditions acceptables. Il s'agit d'encourager une certaine
"mixité résidentielle", en permettant le maintien des ménages bien intégrés,
tout en favorisant l'intégration de ménages en difficulté dans un
environnement plus stable et structuré. L'Etat offre en contrepartie une
garantie financière (loyers non payés et dégâts), ainsi qu'un suivi social.

4.2 Contrairement à ce que soutient la recourante, l'atteinte imposée aux
propriétaires par la nouvelle réglementation ne saurait être qualifiée de
grave. Seules le sont, pour ce qui concerne la garantie de la propriété, les
mesures par lesquelles la propriété foncière se trouve enlevée de force, ou
les interdictions et prescriptions qui rendent impossible ou beaucoup plus
difficile une utilisation conforme à la destination (ATF 115 Ia 365). En
matière de liberté économique, constitue une atteinte grave, par exemple,
l'interdiction d'exercer une profession; en revanche l'obligation de réserver
une partie d'un bâtiment à une affectation déterminée ne constitue pas une
atteinte grave (ATF 115 Ia 378 consid. 3b/bb p. 380).
En l'occurrence, l'art. 11 RCO porte certes atteinte à la liberté
contractuelle du bailleur, mais dans une proportion limité à 15% des
logements à disposition. La liberté contractuelle se trouve d'ailleurs déjà
fortement limitée dans ce contexte, puisque le choix du locataire doit
respecter des conditions précises de revenu et de fortune, et que le montant
du loyer ne peut lui non plus être fixé librement. L'intervention de la
cellule logement (art. 12 RCO), sur des aspects financiers est, comme cela
est relevé ci-dessous, propre à limiter les risques évoqués par la recourante
(non paiement de loyers et dégâts). Enfin, la contrepartie accordée à l'art.
11 al. 2 RCO amoindrit encore les effets prétendus de l'atteinte. C'est par
conséquent sous l'angle de l'arbitraire que le Tribunal fédéral doit examiner
les questions relatives à la base légale et à la compétence législative de
l'autorité communale.

4.3 La recourante soutient que le règlement attaqué ne pourrait être qualifié
de base légale formelle au sens de l'art. 36 Cst. Seul le canton serait
compétent pour édicter des lois; selon l'art. 4 de la loi vaudoise sur les
communes (LC/VD), le conseil général ou communal pourrait adopter des
"règlements"; ceux-ci devraient, selon l'art. 94 al. 2 LC/VD, être approuvés
par le Conseil d'Etat pour avoir "force de loi", mais cela ne signifierait
pas qu'il s'agirait de lois au sens formel.
En dépit d'une terminologie qui peut prêter à confusion, l'acte attaqué a
toutes les caractéristiques d'une loi au sens formel: il émane du parlement
communal et est soumis au référendum, comme l'exigent les art. 142 al. 2 et
147 al. 1 Cst./VD. Dans ces conditions, l'acte législatif communal offre les
mêmes garanties, du point de vue de la légitimité démocratique, qu'une loi
cantonale, et constitue par conséquent une base légale suffisante (ATF 122 I
305 consid. 5a p. 312; 120 Ia 265 consid. 2a p. 266-267 et les références
citées). L'argumentation de la recourante quant à la nature du règlement
attaqué tombe ainsi à faux.

4.4 La recourante conteste également la compétence de la commune pour adopter
le RCO. L'art. 67 Cst./VD ne permettrait pas aux communes d'agir par voie
législative et de prévoir un droit de disposition sur des logements
construits avec son appui financier. La loi vaudoise sur le logement ne le
permettrait pas non plus. L'art. 12 RCOL prévoit que "si la situation locale
justifie des mesures différentes de celles prévues dans le présent règlement,
la commune peut édicter des prescriptions spéciales applicables sur
l'ensemble du territoire communal, pour autant qu'elle participe pour les
immeubles en cause à l'abaissement des loyers. Ces prescriptions seront
susceptibles de compléter les règles cantonales, ou de se substituer à
celles-ci, après avoir été approuvées par le Conseil d'Etat". Pour la
recourante, une telle délégation, de rang réglementaire, ne serait pas
admissible.

4.4.1 La Constitution fédérale garantit l'autonomie communale dans les
limites fixées par le droit cantonal (art. 50 al. 1 Cst.). Selon la
jurisprudence, une commune est autonome dans les domaines que le droit
cantonal ne règle pas de façon exhaustive, mais laisse en tout ou en partie
dans la sphère communale en conférant aux autorités municipales une
appréciable liberté de décision (ATF 126 I 133 consid. 2 p. 136; 124 I 223
consid. 2b p. 226 s. et les références citées). L'existence et l'étendue de
l'autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées
essentiellement par la constitution et la législation cantonales, voire
exceptionnellement par le droit cantonal non écrit et coutumier (ATF 122 I
279 consid. 8b p. 290; 116 Ia 285 consid. 3a p. 287; 115 Ia 42 consid. 3 p.
44 et les arrêts cités). Les communes bénéficient de compétences législatives
lorsqu'elles disposent d'un pouvoir normatif dans un domaine que le
législateur cantonal ou fédéral n'a pas réglé exhaustivement (ATF 115 Ia 42).

4.4.2 Selon l'art. 138 Cst./VD, outre les tâches propres qu'elles
accomplissent volontairement, les communes assument les compétences que la
constitution ou la loi leur attribuent. Elles veillent au bien-être de leurs
habitants et à la préservation d'un cadre de vie durable (al 1). L'Etat
confie aux communes les tâches qu'elles sont mieux à même d'exécuter que lui
(al. 2). Selon l'art. 139 Cst./VD, les communes disposent d'autonomie, en
particulier dans la gestion du domaine public et du patrimoine communal,
l'aménagement local du territoire et l'ordre public; l'expression "en
particulier" signifie clairement que cette énumération n'est pas exhaustive.
Selon l'art. 2 LC/VD, les communes exercent les attributions et exécutent les
tâches qui leur sont propres, dans le cadre de la constitution et de la
législation cantonales. Cet article comporte lui aussi une liste
d'attribution, plus complète mais non exhaustive, où ne figure pas la
réglementation relative au logement.
L'art. 67 Cst./VD prévoit que l'Etat et les communes, en complément des
démarches relevant de la responsabilité individuelle et de l'initiative
privée, veillent à ce que toute personne puisse disposer d'un logement
approprié à des conditions supportables (al. 1). Ils encouragent la mise à
disposition de logements à loyers modérés et la création d'un système d'aide
personnalisée au logement (al. 2).
La LL a pour but de promouvoir une politique du logement mettant notamment à
disposition de la population des habitations adaptées à ses besoins et de
favoriser un équilibre démographique satisfaisant des diverses régions du
canton (al. 1). Cette politique est fondée sur la collaboration de l'économie
privée, des communes et de l'Etat. Les communes doivent suivre en permanence
l'évolution du problème du logement sur leur territoire, et prendre les
mesures de prévention et d'exécution nécessaires pour créer ou maintenir
l'équilibre entre l'offre et la demande, notamment par l'acquisition, la
cession et la mise à disposition de terrains à bâtir, des suggestions aux
constructeurs de logements et l'octroi de garanties financières (prêt,
garantie, cautionnement, prise en charge de l'intérêt; art. 2 LL). Selon
l'art. 3 LL, les communes "s'efforcent" de procurer un logement approprié aux
familles et personnes établies sur leur territoire; elles doivent vouer une
attention toute particulière à celles qui se trouvent privées de logement
pour des raisons indépendantes de leur volonté. Pour sa part, l'Etat assume
des tâches de coordination générale, d'information et des mesures financières
directes ou indirectes (art. 8 LL). Ces dernières mesures sont accordées sous
la forme de garanties, d'emprunts, de prêts (art. 13-22 LL), d'exonérations
fiscales (art. 23-26) et de prise en charge de l'intérêt ou de
l'amortissement (art. 27ss). En règle générale, les communes participent
également aux mesures financières par la mise à disposition des terrains, ou
d'autres facilités ayant des effets au moins équivalents sur la réduction des
charges des immeubles (art. 14). Les garanties ou les prêts de l'Etat sont en
général subordonnés à une garantie de la ou des communes intéressées (art.
17). Une convention détermine les droits et obligations de l'Etat, de la
commune et du propriétaire, en particulier s'agissant du contrôle des loyers
(art. 18). Selon l'art. 22 LL, les dispositions d'application précisent les
catégories de logements pouvant bénéficier des mesures de la loi et fixent
les autres conditions, "notamment l'amortissement, ... les locataires
admissibles, le nombre de pièces et de personnes par logement, le montant du
loyer, les limites de revenus, les conditions de domicile, ...". Les communes
sont chargées de veiller à la stricte observation des conditions fixées en
application du présent article.

4.4.3 En vertu de son pouvoir d'exécution (art. 120 al. 2 in fine Cst./VD et,
s'agissant de la LL, art. 37 al. 1 de cette loi), le Conseil d'Etat a adopté
un règlement d'application (RLL) ainsi qu'un règlement sur les conditions
d'occupation des logements construits ou rénovés avec l'appui financier des
pouvoirs publics (RCOL). Ce dernier fixe les conditions auxquelles doivent
satisfaire les locataires d'appartements construits ou rénovés en application
de la LL. Il pose notamment des conditions personnelles et des limites de
revenu et de fortune. L'art. 12 RCOL a la teneur suivante:
1 Si la situation locale justifie des mesures différentes de celles prévues
dans le présent règlement, la commune peut édicter des prescriptions
spéciales applicables sur l'ensemble du territoire communal, pour autant
qu'elle participe pour les immeubles en cause à l'abaissement des loyers.

2 Ces prescriptions seront susceptibles de compléter les règles cantonales,
ou de se substituer à celles-ci, après avoir été approuvées par le Conseil
d'Etat.

4.4.4 La disposition constitutionnelle vaudoise relative au logement, soit
l'art. 67 Cst./VD, institue clairement des compétences parallèles entre
l'Etat et les communes; la constitution place les deux collectivités sur pied
d'égalité dans ce domaine (Recordon, Tâches de l'Etat et des communes, in: La
Constitution vaudoise du 14 avril 2003, Pierre Moor (éd.), Berne 2004 p.
172). Cela implique déjà en soi un pouvoir réglementaire, dont la commune de
Lausanne avait d'ailleurs déjà fait usage en édictant des prescriptions
spéciales en 1993 (bulletin du Conseil communal 1993, tome II pp. 61ss).
C'est par conséquent à tort que la recourante se plaint du défaut de base
légale formelle, puisque le règlement litigieux trouve son fondement
directement dans le texte constitutionnel: le droit cantonal de rang
inférieur à la constitution, soit la LL et ses règlements d'application, n'a
pas pour objet d'attribuer une compétence communale, mais uniquement d'en
préciser le contenu.
La LL confie expressément certaines compétences aux communes, en particulier
à ses art. 2 et 3; les "mesures de prévention et d'exécution nécessaires"
impliquent elles aussi un certain pouvoir réglementaire, notamment par une
intervention sur l'offre et la demande, ce que tend précisément à faire
l'art. 11 RCO. L'ensemble des tâches confiées par les art. 2 à 7 LL aux
autorités communales peuvent impliquer des mesures coercitives, en
particulier à l'égard des bailleurs et propriétaires; cela suppose
naturellement l'adoption de bases légales appropriées. Par ailleurs, tant la
loi que ses règlements cantonaux d'application sont fondés sur le principe
que la commune dispose, à côté de l'Etat, de certaines prérogatives
lorsqu'elle participe financièrement à l'abaissement des loyers (droit de
représentation, art. 24 RLL; participation à la convention, art. 18 LL et 12
RLL).
Quant à l'art. 12 RCOL, il permet à la commune qui participe à l'abaissement
des loyers d'adopter des prescriptions spéciales, si la situation locale le
justifie. Le droit cantonal permet ainsi expressément l'adoption d'une
réglementation communale spécifique, éventuellement même dérogatoire. Certes,
il ne saurait être question de déroger ainsi à la loi formelle: le Conseil
d'Etat ne dispose pas d'une délégation suffisante pour ce faire. En revanche,
il peut prévoir une possibilité de dérogation aux dispositions qu'il a
lui-même adoptées, sous réserve de sa propre approbation. Contrairement à ce
que soutient la recourante, l'art. 12 RCOL ne vise pas uniquement les
dérogations aux conditions de revenus ou de fortune figurant aux articles
précédents: il autorise "des mesures différentes", ce qui comprend également
des prescriptions d'une autre nature. En tant qu'agglomération urbaine,
Lausanne peut en outre se prévaloir d'une situation locale particulière au
sens de l'art. 12 RCOL. Pour le surplus, la recourante ne prétend pas que
l'art. 11 RCO empêcherait d'une manière ou d'une autre l'application du droit
cantonal. Les dérogations figurant dans le règlement communal (cf. art. 7 et
13), ne visent que des dispositions réglementaires, et non des normes
législatives cantonales.
Il résulte de ce qui précède que la commune dispose d'une compétence
suffisante pour adopter le règlement litigieux, et que celui-ci n'empiète pas
sur la réglementation cantonale touchant au même domaine. Le grief doit par
conséquent être écarté.

4.5 La recourante estime que la mesure contestée répondrait certes à un
intérêt public, mais qu'elle serait disproportionnée car la commune dispose
déjà d'un important parc immobilier qu'elle devrait affecter en priorité à la
tâche poursuivie. Les mesures d'allocations personnalisées au logement
prévues dans le RCOL suffiraient à elles seules pour atteindre le but visé.
La recourante invoque enfin l'art. 9 Cst.: on ne saurait introduire de
nouvelles charges et conditions à des subventionnements qui ont déjà été
accordés; l'imposition de charges supplémentaires (restriction au droit de
propriété, risques liés à l'insolvabilité du locataire choisi par l'Etat,
conflits de voisinage), ne serait pas liée à une prestation fournie par
l'Etat.

4.5.1 L'intérêt public poursuivi par la disposition litigieuse, tel qu'il est
résumé au consid. 4.1 ci-dessus, est indéniable. Pour ce qui concerne l'art.
11 RCO, il s'agit de permettre une "mixité résidentielle" en faisant accepter
par les bailleurs des ménages financièrement et socialement défavorisés, "non
désirables a priori" en raison de leurs problèmes financiers ou de
comportement (Rapport-préavis du 25 septembre 2003, p. 5-7). Cette solution
tiendrait largement compte de la pratique actuelle des régies: celles-ci
accepteraient actuellement environ 600 ménages au bénéfice d'une garantie de
loyer du Service social, et il conviendrait de porter ce nombre à environ 900
afin de réduire les hébergements de secours qui se prolongent faute de
logements disponibles, et d'accepter les "éternels refusés" (idem, p. 7). La
disposition litigieuse permet une intervention coercitive de la part de la
commune qui ne pouvait jusqu'alors compter que sur le bon vouloir des
différents bailleurs. L'art 11 du règlement tend ainsi à assurer un logement
décent aux personnes les plus défavorisées, ce qui correspond à un intérêt
public important. La limitation de l'effet de ghetto et l'introduction d'une
plus grande mixité procède, avec les deux autres moyens que sont les mesures
d'assouplissement et l'allocation au logement, d'un intérêt public plus
général lié à l'intégration durable des ménages défavorisés.

4.5.2 Contrairement à ce que soutient la recourante, le droit accordé à
l'autorité par l'art. 11 RCO ne va nullement au-delà du but visé: la
proportion de 15% correspond, selon la commune, aux 900 logements
nécessaires. Même si, actuellement, environ 600 ménages au bénéfice d'une
garantie de loyer du Service social auraient déjà été acceptés par
différentes régies, cela ne change rien au fait que l'autorité communale doit
disposer d'un pouvoir coercitif s'étendant à l'ensemble des besoins, dont la
proportion n'est d'ailleurs pas contestée par la recourante. Celle-ci ne
saurait non plus exiger que la ville de Lausanne affecte à cette tâche
l'intégralité des quelque 724 logements dont elle dispose dans les 200
immeubles dont elle est propriétaire. L'objectif du règlement est précisément
d'éviter un regroupement systématique des ménages en difficulté.
L'intervention de l'Etat et des communes, en complément des démarches
relevant de la responsabilité individuelle et de l'initiative privée,
correspond par ailleurs au principe posé à l'art. 67 Cst./VD.
La recourante soutient également que l'intervention de la cellule logement,
selon l'art. 12 RCO, suffirait à assurer le relogement des personnes
concernées. Selon l'art. 4 de la directive n° 6 adoptée le 19 août 2004 par
la Municipalité (la directive), le bénéficiaire doit être en mesure de
respecter les normes posées par le droit du bail et les règles et usages
locatifs. Cette disposition a notamment pour but d'éviter que les locataires
imposés par l'autorité ne soient d'emblée exposés au risque d'une résiliation
pour justes motifs. Cette précaution ne suffit pas à elle seule pour éviter
les difficultés insurmontables que peuvent rencontrer certaines personnes
pour se loger, en particulier les "éternels refusés" dont fait état la
commune.
L'intervention de la cellule logement est en revanche de nature à amoindrir
considérablement les dommages qui pourraient résulter de l'acceptation forcée
de certains locataires. A cet égard, la directive précitée constitue un
indice sérieux quant à la manière dont l'art. 12 RCO sera interprété et
appliqué. Selon cette dernière disposition, les locataires choisis par les
autorités peuvent être pris en charge par la cellule logement qui peut être
appelée à intervenir, "tant sur le plan social que sur tous les aspects
financiers du bail". Selon l'art. 6 de la directive, la cellule logement
s'assure de la solvabilité des locataires, en matière de paiement du loyer,
de garantie de loyer ainsi que d'assurance responsabilité civile; elle peut
demander au Service social de s'acquitter directement en mains du bailleur;
elle analyse, en fin de bail, les prétentions du bailleur, établit avec lui
le décompte des frais en cas de dégâts hors normes et participe pour 50% aux
montants non couverts par les assurances et garanties; une participation plus
importante peut être négociée dans les cas exceptionnels. Ainsi décrite,
l'intervention de la cellule logement diminue sensiblement les risques
évoqués par la recourante, lesquels n'apparaissent guère plus graves qu'avec
n'importe quel locataire remplissant les conditions d'accès à un logement
subventionné.
Enfin, la possibilité de conserver 15% de locataires ne répondant pas ou plus
aux conditions d'occupation, soit notamment en raison de revenus ou de
fortunes supérieurs aux barèmes, constitue une contrepartie adéquate puisque
ces locataires présentent des garanties de solvabilité a priori supérieures.
Le mécanisme instauré par les art. 11 à 13 RCO apparaît en définitive comme
un tout cohérent, à la fois nécessaire et adéquat pour parvenir aux buts
recherchés. Le principe de la proportionnalité est respecté.

4.6 La recourante invoque enfin l'interdiction de l'arbitraire et la
protection de la bonne foi. Selon elle, il ne serait pas possible de poser de
nouvelles charges ou des obligations supplémentaires à une subvention déjà
accordée, à moins que cela ne soit justifié par des prestations effectivement
de l'Etat. L'argument doit être écarté: en l'absence de droit acquis, ni la
protection de la bonne foi, ni l'interdiction de l'arbitraire ne s'opposent à
une modification législative éventuellement plus contraignante pour les
propriétaires.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un
émolument judiciaire est mis à la charge de la recourante. La ville de
Lausanne, qui dispose d'un service juridique, n'était pas obligée de recourir
aux services d'un avocat. Il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires de la recourante et
du Conseil communal de Lausanne.

Lausanne, le 31 mai 2005

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: